Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

Stratégies concessives: Une étude de six adverbes français

par et

Harald Gettrup

Henning Nølke

Depuis quelque temps, on se rend de plus en plus compte du rôle important que joue la concession dans les stratégies discursives. Aussi cette relation sémantique a-t-elle fait l'objet de plusieurs travaux récents qui, par la richesse des idées qu'ils contiennent, méritent un examen attentif et prolongé. Les sujets parlants disposent en effet de toute une gamme de stratégies concessives et peuvent recourir à diverses formes linguistiques. Les faits qui dictent leurs choix sont pourtant loin d'être clairs. Nous pensons qu'un examen approfondi d'une classe délimitée de morphèmes concessifs pourra aider à élucider ce problème central.

Les analyses de cet article se présentent sous une double perspective. Nous avons voulu voir à l'œuvre le fonctionnement d'un appareil conceptuel dans l'espoir que l'évaluation de nos résultats pourrait approfondir notre réflexion linguistique. Nous avons voulu, en outre, soumettre au lecteur un certain nombre d'observations empiriques qui, croyons-nous, pourront élargir nos connaissances du français et permettre aux étrangers d'utiliser avec plus d'assurance un groupe de mots dont quelques-uns comptent parmi les plus fréquents du vocabulaire, à savoir pourtant, cependant, quand même, tout de même, néanmoins et toutefois. Ces mots connaissent des emplois très variés et comportent des nuances difficiles à saisir, ce à quoi il faut ajouter l'absence quasi totale de renseignements lexicaux, qui en rend le maniement encore plus délicat.

L'article se compose de deux parties: Nous inspirant des théories élaborées par Blumenthal, Ducrot et I'"Ecole de Genève", nous essayerons, dans la première section, de circonscrire et d'analyser la notion même de concession, avant de procéder, dans la deuxième, à des examens détaillés des six adverbes.

1. La concession

Tout d'abord, il nous faudra distinguer les deux notions apparentées: adversatif
et concessi/.

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1.1. Adversatif et concessif

Dans leur article "La concession ou la réfutation interdite" (1982), Jacques Moeschler et Nina de Spengler affirment que "la notion de concession est une des notions les plus mal définies en linguistique" (p. 8). On pourrait en dire de même de la notion d'adversativité. Ces deux notions font partie de la tradition grammaticale, où elles ont servi notamment à décrire certaines classes de subordonnées et leurs introducteurs, mais aussi pour caractériser d'autres constructions (telles que tout + gérondif) et différents types de connecteurs (mais, pourtant, etc.). Cependant, la distinction entre ces deux notions et le classement des lexèmes concernés ont toujours semé la confusion. Grevisse, pour sa part, se refuse à toute disctinction (1980, §2666), alors que Le Bidois (1967, 1135-1142), distingue entre les deux notions, compte parmi les conjonctions adversatives la plupart de celles que Moeschler et de Spengler appellent adverbes concessifs.

Si Grevisse et Le Bidois ne s'intéressent pas ou si peu à ce problème, d'autres l'ont abordé avec plus de rigueur. Ainsi, Sandfeld (1965, §181) parle de propositions subordonnées adversatives qui "marquent qu'un fait quelconque contraste avec un autre" et de subordonnées concessives (§223) qui "marquent un fait qui normalement devrait empêcher la réalisation d'un autre, mais qui n'a pas ou n'a pas eu cet effet". Les adversatives sont introduites par tandis que, alors que, là où, etc., et les concessives par bien que, même si, quand bien même, etc. Sandfeld souligne l'affinité qui existe, d'une part, entre les subordonnées adversatives et temporelles et, d'autre part, entre les adversatives et les concessives. Des deux côtés, on trouve des cas-limite qu'on ne peut pas catégoriser de manière univoque. Si Sandfeld est donc assez subtil dans la description sémantique, son ouvrage n'offre aucun renseignement sur les propriétés distributionnelles qui caractérisent les deux types de phrases, ni aucun approfondissement théorique de la notion de "contraste" telle qu'il la conçoit quand il dit que "deux faits contrastent".

L'article d'Henri Bonnard sur la concession dans le "Grand Larousse de la langue française" (GLLF) nous livre également quelques réflexions sur le rapport entre concession et "adversativité". Si l'auteur y dit que "mais, pourtant, cependant, toutefois sont seulement adversatifs", il laisse néanmoins entendre que la réalité est plus complexe. Soit l'exemple (1):

(1) Bien que son père s'y opposât, il préparait le Conservatoire.

Au sujet de (1), Bonnard remarque que "ces concessives expriment le même rapport
que des coordonnées introduites par les conjonctions dites "adversatives":

(2) II préparait le Conservatoire, pourtant son père s'y opposait.

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La concession se trouve ensuite caractérisée de la manière suivante: "La "concession" consiste à faire entendre qu'un phénomène, entraînant normalement comme conséquence un autre phénomène, se trouve, dans le cas considéré, n'avoir pas eu d'effet. Dans les exemples d'où nous sommes partis, la proposition subordonnée exprime bien un facteur qui pourrait jouer et ne joue pas: (...) le veto d'un père pourrait empêcher un fils d'embrasser certaines activités." (GLLF, article concession, p. 850)

En fait, la conception de Bonnard semble être très proche de celle qui sera
exposée ici. Il aurait dû, à notre avis, tirer la conséquence de sa juste remarque
sur (1) et (2) en qualifiant carrément pourtant etc. de concessifs.

Enfin, le romaniste allemand, Peter Blumenthal, qui, dans son livre La syntaxe du message (1980), nous offre une étude complète des relations transphrastiques, parle d'opposition (pp. 78, 114, 121) à propos de tandis que, alors que, mais, pourtant, quand même, toutefois. Il s'avère cependant que son appareil conceptuel se prête admirablement à la distinction entre le concessif et l'adversatif et qu'en réalité il la fait. Seulement, son approche méthodologique amène une nomenclature qui rend inutile le terme d'adversatif. Nous y reviendrons.

Nous trouvons donc chez les six auteurs cités trois termes qui se recouvrent plus ou moins: concessif, adversatif et oppositif. Ces mêmes auteurs semblent pourtant être d'accord pour ne distinguer que deux relations et leurs discordances portent surtout sur la terminologie et le classement des lexèmes. Pour trancher la question de la terminologie, nous écarterons d'emblée le terme d'opposition, qui fait partie du vocabulaire usuel, et nous réserverons les deux autres, plus techniques, pour désigner les deux relations qui sont intuitivement senties comme distinctes mais dont la définition reste à établir.

Afin de procéder à cette définition, nous allons mettre en jeu trois dichotomies dont la première est celle de relations paradigmatiques et syntagmatiques, qui a été établie par Blumenthal et constitue une des composantes fondamentales de son modèle. Une présentation sommaire de cette dichotomie peut être faite à partir des exemples suivants:

(3) Paul est parti, alors que Pierre est resté.

Il y a entre les deux phrases dans (3) une relation paradigmatique, parce que les membres — le sujet et le verbe, respectivement — entrent dans un même paradigme sémantique. Si un tel paradigme apparaît sous la forme d'une échelle et que les verbes semblent avoir des valeurs opposées dans cette échelle (disons des valeurs +/—), on peut dire, d'après nous, qu'il est question d'une relation adversative.

(4) Je vais sortir, bien qu'il fasse mauvais temps.

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On voit que (4) ne contient pas de relation paradigmatique selon la caractérisation que nous venons d'esquisser. En revanche, cet exemple est une illustration de la relation syntagmatique. Nous n'entrerons pas ici dans les détails pour présenter la typologie des relations syntagmatiques (voir p. 4-12). Nous nous contenterons de signaler que Blumenthal considère la subordonnée introduite par bien que comme l'arrière-plan et la principale comme le premier plan. L'arrière - plan est défini comme l'unité qui, au sens temporel ou causal, est antérieure au procès contenu dans l'information centrale. Il crée ainsi le cadre de celle-ci.

Dans une perspective un peu différente qui n'engage aucune théorie discursive, on peut caractériser la relation dans (4) - "<7 bien que p" - comme asymétrique, puisque p précède q au sens temporel et causal et que le renversement de p et de q entraînerait un changement radical du sens qui, dans le cas présent, aboutirait à un énoncé bizarrel.

(4') II fait mauvais temps, bien que je sorte.

Par contre, (3) — "p alors que g" — est symétrique, puisque p ne précède pas g
(et q ne précède pas p). Le renversement de p et de q ne touchera guère le sens
et l'énoncé qui en résultera sera tout à fait normal, quel que soit le contexte:

(3') Pierre est resté, alors que Paul est parti.

On pourrait enfin affirmer que la relation oppositive observée dans (3) concerne la matière (c'est-à-dire les unités lexicales qui ont des valeurs +/— dans l'échelle (lexicale)), et non pas le contenu sémantique des phrases complètes. Dans (4), par contre, l'opposition porte sur ce contenu sémantico-logique dans la mesure où du contenu de p "il fait mauvais temps" on peut tirer la conclusion "je reste chez moi", conclusion qui est contredite dans le cas présent.

On voit maintenant se dessiner les contours de deux types de relations oppositives. La première est paradigmatique, symétrique et matérielle: nous l'appelons adversative. La deuxième est syntagmatique, asymétrique et logique: c'est la relation concessive. Un avantage évident de cette caractérisation est qu'elle prévoit l'existence de formes intermédiaires. On peut en effet imaginer des relations qui sont, par exemple, paradigmatiques, asymétrique et logiques, ou qui ne manifestent pas de valeurs paramétriques claires. On peut même se trouver en face de phrases qui sont ambiguës dans la mesure où elles peuvent - selon le contexte — adopter les deux valeurs d'une dichotomie. En voici un exemple intéressant:

(5) Paul est parti; mais Pierre est resté



1: C'est-à-dire un énoncé qui demanderait un contexte très spécial, voir Nolke 1983 pour une discussion de la notion d'acceptabilité pragmatique.

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S'il est présenté sans contexte, (5) est ambigu, puisqu'il permet, soit une lecture proprement adversative (c'est le cas, si la phrase est énoncée en réponse à "Qui est encore ici?"), soit une lecture concessive (que l'on peut d'ailleurs provoquer par l'adjonction de certes). Dans l'interprétation adversative, il est impossible d'analyser les deux phrases comme constituant respectivement l'arrière-plan et le premier plan. C'est que la relation est paradigmatique, et le sens de l'énoncé est proche de celui de (3). Dans l'autre interprétation, par contre, on perçoit nettement une structure en arrière-plan/premier plan, donc une relation syntagmatique.

La discussion qui précède vise à justifier notre conception selon laquelle les adverbes retenus ici sont à considérer comme concessifs. Mais nous croyons que, de toute manière, la distinction établie est pertinente. Nous la considérons en effet comme le préalable obligatoire à toute tentative pour classer les sens des syntagmes en tout + gérondif et de certaines propositions subordonnées (introduites par alors que, si, bien que etc.) et leurs équivalents dans les autres langues.

1.2. L'appareil descriptif

Quel système conceptuel pourra servir à donner une description plus minutieuse de la concession? Pour répondre à cette question, nous allons envisager les problèmes qu'elle comporte sous le double aspect de la concession "en soi" et de son intégration dans le discours. Comme la concession est une relation sémantique spécifique qui s'établit très souvent entre énoncés autonomes, nous avons besoin de théories qui s'appliquent au niveau du discours et non seulement au niveau de l'énoncé. Or, nous l'avons déjà vu, cette condition se trouve justement être remplie par la théorie que Blumenthal a développée dans La syntaxe du message. A l'aide des paires notionnelles thématique/rhématique et syntagmatiquej paradigmatique il s'est construit un appareil puissant pour décrire les relations transphrastiques.

La dichotomie thématique/rhématique s'appuie sur la théorie du dynamisme communicatif (désormais DC) qui a été élavorée par I'"Ecole de Prague": Aux différentes parties de la phrase seront attribués différents degrés de DC, allant du "fortement rhématique" (DC fort) au "fortement thématique" (DC faible). Blumenthal introduit alors la notion de fonction communicative (1980:6- qui désigne l'unité formée par la combinaison d'une fonction syntaxique et une valeur de DC donnée.

Parmi les six fonctions communicatives distinguées par Blumenthal, nous en avons déjà mentionné deux: l'arrière-plan, qui est thématique, et le premier plan, qui est rhématique. Ce sont celles-là justement que nous allons mettre en œuvre dans l'étude de la concession qui suivra. Cette dichotomie, qui, rappelons-le, est

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inséparable de la relation syntagmatique, semble en effet particulièrement utile
au niveau transphrastique. Soit l'exemple (6):

(6) (a) La foule était dense; (b) néanmoins il se sentait seul.

Dans (6), néanmoins introduit le premier plan, alors que (a) constitue l'arrièreplan.
Notons incidemment que néanmoins ne peut pas introduire l'arrière-plan
(contrairement à pourtant, cf. infra):

(6') *I1 se sentait seul, néanmoins la foule était dense.

Alors que la théorie de Blumenthal nous permet d'expliquer des faits essentiels concernant les différentes relations concessives, et de comparer la concession à d'autres relations transphrastiques "logiques", elle nous paraît moins apte à décrire, voire expliquer, la relation concessive elle-même. En revanche, des recherches intenses sur cette problématique sont depuis quelques années effectuées par l'"Ecole de Genève" (Roulet, Moeschler, de Spengler, Jayez, etc.). Les pratiques descriptives de ces linguistes s'inspirent aussi bien de la théorie interactionnelle issue de l'école elle-même que des théories de Jean-Claude Anscombre et d'Oswald Ducrot sur l'argumentation et les actes de langage. Les données de ces recherches sont les énoncés munis de contextes, l'énoncé étant défini par Ducrot de la manière suivante: "J'appelle "énoncé" un segment de discours qui fait l'objet d'un choix global - en ce double sens qu'aucune de ses parties n'est présentée comme choisie indépendamment du choix de l'ensemble, et qu'il est lui-même présenté comme choisi indépendamment de ce qui le suit dans le discours" (1983:171)2. De ce segment de discours qui constitue l'énoncé il faut distinguer l'acte d'énonciation (dont l'énoncé est le résultat). Cette distinction est essentielle pour nous: on verra plus loin que, dans certains cas, les connecteurs enchaînent sur renonciation plutôt que sur son résultat (voir notamment pp. 32, 34, 44)3.



