Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

La Vidéo. Pour quoi faire? Ouvrage collectif, réalisé par Micheline Maurice et alii. Paris, PUF 1982. 253 p.

Aage Nipper

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Un des sujets de discussion qui passionnent le plus actuellement les pédagogues et les chercheurs est la place de la nouvelle technologie dans l'enseignement. Très souvent on entend par là uniquement l'informatique. C'est ainsi que la vidéo, qui pourtant fait partie des technologies éducatives au même titre que l'ordinateur, reste dans la plupart des cas hors du débat. Bien que l'utilité de ce média ait été reconnue depuis longtemps, l'exploitation de la vidéo dans l'enseignement n'a jusqu'ici fait l'objet que de rares travaux.

C'est donc avec un intérêt tout particulier que l'enseignant-chercheur aborde cet ouvrage, dont l'objectif est d'analyser, à partir d'expériences concrètes, les possibilités de la vidéo dans un contexte institutionnel éducatif pour pouvoir en proposer une exploitation plus judicieuse.

Ce livre a été réalisé par un collectif d'auteurs qui, presque tous, ont - ou ont eu - des relations avec le BELC (Bureau pour l'Enseignement de la Langue et de la Civilisation françaises à l'Etranger) et avec I'INRP (Institut National de Recherche pédagogique) à titre de formateurs/animateurs ou de stagiaires.

A première vue, l'ouvrage semble manquer d'unité. En effet il se compose d'une introduction et d'articles rendant compte d'expériences diverses. Mais, comme toutes ces expériences ont eu le même point de départ (le projet du BELC: "Atelier - Vidéo — Formation") et qu'elles se basent toutes sur la même définition de la vidéo, élaborée dans l'introduction, les auteurs atteignent leur objectif: faire une description et une analyse approfondies de l'outil vidéo et de son utilisation en situation institutionnelle.

"Que peut-on faire avec la vidéo quand on est pédagogue, formateur, animateur?" Telle est la question à laquelle les auteurs essaient de répondre. "Aujourd'hui, une des réponses que nous faisons est de proposer dans le cadre de stages de formation de découvrir ensemble l'outil et ce que l'on peut en faire, en le faisant" (p. 13). C'est donc la pratique et les expériences qui donnent le savoir-faire. Une thèse qui est vérifiée par le livre lui-même.

Le premier chapitre, "Les Machines vidéo" (p. 11-29) par Micheline Maurice, donne d'abord une définition de la vidéo sur laquelle se base tout l'ouvrage. L'auteur distingue entre I'OUTIL VIDEO et les MACHINES VIDEO. Le premier consiste en des appareils techniques qui servent à enregistrer des images et du son, mais qui nécessitent une organisation de personnes pour devenir la MACHINE VIDEO, c'est-à-dire toute l'organisation productive: personnes devant/derrière la caméra/le micro, émetteurs/spectateurs, magnétoscopes, téléviseurs etc. Cette distinction est essentielle, en effet l'objectif de l'ouvrage n'est pas de donner des informations sur l'utilisation technique de la vidéo, mais plutôt de décrire et d'analyser le processus de communication et d'interaction d'un projet vidéo. L'auteur distingue ensuite entre deux sortes de machines vidéo: 1. Les machines vidéo partielles où il y a une coupure entre le processus de production et le processus de diffusion. Par exemple: diffusion d'un document authentique en langue étrangère ou vidéo surveillance dans les grands magasins. Donc un outil passif qui n'engage pas la participation active et physique des usagers. 2. Les machines vidéo globales où il n'y pas de coupures entre la production et la diffusion, c'est-à-dire que l'ensemble des personnes impliquées constituent un groupe fermé. Elles sont devant la caméra comme émetteurs, derrière comme "outilleurs" et elles participent également à la diffusion en tant que récepteurs.

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Les articles qui constituent le reste de l'ouvrage se basent tous sur le modèle machine vidéo globale et ils peuvent être lus à la fois comme des témoignages et comme des initiations à un travail avec la vidéo. Les comptes rendus abordent presque tous chaque stade du déroulement d'un projet vidéo: le cadre, l'objectif, les préparations, les premiers essais, les enregistrements, le visionnement, le montage et la diffusion, en mettant toujours l'accent sur l'acte de communication et d'interaction et sur la dynamique du processus.

