Revue Romane, Bind 19 (1984) 1Theo Candínas: Romontsch sursilvan. Chur (Ligia Romontscha) 1982. Ricarda Liver: Manuel pratique de romanche sursilvan - vallader (Romanica Raetica 4). Chur (Ligia Romontscha) 1982.Kåre Nilsson Side 167
Au cours de l'année 1982, la Ligia Romontscha n'a publié rien de moins que deux manuels de romanche. Cela est en soi un événement notable, puisqu'il s'agit des premiers exposés grammaticaux du sursilvain et du basse-engadinois (vallader) depuis le Bien di, bien onn de S. Modest Nay (sursilvain, 1938) et le Vierv ladin de J. C. Arquint (basse-engadinois, 1964). Side 168
Le Romontsch sursilvan de Théo Candínas est un manuel didactique traditionnel. Il n'est pas destiné seulement aux débutants, mais aussi aux étudiants plus ou moins bilingues de la Surselva (la région du Rhin antérieur), à l'ouest des Grisons. Les divers aspects de la langue sont introduits par 27 leçons, comprenant toutes un texte de base, une partie grammaticale et des exercices abondants, y compris une traduction allemandsu Le vocabulaire reflète la réalité quotidienne, et semble bien adapté aux besoins du monde "moderne" (qui a envahi aussi les vallées autrefois isolées de la Surselva). Les exercices très variés et les traductions thématiquement liées aux textes romanches devraient constituer une base solide pour l'acquisition active de la matière linguistique. Ainsi le livre se prête aussi à l'autodidaxie, bien que les étudiants qui travaillent seuls regretteraient l'absence d'une clef qui leur donnât les solutions correctes. La progression didactique donne l'impression d'être structurée d'une façon logique et bien équilibrée. En ce qui concerne la description grammaticale, la plus grande importance est attachée - comme de juste - à la morphologie, qui est présentée d'une manière bien accessible d'un point de vue graphique et pédagogique. Néanmoins, il me semble que l'auteur a hérité de bon nombre des insuffisances et des aspects discutables de l'œuvre de son prédécesseur, en suivant trop fidèlement les exemples du Bien di, bien onn. Je me bornerai ici à en signaler les défauts qui me semblent les plus remarquables. Quant aux formes du présent, Candirías poursuit la tradition douteuse des grammairiens antérieurs, en introduisant un trait caractéristique comme une irrégularité: II s'agit de l'infixé -esch- (provenant des verbes inchoatifs du latin), qu'on trouve au singulier et à la 3e personne du pluriel de presque tous les verbes de la 4e conjugaison (et, en outre, dans un grand nombre des verbes de la lre conjugaison). Ex.: jeu fineschel, ti fïneschas etc. (de finir). Malgré cela, l'auteur présente la variante minoritaire (sans infixe) comme modèle de la conjugaison régulière, en renvoyant le type prédominant à une note conçue en ces termes (p. 89): "Einige (souligné par moi) Verben der 4. Konjugation bekommen die Endungen -eschel (1. Person Singular), -eschas" etc. Les alternances métaphoniques et métathétiques des radicaux verbaux - dont la multiplicité représente une vraie pierre d'achoppement pour tout étudiant du romanche - sont traitées soigneusement. Toutefois, l'auteur n'en présente qu'un modèle pour chaque catégorie; sans en énumérer les représentants les plus fréquents, et sans systématiser les divers types d'alternances. A titre de
curiosité, on peut signaler aussi que les noms et
pronoms du sursilvain sont Dans un manuel d'un format aussi limité, il est compréhensible que la syntaxe occupe un espace assez modeste. Il y a, cependant, des questions qu'il aurait fallu approfondir un peu, même à ce niveau élémentaire. A ce propos, on pourrait mentionner le problème "classique" des rapports entre l'imparfait et le parfait, l'extension de la conjugaison avec esser (au lieu de haver) aux formes composées de certains verbes (dont l'auteur n'indique que ceux qui figurent dans les modèles et les textes, sans en donner de règles) et, notamment, le jeu distributionnel assez complexe entre les variantes du subjonctif du passé et la forme dite "conditionnel". Pour ce qui est
de la prononciation, il reste quelques points obscurs,
survivances du Side 169
des s sourds et
sonores et, dans une certaine mesure, l'accentuation.