2: Ducrot considère p puisque q (et puisque q, p) comme constituant un seul énoncé, contrairement à p car q qui contient deux énoncés. L'usage que fait Ducrot de sa définition pour une étude de puisque et de car est convaincant, mais en y regardant de plus près, on verra que la détermination du nombre d'énoncés contenus dans une phrase donnée ne va pas sans problèmes.

3: L'article de Ducrot sur puisque (1983) offre une illustration parfaite de la différence entre l'enchaînement sur l'acte d'énonciation et l'enchaînement sur l'entité sémantique (contenu ou acte illocutoire) de l'énoncé. Voici l'analyse qu'il donne de l'exemple suivant: Frotte donc (X) puisqu'il faut que je passe par là (Y). "Ce n'est pas (...) l'ordre ou la permission qui sont expliqués, motivés ou justifiés: c'est le fait de les donner, fait que je décris comme l'acte d'énonciation consistant à produire X. Il y aurait en revanche, selon moi, enchaînement sur l'acte illocutoire dans une suite "Frotte donc (X), puisque tu vois bien que mon habit est crotté! (Y)", dite par Eràste à un valet qui refuserait de faire son travail" (1983:176).

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Cependant, il ne suffit pas, selon les "Genevois", de n'étudier que les énoncés isolés; il faudra aussi prendre en considération de plus grandes unités discursives. Nous ne nous attarderons pas sur leur théorie interactionnelle, dont nous ne nous sommes pas servis dans nos recherches. Mentionnons pourtant la distinction qui est faite entre discours monologai et discours dialogai et qui occupe une place centrale dans les travaux de Moeschler et de Spengler. Cette dichotomie intervient aussi dans nos examens mais nous ne lui attribuons ni le même contenu ni la même pertinence. Pour nous, un discours est monologai simplement s'il n'y a qu'un locuteur, et dialogal s'il y en a deux. L'usage que font Moeschler et de Spengler de cette dichotomie sera discuté dans 2.3., où nous étudierons leurs analyses de quand même.

Nous pensons qu'une combinaison des systèmes conceptuels de Blumenthal et de Ducrot sera un excellent point de départ pour un examen approfondi de la relation concessive telle que celle-ci se manifeste dans les langues naturelles. Nous pourrons dès lors tenter de préciser ce qu'est pour nous la concession.

1.3. Marquage de l'acte de langage

A rencontre des relations causales et consécutives qui peuvent naître d'une simple juxtaposition d'énoncés, la création d'une relation concessive exige la présence d'un morphème concessif (un "concessif") tel que bien que, pourtant, etc. Quel rôle ce morphème joue-t-il pour l'engendrement du sens, et comment peut-on expliquer pourquoi l'on ne réussit pas toujours à établir une relation concessive entre deux énoncés même en choisissant un concessif convenable? Pourquoi, par exemple, (7) est-il inacceptable et (8) est-il bizarre?

(7) *Pierre est intelligent, pourtant il est génial.

(8) ?Paule travaille bien qu'elle ne soit pas malade.

Il est clair que l'anomalie s'explique par une sorte d'incompatibilité entre les contenus sémantiques, c'est-à-dire entre les propositions (au sens logique) véhiculées par les énoncés isolés. On peut donc dire que les morphèmes en question établissent une relation concessive si et seulement si la combinaison des énoncés concernés le permet.

Pour exprimer ces particularités, il nous semble utile de considérer le problèmesous un angle pragmatique, ce qui nous permettra de décrire l'influence exercée par le contexte. Nous caractériserons les concessifs comme des marqueursde la relation concessive ou plutôt de l'acte concessif (cf. 2.4.). Par un marqueur d'un acte de langage, nous entendons une forme linguistique, c'est-àdireun morphème, un mécanisme syntaxique (par exemple l'inversion), une intonation, etc., qui est associée conventionnellement à la réalisation de cet acte.

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En combinant deux énoncés à l'aide d'un concessif, on marque donc un acte concessif, mais, puisqu'il ne s'agit que de marquage, cet acte s'accomplit seulementsi certaines conditions de sa réalisation sont remplies. En revanche, la natureconventionnelle du marquage fait que l'acte s'accomplit automatiquement dès que ces conditions sont remplies.

Revenons-en aux exemples (7) et (8) qui font ressortir que ces conditions peuvent être de nature sémantique et/ou pragmatique. On a en effet intuitivement l'impression que la raison de l'impossibilité de (7) réside dans l'équivalence sémantique entre génial et très intelligent. De même, l'énoncé de (8) est bizarre parce qu'il donne à entendre que,normalement,Paule travaille seulement quand elle est malade, ce qui n'est pas conforme à notre attente.

C'est cette conception pragmatique des concessifs qui est notre point de départ. Dès lors, notre tâche sera de rendre compte des relations que marquent les adverbes, et de préciser dans quels contextes (syntaxiques, sémantiques et pragmatiques) ces relations peuvent se réaliser. S'il y a incompatibilité entre contexte et marqueur, le résultat en sera un énoncé mal formé.

1.4. Types de marqueurs. Choix du champ d'investigation

D'abord nous allons justifier le choix de notre champ d'investigation.

Il existe au moins quatre classes syntaxiques permettant de réaliser la relation
concessive :

1. Certaines conjonctions de subordination {bien que, même 5i...)

2. Une conjonction de coordination (mais)

3. tout + gérondif

4. Certains adverbes de phrase (pourtant, cependant...)

Spontanément, on pourrait se demander si ces classes ne se recouvrent pas au point que toute description de stratégies concessives se fondant sur une seule classe (par exemple les adverbes de phrase) serait incomplète et même dépourvue de sens. Afin de justifier notre choix méthodologique, nous allons essayer de répondre à cette question et mettre en évidence les différences que nous avons observées entre ces quatre classes.

Mais et tout + gérondif se distinguent des autres par le fait qu'ils admettent des emplois tant concessifs qu'adversatifs et il ne nous est pas possible de les décrire sans traiter à fond le problème de l'adversativité. Nous sommes donc obligés de les écarter (pour tout en..., voir Gettrup 1982:19,26).

Les conjonctions de subordination se répartissent assez régulièrement sur des emplois respectivement adversatifs et concessifs. La question se pose alors de savoir si la distinction syntaxique entre les subordonnées et les principales est pertinente pour la notion sémantico-pragmatique de concession. Nous pensons

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qu'il y a au moins deux différences entre les types de concession établis par les
conjonctions de subordination d'un côté et les adverbes de phrase de l'autre.

Premièrement, les conjonctions de subordination bien que et même si introduisent
toujours l'arrière-plan:

(6") II se sentait seul, bien que la foule fût dense

Les adverbes de phrase, par contre, introduisent le premier plan (pour quelques
exceptions voir 2.2.).

(6) La foule était dense; néanmoins il se sentait seul,

Deuxièmement, il semble que les conjonctions de subordination puissent connecter deux parties d'un seul énoncé, alors que les adverbes de phrase connectent presque toujours deux énoncés. La seule exception à cette règle semble concerner quelques emplois spéciaux de quand même et de tout de même dont il reste à préciser la nature (cf. 2.3.). Certes, nous avons déjà laissé entendre que la définition de l'énoncé, proposée par Ducrot, sur laquelle nous nous appuyons (cf. 1.2.), ne nous fournit pas de critères assez sûrs pour décider rigoureusement s'il est question d'un seul ou de deux énoncés. Néanmoins il y a tout lieu de croire que les séquences comportant bien que ou même si sont conçues d'un seul coup, tandis que les adverbes de phrase connectent deux énoncés4.

Les observations que nous venons de faire nous amènent à conclure que pourtant,
cependant, tout de même, quand même et néanmoins constituent un
groupe assez homogène qui se prête à une étude particulière:

1. Ce sont des marqueurs concessifs.

2. Ils introduisent le premier plan.

3. Ils connectent deux énoncés indépendants.s

Toutefois semble différer nettement de ces cinq adverbes (cf. 2.5.). Si nous l'avons intégré à cette étude, c'est que les dictionnaires ont adopté le principe de traiter les six adverbes comme des synonymes. Nous aimerions discuter cette prétendue

1.5. Paramètres à retenir

Pour mieux saisir le contenu réel de la concession, il faudra dresser une sous



4: II est évident que dans les cas d'une subordonnée antéposée il s'agit toujours d'un seul énoncé. Pour les postposées le problème est plus complexe. Tout porte à croire que les concessives constituent avec la principale un seul énoncé, alors que pour les consécutives et les causales il faut souvent miser sur deux énoncés.

5: En nous limitant délibérément à ces cinq adverbes, nous renonçons à l'exhaustivité; dans la perspective qui est la nôtre, il aurait été intéressant d'étudier aussi des expressions telles que certes, toujours est-il, malgré cela, etc.

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classification, non des marqueurs, mais de la notion même de concession. C'est pourquoi nous allons dégager quelques paramètres qui seront utiles à la définitiondes sous-types que nous envisageons de retenir. La recherche de ces paramètresnous amène à considérer quelques réflexions suggestives faites notammentpar Moeschler, de Spengler et Jacques Jayez.

On peut définir la concession comme un acte complexe de langage qui établit une relation orientée entre deux unités sémantiques p et q. Dans une première approximation, on peut dire que cet acte complexe consiste en trois actes primaires ou élémentaires:

1. Présupposition rétroactive de l'antécédent p.

2. Présupposition de l'idée quenon-q soit une des conséquences normales de p.

3. Assertion de q.

N.B. Nous emploierons désormais le symbole p pour l'antécédent et q pour la
conséquence.

On notera que cette définition est plutôt une modification légère de la définition classique déjà proposée par Sandfeld (1965 §223), et même si elle ne se recommande pas par sa précision, elle pourra servir à indiquer une voie de recherche. (Il est évident qu'aucun des trois points n'a été formulé de manière assez précise. Peut-on, par exemple, parler d'une assertion de q dans: Certes il faut faire la vaisselle, mais pourquoi moi?)

Le premier problème qui se pose est le suivant: Quelles sont les unités sémantiques qui sont susceptibles de fonctionner comme p et q, et quelle est leur relation aux segments concrets (syntaxiques) du texte? Il s'avère en effet que surtout p est souvent très difficile à identifier et, à la limite, on trouvera des cas où celui-ci n'est présent ni dans le texte ni dans la situation discursive, mais implicite par la concession même et par q (2.3.). Par contre, il semble que, syntaxiquement, l'adverbe soit toujours rattaché à un segment (le plus souvent à une phrase) qui communique une des deux unités sémantiques, à savoir celle qui est présentée en dernier dans la chaîne syntaxique6. Un premier paramètre dont nous aurons besoin sera donc présence/absence de l'autre unité sémantique (en pratique, il paraît n'être que l'antécédent p qui peut être absent).

Un autre problème relève du fait que la concession renferme trois actes de langage élémentaires. Les présuppositions mentionnées dans 1. et 2. résultent cependant d'une forme de réinterprétation. A l'instant même où l'adverbe concessifest proféré, une réinterprétation de p aura lieu, en ce sens qu'il sera dès



6: Notons cependant que quand même et tout de même connaissent un "emploi absolu" où manque ce segment; mais cet emploi, nous le montrerons, peut être considéré comme un cas particulier quine diffère pas de manière probante des emplois normaux.

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lors perçu comme l'antécédent de la relation concessive, qui, pour sa part, intervientdans l'interprétation seulement àce moment-là. Cette présupposition de p se superpose, pour ainsi dire, à l'acte de langage,F, dont p fait l'objet au premier tour. Alors qu'un seul énonciateur est responsable de l'acte complexe et des trois actes élémentaires dont celui-ci se compose (tel est en effet le cas normal des actes de langage), rien n'empêche que F(p) ait un autre énonciateur. C'est effectivementle cas typique de la concession dialogale, mais la même situation peut se produire dans le monologue. En pareil cas, il peut arriver que p soit l'objet d'une réfutation implicite. Considérons à titre d'exemple:

(9) Tu n'aimes plus Marie; pourtant on te voit toujours avec elle.

(9) est justement ambigu dans la mesure où il peut avoir — selon le contexte — une lecture concessive orthodoxe ou bien une lecture dans laquelle Tu n'aimes plus Marie est réfuté. Dans le dernier cas, on peut ajouter Tu dis que, ce qui laisse entendre que p est alors une assertion (et non pas un contenu). Nous allons argumenter en faveur d'une conclusion selon laquelle il s'agit vraiment d'une réfutation implicite, où le locuteur feint d'admettre p comme vrai; seulement, cela lui est difficile, puisque q. Sur ce point, on peut donc maintenir la définition proposée plus haut.

Le point 2. de la définition cache encore des problèmes. Que non-q soit une des conséquences normales de p, que cela signifie-t-il, et d'où le sait-on? Comme le montrent Moeschler et de Spengler, on peut distinguer la concession directe de la concession indirecte. (Les auteurs parlent de concession logique et de concession argumentative, noms que justifient les différents types de contextes dans lesquels entrent ces deux sortes de concession.) La concession directe s'appuie sur une norme, dans la mesure où la relation 'p implique <?' fait l'objet d'un large consensus. Dans la concession indirecte, une troisième unité sémantique surgit. Considérons un exemple proposé par Moeschler et de Spengler (1982:95v.):

(10) Fabienne est une fine gastronome, mais répugne à faire la cuisine.

Aucun marqueur de concession n'a été plus étudié que mais. D'après l'analyse développée par Ducrot et son équipe (cf. notamment Bruxelles et al. 1980), (10) peut s'analyser de la façon suivante: De la proposition p: Fabienne est une fine gastronome, on peut conclure à r: elle doit faire de bons petits plats. La proposition elle répugne à faire la cuisine argumente en faveur de non-r, et l'énoncé total reçoit la même orientation argumentative vers non-r (cf. Moeschler et de Spengler (Ibid.)). A l'opposé des autres exemples étudiés jusqu'ici, on peut donc, dans ce dernier cas, parler de concession indirecte. Nous nous proposerons de montrer que les adverbes que nous traitons (mis à part toutefois) marquent tous une concession directe et diffèrent donc nettement de mais.

