Revue Romane, Bind 19 (1984) 1

Marie-Alice Séférian

Notre ambition n'est pas — et ne peut pas être dans le cadre qui nous est imparti — de donner une vue d'ensemble des tendances actuelles de la didactique du français. Ce que nous avons tenté, c'est de rendre compte de quelques ouvrages parus en France depuis 1980, tout en les utilisant comme tremplins pour informer sur quelques points qui nous semblent intéressants dans le contexte qui est le nôtre, celui de la formation (initiale et continuée) d'enseignants de français langue étrangère.

Parmi les ouvrages recensés ici, les uns concernent exclusivement l'enseignement du français langue étrangère, tandis que les autres traitent principalement de l'apprentissage de la langue maternelle (ou de la formation des enseignants en général). On voit déjà les problèmes que soulève la question des publics visés. Peut-on employer les mêmes méthodes, les mêmes techniques dans l'apprentissage d'une langue seconde que dans l'enseignement d'une langue, dite maternelle, c'est-à-dire déjà maîtrisée - à un degré plus ou moins élevé - par l'apprenant? Il faut songer aussi à la différence de situation: âge, fonds culturel, environnement

Au cours des années 1970, les recherches et expériences en didactique des langues ont amené - sous l'influence de la pragmatique et de la sociolinguistique - à donner la priorité à la compétence de communication, comprise comme autre chose que la compétence purement linguistique et, par voie de conséquence, au document authentique, c'est-à-dire non conçu dans un but d'enseignement linguistique.

Depuis quelques années, de nouvelles tendances se manifestent, parfois dans des voies divergentes. Pourtant elles semblent toutes avoir pour origine ce concept de compétence de communication. C'est ainsi que la notion d'authenticité, primordiale dans une approche communicative et fonctionnelle, ne cesse de se transformer. On s'est rendu compte par exemple qu'on risquait souvent d'utiliser des documents authentiques dans des situations parfaitement inauthentiques. C'est pourquoi on a cherché à créer - par les simulations entre autres - des situations de communication "réalistes", sinon authentiques.

En examinant de plus près des textes authentiques - surtout les textes oraux spontanés, infiniment difficiles par ailleurs à collecter —, on s'est aperçu à quel point ils se prêtaient peu à servir de modèles. L'une des solutions actuelles est d'analyser ces textes pour pouvoir produire des textes "plausibles" (Henri Portine: L'argumentation écrite. Expression et communication, Hachette/Larousse Collection BELC 1983 p. 41). Le plausible se trouvant ainsi à mi-chemin entre l'authentique et le fabriqué, de même que la situation réaliste est entre le réel et l'artificiel.

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On trouvera dans le livre de Sophie Moirand, Enseigner à communiquer en langue étrangère
- Hachette, Recherches/Applications 1982, un bilan très complet de l'état actuel des
recherches en didactique des langues dans une optique communicative.

Une autre évolution se marque dans l'attitude à l'égard des deux aptitudes constitutives de la communication: la compréhension et la production. La première avait longtemps été tenue pour une activité "passive", comme si le lecteur ou l'auditeur se contentait d'enregistrer - ainsi qu'un magnétophone - des messages verbaux. On s'aperçoit maintenant que, dans l'acte de communication, le récepteur est en réalité aussi important que l'émetteur (on peut penser ici aux recherches dans le domaine de l'esthétique de la réception). Le récepteur "construit" du sens. C'est ainsi que Portine, adoptant une attitude "constructiviste" à l'égard de la communication, substitue les termes dénonciateur et de co-énonciateur à ceux d'émetteur et de récepteur.

De ces considérations découlent deux conséquences: d'une part la distinction radicale entre l'écrit et l'oral, puisque le processus de "co-énonciation" est totalement différent. D'autre part, l'importance donnée à l'apprentissage de la lecture (approche globale et analyse textuelle) pour acquérir la pratique de l'écriture. C'est ainsi que Sophie Moirand intitulait son livre, paru en 1979: Situations d'écrit. Compréhension, production en langue étrangère. (CLE international.)