Il y a en tout neuf comptes rendus d'expériences, qu'on peut grouper en trois catégories: cinq chapitres (pp. 39-108 et 194-210) traitent de la vidéo dans des stages de formation des formateurs. On y trouve une description de la vidéo comme instrument d'autoscopie, d'observation, d'expression collective, de créativité, d'évaluation et d'analyse institutionnelle. "Vidéo et analyse institutionnelle" (p. 81-94) décrit un projet vidéo qui a comme objectif d'explorer les multiples possibilités de la vidéo pour analyser les relations intersubjectives d'un groupe dans un cadre institutionnel. Ce chapitre est intéressant parce qu'il ne donne pas seulement une analyse du fonctionnement d'un groupe mais aussi des réflexions sur la nature de ce type d'analyse, surtout concernant la problématique de la subjectivité déterminée par la position de l'observateur et de l'analyste.

Les chapitres les plus décevants sont malheureusement ceux qui concernent la vidéo dans l'enseignement du français langue étrangère car ils n'apportent pas grand chose de nouveau. En outre le chapitre intitulé "De 'C'est le Printemps' à la Vidéo" (p. 108-128) n'aborde pas clairement le rôle de la vidéo, peut-être parce qu'il n'y avait pas au départ ni projet ni objectif bien définis.

La vidéo dans des écoles comprend les deux chapitres "La Vidéo dans une école" (p. 141-191) "Le Journal vidéo" (p. 210-244) qui donnent une description de plusieurs projets vidéo animés par des intervenants du BELC, des projets qui portent sur l'analyse institutionnelle, sur renonciation collective et sur l'(auto-)évaluation. Les expériences de cette catégorie montrent qu'à l'aide de la vidéo, on peut faire travailler des enfants de huit à dix ans en équipes et stimuler l'autonomisation des groupes. La vidéo a également favorisé la communication entre différentes catégories d'enseignants et d'élèves.

L'ensemble de ces comptes rendus montre comment la vidéo dans des contextes différents peut être un instrument d'observation, d'analyse, d'interaction, d'(auto-)évaluation et d'apprentissage. Les auteurs insistent sur le fait que l'usage de la vidéo n'est pas une fin en soi, mais un outil qui peut faire voir, faire dire, faire entendre et faire échanger. En un mot: communiquer.

Le livre ne s'adresse donc pas spécifiquement aux professeurs de langues étrangères mais il est quand même frappant que toutes les notions mentionnées dans le paragraphe précédent sont justement des notions qui sont essentielles pour l'apprentissage communicatif d'une langue étrangère. L'usage de la machine vidéo globale dans l'enseignement d'une langue apparaît en effet comme un excellent moyen pour créer une situation de communication authentique. La vidéo peut être un moyen de fixer aussi bien la production linguistique des apprenants que le processus de travail qui a abouti à la production. Ainsi les enregistrements peuvent servir comme moyen d'auto-évaluation linguistique et d'analyse du processus d'apprentissage. Ce dernier point me paraît important, surtout pour les institutions qui forment de futurs enseignants de langues. Pour enseigner plus tard une langue, il est bon d'être conscient du processus d'apprentissage, à travers ses propres expériences.

Les auteurs abordent la question de l'autoscopie, une problématique centrale qui,
malheureusement, n'est qu'effleurée. La vidéo est un média d'une grande intensité. Qu'est-ce

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qui se passe quand on se voit et qu'on s'entend sur le petit écran? Pour l'individu, cela peut
être un événement déterminant ou même traumatisant, dont les conséquences n'ont pas
encore été observées ni analysées.

Le plus grand mérite de La Vidéo. Pour quoi faire? reste, à mes yeux, qu'il montre avec preuves à l'appui que la vidéo dans une institution éducative n'est pas forcément un outil uniquement destiné à la perception passive, mais qu'elle peut également, dans les mains d'un groupe qui désire exploiter ses possibilités, devenir un moyen d'expression et d'analyse. Ayant lu ce livre en qualité d'usager de la vidéo dans le domaine de l'enseignement et de la recherche, je n'hésite pas à le recommander vivement à ceux qui travaillent déjà avec ce média aussi bien qu'à ceux qui sont novices en la matière.

A propos de l'utilisation de la vidéo, voir en outre - pour l'enseignement des langues étrangères - Charles de Margene et Louis Porcher: Des Médias dans les Cours de langues, Paris, CLE International 1981, 111 p. et Les Langues modernes n° 1, 1984 ainsi que - pour la formation des enseignants - Revue française de Pédagogie n° 63, 1983.

Ecole des Hautes Etudes Pédagogiques du Danemark