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Une dernière distinction importante concerne la question de savoir si le marqueur de concession est rattaché à la forme linguistique qui véhicule p ou bien à celle qui transmet q. Nous dirons que l'adverbe est lié à l'arrière-plan dans le premier cas, et au premier plan dans le deuxième cas. Nous nous proposerons de montrer que cette distinction aboutit à deux différents types de concession. Ainsi, nous ne nous joignons pas à Moeschler et de Spengler pour affirmer qu'il ya synonymie entre (11) et (12) (1982:26):

(11) II est gentil, pourtant tout le monde le déteste.

(12) Tout le monde le déteste, il est pourtant gentil

dans l'interprétation où il est gentil est l'arrière-plan et tout le monde le déteste
le premier plan.

Nos analyses des adverbes individuels révéleront des nuances additionnelles qui permettent une sous-classification plus subtile de la concession. Ainsi, il y a plusieurs façons d'introduire la norme sous-jacente, la perception de la contradiction qui existe entre p et q peut être plus ou moins forte, et une relation paradigma tique peut apparaître à côté de la relation syntagmatique. Dans le cas de toutefois, la relation syntagmatique est même secondaire et, à la limite, elle peut disparaître tout à fait. C'est pourquoi nous ne considérons pas cet adverbe comme un vrai concessif. Quoi qu'il en soit, nous pensons que les paramètres discutés dans cette section sont tous essentiels dans la mesure où leurs valeurs devront toujours être mises en évidence.

2. Six adverbes

2.1. Préliminaires

En règle générale, les dictionnaires considèrent comme synonymes les six adverbes que nous allons traiter ici, et, en effet, ceux-ci partagent un certain nombre de propriétés. Non seulement ils ont tous une fonction connective, puisqu'ils connectent deux énoncés autonomes (parfois à l'aide d'une conjonction de coordination); mais encore ils marquent tous le même sous-type de relation, à savoir la concession directe (contrairement, par exemple, à la conjonction mais), et ils sont presque toujours rattachés au premier plan de cette relation (à l'encontre de certes, par exemple). Une étude minutieuse révélera néanmoins qu'ils se répartissent en quatre classes:

1) pourtant, cependant

2) quand même, tout de même

3) néanmoins

4) toutefois

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N.B. Il s'agit là d'une classification purement syntaxique et sémantico-pragmatique qui ne
rend pas compte des écarts de fréquence révélés par les enquêtes statistiques.

Quand même, tout de même et pourtant sont seuls à être fréquents dans la langue parlée. Jetons un coup d'oeil sur les listes de I'"Elaboration du français fondamental", 1. degré (désormais FF), qui, on le sait, n'opère que sur la langue parlée. Ces listes énumèrent 1063 mots sur un effectif total de 7995, à savoir ceux qui ont une fréquence supérieure à 20. Voici les résultats pour nos adverbes:


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Cependant, néanmoins et toutefois ne figurent pas dans les listes.

Dans le corpus de Nancy (désormais TLF), dont la base sont des textes littéraires, nous
avons relevé les effectifs suivants:


DIVL359

Blumenthal se sert de ses deux relations syntaxiques syntagmatique/paradigmatique et de ses deux fonctions communicatives arrière -plan ¡premier plan pour caractériser nos six adverbes. Néanmoins, quand même et tout de même sont syntagmatiques et ne peuvent introduire que le premier plan. Pourtant aussi est toujours syntagmatique, mais cet adverbe peut introduire aussi bien l'arrière-plan que le premier plan. Cependant est syntagmatique et paradigmatique. Dans l'emploi paradigmatique, il peut introduire soit l'arrière-plan, soit le premier plan. Enfin, toutefois est paradigmatique et exprime l'opposition partie/totalité (la relation paradigmatique pouvant aussi s'établir entre les membres particuliers ou les sous-ensembles d'un même univers (paradigme)).

D'abord nous examinerons pourtant et cependant qui, par rapport aux autres adverbes, se distinguent surtout par leur aptitude à introduire l'arrière-plan et par le fait qu'ils permettent un glissement de sens de la concession vers la réfutation. Ensuite, nous étudierons quand même et tout de même, dont les caractéristiques



7: II faut émettre des réserves sur l'exactitude des fréquences de quand même et de tout de même. Pour ces deux locutions, nous n'avons eu accès qu'au "minicorpus", qui est mis à la disposition des rédacteurs des différents articles du dictionnaire. Ce corpus réduit contient seulement de 20 à 25% des occurrences totales enregistrées. Aussi, pour obtenir des chiffres comparables, avons-nous multiplié les relevés du "minicorpus" par le coefficient 4 1/2.

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sont les suivantes: Ils connaissent un emploi Thématique, ils n'admettent pas la fonction de connecteur syntaxique (contrairement à la quasi-totalité des autres adverbes connectifs), et, enfin, leur valeur concessive peut s'affaiblir au point de n'être plus interprétée comme telle. On trouve cet emploi, que nous appellerons commentateur, dans les contextes où p est implicite. Puis nous présenterons de brèves analyses de néanmoins, qui est toujours un vrai concessif, mais qui est apparemmenten voie de disparition, cédant sa place aux autres marqueurs concessifs(cf. p. 15). Sera examiné finalement toutefois qui se distingue nettement des autres adverbes en question, et qui peut-être même, si Blumenthal a raison, n'est pas un concessif à proprement parler, puisque la relation concessive est syntagmatiqueselon notre définition. C'est pourquoi nous nous contenterons d'une étude surperficielle de cet adverbe. Comme nous l'avons déjà dit, nous aimerions savoir pourquoi, en général, les dictionnaires considèrent toutefois comme synonymedes cinq autres adverbes.

2.2. Pourtant et cependant

Les deux adverbes pourtant et cependant ont bien des propriétés en commun, et très souvent on peut remplacer l'un par l'autre. Ainsi ils obéissent dans une large mesure aux mêmes règles syntaxiques. Tous les deux se comportent grosso modo comme les adverbes de phrase: Ils se trouvent souvent dans le groupe verbal (suivant le verbe fini et précédant la négation pas et le verbe infini, s'il y en a), ou détaché de la phrase (antéposé, intercalé ou postposé). Parallèlement aux autres adverbes connectifs, on observe une tendance marquée à l'antéposition, ce qui les distingue nettement de quand même et de tout de même. Dans l'antéposition, on peut noter une petite différence entre cependant et pourtant, le premier étant normalement détaché, alors que, très souvent, le dernier ouvre la phrase même, pour ainsi dire. Par contre, cependant est antéposé plus souvent que pourtant. La tendance à l'antéposition tient probablement au fait que tous deux peuvent accomplir la fonction de connecteur syntaxique. Soit l'exemple:

(13) i. Il fait beau, mais je ne sors quand même pas.
ii. Il fait beau, pourtant je ne sors pas.
iii. Il fait beau, je ne sors quand même pas.

Il semble qu'il y ait une gradation descendante de cohésion entre (i.) et (iii.). Le premier exemple "coule de la source" sans rupture intonative, et tout porte à croire qu'il ne comprend qu'un seul énoncé, (ii.) comporte deux énoncés, et pourtant il paraît plus uni que (iii.). Si (iii.) est énoncé par une seule et même personne, il est nécessaire de marquer un temps d'arrêt avant je. Il se peut que cette observation révèle un problème concernant la notion même d'énoncé qui

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ne permet pas de trancher entre (ii.) et (iii.). Nous croyons, cependant, qu'il est question d'une différence plutôt syntaxique: Pourtant dans (ii.) est un connecteursyntaxique (comme c'est le cas, d'ailleurs de mais dans (i.)), la différence entre (ii.) et (iii.) étant que le premier ne contient qu'une période syntaxique, alors que le dernier en renferme deux.

Essayons de préciser ce que nous entendons par connecteurs syntaxiques. On sait que l'emploi des conjonctions de coordination connaît certaines restrictions syntaxiques. Les deux unités coordonnées doivent en effet appartenir à la même catégorie syntaxique. Cela est vrai à tous les niveaux, sauf celui de la prériode (mais y compris celui de la phrase). Ainsi et et ou peuvent connecter deux phrases interrogatives, déclaratives ou impératives, mais jamais deux phrases de types différentsB. C'est cette restriction syntaxique qui justifie la notion de connecteur syntaxique. Aussi les exemples suivants viennent-ils étayer l'idée que cependant et pourtant peuvent être des connecteurs syntaxiques:

(14) i. *Sortons, pourtant il fait beau.
ii. Sortons, pourtant soyons prudents.

Notons, cependant, que les deux adverbes ne sont pas de vraies conjonctions, car
ils se combinent sans problème avec les conjonctions et et mais.

De même, il semble que, grosso modo, cependant et pourtant admettent comme arguments (p et q) les mêmes types d'actes dans la structure sémantique 'p cependant ¡pourtant q\ II est vrai que les actes non-représentatifs apparaissent moins souvent avec cependant qu'avec pourtant, mais l'exemple suivant montre que q, par exemple, peut être un conseil:

(15) Vous n'avez pas grand-chose, puisque vous avez faim. Cependant, vous devriez
quand même vous reposer quelques jours. Ce serait plus prudent. (lonesco,
Rhinocéros 118-119)

Remarquons que la position typique de cependant est l'antéposition suivie d'une pause, si q est non-représentatif. De même, cependant et pourtant sont les seuls concessifs qui puissent être rattachés à l'arrière-plan. Cette position aussi est bien plus normale pour pourtant que pour cependant, mais (16) montre qu'en fait elle est ouverte à cependant:

(16) — Je ne sais rien d'elle, vous savez..., a murmuré Sylvia N. qui, seule, sait cependant
démêler les nœuds des destins non écrits. (Rémy, Monde 372)

Enfin, et surtout, les deux adverbes marquent apparemment le même type de
concession, qui est non seulement directe — ce qui est vrai aussi des autres adverbesen
question (cf. p. 13) - mais encore objective au sens de Moeschler et de



8: Pour des exceptions intéressantes, voir Hobsek Haff {Revue Romane XVII. 2:1982).

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Spengler. Informellement, cela revient à dire qu'en se servant de cependant ou de pourtant, le locuteur présente non-q comme la conse'quence normale (et directe) de p, conséquence qui est l'objet d'un large consensus. Pourtant q et cependant q suspendent cette conséquence spécifique dans le contexte actuel, sans toucher aux autres conséquences "normales" de p.

Bien que cependant et pourtant se ressemblent beaucoup et que même les linguistes les ont souvent considérés comme synonymes, certaines différences importantes existent entre eux. Nous en avons déjà effleuré quelques-unes: Pourtant accepte beaucoup mieux les actes non-représentatifs et il introduit l'arrièreplan plus souvent que ne le fait cependant. A cela s'ajoute que pourtant est plus fréquent que cependant dans les emplois dialogaux, ce qui semble tenir au fait que, intuitivement, la relation concessive est perçue comme étant plus forte avec pourtant qu'avec cependant. On pourrait dire que pourtant "clôt" l'argumentation alors que cependant s'y intègre, laissant ouverte la possibilité de tirer encore des arguments de p. On est porté à penser que ses propriétés expliquent pourquoi ce n'est que pourtant qui figure dans les listes de fréquence du FF, basées sur la langue parlée. Toujours est-il que ces différences restent vagues. En effet, il s'agit plutôt de différences de degré: Dans une situation donnée, un adverbe est plus approprié que l'autre parce que c'est lui qui exprime le mieux la nuance recherchée. Occasionnellement, toutefois, la substitution de l'un à l'autre est impossible ou bien elle entraînerait des changements de sens radicaux. Cela est surtout le cas si pourtant introduit l'arrière-plan:

(17) (Pourquoi est-il mort?) - Je ne sais pas. - Tu es curé, pourtant. (Sartre, Diable
24)

Dans (17), il est même question d'une utilisation dialogale. Ici, cependant est
quasiment impossible. Inversement, le remplacement de cependant par pourtant
dans (18) semble exclu:

(18) Je haussai les épaules avec mauvaise humeur. Il avait toujours le don d'intervenir
dans les moments où on n'avait pas besoin de lui, mon pauvre père. Tamara cependant
s'adoucissait singulièrement. (Mallet-Joris, Rempart 170)

Dans (19), cependant acquiert une valeur presque temporelle, et pourtant produirait
un sens tout à fait différent:

(19) II ne ferait rien pour moi, il aimait encore Tamara. Je devais donc trouver autre
chose.
Cependant, le temps passait et la date fixée pour le mariage approchait.
(Ibid. 179)

Dans (19), il s'agit cependant d'une survivance d'un usage ancien, et nous ne
nous attarderons pas sur cet emploi.

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Blumenthal est un des rares chercheurs à noter une différence entre cependant et pourtant. Selon lui, pourtant ne connaît qu'un emploi syntagmatique, alors que cependant peut établir aussi une relation paradigmatique. Cette dernière éventualité semble se réaliser dans (18) ainsi que dans (20):

(20) Cette question plongea les jeunes filles dans l'embarras. L'une d'elles, cependant,
releva le défi et fredonna en dodelinant de la tête: - Ti-ti-ti-, Ta-ta-ta. (Troyat,
Rencontre 14)

Pourtant serait bizarre dans cet exemple. Remarquons que la relation a une
nuance adversative. Pourtant ne crée jamais une telle nuance.

Peut-on formuler des règles relatives à l'emploi de pourtant et de cependant
qui expliqueraient en même temps leurs similitudes évidentes et leurs différences
plus subtiles? Jayez a fait une tentative de ce genre dans sa thèse (1981).

Il commence par attirer l'attention sur quelques propriétés qui rapprochent cependant de mais, dont celui justement que nous venons de signaler: son aptitude à adopter une nuance adversative, ou, selon Blumenthal, à marquer une. relation paradigmatique. Soit l'exemple (21):

(21) i. Pierre est resté; mais Jean est parti.
ii. Pierre est resté; cependant Jean est parti,
iii. ?Pierre est resté; Jean est pourtant parti.

(i.) est tout à fait normal et (ii.) aussi semble acceptable, mais (iii.) paraît aberrant. (21) révèle néanmoins la parenté évidente entre cependant et pourtant. Si on force l'interprétation de (iii.), celle-ci doit se fonder nécessairement sur une structure en arrière-plan/premier plan (et tout porte à croire que (iii.) sera ambigu, parce que chacune des propositions est à même de constituer l'arrière-plan). Cette structure semble cependant être aussi un élément important dans l'interprétation de (ii.), alors que (i.) est un simple adversatif.

