Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

Travailler en projet, numéro 26 de PRATIQUES, déc. 1982, 128 p.

Annie Noer

Side 138

Le numéro de cette revue - revue publiée par le CRESEF (collectif de recherche et d'expérimentation sur l'enseignement du français) - est consacré à l'utilisation du travail en projet dans le cadre expérimental des Projets d'Action Educative (PAE) instaurés par la circulaire ministérielle du 24 août 1981 dans les établisssements scolaires. Ces PAE doivent permettre une "réelle démocratisation de l'enseignement".

Jean-François Halte, responsable de ce numéro, se propose de démontrer que le travail
en projet, "parce qu'il change fortement les conditions dans lesquelles on apprend, aboutit
à ce que l'on apprenne, plus, en plus grand nombre, plus de choses" (p. 5).

Il y a loin de l'apprentissage spontané en situation, dans la vie d'une enfant, à l'apprentissageen
milieu scolaire, d'autant plus que, par souci d'efficacité, l'école classe, hiérarchise,

Side 139

fragmente, élimine (les savoirs pratiques), et que, par souci de neutralité, elle écarte ou aseptise certains savoirs (sociologie, histoire...). Se voulant plus opérationnelle, l'école se coupe de la vie, coupure souvent fatale aux élèves. De ce fait, on passe d'une situation d'apprentissage à une situation d'enseignement: "l'élève n'est pas là pour apprendre, mais pour qu'on lui apprenne,pour être appris, pour être pris" (p. 15). J.-F. Halte, et Anita Weber dans son article, analysent les causes du dysfonctionnement scolaire. Il est dû à la rupture entre savoirs sociaux et savoirs scolaires, entre monde du travail et monde scolaire. Les pratiques scolaires sont orientées vers un apprentissage, réduit le plus souvent à un enseignementoù l'élève reste passif, alors que les pratiques sociales sont orientées vers une production, dans le sens le plus large du terme. L'école cherche à donner un maximum de connaissances en un minimum de temps; elle ne tient pas compte du fait que les rapports enseignant/élève ne se limitent pas à des rapports émetteur/récepteur. La psychologie cognitive, à la suite de Piaget, met l'accent sur l'importance des activités émotionnelles, affectives de cet apprentissage. Comme le souligne Anita Weber, c'est avant tout dans le milieu scolaire que se fait le processus de socialisation de l'élève.

La pédagogie du projet tend justement à donner un sens aux activités scolaires, un sens
que l'on peut comparer à celui des activités sociales; elle redistribue les rôles au sein de
l'activité pédagogique.

S'inspirant de Frank Smith dans son livre La compréhension et l'apprentissage, J.-F. Halte pense que "la faculté d'apprendre est inhérente à l'enfant, que l'usage de cette faculté lui est naturel, source de plaisir et de satisfaction, à tel point qu'apprendre contient sa propre récompense" (p. 18). Il s'agit donc de mettre à profit cette faculté. Si l'élève éprouve plaisir à résoudre un problème, encore faut-il que ce problème soit un vrai problème pour lui. Cette pédagogie doit donc donner la parole à l'élève, lui laisser une grande part d'initiative, ce qui va à rencontre de l'enseignement actuel, orienté avant tout vers l'émulation, la concurrence, l'individualisme.

J.-F. Halte souligne que ses articles ne se proposent pas de décrire une pédagogie -la pédagogie du projet-, mais qu'ils se limitent à la présentation et à l'analyse d'une pratique d'enseignement -le travail en projet- mettant par là même en évidence la différence entre les deux termes.

L'auteur fait remarquer que le travail en projet est issu de différents courants pédagogiques s'inspirant pour la plupart des réflexions de Freinet. Ses caractéristiques essentielles sont que "la production structure l'apprentissage" et que "l'organisation structure la production". L'idée directrice est que "l'on apprend parce que l'on fait et par ce que l'on fait" (p. 21), c'est-à-dire que, certains savoirs se révélant nécessaires pour mener à bien le projet, il y a automatiquement motivation et authenticité dans l'apprentissage. L'auteur remarque que les élèves ont tendance à concentrer tout leur intérêt sur le produit lui-même (exemples de productions sur le thème "Vivre au moyen-âge": saynètes et farces moyen-âgeuses, exposition: photos et documents sur le vieux Metz, montage audiovisuel), alors que l'enseignant s'intéresse davantage au processus, au trajet. Il est donc évident que le choix de l'objet à produire compte énormément pour la motivation des élèves. Il faut tout de suite remarquer que les expériences décrites par J.-F. Halte ont lieu dans des classes de cinquième et que ce sont des projets pluri-disciplinaires. Pour ce qui est de l'organisation, l'auteur souligne bien que l'enseignant doit s'intégrer dans le groupe et que le mot clé de la réussite du projet est négociation. Il comporte quatre étapes: contrat, rédaction, socialisation, évaluation.

