Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

Jean-Marc Care et Kathryn Talarico: Jeux et techniques d'expression pour la classe de conversation. Paris, BELC 1983. 228 p., multigraphié.

Karen Landschultz

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"Apprendre à communiquer c'est apprendre à agir - sur l'autre - par tous les moyens, avec son corps, avec son esprit." (p. 205). Cette remarque résume bien l'ambition de ce livre, qui est de développer chez les apprenants la capacité de lutter, de convaincre, de confirmer son identité, surtout par le moyen du langage. Les auteurs fournissent aux professeurs de français langue étrangère des jeux et techniques d'expression qui peuvent rendre l'enseignement stimulant, captivant et donc efficace. L'objectif final d'un enseignement d'expression orale est l'aptitude à communiquer; les auteurs sélectionnent donc des activités qui fournissent aux apprenants le besoin de parler entre eux, afin d'augmenter la compétence de compréhension orale et d'expression verbale, les jeux et techniques ne pouvant pas se dérouler sans une communication active.

Par leurs choix de jeux interactifs et de techniques, les auteurs font appel à l'imagination,
à la créativité, et cherchent à rendre les participants capables de réagir verbalement à des

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situations de communication imprévues ou au moins non contrôlées. Cette approche communicative,basée sur l'idée de créer soi-même son langage, implique que la communication en classe ressemble au langage quotidien. Les activités langagières ont ainsi un caractère moins artificiel que dans les cours traditionnels, mais il faut accepter que les dialogues entre les participants reflètent une communication pas très organisée (comme ne l'est pas non plus la communication de tous les jours), qu'il y entre des interruptions, des malentendus et même des fautes, la correction de ces imperfections devant être reportée à des séances ultérieures.

Un cours de langue étrangère qui n'a pas lieu dans le pays de cette langue sera toujours une situation artificielle. En effet, les apprenants y acquièrent une langue qu'ils ne parlent qu'en classe. Il est donc important de chercher à rendre la communication réaliste, tout en étant conscient qu'il est impossible de la rendre réelle. Les activités doivent, autant que possible, être centrées sur des thèmes qui réclament des participants un travail effectif, dans lequel ils doivent s'impliquer en tant que personnes, et qui font appel au besoin d'inventer.

Les idées de base ne sont pas tout à fait nouvelles, on le voit. Le mérite du livre est avant tout d'avoir comme point de départ des réflexions théoriques sur l'apprentissage d'une langue étrangère, de planifier consciemment les activités langagières et les connaissances linguistiques à développer, de donner des instructions pratiques claires et faciles à exploiter, et de s'appuyer sur des expériences concrètes.

Dans toutes les activités, il s'agit, d'une manière ou d'une autre, de résoudre un problème, de découvrir, de produire. Pour favoriser un enseignement dynamique et une communication directe entre les apprenants, les auteurs soulignent l'importance d'une division de la classe en petits groupes. Cette façon de travailler a en outre pour effet d'amener les participants à réfléchir sur leur manière d'apprendre et à avoir ainsi eux-mêmes une certaine initiative dans l'acquisition de la langue.

Tous les thèmes contiennent des indications sur l'objectif, la préparation, l'animation et
d'éventuelles variantes, - en tout 71 fiches, présentant de plus un nombre élevé d'exemples
linguistiques d'une grande valeur pédagogique. Les thèmes sont:

1. "Briser la glace", activités de présentation et d'identification, qui visent surtout à
créer une atmosphère de détente et à établir des prises de contact; il est en effet difficile de
communiquer ou de créer lorsqu'on est bloqué.

2. Improvisations, fluidité verbale et capacités d'approximation comprennent des techniques Réchauffement pour "délier les langues" (p. 53) et des techniques & approximation, qui sont proches des stratégies communicatives de la langue quotidienne, l'approximation étant un phénomène courant dans les cas où on ne trouve pas le mot juste. Les auteurs montrent comment on peut maintenir la communication et s'exprimer même avec un vocabulaire limité. L'importance de la gestuelle est soulignée et une liste des mots les plus "rentables" est donnée.

3. Enigmes, devinettes, jeux d'observation encouragent les interactivités; chaque participant
essaie de jouer tour à tour le rôle de questionneur et celui de questionné.

4. Puzzles pratiquent surtout les stratégies de communication. Les participants discutent
et reformulent plusieurs solutions à un problème pour arriver à une acceptation collective.

5. Parcours et damiers sont caractérisés par deux types d'interactions: réponses à des
consignes données, échanges d'informations.

Dans toutes ces activités entrent un bon nombre de phénomènes linguistiques de nature
très diverses: expression de l'identification, d'accord et désaccord, de mesures, vocabulaire

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de la description, de la possibilité, de la probabilité, de l'hypothétique, localisation dans l'espace, interrogation, argumentation, négociation, invitation, appréciation, présent-passé, concordance des temps, comparatif-superlatif, subordination des phrases, paraphrases. Il n'y a pas de progression pédagogique proprement dite dans le livre. La plupart de ces techniques peuvent être intégrées à une méthode, servant ainsi de suppléments à d'autres procédés.

Les objectifs des jeux comportent bien des activités différentes, comme le montre la liste ci-dessus. Quelques-unes des catégories reviennent à plusieurs reprises. Par contre on aurait pu souhaiter un travail plus intensif sur les verbes, par exemple. Mais il faut reconnaître qu'un grand nombre des catégories visées dans ces jeux ne sont pas toujours intégrées à un degré suffisant dans l'enseignement traditionnel, ce qui peut justifier leur place dans ce livre. Néanmoins, il aurait été souhaitable que les auteurs précisent plus directement le genre d'activité visée (vocabulaire, syntaxe, actes de parole, notions, fonctions) et qu'ils justifient explicitement leur choix. Les catégories ont-elles été choisies parce qu'elles sont considérées comme essentielles à la production langagière en général? Ont-elles été choisies parce qu'elles ne sont pas intégrées suffisamment dans l'enseignement traditionnel, donc par suite d'un manque? Ou ont-elles été choisies parce que les jeux eux-mêmes favorisent ces types d'activité, donc en fonction du jeu choisi?