Jayez soutient alors que cependant introduit une "réfutation dissociative". Il est bien connu que, dans la logique comme dans la vie de tous les jours, on peut réfuter une proposition universelle telle que 'tous les cygnes sont blancs' ou "conjonctionnelle" telle que 'les cygnes A, B,C et D sont blancs' en assertant que le cygne B n'est pas blanc. En d'autres termes, on asserte qu'une des propositionsdont se compose la proposition complexe est fausse. On appellera cette forme de réfutation la réfutation dissociative. En partant de cette observation initiale, Jayez développe sa thèse, selon laquelle, dans les énoncés qui contiennentun cependant, il est toujours question d'une proposition conjonctionnelle ou universelle qui, d'ailleurs, n'est souvent que sous-entendue. Dans (21 ii.), l'idée sous-jacente à l'énoncé serait par exemple 'tout le monde est resté' ou tout simplement 'Pierre et Jean sont restés'. Certes, c'est un problème empirique compliqué que de décider si l'on perçoit toujours une nuance de "réfutation

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dissociative" dans l'emploi de cependant et jamais dans celui de pourtant. Nous
allons voir, cependant, que le concept est très utile à notre tentative d'établir une
batterie de règles qui gouvernent l'usage des deux adverbes.

Nous fondant sur ces observations et réflexions, nous proposons pour pourtant
et cependant les hypothèses suivantes (HypCP + HypP pour pourtant et
HypCP + HypC pour cependant):

HypCP: 1) Pourtant et cependant sont des compléments adverbiaux de phrase
(abrégé en "adverbes de phrase") et sont susceptibles d'accomplir
la fonction de connecteur syntaxique.

2) Pourtant et cependant marquent toujours une concession directe,
et ils peuvent être attachés syntaxiquement aussi bien à l'arrièreplan
qu'au premier plan.

3) Pourtant et cependant permettent comme antécédent et conséquence
différents types d'actes de langage.

HypP: La norme sous-jacente est présentée comme supposant un degré élevé de consensus en ce qui concerne le contexte actuel: étant donné les informations disponibles, tous ceux qui savent comment est le monde doivent accepter la relation syntagmatique sousjacente.

HypC: Cependant marque une réfutation dissociative indirecte. C'est-àdire que la norme sous-jacente est présentée comme dérivée d'une proposition universelle ou "conjonctionnelle" qui fait l'objet d'un large consensus.

Ces hypothèses peuvent rendre compte des observations que nous avons faites. Les points 1) et 3) de HypCP n'ont guère besoin de commentaires. On peut noter que les arguments de pourtant et de cependant sont le plus souvent des actes représentatifs. Cela a trait au fait que le rôle typique de la concession directe est de jouer sur le contenu et la valeur de vérité, notions dont, on le sait, la pertinence est plus évidente quand il est question d'actes constatifs (cf. le "principe de transparence" proposé par Jayez). Le point 2) implique, entre autres,que et pourtant et cependant introduisent toujours une relation syntagmatique. Nous considérerons plus loin les cas où l'adverbe s'attache à l'arrière-plan. Enfin un petit commentaire à HypC: Nous pensons que la réfutation dissociative est indirecte. La proposition qui est la cible de la réfutation n'est en effet jamais énoncée dans la concession même: elle est soit sous-entendue soit repérable dans le contexte à gauche. Nous allons voir que cependant se distingue sur ce point de toutefois qui permet la réfutation dissociative directe (voir 2.5.).

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HypP et HypC prévoient toutes les différences observées. Le fait que la norme sous-jacente dans le cas de pourtant est présentée comme directe et dotée d'un haut degré de consensus implique que sa suspension actuelle sera perçue comme particulièrement forte, même s'il n'atteint jamais la force oppositive que possède quand même dans l'emploi Thématique. Le destinataire de l'acte concessif a de bonnes raisons pour conclure de p à non-q, et, par conséquent, l'assertion de q sera fortement inattendue. On comprendra également que cette mise en relief de la contradiction (actuelle) qui existe entre p et q peut amener l'allocutaire à penser que le but véritable du locuteur serait de réfuter p. En effet, si quelqu'un asserte q tout en donnant à entendre que q et p sont contradictoires, il est évident que ce quelqu'un croit à la fausseté de p. Pour obtenir cette valeur de réfutation, il faut évidemment que l'énonciateur de p soit un autre que celui de q (donc de la concession). C'est d'ordinaire le cas dans les concessions dialogales, qui sont, en effet, souvent réfutatives au sens discuté; mais on peut trouver la même nuance réfutative dans les monologues aussi. Qu'on se rappelle l'exemple (9) de la première section:

(9) Tu n'aimes plus Marie, pourtant on te voit toujours avec elle.

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, dans la lecture réfutative, on peut ajouter
à p Tu dis que, ce qui est, croyons-nous, une manifestation syntaxique du
fait que l'énonciateur de p est différent de celui de q.

Pourtant peut donc souvent apporter une lecture réfutative, mais il importe de signaler que celle-ci est toujours sous-entendue: le locuteur peut toujours soutenir qu'il n'a jamais eu l'intention de réfuter p. Si, dans certaines concessions, il est question de réfutation, il doit donc s'agir d'une "réfutation dissimulée".

Comme cependant marque, ainsi que tous nos adverbes, une relation directe (cf. HypCP), û est vrai, pour cet adverbe aussi, que la norme sous-jacente est une relation directe entre p et g; mais cette norme est présentée comme étant impliquéepar quelque chose d'autre (HypC). Dans ce sens précis, la relation directe est donc introduite de manière indirecte, et il n'est pas étonnant que, d'habitude, on perçoive avec cependant une opposition moins forte qu'avec pourtant. On comprendra aussi que cette opposition sera souvent de nature restrictive. Le mouvement sera: "Tu crois que P\,Pi, ... sont tous vrais. En effet tu as raison de penser que pu ... sont vrais mais P{ est faux". Remarquons d'ailleurs que cette nuance restrictive rend difficile la fonction de la concession comme réfutationdissimulée. Aussi pourra-t-on dans ce caractère restrictif trouver la raison pour laquelle cependant est plus rare dans les emplois dialogaux. Les dialogues consistant en des actes représentatifs sont - presque par définition - le plus

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souvent de nature polémique, et c'est la réfutation (même dissimulée), plutôt
que la restriction, qui véhicule le débat.

HypC prévoit aussi que cependant peut recevoir une valeur adversative. Cela s'explique par la nature de la proposition universelle (ou conjonctionnelle) sousjacente aux énoncés contenant un cependant. Pour des raisons pragmatiques ou psychologiques (peu importe lesquelles), les propositions particulières qui constituent cette proposition universelle se ressemblent souvent dans la mesure où leurs prédicats d'un côté et leurs sujets de l'autre appartiennent au même paradigme conceptuel. Les deux propositions opposées par cependant seront ainsi en relation paradigmatique, et on aura une nuance adversative (cf. 1.1.). Remarquons pourtant que cependant marque toujours une relation syntagmatique, si bien qu'il n'est jamais question d'une construction purement adversative. Cette conclusion cadre avec les observations faites plus haut, mais elle nous force à accepter qu'une construction contenant cependant est à même de véhiculer à la fois une relation paradigmatique et une relation syntagmatique. Nous renoncerons à explorer ici les conséquences qu'aura cette analyse pour une théorie telle que celle de Blumenthal.

Une autre prédiction de nos hypothèses est que cependant introduit l'arrièreplan moins souvent que ne le fait pourtant. Pour démontrer cela, il nous faudra, cependant, d'abord étudier un peu la valeur sémantique des constructions où pourtant est rattaché à l'arrière-plan. Appelons ce type A. (22) et (23) sont des exemples typiques:

(22) (Pourquoi est-il mort?) -Jene sais pas. -Tues curé pourtant. (Sartre, Diable
24)

(23) Ils m'ont frappé. Et pourtant je les aimais. (Ibid. 43)

Notons tout d'abord que, dans l'exemple dialogal (22), il n'y a pas trace de réfutation dissimulée. Par contre, il s'agit dans les deux cas d'une attaque contre le fondement sur lequel s'appuie le responsable de l'acte constituant le premier plan. En effet, le type A semble pouvoir toujours se paraphraser approximativement comme suit: "g est vrai/correct, mais il ne devrait pas l'être, car p". Voici encore quelques exemples littéraires:

(24) Laurent perdit à regret ce respect des femmes (qui pourtant compliquait sa
tâche), et c'est à elles seules qu'il en garde rancune. (Cesbron, Don Juan 99)

(25) Elle paraissait affaiblie, triste il me semble. Pourtant la guerre ne l'a pas frappée.
(Gallo, Aurore 169)

(26) Mais Elisabeth n'était pas attirée par ce quartier où, pourtant, s'était déroulée
son enfance. (Troyat, Rencontre 10)

(27) Mais James Kent ne répondit pas. Pourtant, il vivait, sa poitrine se soulevait à
intervalles réguliers. (Villiers, Parias 130)

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Remarquons que l'on peut trouver le pourtant du type A dans les propostions
relatives (parenthétiques), ce qui fournit un argument en faveur d'une théorie
qui considère ces propostions comme constituant des énonce's autonomes.

Dans cet emploi, pourtant s'approche sémantiquement de bien que. Que l'on
compare, par exemple, (23) et (28):

(23) Ils m'ont frappé. Et pourtant je les aimais.

(28) Ils m'ont frappé bien que je les aime.

Apparemment, la seule différence de sens est que 'je les aime' est posé dans (23)
et présupposé dans (28). Notons à ce propos que (28) semble ne présenter qu'un
seul énoncé.

Ces observations sont exactement celles que nous laisse attendre HypP: il semble naturel qu'on ne puisse réfuter une conséquence déjà présentée, tout au plus pourra-ton attaquer son bien-fondé, comme c'est le cas dans l'exemple (23).

Que cependant soit moins apte à introduire l'arrière-plan s'explique par le fait qu'il est plus difficile de réétablir la réfutation dissociative, si on commence par réfuter un membre de la proposition complexe présupposée (d'habitude en se servant d'une assertion positive), avant même d'avoir précisé, à l'aide de cependant, de quelle structure il s'agit. Certes, l'emploi d'un adverbe concessif donne toujours lieu à une sorte de réinterprétation, puisqu'on énonce toujours le premier argument avant l'adverbe; mais il semble raisonnable de penser que ce procès de réinterprétation ne doit pas être trop compliqué, comme il risquerait de l'être dans le cas de cependant.

Peut-être pourra-t-on expliquer de manière semblable pourquoi cependant se trouve si souvent dans l'antéposition détachée. En effet, ce n'est qu'au moment où l'on énonce l'adverbe concessif que le procès de réinterprétation se déclenche. Si nous avons raison en pensant que ce procès est assez complexe dans le cas de cependant, il est normal que l'on énonce cet adverbe le plus tôt possible pour faciliter la communication.

Les hypothèses proposées semblent donc justifiées; et nous pouvons alors
proposer quelques règles de l'utilisation de cependant et de pourtant:

RCP: On se sert de pourtant ou de cependant pour établir une concession entre deux propositions présentées indépendamment l'une de l'autre. En général, le remplacement d'un adverbe par l'autre n'entraîne aucun changement sensible de sens. Leur place typique est dans l'énoncé qui exprime la conséquence, où ils marquent que celle-ci est contraire à l'attente qui, dans la situation réelle, a été déclenchée par l'antécédent. On peut aussi les placer dans l'énoncé qui exprime l'antécédent

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quand celui-ci, syntaxiquement suit la conséquence. Ils marquent alors qu'à la lumière de l'antécédent la conséquence déjà annoncée aurait dû être différente. Syntaxiquement, ils se comportent grosso modo comme les adverbes de phrase; seulement, ils sont fréquemment antéposés, pourtant l'est souvent même sans être détaché. Dans cette position, ils peuvent accomplir la fonction de conjonctions de coordination.

RP: Pourtant établit l'opposition la plus forte et convient particulièrement aux dialogues, où c'est une autre personne qui a énoncé l'antécédent. Alors la concession aura, normalement, la valeur de réfutation dissimulée. Pourtant, au contraire, n'accepte pas les contextes où les propositions concernées sont susceptibles d'attribuer à la concession un sens adversatif ou restrictif.

RC: Cependant, par contre, convient parfaitement dans ce cas-là. Il dénote une réfutation dissociative, c'est-à-dire qu'on attaque à l'aide de cependant une proposition — peut-être sous-entendue —du type 'px & Pi &p3 ...' de la manière suivante: Tout en concédant la vérité d'un ou de plusieurs des p, on soutient qu'il y en a au moins un (désigné par cependant) qui est faux. Aussi la concession aura-t-elle souvent une nuance restrictive ou adversative. Pour pouvoir introduire l'arrière-plan, cependant exige que la structure en arrière-plan/premier plan soit nettement marquée, comme elle l'est, par exemple, s'il y a alternance d'aspect grammatical.

En guise de conclusion, on peut dire que cependant et pourtant sont invariablement de vrais concessifs qui établissent une concession directe. Ils postulent une relation implicative entre l'antécédent et la négation de la conséquence. Le plus souvent, on pourra remplacer l'un par l'autre sans qu'il y ait changement notable, mais il existe des cas où cela est impossible. Les règles établies rendent compte de cet état de choses, et nos hypothèses expliquent la fonction des deux adverbes.

2.3. Quand même et tout de même

Les descriptions que grammaires et dictionnaires nous offrent de quand même et de tout de même présentent l'image d'une synonymie complète, les deux adverbespossédant les mêmes propriétés syntaxiques et sémantiques. On est enclin à se rallier à cette conception. En effet, les seules différences immédiatement perceptibles ne sont ni d'ordre syntaxique, ni d'ordre sémantique. Elles portent uniquement sur leur répartition inégale dans la langue écrite et parlée: si, dans

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les deux codes, quand même et tout de même comptent parmi les expressions les plus usitées, quand même atteint le nombre de fréquences le plus élevé dans la langue parlée, alors que, dans la langue écrite, c'est tout de même qui est le plus usité (cr. p. 15).

