Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

Louis Guinet: Les emprunts gallo-romans au germanique (du ler àla fin du Ve siècle). Paris, Klincksieck, 1982 (Bibliothèque française et romane. Série A: Manuels et études linguistiques, vol. 44), 212 p.

Povl Skårup

Le sujet de ce livre concerne la datation des mots français d'origine germanique empruntés pendant les premiers siècles de notre ère. La thèse en est que beaucoup de ces mots ont été empruntés plus tôt qu'on ne le pensait jusqu'ici. Une partie considérable des mots attribués jusqu'ici à l'invasion franque des Ve-Vle siècles remonteraient à une date antérieure.

Cette thèse est fondée sur deux suppositions. Premièrement, elle se base sur les hypothèses de Georges Straka portant sur les dates des changements phonétiques survenus lors du passage du latin au français, telles qu'elles ont été codifiées par F. de la Chaussée (Initiation à la phonétique historique de l'ancien français, Paris, 1974, cp. Revue Romane X.2, 1975, p. 418 s.). Or ces hypothèses ne sauraient être considérées comme sûres.

Deuxièmement, la thèse suppose une loi générale disant que si un mot entre dans une langue après que les mots autochtones de cette langue ont subi un certain changement phonétique, ce mot d'emprunt, même s'il présente toutes les conditions nécessaires au changement, ne le subit pas. Cela impliquerait en effet que si un mot d'emprunt a effectivement subi ce changement phonétique, il a dû être emprunté avant la date où les mots autochtones l'ont subi. Puisque le germanique *hrunkja 'ride', devenu fronce, a subi la palatalisation de k devant yod, il a dû, selon l'auteur, être introduit avant la date où les mots latins l'ont subie (c'est-à-dire au lle siècle, selon Straka et de la Chaussée). Or cette loi générale, fondamentale pour les arguments du livre, est inexacte. Ainsi, pour prendre un exemple moderne, le mot pergola est prononcé avec un r vélaire, mais a été emprunté à l'italien bien après que IV dental des mots français autochtones est devenu vélaire. C'est que les mots d'emprunt s'intègrent dans le système phonétique de la langue qui les accueille. L'auteur aurait bien fait de considérer ce fait banal, en se demandant, par exemple, ce que serait devenu *hrunkja s'il avait été emprunté après le lle siècle. Il est vrai que parmi ceux qui discutent de la date d'un emprunt, l'auteur n'est pas le premier à avoir fait cette faute.

La fragilité de la double base sur laquelle elle s'appuie fait que la thèse de l'ouvrage n'a
pas été prouvée. Cela n'implique pas qu'elle soit fausse: elle reste comme une possibilité
à discuter. Le grand mérite du livre est justement d'avoir ouvert cette possibilité. Par là, il

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ne manquera pas de raviver les discussions sur la date des mots français d'origine germanique
et, également, sur l'importance de l'invasion franque pour la langue et la société de la Gaule.

Ârhus