Side 140

Le projet sur lequel l'auteur s'attarde le plus concerne la réalisation d'un roman historique
en classe de cinquième avec la collaboration de trois disciplines: français, histoire et dessin.

L'âge des élèves, leur nombre (24), rendent compte en grande partie du déroulement
du projet. Comment trouver, par exemple, un sujet qui apparaisse pertinent à tous les
élèves de la classe?

Le contrat établi dès le début, contrairement à l'habitude, donne la parole à l'élève;
puisqu'il s'agit d'un travail collectif, chacun est responsable devant chacun; par exemple
chacun devient lecteur du travail des autres.

L'étape dite de socialisation, qui consiste à préparer la mise en circulation du produit, les rapports entre producteurs et consommateurs me paraît bien moins importante que la socialisation qui invervient tout au long de l'expérience. L'auteur précise que la socialisation et l'évaluation se font tout au long de l'élaboration du projet.

Les contingences institutionnelles expliquent sûrement en partie l'importance accordée à la production, car "ce sont les résultats qui comptent", résultats tangibles, et, de l'accueil réservé au produit réalisé, dépendra l'avenir de cette forme d'enseignement dans l'établissement. Mais pourquoi attacher autant d'importance au produit? L'auteur souligne bien que pour lui le processus s'avère de loin la partie la plus intéressante, mais les élèves sont-ils trop jeunes pour en prendre conscience, pour comprendre les avantages de cette forme d'apprentissage tout au long de l'élaboration? Pourquoi ne pas insister davantage sur cet aspect-là auprès des élèves et au niveau institutionnel, puisque ces PAE ont été mis en place pour pallier l'échec scolaire et pour démocratiser l'enseignement? Attacher trop d'importance au produit comporte le risque de décourager les élèves dans le cas où le produit reçoit un mauvais accueil.

Il est certain que ces articles cherchent à persuader, non seulement le lecteur-enseignant, mais peut-être davantage les autorités, que le travail en projet se révèle plus efficace que l'enseignement traditionnel, puisque l'élève apprend "plus, en plus grand nombre, plus de choses". Il aurait été plus important, semble-t-il, de mettre l'accent sur le fait que l'enfant apprend mieux, qu'il apprend à apprendre, qu'il apprend autre chose de plus important qui lui permettra plus facilement de passer de l'école à la vie de société. Enfin il aurait fallu souligner à quel point la formation des enseignants joue ici un rôle primordial. On ne s'improvise pas directeur d'un travail en projet.

Bien que ces pratiques d'enseignement se limitent à la langue maternelle, elles ouvrent
des perspectives particulièrement intéressantes dans un domaine encore peu exploré en
France à en juger par la rareté des ouvrages et articles écrits en français sur ce sujet.

Le travail en projet dans l'enseignement des langues étrangères n'a pas encore fait l'objet de recherches en France - du moins à ma connaissance. Au Danemark, des expériences ont été faites dans ce domaine tant dans des lycées que dans l'enseignement supérieur, mais la structuration du travail est assez différente de celle qui est décrite par J.-F. Halte, en particulier sur les points suivants: le choix et la délimitation du projet incombent aux apprenants, et - fait capital lorsqu'il s'agit de l'apprentissage d'une langue étrangère - l'accent est mis autant sur le processus que sur le produit (voir l'article du Français dans le Monde,n° 180, oct. 1983: "Le travail sur projet").

Il faut signaler que ce numéro de PRATIQUES contient deux articles très utiles dans la
réalisation du travail en projet: "Méthodologie de l'enquête d'opinion" par Marie-Christine
Malien et "Pédagogie de la documentation" par Liliane Sprenger-Charolles.

Université de Copenhague