Cependant, nous ne sommes pas convaincus de la parfaite synonymie entre quand même et tout de même. Nous n'insisterons pas sur le fait assez banal que la fréquence moins importante d'un terme, par rapport à un autre, peut lui conférer une expressivité plus forte. Il nous semble plus intéressant de signaler que certaines réactions, de la part d'informateurs français, donnent à entendre que, malgré toutes les similitudes apparentes, des nuances de sens subsistent,notamment en ce qui concerne les emplois absolus. D'autre part, nos enquêtes n'ayant pas été concluantes, nous devons laisser ici cette question en suspens et passer à l'examen des propriétés communes aux deux adverbes.

En ce qui concerne la position qu'ils peuvent occuper dans la phrase, quand même et tout de même obéissent aux mêmes règles et se différencient, à certains égards, de pourtant et de cependant. Tout comme ces derniers, ils apparaissent souvent dans le syntagme verbal ainsi qu'en position détachée, séparés de la phrase par une pause ou une rupture de l'intonation. Mais, à la différence de pourtant et de cependant, ils peuvent occuper la position finale accentuée (cf. Blumenthal 1980:130):

(29) i. Il m'a demandé si "ça allait quand même
ii. *I1 m'a demandé si "ça allait pourtant".

Ainsi, ils se mettent après les impératifs:

(30) Ce n'est pas très intéressant. - Dis-le quand même.

Contrairement à pourtant et cependant, quand même et tout de même peuvent apparaître sans la mention d'un q explicite, occupant à eux seuls la place d'une phrase entière. Ils constituent alors des énoncés indépendants. Comme l'interprétation de ces énoncés pose des problèmes particuliers, nous y reviendrons plus longuement dans les pages 34-36.

En revanche, quand même et tout de même n'admettent pas la position initiale. A la différence de pourtant et de cependant, ils ne peuvent donc pas faire fonction de connecteurs syntaxiques. Si on les rencontre au début d'une phrase, c'est toujours en position détachée:

(31) Vous rendez-vous compte de la différence de mentalité? - Pensez-vous que la
nôtre soit préférable? - Tout de même, nous avons notre morale à nous, que je
juge incompatible avec celle des animaux. (lonesco, Rhinocéros 127)

Avant de finir ce bref aperçu des propriétés distributionnelles de quand même/

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tout de même, nous nous attarderons un peu sur la co-occurrence fréquente de
nos deux adverbes et d'un mais initial:

(32) Le café me fait mal au cœur, mais j'en bois quand même

(32') *Le café me fait mal au cœur, j'en bois quand même.

Ce sont Moeschler et de Spengler qui, à notre connaissance,ont été les premiers à attirer l'attention sur le fait que, dans des phrases du type (32), quand même ne peut apparaître que combiné à mais. Estimant que cette contrainte est liée au caractère monologai ou dialogal du discours, les deux auteurs posent en règle que quand même, en emploi monologai, exige que la phrase soit introduite par mais. Nous avons déjà dit comment nous entendons, pour notre part, les notions de monologai et de dialogal (voir p. 9). Par contre, l'usage qu'en font Moeschler et de Spengler est loin d'être clair. N'étant pas définis, les deux concepts sont apparemment censés être immédiatement intelligibles. Cependant, dès qu'on sera confronté à des exemples concrets, on verra qu'une définition technique très précise est nécessaire pour que la règle MAIS puisse opérer. Si mais est obligatoire dans les emplois monologaux, il s'ensuit de là que les séquences qui ne comportent pas de mais sont dialogaux. Or, quand même apparaît dans de nombreux énoncés qui ne contiennent pas de mais et qui, selon la conception générale, ne sont pas dialogaux mais plutôt monologaux. Un exemple nous est fourni par (33):

(33) Que faisait ce blanc dans un monastère au fond de la jungle? Et pourquoi cherchait-il
à éloigner les étrangers en allant jusqu'au meurtre? C'était quand même
troublant qu'il ait été l'amant de Diane, agente de l'Est. (Villiers, Parias 150)

Si, dans (33), il faut voir un exemple de l'emploi dialogal de quand même, il faut
aussi attribuer à la notion de dialogal une définition qui serait si contraire à l'intuition
qu'il serait permis d'exprimer des doutes sur son utilité.

Quoi qu'il en soit, nous croyons qu'il faut poser la règle en termes d'énoncés et non en termes de monologue/dialogue. Probablement, (32) ne constitue qu'un seul énoncé, et (32') devient sans doute acceptable si l'on en fait deux énoncés, séparés par une pause.

Signalons incidemment que Moeschler et de Spengler, outre le caractère monologai et dialogal du discours, proposent trois paramètres pour déterminer les contextes dans lesquels apparaît quand même, à savoir: présence ou absence de q (emploi absolu), degré d'implicitation de p, les types d'actes illocutoires compatibles avec quand même (1981:96). Nous retiendrons les deux qui portent sur l'absence de q et l'implicitation de p. Par contre, les réflexions qui précèdent nous amènent à conclure que la distinction monologal-dialogal est trop peu maniable et que, de manière générale, la classification croisée à laquelle aboutit l'application de l'ensemble des paramètres n'est pas pertinente pour notre étude.

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En ce qui concerne la fonction des deux adverbes, il est nécessaire, croyonsnous, de distinguer une fonction concessive et une fonction que nous qualifierons de commentatrice. En effet, dans les cas très fréquents où p n'est pas directement repérable dans le contexte, la valeur de quand même/tout de même n'est pas perçue comme étant concessive, du moins sur le plan immédiat, et seule la reconstitution par le linguiste du p implicite permet de voir les liens qui rattachent le quand même/tout de même, dit commentateur, à l'autre, qui conserve sa pleine valeur concessive.

Pour mener à bien notre examen des fonctions de quand même/tout de
même, nous allons donc grouper les emplois sous deux rubriques principales qui
tiennent compte des distinctions établies ci-dessus.

Emplois concessifs. Nous avons vu que pourtant ¡cependant marquent toujours une concession directe. Pour quand même ¡tout de même les problèmes que pose la nature de la relation concessive se révèlent plus complexes. En effet, dès qu'on se penche sur les descriptions que nous offrent Moeschler, Anscombre/Ducrot et Jayez, on est confronté à des positions assez divergentes. Ainsi, l'école de Genève défend l'idée d'une opposition directe, représentée par la formule p -+ non-q:

(34) II fait beau, mais je ne sors quand même pas.

Anscombre et Ducrot (1979), de leur côté, différencient deux quand même dont un, le QMi, serait le connecteur d'opposition directe, et l'autre, le QM2, d'opposition indirecte. Cette distinction s'appuie sur l'existence d'énoncés comme (35):

(35) Pierre est assez serviable: il n'a pas lavé la vaisselle, mais il a QM2 desservi la
table.

Dans (35), selon l'explication fournie par les auteurs, "p représente la négation
d'une p' telle que, si q argumente en faveur de r, p est un argument plus fort que
q en faveur de r".

Jayez consacre la majeure partie de son article (1982) à une discussion des hypothèses de l'opposition directe et du QM2, qui, selon lui, sont à renvoyer dos à dos (1982:212). Deux éléments jouent un rôle important pour la conclusion à laquelle aboutit le raisonnement de Jayez, à savoir la normalité de (36) et l'anormalité de (37):

(36) II est très doué, mais il manque quand même trop d'expérience. (Cit. Jayez 211)

(37) ?I1 devait venir à coup sûr, mais il a quand même eu un empêchement. (Ibid. 212)

(36) peut s'intégrer dans un discours où il est question de savoir s'il faut engager
telle ou telle personne. Il s'agit donc d'une relation indirecte.

Jayez propose alors l'hypothèse suivante: "Soit une forme pQMq, où p

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argumente en faveur de r et q de non-r, QM n'y sera approprié que si l'utilisation de p en faveur de r peut être perçue comme prohibant celle de q en sens inverse" (Ibid. 212). Enfin, pour clore la discussion sur la nature de l'opposition, Jayez stipule qu'on retrouve "un phénomène d'opposition directe, mais entre mouvementsargumentatifs et non entre propositions" (Ibid. 214).

Ne pouvant commenter ici le long raisonnement de Jayez, nous n'avons que
trois remarques à faire sur les conclusions qu'il en tire.

Tout d'abord, nous ne possédons pas de dispositif opérationnel qui permettrait d'établir quand un argument p est assez fort pour exclure un argument en sens inverse. Si l'on admet facilement que l'anomalie de (37) s'explique par le fait que "II devait venir" ne constitue pas un argument qui puisse exclure un empêchement venant du dehors, on voit mal, par contre, quelles raisons sérieuses on peut invoquer pour dire que, dans (36), "II est très doué" "prohibe" un q allant en sens inverse.

En second lieu, il est significatif que les énoncés sur lesquels porte la discussion contiennent tous un mais. Au-delà des observations et des analyses qui semblent aboutir à des conclusions contraires, il est permis de se demander si cette même présence de mais n'obscurcit pas le problème au point d'inviter à une plus grande prudence méthodologique. En effet, mais peut établir une opposition directe aussi bien qu'indirecte, et rien n'exclut, à première vue, qu'il en soit de même pour la combinaison mais ... quand même.

Enfin, Jayez ne fait pas état des faits positionnels. En position finale, la valeur de quand même se trouve pourtant sensiblement augmentée, et, pour cette position au moins, il paraît indiqué d'admettre l'hypothèse d'une opposition directe entre propositions. Dans (36), qui illustre l'emploi indirect, la permutation n'est pas acceptable:

(36') *I1 est très doué, mais il manque trop d'expérience quand même.

Notons qu'en marquant un temps d'arrêt devant quand même, doublé d'une intonation
descendante, on obtient une phrase normale.

Pour caractériser les différences entre pourtant/cependant et quand même/ tout de même nous allons justement mettre enjeu la possibilité pour ces derniers d'apparaître en position finale accentuée. Ils se rattachent par là aux expressions qui, selon la théorie de Blumenthal, détiennent une valeur Thématique 9. Comme



9: Cette affirmation exige deux commentaires. En premier lieu, l'analyse en constituants communicatifs comporte plusieurs niveaux, tout comme l'analyse syntaxique. Quand on attribue une valeur de DC, non à un énoncé, mais à un élément de cet énoncé, on opère au deuxième niveau. En second lieu, nous prenons sur notre compte cette attribution à quand même d'une valeur Thématique. Blumenthal ne mentionne pas les concessifs dans le chapitre où il détermine les valeurs de DC de différentes classes d'adverbes (1980:54- ni dans l'aperçu des classes de mots qui échappent à l'opposition entre thématique et Thématique (Ibid. 158). Pour nous, le fait que quand même admet la position finale accentuée est un argument suffisant pour inférer qu'il est utile de lui attribuer, dans cette position justement, la fonction de déterminant Thématique, cf. notre exemple (39) et aussi: Est-ce qu'il est venu quand même?

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on les trouve aussi dans des positions propres aux expressions the'matiques, par exemple l'antéposition et la postposition détachées, nous allons les ranger parmi les adverbes qui admettent la fonction thématique aussi bien que Thématique,à l'instar de après, après-demain, aujourd'hui, avant ... (Blumenthal 1980:59). Par là, quand même/tout de même se distinguent de pourtant/cependant, que nous considérons comme purement thématiques. Vu que les éléments Thématiques sont caractérisés comme véhiculant l'information centrale de l'énoncé, l'attributionà quand même/tout de même d'une valeur Thématique signifie que c'est la relation concessive, c'est-à-dire la constatation (intellectuelle) et/ou la prise en charge (morale) de la contradiction, qui constitue l'information principale de l'énoncé. Ceci vaut pour les quand même/tout de même en position finale accentuée.Il s'ensuit de là que plus la contradiction est sentie comme telle par le locuteur,plus l'emploi d'un quand même final s'imposera, au détriment de pourtant et de quand même non-final.

(38) J'ai peur des sorcières. - Mais les sorcières n'existent pas. -Je sais, mais j'ai
peur quand même

(38') ?Mais les sorcières n'existent pas. -Je sais, pourtant j'ai peur.

(38") ?Mais les sorcières n'existent pas. -Je sais, mais j'ai quand même peur.

Avec tout de même (il s'agit d'une fillette qui depuis quelque temps s'oppose
farouchement à l'idée d'assister au remariage de son père):

(39) "J'ai obtenu de ton père qu'il te dispense d'assister àla cérémonie". Je répondis
avec précaution: "Merci... Mais je crois que j'irai tout de même...". (Mallet-Joris,
Rempart 186)

Cette façon de présenter les choses est très proche de celle qu'on trouve chez Moeschler et de Spengler (1981). Elle s'en distingue surtout par une moindre importance accordée à la distinction subjectivité-objectivité. Celle-ci est présentée à la page 102, où les deux exemples suivants sont commentés pour illustrer l'idée d'un sens subjectif de quand même dans (40) et objectif de pourtant dans (41):

(40) Le café me fait mal au cœur, mais j'en bois quand même.

(41) Le café me fait mal au cœur, pourtant j'en bois.



9: Cette affirmation exige deux commentaires. En premier lieu, l'analyse en constituants communicatifs comporte plusieurs niveaux, tout comme l'analyse syntaxique. Quand on attribue une valeur de DC, non à un énoncé, mais à un élément de cet énoncé, on opère au deuxième niveau. En second lieu, nous prenons sur notre compte cette attribution à quand même d'une valeur Thématique. Blumenthal ne mentionne pas les concessifs dans le chapitre où il détermine les valeurs de DC de différentes classes d'adverbes (1980:54- ni dans l'aperçu des classes de mots qui échappent à l'opposition entre thématique et Thématique (Ibid. 158). Pour nous, le fait que quand même admet la position finale accentuée est un argument suffisant pour inférer qu'il est utile de lui attribuer, dans cette position justement, la fonction de déterminant Thématique, cf. notre exemple (39) et aussi: Est-ce qu'il est venu quand même?