Notons en passant qu'on peut voir dans ce couplage compréhension-production une des raisons du désintérêt que les didacticiens du français langue étrangère marquent à l'égard des textes littéraires. Le but étant de former des "écrivants" et non des écrivains. C'est ici l'occasion de souligner le mérite de Lita Lundquist qui, dans un manuel destiné, en principe, aussi bien à l'enseignement de la langue maternelle qu'à celui du français langue étrangère, (L'analyse textuelle, Méthode, exercices Nathan, Textes et non-textes 1982, recensé dans Revue Romane 18, 2 1983) présente tous les types de textes écrits et aborde, par l'analyse des textes de fiction, l'importante question des rapports entre le texte et le hors-texte.

Ce sont naturellement les recherches en linguistique textuelle et en narratologie qui ont permis aux enseignants de langues de dépasser les limites de la phrase. La notion de cohérence textuelle est ainsi apparue — dans une approche communicative — comme prioritaire par rapport à celle de correction morphologique ou syntaxique. On constate en tout cas que la grammaire proprement dite apparaît rarement dans les nouvelles théories d'apprentissage.

On peut considérer aussi le désintérêt des didacticiens de langue pour l'apprentissage traditionnel de la grammaire comme une conséquence du mouvement communicatif et fonctionnel. La faute n'étant plus considérée comme un élément négatif, mais comme une phase nécessaire dans le processus d'acquisition, on utilisera de plus en plus les productions langagières des apprenants comme sujets d'étude, afin d'accélérer ce processus.

C'est également dans le but de développer chez l'apprenant une réelle compétence de communication que l'on a mis en œuvre des techniques mettant en jeu la spontanéité et l'imagination. La créativité devient ainsi un des maîtres mots de la nouvelle pédagogie des langues.

Lorsqu'on considère les ouvrages de didactiques publiés en France, deux remarques s'imposent. Tout en mettant au premier plan les besoins langagiers de l'apprenant, les didacticiens français semblent refuser d'avoir égard à la langue première de l'élève ainsi qu'à ses habitudes culturelles. Peu d'études contrastives donc, et il est rarement question de la traduction comme exercice de préparation à l'expression.

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On remarquera en outre que l'enseignement du français est le plus souvent conçu comme la simple transmission d'un savoir et d'un savoir-faire. On oublie souvent que maîtriser une langue étrangère, c'est intérioriser un autre système de valeurs, c'est avoir accès à d'autres formes de pensée. Aucun apprentissage n'est innocent, celui d'une langue moins que tout autre. C'est précisément parce qu'elle met en jeu toutes les facultés individuelles de l'apprenant (cognitives, affectives et psychomotrices) que l'acquisition d'une langue étrangère doit être prise en charge par l'élève. L'autonomie (c'est là l'autre maître mot de la didactique des années 80) est indispensable, non seulement pour assurer l'efficacité de l'apprentissage mais aussi pour inscrire l'enseignement des langues vivantes dans un projet pédagogique global de formation de l'individu. L'un des pionniers en la matière reste l'angliciste Henri Holec. On vena en se reportant à son livre Autonomie et apprentissage des langues étrangères, Hatier 1979, comment la notion d'autonomie a évolué.

On saura donc gré aux auteurs de Pour un nouvel enseignement des langues et une nouvelle formation des enseignants (Gilbert Dalgalian, Simonne Lieutaud, François Weiss, CLE international 1981) de proposer une application des méthodes non-directives à l'enseignement des langues. On y retrouve l'idée d'authenticité dans la communication, une authenticité plus profonde, qui permet à l'apprenant de garder son identité, même lorsqu'il s'exprime dans une langue étrangère.

Dalgalian, Lieutaud et Weiss proposent comme perspective d'avenir l'instauration d'une éducation bilingue en Europe, s'insérant dans un nouveau projet de politique culturelle et linguistique. C'est une idée qui apparaît au premier abord comme très discutable. Il n'en reste pas moins que nous ferons nôtre leur conclusion. "L'Europe n'existera que si elle se construit dans le respect et la connaissance des identités nationales et régionales qui la composent." (p. 139). Le seul moyen de créer une conscience européenne ouverte sur le monde est de donner très tôt aux jeunes "l'accès direct à plusieurs langues et à plusieurs cultures constitutives de l'Europe." (p. 140).

Ecole des Hautes Etudes Pédagogiques du Danemark