Restent deux thèmes:

6. Simulation, études de cas, qui, souvent, reflètent des situations d'ordre socio-culturel. Ces activités n'équivalent pas au jeu traditionnel, il ne s'agit pas de trouver la solution. L'essentiel est de jouer des scènes puisées dans la vie quotidienne et de représenter une fonction ou un métier prédéterminé. Etant donné que le rôle attribué doit être joué avec une certaine fidélité, la simulation et les études de cas contiennent une bonne part de prévisible, ce qui présente un avantage par rapport aux activités scéniques plus libres. Dans les rôles en question, on peut mettre l'accent sur l'acquisition de phénomènes linguistiques spécifiques et ainsi les préparer avant le déroulement.

7. Jeu de rôles, dilemmes sont, par contre, directement basés sur l'improvisation, les activités langagières n'étant pas déterminées à l'avance. L'activité scénique, plus libre encore dans les jeux de rôles que dans les études de cas, nécessite le développement de stratégies communicatives, ce qui peut être la justification primordiale de ces jeux. Le jeu de rôles ne doit pas être identifié à la dramatisation, qui est caractérisée par des dialogues à mémoriser. Un personnage d'un jeu de rôles développe lui-même, à son gré, l'identité choisie. L'avantage du jeu de rôles par rapport à la simulation est aussi que tout ce qui caractérise le langage réel peut s'y intégrer, à savoir tout ce qu'il implique d'éléments rationnels et émotionnels, de même que la gestuelle peut y avoir une place non négligeable. — Une bonne discussion des différentes implications de ces types de jeux se trouve dans Jean-Marc Caré et Francis Debyser: Jeu, langage et créativité, Paris, BELC 1978, qui a d'ailleurs inspiré les remarques précédentes.

La question qui se pose à l'enseignant est celle-ci: Peut-on faire accepter à des adultes de prendre part à des activités ludiques qui leur paraissent peut-être au-dessous de leur niveau intellectuel? Cela doit dépendre étroitement de l'aptitude du professeur à animer un jeu, du groupe lui-même et de l'entourage culturel. Il aurait été souhaitable de connaître les expériences qu'ont faites les auteurs sur ce point. Le problème doit en premier lieu se poser pour les simulations/études de cas et jeux de rôles/dilemmes. Un bloquage psychologiquepeut constituer un obstacle insurmontable, même au professeur très doué pour motiver. Les auteurs signalent ici à quel point il est important d'expliquer aux participants

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l'objectif du jeu et de faire comprendre que le jeu n'est pas le but en soi, que c'est un moyen d'acquérir, tout en jouant, des aptitudes et des connaissances linguistiques. Une condition préalable nécessaire est donc de faire accepter ces points de vue. Dans quelle mesure peut-on intégrer ces techniques à l'enseignement? Là aussi il aurait été profitable de connaître l'opinion des auteurs.

Une autre objection est celle-ci: Le jeu correspond-il à un besoin réel chez l'apprenant? Le jeu satisfait peut-être un besoin de se distancer du concret, de traiter les choses d'une manière qui n'implique pas trop la personne, - et bien sûr le jeu peut amuser. Mais le fait de divertir ne peut pas être la force motrice d'une utilisation réitérée du jeu. Pour justifier les pratiques ludiques dans l'enseignement des langues, il faudrait démontrer qu'elles favorisent considérablement l'acquisition et la libération de l'expression. Les auteurs avancent comme argument en faveur de ces activités l'emploi réaliste de la langue et le fait que, contrairement à l'enseignement traditionnel, qui vise souvent à la reproduction et aux activités mécanistes, les jeux proposés encouragent la créativité, nécessaire au développement du langage et de la fluidité verbale, du fait que les situations de la communication elles-mêmes nécessitent de l'imagination, de la spontanéité.

Les auteurs ne cachent pas qu'ils se sont inspirés des recherches et expériences faites dans le domaine de l'anglais. A partir de là, ils ont réussi à établir un catalogue impressionnant de procédés pour le jeu, procédés qui sont justifiés pédagogiquement et linguistiquement. Les idées sont présentées d'une manière facilement abordable, en même temps que les auteurs prennent en considération des objectifs de nature différente. Cet ouvrage est une mine d'idées et sa structuration montre qu'il est possible - et nécessaire - de planifier, en tenant compte de tous les éléments qui entrent dans le développement de la compétence de communication. Le principal mérite de cet ouvrage est justement de joindre à des réflexions théoriques une application pratique. - En ce qui concerne les activités ludiques, on trouvera également beaucoup d'idées excellentes dans Hélène Auge, Marie-France Borot et Michèle Vielmas: Jeux pour parler Jeux pour créer, Paris, CLE International 1981 et dans François Weiss: Jeux et activités communicatives dans la classe de langue, Paris, Hachette 1983.

Il faut espérer que la pratique de l'exploitation de la créativité verbale se répandra dans l'enseignement des langues et que les ouvrages à venir continueront à approfondir les liens entre la théorie et la pratique. Un autre souhait est que les chercheurs parviennent à établir des bases théoriques solides définissant globalement la notion de compétence de communication.

Université de Copenhague