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Selon les linguistes genevois, (40) "pose une contradiction prise en charge, c'està-dire assumée comme telle par le locuteur", alors que, dans (41), la contradiction n'est pas prise en charge. Il ressort ensuite de leur exposé que par "prendre en charge" il faut entendre 'prendre la responsabilité de l'actualisation dans le monde extérieur', cf. les suites possibles "parce queje ne peux pas m'en passer" (40) et "parce que le médecin me l'a ordonné" (41). ;

Nous ne pouvons qu'énumérer sommairement les problèmes complexes que pose la bonne intelligence de cette notion de subjectivité. Il est clair d'abord qu'il faut distinguer entre la contradiction qui est à la fois assertée et provoquée par le locuteur et celle qui est seulement assertée. Dans le premier cas, la "prise en charge" porte sur l'actualisation, dans l'autre sur l'assertion de la contradiction, ce qui veut dire, d'ailleurs, que, dans cette dernière situation, le terme de 'prise en charge' est impropre. Ensuite, nous devons formuler des réserves à l'égard des pages 25-26 de l'article de 1982, où le même problème est traduit en termes de normes sous-jacentes, subjective à quand même et objective à pourtant. Nous ne nions pas l'existence d'une norme subjective puisque nous trouvons des énoncés tels que // est giscardien mais honnête, mais celle-ci n'est pas linguistiquement pertinente et n'intervient pas dans le choix du connecteur. Notons, enfin, que si les idées de Moeschler et de Spengler sont théoriquement applicables à un certain type de discours qu'on peut appeler argumentatif, les notions de subjectivité et d'objectivité perdent toute signification dans un discours purement narratif:

(42) II ne savait pas où il irait, mais il sortit quand même, toujours grognon. (Simenon,
Maigret s'amuse 100)

Tout compte fait, nous acceptons l'idée que la subjectivité entre en ligne de compte dans la mesure où le locuteur asserte et assume la responsabilité de l'actualisation d'une contradiction. Nous avons vu, d'autre part, que quand même s'emploie aussi sans prise en charge de la part du locuteur, ce qui montre, selon nous, que la distinction proposée n'est pas déterminante, à elle seule, dans le choix entre différents connecteurs. Cf. aussi la modification suivante de l'exemple (39):

(39') On ne peut jamais compter avec ce qu'elle dit: elle s'est violemment opposée
à l'idée d'assister au remariage de son père, et tu vois, elle ira quand même.

Disons, pour conclure, que ce qui détermine le choix de quand même au détriment de pourtant, c'est le désir - ou peut-être la nécessité - de présenter la contradiction comme l'information centrale de l'énoncé, c'est-à-dire de lui attribuer le plus haut degré de DC, ou du moins un DC égal mais non inférieur à celui du reste de cet énoncé. Cette valeur de DC peut découler d'une prise en charge ou d'une simple constatation de la contradiction. Moeschler et de Spengler ne considèrent, apparemment, qu'une seule des deux composantes.

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Emplois commentateurs. Dans tous les emplois traités ci-dessus, p est explicite,
donc immédiatement repérable dans le contexte à gauche. Ainsi, dans (38), p =
"Je sais que les sorcières n'existent pas".

Cependant, comme il a été dit à la p. 27, quand même ¡tout de même apparaissent dans de nombreux énoncés où p n'est pas directement accessible, parfois même impossible à déterminer de façon univoque. Moeschler et de Spengler mentionnent "des emplois fréquents de quand même qui se définissent par le caractère flou, non déterminable de ¿>" (1981:97). Blumenthal appelle ces emplois non-anaphoriques, les deux adverbes se limitant à "souligner l'importance d'un fait, importance relativement grande par rapport à l'attente du locuteur" (1980: 122). Il fait remarquer ensuite que, dans cet emploi non-anaphorique, quand même ¡tout de même n'admettent pas la postposition accentuée:

(43) II est tout de même un peu curieux.

(43') II est un peu curieux tout de même.

S'il est question d'un commentaire sur le comportement général d'une personne, sans spécification de p dans le contexte verbal, seul (43) est acceptable. Notons, encore une fois (voir p. 28), qu'en mettant tout de même en position détachée, on obtient une phrase dont la signification est presque identique à celle de (43).

Quand p n'est pas repérable dans le contexte verbal, la valeur concessive de quand même ¡tout de même se trouve neutralisée, au point qu'il serait légitime de classer de tels énoncés sous une rubrique spéciale. Pour désigner ces emplois à p implicite, nous avons proposé le terme de "commentateur", estimant que celui-ci, tout arbitraire qu'il est, convient bien pour évoquer la fonction sémantique et pragmatique que nous attribuons à nos deux adverbes dans ce type de contextes.

La nature du "commentaire" varie selon le contexte. Faute de pouvoir établir une véritable typologie dans les cadres de cet article, nous nous limiterons à suggérer quelques tendances. Celles-ci s'étendent sur une gamme qui va d'énoncés fortement expressifs à des énoncés quasiment vides de contenu émotif et cognitif.

Désapprobation :

(44) Savez-vous que pour vous faire plaisir j'ai trié spécialement tous les numéros? -
Je m'en suis aperçu. Vous ne voulez tout de même pas que je passe la soirée à
vous remercier? Je l'ai déjà fait. (Cars, Dame 191)

Indignation :

(45) "Tu vas encore repartir en voyage?" demandai-je avec mauvaise humeur. Elle
exagérait la dissimulation, tout de même. (Mallct-Joris, Rempart 171)

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Surprise:

(46) Au bout de deux heures, la liste était à peu près établie. Adélaïde refit un pointage:
- Cela représente tout de même une soixantaine de personnes ... C'est
suffisant mais nécessaire (Cars, Château 103)

(4446) illustrent l'emploi exclamatif de tout de même. Dans ces exemples, tout de même véhicule une réaction émotive, laquelle peut être dirigée, soit vers l'allocutaire qui l'interprétera comme marquant la désapprobation (44) et l'indignation (45), soit vers le locuteur lui-même (46).

Dans de nombreux cas, cependant, quand même/tout de même semblent privée de tout contenu émotif et cognitif. Leur fonction est alors semblable à celle des particules, fréquentes en allemand et en danois, que Harald Weydt a qualifiées d'"Abtonungspartikel" (1969). Celles-ci ne sont pas énoncées en vue d'être interprétées par l'allocutaire et n'ont donc aucun impact sur le contenu du message.

(47) Que faisait ce blanc dans un monastère au fond de la jungle? Et pourquoi cherchait-il
à éloigner les étrangers en allant jusqu'au meurtre? C'était quand même
troublant qu'il ait été l'amant de Diana, agente de l'Est. (Villiers, Parias 150)

(48) Tu ne parles pas comme un garçon de ton âge. Ça m'a frappé. Je les connais
quand même un peu ceux de ta génération: tous les jours au lycée, je les côtoie,
je les entends, je les observe. (Dorin, Tube 174)

Pour rendre compte des emplois commentateurs de quand même/tout de
même nous allons émettre trois hypothèses.

1. Dans la fonction commentatrice, quand même ¡tout de même enchaînent
sur l'acte d'énonciation, non sur le contenu.

2. p peut être reconstitué de telle sorte qu'il comporte toujours une forme du
verbe dire.

3. p QM/TM q peut être paraphrasé d'après un nombre restreint de schémas
élémentaires.

Reconstitution et paraphrase ne vont pas seulement montrer qu'il s'agit d'actes
d'énonciation mais encore mettre en évidence les rapports qui existent entre
les fonctions commentatrice et concessive.

A titre d'exemple, nous allons établir les types de paraphrase auxquels appartiennent

Pour (45) nous proposons l'interprétation suivante: "Avant, je ne serais pas allé jusqu'à dire q et d'autres refuseront peut-être toujours de le faire, mais compte tenu de ce qui vient de se produire, il faut quand même que je dise q et je maintiens que j'ai raison quoi qu'en disent les autres."

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(45) Schéma de paraphrase (deux schémas semblent entrer en ligne de
compte):

1. Avant je n'aurais pas dit q, mais maintenant il faut (quand même)
que je dise q.

2. D'autres auront beau dire non-q, moi je dirai (quand même) q.

(46) Schéma de paraphrase: Je n'aurais pas cru pouvoir dire q, mais je constate
que je le peux (quand même).

Dans (47), le locuteur, par les questions qu'il vient de poser, s'exposera à l'objection "II n'y a aucune raison de s'inquiéter". C'est cette objection virtuelle qu'il prévient en disant "(Si, car) quand même g". (48) est du même type, dans la mesure où quand même prévient une objection éventuelle dans le genre de "Tu n'es pas qualifié pour dire cela".

(4748) Schéma de paraphrase: Si quelqu'un pense que je ne suis pas fondé à
dire X, je maintiens (quand même) queje le suis, car q (X = le discours
précédent).

Quant à (44), nous l'interpréterons comme suit: "L'idée même que je passerais toute la soirée à te remercier est si absurde qu'il n'y a aucune raison de te demander si c'est cela que tu veux dire, mais je te pose la question quand même".

Ce type de phrases pose un problème particulier, puisqu'il s'agit de questions niées, où la négation indique la réponse à laquelle on s'attend, à savoir non. Sans tout de même, l'énoncé conserve sa valeur de question, ce qui implique une incertitude relative à la réponse qu'on recevra, encore que l'attente, comme nous l'avons dit, soit orientée vers une réponse négative. Tout de même modifie la force illocutoire en dissipant cette incertitude, l'énoncé se présentant dès lors comme une assertion niée. — Pour mettre en évidence la différence entre la fonction commentatrice et concessive, on pourrait imaginer le contexte suivant, où tout de même est un authentique marqueur concessif : "Je croyais que tu n'arrêterais jamais de rechercher l'éloge de tes mérites, mais je vois que tu ne veux tout de même pas que je passe la soirée à te remercier."

(44) Schéma de paraphrase: II n'y a aucune raison de dire q, mais je le fais
(quand même).

Nous résumerons nos réflexions sur le quand même/tout de même commen
tateur dans les termes suivants:

1. La fonction commentatrice est définie par l'absence de p.

2. La fonction commentatrice est caractérisée par les traits suivants:

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2.1. Quand même/tout de même ne sont pas Thématiques mais thématiques, puisque la contradiction n'est pas assertée de façon explicite en vue d'être interprétée comme telle par l'allocutaire. Cette hypothèse explique pourquoi ils n'apparaissent pas en position finale accentuée.

2.2. Quand même/tout de même enchaînent sur les actes d'énonciation, non
sur le contenu. La contradiction s'établit entre certaines données implicites
et l'acte d'énonciation.

Voici enfin, pour la bonne bouche, un exemple oral que nous laisserons sans
commentaire:

(49) Deux voix de femmes

V.l : Ah tiens salut ben qu'est-ce que tu fais là, où tu vas?

V.2: Oh ben je rentre chez moi là maintenant

V.l : Tu rentres chez toi

V.2: Ouais

V.l: Ben t'as bien cinq minutes

V.2: (soupir) Vraiment cinq minutes mais pas plus

V.l: T'as pas l'temps on va aller boire un café

V.2: Oh ouais d'accord hein pas trop longtemps quand même parce que j'ai plein de
choses à faire

V.l: Ecoute j'ai très froid là je boirais bien un café ça fait longtemps que j't'ai pas vue
tu peux bien venir boire un café avec moi quand même

V.2: Bon alors d'accord

V.l: Hein faut quand même que tu me racontes un peu ce que tu deviens, où tu en es,
allez viens on va boire un café

V.2: D'accord allez on y va

V.2: Ben tu sais, puis là j'ai repris le boulot euh pff les mômes qui sont malades euh! j'en
ai un peu marre tu sais les copains ça passe à côté en ce moment

V.l: Oh allez viens! on va boire un coup! tu vas me raconter un peu tout ça

V.2: J'sais pas si je peux là parce que pff

V. 1 : Allez allez ça va attendre tu vas oui là au travail

V.2: Ouais

V.l: Oh ben i peuvent bien t'attendre cinq minutes hein

V.2: Oui

V.l : Faut pas se tuer pour le boulot quand même

V.2: Allez allez on y va

Emplois absolus. Comme nous venons de le voir, le quand même/tout de même commentateur se définit par l'absence d'un p. La situation inverse, où c'est q qui fait défaut, n'est pas rare dans les dialogues. Là encore, quand même/tout de même se distinguent de pourtant/cependant. En suivant Moeschler et de Spengler, nous qualifierons cet emploi d'absolu.

Nous ne croyons pas que le quand même/tout de même absolu constitue une

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classe à part. Il faut plutôt y voir des cas particuliers de la fonction concessive et
commentatrice, et les exemples qu'on rencontre se rangent aisément sous l'une
ou l'autre rubrique. Ainsi, (50) est un exemple de la fonction concessive:

(50) Vous savez, monsieur, ce qui compte, ce n'est pas tellement la façon dont un
texte est tapé mais plutôt ce qu'il y a dedans... - Quand même! Dites-moi: les
deux autres, je sais pourquoi ils sont venus... mais vous? (Cars, Tendresse 99)

II est clair que quand même se trouve ici en emploi absolu. Comme "Dites-moi: ..." introduit un nouveau sujet de conversation, cet énoncé ne peut être compris comme constituant le q de quand même. En revanche, il est facile de reconstituer ce q: "La façon dont un texte est tapé n'est (quand même) pas sans importance"

(51) - On l'enterre quand? (..)
- Je n'en sais fichtre rien, avoue-t-il.
Il ajoute:
- Mais rassure-toi, tu n'auras pas besoin de venir à ses obsèques.
Le mot obsèques paraît trop important pour l'usage du pauvre Eusèbe. Adélaïde
fronce le nez. Pourtant, elle a une lueur de soulagement dans le regard en
entendant qu'elle va couper à la corvée.
- Oh! tout de même, croit-elle devoir dire, par politesse, mais sans insister davantage.
(San Antonio, Français 126-127)

Là encore, la fonction de l'adverbe entre dans la catégorie concessive, interprétation qui est étayée par le commentaire que l'exemple lui-même apporte: "croit-elle devoir dire, par politesse". A titre de paraphrase informelle, nous proposons: "Tu dis que je n'ai pas besoin d'y aller, mais, évidemment, je suis prête à y aller (tout de même)." C'est cette interprétation que préfèrent nos informateurs français. On ne peut pourtant pas exclure qu'une autre lecture se superpose, qui, elle, enchaîne sur renonciation et qu'on pourrait traduire par "Tu exagères (en disant cela)". Si l'on veut donc maintenir les deux lectures, (51) se trouve à l'intersection de la concession et du commentaire.