Curieusement, Candínas La valeur principale du livre de Candínas réside dans la "modernité" de son lexique, dans le nombre et la variété de ses exercices, ainsi que dans l'aspect alléchant de sa présentation graphique. D'autre part, je ne peux pas me dégager de l'impression que le Bien di... digne de mérite de Nay offrait plus d'intérêt d'un point de vue culturel et "littéraire". Du reste, il y a tant de ressemblances entre ces deux manuels que, pour rendre justice au livre de Nay, il me semblerait injuste de qualifier le nouvel ouvrage de Candinas de vraiment nouveau sur le terrain linguistique rhéto-roman. Le Manuel pratique de romanche sursilvan - vallader (ou basse-engadinois, parlé à Test des Grisons) de Ricarda Liver nous propose une introduction synoptique aux deux variétés extrêmes et, en même temps, les plus répandues et résistantes de la Suisse romanche. Il s'agit du premier manuel dans ce domaine rédigé en français (exception faite du J'apprends le romanche de M. Schlatter, qui est une petite introduction au basseengadinois assez superficielle, traduite de l'allemand en 1964). Le manuel de Liver est divisé en deux parties principales: un précis de grammaire comparée moderne, suivi d'un choix de textes littéraires anciens et modernes des deux régions concernées. A la fin du livre, on trouve des glossaires sursilvain-français et vallader-ùançais, contenant la totalité des mots employés dans la grammaire et dans l'anthologie. La partie grammaticale est conçue d'après un schéma "classique", en ce sens que la morphologie, la formation des mots et la syntaxe sont traitées dans des chapitres séparés. Mais, en pratique, l'auteur ne distingue pas trop nettement entre des questions morphologiques et syntaxiques: la plupart des remarques sur l'emploi des formes ont été intégrées à la morphologie. Dans la partie consacrée à la syntaxe, l'auteur s'est contenté d'aborder les particularités fonctionnelles les plus frappantes des deux idiomes; comme l'inversion, la "consecutio temporum" et l'emploi des adverbes/prépositions de lieu et de certaines tournures verbales. En introduisant les divers faits linguistiques, l'auteur commence par exposer ce qui est commun au sursilvain et au vallader ensuite elle en signale les traits particuliers. Les formes et les exemples parallèles sont toujours juxtaposés. Grâce à cette disposition, le lecteur a une impression très nette des divergences et des ressemblances qui marquent les deux dialectes. De même que dans le manuel de Candinas, les verbes de la 4e conjugaison sans prolongement du radical sont présentés comme le type normal. Je ne connais pas très bien le système verbal du basse-engadinois, mais, au moins pour ce qui est du sursilvain, cela donne - pour des raisons signalées ci-dessus - une image inexacte de la réalité linguistique et statistique. A part cela, les objections que j'ai faites à propos du livre de Candinas ne touchent guère celui de Liver. Même s'il est vrai qu'elle non plus ne discute pas les rapports entre l'imparfait et le parfait, cela est excusable dans un manuel destiné aux lecteurs de langue française, vu qu'à cet égard il n'y a pas de différences considérables entre le rhéto-roman et le français. — Quoique le Manuel pratique ... de Liver soit un ouvrage d'ambitions modestes, il me semble que l'auteur a réussi à exposer d'une façon systématique et bien organisée tous les faits essentiels pour ceux qui désirent s'informer de la structure des dialectes romanches suisses les plus vivaces et les plus importants. Side 170
Les textes en appendice (62 p.) ont une grande portée thématique et chronologique (du XVIe siècle à nos jours, plus un document en latin barbare du Xe ou Xle s.), et représentent toutes sortes de genres: prose et poésie religieuses, historiographie, prose de fiction, essais. Tous les textes sont pourvus de notes explicatives, où l'auteur aborde aussi des questions diachroniques. En somme, l'anthologie nous propose une image vivante et pleine de facettes du patrimoine culturel de la Suisse romanche. Pour conclure, je dirais que ces deux manuels, récemment parus, sont des contributions bienvenues, dans le domaine des ouvrages didactiques et de référence modernes, en ce qui concerne les dialectes rhéto-romans. Il est à espérer qu'ils pourront stimuler l'intérêt pour ces idiomes déclinants des Grisons, où il faut aujourd'hui faire jouer tous les ressorts pour endiguer l'influence "osmotique" de l'allemand. Oslo
|