Dans les emplois absolus commentateurs, quand même/tout de même prennent une valeur généralement exclamative ou interrogative et se combinent parfois à d'autres marqueurs (Ah!, mais enfin, etc.). Un examen systématique des contextes où nos adverbes apparaissent en emploi absolu est un travail qui reste à faire. Nous nous limiterons donc à présenter quelques exemples type de surprise (52-53), de désapprobation (54) et de satisfaction (teintée de triomphe) (55):

Surprise

(52) II y a combien de temps que vous en faites, de la peinture? — Vingt-cinq ans.
Cela fait vingt-cinq ans que j'essaie d'en faire, de la peinture. Ah! tout de

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même... C'est une question de don, remarquez bien. Moi qui vous parle... Mais
vingt-cinq ans, tout de même, vingt-cinq ans, je n'aurais pas cru. (Mauriac,
Théâtre 171)

(53) Alors, vous venez du Danemark... Il doit faire froid chez vous. - Faut pas exagérer,
c'est un peu comme ici. - Mais on peut pas se baigner? — Mais si, en été
l'eau est chaude, on se baigne partout. - Quand même? (Exemple oral)

Désapprobation:

(54) [A crache sur le trottoir]
B: Quand même! (Cit. Métrai)

Voici le commentaire de Janine Métrai (1982:223): "J'interprète comme suit l'exclamation de B: je persiste à penser qu'on n'a pas le droit de cracher sur le trottoir, je maintiens qu'il ne faut pas au moment même où par ton seul acte tu viens d'affirmer qu'on peut se le permettre".

Satisfaction:

(55) Tu y restes tant que tu veux. Jusqu'à ce que Jean-Lou vienne te chercher, par
exemple.
- Oh! tu sais, cette fois, c'est fini. Je ne trouve plus rien à lui dire.
- Quand même. Eh bien, tu vieilliras avec moi. (Sagan, Robe 22)

Nous proposons pour (55) l'interprétation suivante: "Tout portait à croire que tu ne te rendrais jamais à la raison, mais je vois (quand même) que c'est ce qui s'est produit." Quand même peut donc se "traduire" par Enfin! ou Ce n'est pas trop tôt. Dans ce type d'énoncé, le locuteur laisse percer une certaine satisfaction du cours des événements qui est contraire à ce qu'il avait craint.

L'étude qui précède démontre suffisamment à quel point l'emploi de quand même et de tout de même est subtil. De ce fait, la formulation de règles explicites relativement à ces deux adverbes serait une tâche fort compliquée. C'est pourquoi nous nous contentons de résumer quelques éléments principaux de nos résultats.

Deux propriétés distinguent nettement quand même et tout de même des autres concessifs: 1) leur aptitude à être rhématisés, et 2) leur tendance à prendre une valeur commentatrice plutôt que concessive. Ces deux fonctions s'excluent mutuellement. Dans l'emploi Thématique, l'adverbe se trouve dans la position finale accentuée, où l'on ne trouve jamais aucun autre concessif. C'est la relation concessive même qui est au cœur de l'information, et l'antécédent p est par conséquent assez facile à repérer dans le texte précédent. Par contre, la caractéristique de l'emploi commentateur est que p est implicite, donc pas repérable dans le texte. Soulignons cependant que le commentaire garde une nuance concessive.

Side 37

Peut-être même pourra-t-on dire que le caractère distinctif de quand même et de tout de même est qu'ils ne servent pas, au sens exact du terme, à connecter deux énoncés (par une relation concessive). Leur fonction est plutôt d'ajouter quelque chose à la signification de la phrase dans laquelle ils entrent. Il peut s'agir d'une modification du contenu propositionnel — c'est l'emploi rhématique — ou d'un simple commentaire qui, pour sa part, peut consister en une mise en relation de la phrase avec un élément dans le texte {quand même et tout de même s'approchant dans ce cas de pourtant et de cependant), ou bien avec la situation d'énonciation (l'emploi commentateur). Ce qui est important, c'est que, dans tous les cas, l'antécédent est intuitivement perçu comme jouant un rôle accessoire. Cette idée se trouve d'ailleurs justifiée par le fait que quand même et tout de même ne peuvent pas assumer la fonction de connecteur syntaxique (cf. aussi la règle MAIS proposée par Moeschler et de Spengler), ce qui serait normal s'ils jouaient seulement à l'intérieur de la phrase dans laquelle ils se trouvent. Si nous avons raison de penser que quand même et tout de même ne sont pas de vrais connecteurs, il y a là une différence remarquable entre eux et les autres concessifs, différence qui pourrait expliquer le comportement subtil de ces deux adverbes. Le rôle de quand même et de tout de même consisterait alors à permettre la mise en œuvre d'une stratégie concessive tout en évitant l'obligation de s'engager dans une connexion quelconque. Quoi qu'il en soit, nous devrons laisser cette question en suspens.

2.4. Néanmoins

Nous en sommes venus à néanmoins, le cinquième des concessifs qui entrent dans cette classification de "synonymes" dont nous avons dénoncé le manque de rigueur et le caractère accidentel. Nous adresserons les mêmes critiques au traitement que les dictionnaires réservent aux rapports entre néanmoins et les adverbes traités ci-dessus: si les similitudes s'aperçoivent aisément, la prétendue synonymie ne résiste pas à un examen attentif. Toujours est-il que néanmoins se distingue des autres sur quelques points essentiels que nous allons énumérer et essayer d'expliquer.

Voici d'abord quelques caractéristiques distributionnelles: Dans les groupes verbaux infinis ainsi que dans les appositions, néanmoins est bien plus fréquent que les autres concessifs. D'autre part, dans les contextes "finis", il est très souvent détaché devant ou dans la phrase, mais jamais après celle-ci, particularitéqu'il est seul à présenter parmi les adverbes étudiés jusqu'ici. De plus, on peut noter que néanmoins (contrairement, là encore, aux autres concessifs) ne suit jamais la particule ne, et, d'une façon générale, la négation et néanmoins voisinent rarement: seules les négations de temps et de lieu {ne... jamais et ne...

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nullement) font exception à cette "règle". Enfin un trait curieux: La phrase qui précède est souvent introduite par un si, qui, précisément, supposons-nous, à cause de la co-occurrence avec néanmoins, a une valeur concessive. Soit l'exemple:

(56) Si cette notion est pertinente du point de vue descriptif et classificatoire,U me
semble néanmoins que les restrictions apportées à la notion d'instruction rendent
non nécessaire une telle notion. (Moeschler, 1983)

Dans (56), on ne pourrait guère échanger néanmoins contre un autre concessif.

Néanmoins établit une concession directe, ce en quoi il ressemble aux deux classes précédentes. Il s'apparente encore à quand même et tout de même par les propriétés suivantes: 1) il peut introduire seulement le premier plan, 2) il n'entre jamais dans une relation paradigmatique (sur ce point, il ressemble aussi à pourtant et diffère donc seulement de cependant), 3) il accepte certaines positions


DIVL774


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(58)

En revanche, il s'approche de pourtant et de cependant et s'écarte de quand même et de tout de même par les traits suivants: 1) il ne connaît pas d'emploi commentateur, ni absolu, et 2) il peut fonctionner comme connecteur syntaxique. Enfin, néanmoins se distingue des quatre adverbes en ce qu'il n'aboutit jamais à une réfutation (ni dissimulée, ni dissociative), et en ce qu'il ne fait jamais - ou du moins très rarement - part d'une concession dialogale. Sans doute y a-t-il un rapport entre les deux derniers points.

Est-il possible d'expliquer le comportement particulier de néanmoins^ Dans une première approche, on peut avancer que cet adverbe semble être le "vrai" marqueur concessif dans la mesure où il ne permet jamais un glissement de sens vers la réfutation, ni même vers le commentaire. Nous pensons qu'on peut condenserces observations en disant que la relation concessive produite par néanmoinsest plus "dense" que celles qui caractérisent les autres adverbes concessifs. Il semble en effet que néanmoins exige,à un point inconnu des autres adverbes, que l'antécédent soit explicite et facile à trouver. La concession introduite par néanmoins a toujours un aspect fortement "objectif. Elle a l'air d'être "préparée"par le locuteur et de faire partie d'un "raisonnement logique" plutôt que d'une "argumentation polémique". De même, il nous semble que l'emploi de néanmoins exige une réinterprétation dans une moindre mesure que ne le font

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les autres concessifs. L'antécédent a, pour ainsi dire, été préparé à la relation concessive. Sans doute la prédilection pour l'emplacement dans les syntagmes infinis ou les appositions a-t-elle trait à cette densité; là, pourtant, on ne peut pas exclure une explication supplémentaire: dans cette position, le remplacementpar un autre concessif est quasi-impossible. En effet, c'est seulement si le syntagme infini fonctionne comme l'arrière-plan que cependant et pourtant acceptent cette position, et quand même et tout de même ne peuvent assumer une véritable valeur concessive que dans les phrases, c'est-à-dire au premier niveau.Considérons par exemple (59):

(59) L'utilisation médicale des rayonnements ionisants, en particulier des rayons X pour le diagnostic, aboutit à la distribution de doses heureusement généralement localisées, mais néanmoins susceptibles d'atteindre les organes génitaux, et peut aboutir (..). (TLF, néanmoins)

Si, dans (59), on supprime mais, pourtant peut se substituer à néanmoins, mais cette substitution amènerait un changement de sens, car susceptibles d'atteindre les organes génitaux serait dès lors interprété comme constituant l'arrière-plan et la phrase serait un peu bizarre.

Reste à préciser la notion de densité. Il est possible — mais loin d'être évident - que cette notion pourra être analysée dans les cadres des théories développées par l'équipe de Ducrot et l'école de Genève. De toute façon, nous pensons qu'elle est pertinente pour une explication des propriétés spécifiques de néanmoins.

Toutefois, deux particularités que nous avons observées ne semblent pas pouvoir être expliquées par la densité: 1) le fait qu'on ne trouve guère néanmoins à côté de la négation, et 2) le fait que l'adverbe se place de préférence entre deux pauses (par contre, on comprend qu'il ne se trouve jamais après la phrase, puisque cette position "après coup" rompt la structure). On pourrait imaginer à l'origine de ces faits syntaxiques des raisons formelles: étymologiquement, néanmoins contient une négation qui bloque peut-être la place d'une négation ouverte dans la même phrase; et, phonétiquement, néanmoins est "lourd" et aura par conséquent des difficultés à s'intégrer dans la courbe intonative

Pour conclure, nous proposerons les règles suivantes:

RN: A Conditions nécessaires à l'emploi de néanmoins:

1) une véritable concession où il n'y a ni valeur de réfutation ni de
commentaire

2) concession directe

3) introduction du premier plan

4) une relation non-paradigmatique

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5) concession monologale

6) antécédent explicite, facile à détecter

7) absence de la négation

B Si A est rempli on se sert de néanmoins:

1) au cas où pourtant, cependant, quand même et tout de même seraient
tous exclus

2) toutes choses égales par ailleurs, pour des raisons stylistiques.

La rubrique B demande quelques commentaires:

ad B1): Nous avons vu que, dans beaucoup de contextes, l'emploi de pourtant ou de cependant aboutit à une réfutation. Si, en pareil cas, on vise à une concession pure, l'emploi d'un de ces adverbes est donc exclu, et B 1) peut s'appliquer.

adß2): Le corpus du TLF révèle que néanmoins est moins employé aujourd'hui qu'il y a 100 ans. Dans la mesure où il est "démodé" et — comme nous l'avons fait remarquer - phonétiquement "lourd", c'est une forme "marquée". Choisir néanmoins sert en effet à souligner la concession, ce qui, sans doute, est encore un corollaire de la densité observée. L'emploi de néanmoins peut en même temps donner l'effet d'un style soigné.

Notons enfin que, si on peut donc, d'un point de vue stylistique et phonétique, considérer néanmoins comme la forme marquée,d'un point de vue sémantique, cet adverbe est plutôt à considérer comme la forme non-marquée, parce qu'il est souvent susceptible de remplacer aussi bien quand même que pourtant — même dans les cas où ces adverbes ne peuvent pas se substituer l'un à l'autre.

2.6. Toutefois

Les dictionnaires s'accordent pour voir en toutefois un synonyme de mais, cependant, pourtant et néanmoins et la fonction de cet adverbe est caractérisée brièvement comme marquant une (forte) opposition (voir Lexis et Robert VI). Nous pensons que c'est là une simplification abusive et que toutefois se distingue sensiblement des cinq adverbes traités ci-dessus.

Parmi les propriétés distributionnelles de toutefois, il faut signaler une prédilection prononcée pour l'antéposition. Le TLF, dernière tranche (1946-1964) contient 352 exemples, dont 173 sont antéposés. Par contre, la postposition, détachée ou non, est quasiment inexistante.

Selon Blumenthal, la propriété fonctionnelle fondamentale de toutefois est
son aptitude à établir une relation oppositive paradigmatique, non entre éléments,mais
entre ensemble et élément, ce qui revient à dire qu'il marque la

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restriction (1980:125). Cette restriction peut porter soit sur l'extension, soit sur la compréhension de la proposition précédente. Par l'extension d'une proposition,il faut entendre "l'ensemble des cas où elle est vraie", alors que la compréhensionest "l'ensemble des propositions dont l'assertion est impliquée dans l'assertion de celle-ci" (Ibid.il 18-119).

(60) Christine hérite de la majeure partie d'un "empire" évalué àun milliard de dollars.
Toutefois le testament prévoit que la moitié de cette fortune devra servir
au financement d'une fondation à but non lucratif. (1bid.:125)

L'assertion "elle hérite..." implique normalement l'assertion "elle a le droit d'en disposer librement". Toutefois restreint la compréhension de la proposition précédente en niant cette dernière assertion. Voici un autre exemple, où la restriction porte sur l'extension de la proposition précédente:

(61) II n'avait jamais manqué de sang-froid, jamais omis de maintenir les distances
entre son personnage et lui-même. Toutefois, comme les peintres, il avait eu
"sa période naïve". (Cesbron, Don Juan 105)

Toutefois q restreint l'extension de p en assertant que p n'a pas été vrai à toutes
les périodes de la vie de cette personne.

Par contre, toutefois n'admet guère d'emplois syntagmatiques

(62) *I1 ne ménageait guère sa voiture. Toutefois elle était en rodage

Au sujet de (62), Blumenthal dit que "toutefois est exclu de phrases qui ne sauraient en aucun cas s'interpréter comme ayant un caractère restrictif. Nous ajouterons que cette interprétation n'est jamais possible quand la phrase, comme c'est le cas de (62), introduit l'arrière-plan. Pour le cas contraire, Blumenthal est moins catégorique: "L'emploi de toutefois paraît douteux au début d'une phrase qui, selon la lecture la plus naturelle, représente le premier plan:

(62') Sa voiture était en rodage. Toutefois il ne la ménageait guère." (1980:126)

Si la présentation que Blumenthal donne de son hypothèse restrictive est à première vue claire et probante, on se heurtera à de sérieux obstacles, dès qu'on essaiera de tracer une ligne nette entre concession et restriction. Il faut reconnaître,par exemple, que pour déterminer "l'ensemble des assertions impliquées par une assertion (première)" aucune procédure opérationnelle n'est actuellementdisponible. Considérons l'exemple (62'), où toutefois est douteux. Il est vrai, d'une part, que (62') n'est pas restrictif au sens propre du terme, puisqu'aucuneréserve n'a été formulée sur la proposition "Sa voiture était en rodage". Celle-ci reste entièrement valide, ce qui permet d'opter pour une interprétation concessive. D'autre part, il est licite de se demander si non-q: "il la ménageait"

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ne fait pas partie de l'ensemble des assertions impliquées par pi Dans ce cas, l'interprétationserait
restrictivelo.

Nous allons suggérer une solution partielle de ce problème en rapprochant la description de Blumenthal de celle que Jayez nous a fournie de cependant. On se souvient que, selon Jayez, cependant introduit une réfutation dissociative. En effet, entre la réfutation dissociative de Jayez, qui réfute une des propositions qui fait partie d'une proposition conjonctionnelle, et la négation partielle de Blumenthal, qui nie une des assertions impliquées par la proposition précédente, la différence nous paraît minime et pourra probablement être réduite à une simple question de terminologie. On se souvient aussi que nous avons qualifié d'indirecte la réfutation dissociative introduite par cependant. Nous allons charger toutefois d'en effectuer une autre qui, elle, sera directe. Nous associerons donc à toutefois une proposition conjonctionnelle dont toutefois réfute un des membres et, à la différence de ce qui était le cas de cependant, cette proposition n'est pas sous-entendue mais directement repérable dans l'énoncé même. Pour illustrer la distinction entre les deux types de réfutation dissociative, nous allons considérer l'exemple suivant qui contient un cependant:

(63) La plupart des gens disent: que ce soit un gouvernement ou un autre, l'incurie reste la même, on continuera toujours de nous voler et de nous affamer. Cependant, le général Bonaparte a la faveur de beaucoup. Même ma fille de chambre... (Saint-Laurent, Caroline 351)

Sous-jacente à (63), on pourra imaginer la proposition universelle suivante: "II y a une méfiance générale à l'égard des hommes qui actuellement se disputent le pouvoir." Si cette proposition est assertée explicitement, notre hypothèse dira que toutefois est plus naturelle que cependant, la réfutation étant dès lors directe:

(63') II ya une méfiance générale à l'égard des hommes qui actuellement se disputent le pouvoir. Toutefois, le général Bonaparte a la faveur de beaucoup. Même ma fille de chambre, une petite rouquine que je viens d'engager et que je ne garderai sans doute pas à cause de la cherté de la vie, m'a dit: "C'est l'homme qu'il nous faut".

Revenons-en à l'exemple (62'), où l'emploi de toutefois est douteux. Nous expliquerons cette acceptabilité douteuse par le fait que (62') comporte une réfutation dissociative indirecte, qui exclut l'emploi de toutefois mais admet celui de cependant. Aussi cependant est-il parfaitement admissible (cf. Blumenthal 124):

(62") Sa voiture était en rodage. Cependant, il ne la ménageait guère.



10: II nous semble que la théorie de Ducrot sur l'argumentation tend à résoudre ce genre de problèmes. Pour Ducrot, une composante constitutive du sens de l'énoncé est l'ensemble des conclusions vers lesquelles l'énoncé est orienté.

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Les observations que nous venons de faire semblent justifier l'hypothèse selon laquelle toutefois marque la réfutation dissociative directe. Un corrolaire en est que l'emploi de cet adverbe est intrinsèquement lié à l'existence d'une relation pragmatique, puisque la relation qu'il y a entre la proposition conjonctionnelle (qui est réfutée) et la proposition réfutatrice est exactement celle qui existe entre ensemble et élément. Notre hypothèse corrobore donc celle de Blumenthal tout en faisant entrevoir que s'il y a effet concessif, cet effet est secondaire. Donc, si cependant est essentiellement syntagmatique mais permet la superposition d'une lecture paradigmatique et adversative, toutefois, selon nous, est de par sa nature paradigmatique (et restrictif) mais ouvert à une lecture syntagmatique dérivée (la lecture concessive).

Les rapports entre toutefois et les autres vocables à caractère restrictif posent des problèmes complexes et disparates que nous allons essayer de sérier mais qui ne pourront pas être examinés, ne fût-ce que sommairement, dans les limites de cet article. Ces problèmes se répartissent en trois grandes catégories. En premier lieu, il faut caractériser la valeur restrictive de toutefois par rapport à celle de seulement, qui ne se combine pas avec toutefois. Une différence essentielle semble être le fait que seulement exclut l'existence de toute autre exception. Une restriction par seulement peut donc paraître moins tranchante que par toutefois. Elle peut même impliquer une nuance de politesse:

(64) Vous pouvez aller le voir, seulement ne restez pas trop longtemps, parce qu'il
est fatigué. (Lexis, seulement)

II est possible que toutefois, lui aussi, exclue l'existence d'autres exceptions, mais les énoncés avec toutefois ne sont pas orientés vers une telle conclusion. En d'autres termes, la différence entre ces deux restrictifs porte sur la structure argumentative (dans un contexte un peu différent, seulement a été traité par Nolke (1983:176)).

Ensuite, il faut définir le statut d'un groupe de prépositions restrictives qui,
à la différence de seulement, se rencontrent très fréquemment en co-occurrence
avec toutefois: excepté, sauf, sans, à condition de/que.

(65) J'hésite et je lui réponds qu'ils peuvent aller faire une belote àla Sûreté, à condition
toutefois de tenir la môme Julia à l'œil. (San Antonio, Compte 41)

Enfin, il reste à préciser l'emploi de toutefois dans les conditionnelles avec si, car si l'occurrence assez fréquente de toutefois dans ce type de subordonnées a été signalée par plusieurs dictionnaires, les indications de ceux-ci sont si vagues et approximatives qu'elles ne manqueront pas d'égarer le lecteur non prévenu. Ainsi Lexis, qui dit que toutefois "vient souvent en appui de si et de ci", ne cite qu'un seul exemple, lequel n'est pas restrictif mais concessif'

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(66) Je sais que vous n'êtes pas libre ce jour4à; si toutefois vous pouvez venir, nous
en serons très heureux.

Dans (66), on pourrait à toutefois substituer quand même. En revanche, un
exemple restrictif nous est fourni par (67), où la substitution de quand même
est impossible:

(67) Cette affaire n'ira pas plus loin si, toutefois, nous tombons d'accord sur les
suites qu'elle comporte. (Bazin, Vipère 236)

Pour les conditionnelles au moins, il faut compter avec deux emplois de toutefois,
dont un concessif. Notons enfin que souvent si toutefois enchaîne sur l'acte
dénonciation:

(68) II est difficile de préciser ce terme, si toutefois il est besoin de le préciser. (TLF,
toutefois)

Dans (68), le sens de si toutefois est très proche de si tant est que qui "marque
le doute sur la réalité de la condition" (Sandfeld: 1935:206).

Avant de terminer cette brève étude de toutefois, il convient d'avouer qu'on sera sans doute amené à "forcer" l'interprétation de pas mal d'énoncés pour les expliquer dans les cadres de notre description. Nous pensons que cette description rend compte des propriétés constitutives de la plupart des énoncés type de toutefois. Il est sûr, cependant, que notamment l'emploi de toutefois dans les conditionnelles par si pose de graves problèmes, et sans doute une étude approfondie de ces constructions rendrait-elle nécessaire une reformulation de notre hypothèse. Mais une telle reformulation n'est pas possible tant qu'on ne possède pas de dispositif expérimental qui permettrait d'établir en termes cohérents comment il faut décomposer une proposition universelle en propositions particulières (cas de toutefois) et reconstituer une proposition universelle sousjacente à p (cas de rependant). La mise en place d'un tel dispositif aura sans aucun doute des incidences sur nos hypothèses.

Conclusion

Au terme de nos analyses, quelques remarques s'imposent. En effet, dans quelle
mesure avons-nous mené à bien les intentions déclarées au début? Et quelles
sont la valeur et l'utilité de nos recherches?

Par certains de ses choix méthodologiques, notre article porte les traces d'une perspective non-francophone. Puisque chacun des connecteurs traités connaît plusieurs équivalents dans les autres langues et inversement, la délimitationde l'objet d'étude soulève de sérieux problèmes si l'on s'adresse à des lecteurs non-francophones. L'optique de ceux-ci est différente, et si l'on se limiteà l'étude d'un seul connecteur, par exemple quand même, on s'exposera

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d'emblée au reproche d'avoir obtenu ses résultats au prix de nombreuses ellipses et de négligences de phénomènes apparentés. "Quel est le statut de tout de mêmeV dira-t-on. C'est pourquoi nous nous sommes livrés à quelques réflexions préalables avant de porter notre choix sur les six adverbes traités. Nous considéronsqu'ils constituent un groupe homogène, suffisamment distinct des autres qui pourraient entrer en ligne de compte, mais en réalité il faut toujours trancheret notre étude n'est pas exempte des défauts que nous venons de signaler. Dans cette perspective encore, une étude de quand même/tout de même concessifsà l'exclusion des emplois commentateurs serait également défectueuse. Nous n'avons donc pas écarté ceux-ci sous prétexte qu'ils sortent du sujet. Enfin, nous avons abordé le problème des codes écrit et parlé en nous appuyant sur quelques renseignements statistiques. Que cependant appartienne au code écrit et que pourtant s'utilise indifféremment dans l'un et l'autre des deux codes est évident pour un Français mais non pour un étranger.

Il ne conviendrait pas de croire, cependant, qu'en adoptant cette démarche méthodologique, nous ayons souhaité restreindre le cercle de nos lecteurs. Nos options théoriques se définissent par rapport à deux grandes tendances de la linguistique européenne moderne, représentées par les recherches des Pragois sur la dichotomie entre thème et rhème et celles des Parisiens sur les stratégies discursives. Ces deux "écoles" nous ont inspirés aussi bien par leurs fondements généraux que par leurs pratiques descriptives courantes. Nous ne disposions pas, avant les travaux de Jan Firbas sur le dynamisme communicatif et ceux d'Oswald Ducrot sur les structures argumentatives et énonciatives, d'un outil assez efficace pour rendre compte des phénomènes pragmatiques, sémantiques et discursifs que nous avons abordés ici et qui, à notre avis, doivent nécessairement s'intégrer à toute étude de langue. Il est maintenant possible de discerner une voie à suivre et d'entreprendre des études approfondies de ces phénomènes. Nous espérons y avoir apporté une modeste contribution.ll

Harald Gettrup

Henning Nolke
Copenhague

Nancy

Résumé

Cet article contient une discussion théorique de la notion de concession suivie d'une étude de six adverbes français {pourtant, cependant, quand même, tout de même, néanmoins et toutefois), qui sont considérés comme synonymes par les dictionnaires. Les auteurs démontrent que ces adverbes apportent en fait des nuances concessives différentes, et qu'ils entrent dans différents types de stratégies concessives.



11: Nous remercions l'équipe du Trésor de la langue française pour le corpus et les données statistiques qu'elle nous a fournis.

Bibliographie

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Bruxelles, Sylvie et al. (1980) "mais occupe-toi d'amélie". In: Ducrot et al. Les mots du
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CLF 2+4+5 Cahiers de linguistique française 2 (1981), 4 (1982), 5 (1983). Université
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Ducrot, Oswald (1983) "Puisque: Essai de description polyphonique". In: M. Herslund,
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Copenhague.

Firbas, Jan (1974) "Some Aspects of the Czechoslovak Approach to Problems of Functional
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Gettrup, Harald (1982) TOUT EN ...Oversœttelsesanalyse eller sammenligningsgrundlag,
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GLLF (1971-1978) Grand Larousse de la langue française, Larousse, Paris.

Jayez, Jacques (1981) Etude des rapports entre l'argumentation et certaines adverbes français.
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Le Bidois, Georges et Robert (1967) Syntaxe du français moderne. Picard, Paris.

Moeschler, Jacques (à paraître) "Contraintes structurelles et contraintes d'enchaînement
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Moeschler, Jacques et Nina de Spengler (1981) "Quand même: De la concession à la réfutation".
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- (1982) "La concession ou la réfutation interdite, approches argumentative et conversationnelle".
In: CLF4 (7-36).

Nolke, Henning (1983) Les adverbes paradigmatisants: Fonction et analyse. Akademisk
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Sandfeld, Kristian (1965) Les propositions subordonnées. Droz, Genève.

Textes cités

Hervé Bazin: Vipère au poing (1948) Livre de poche.

Guy des Cars: Le Château de la juive (1958) J'ai lu.
- : Cette étrange tendresse (1960) J'ai lu.
- : La Dame du cirque (1962) J'ai lu.

Gilbert Cesbron: Don Juan en automne. Laffont 1975.

Max Gallo: Les Hommes naissent tous le même jour. I L'Aurore. Laffont 1978.

Françoise Mallet-Joris: Le Rempart des Béguines. Julliard 1951.

Pierre-Jean Remy: Salue pour moi le monde. Gallimard 1980.

San Antonio: Réglez-lui son compte. Fleuve Noir 1981 (1949).
- : Ya-t-ilun Français dans la salle? Fleuve Noir 1979.

Jean-Paul Sartre: Le Diable et le bon Dieu. Gallimard 1951.

Henri Troyat: Les Semailles et les moissons. VLa Rencontre. Pion 1958.