Revue Romane, Bind 18 (1983) 2

Lita Lundquist: L'analyse textuelle - méthode, exercices. Paris, CEDIC, 1983, 159 p.

John Pedersen

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La parution du livre de Lita Lundquist constitue indiscutablement un événement intéressant pour les études de français, qu'il s'agisse des études en France ou ailleurs, qu'il s'agisse d'études à dominance linguistique ou littéraire. Voici en effet une pédagogue non française qui nous livre ses expériences et réflexions sur l'analyse textuelle, condensées dans un manuel très abordable et solidement fondé, édité dans la collection française "textes et non textes". Il faut avoir enseigné soi-même la discipline et avoir constaté la pénurie de manuels qui tiennent compte de la recherche récente pour apprécier à sa juste valeur l'intérêt que représente, pour les professeurs concernés, l'entreprise de Lita Lundquist.

L'auteur a fondé son livre sur la linguistique textuelle et notamment sur ses propres recherches concernant La cohérence textuelle (Copenhague, 1980). Dans le but de mieux souligner les rapports dialectiques entre le textuel et Vextra-textuel, l'auteur a choisi une méthode qui distingue six niveaux différents pour l'analyse: les niveaux pragmatique, thématique, sémantique, syntaxique, rhétorique et idéologique. Chaque niveau est présenté dans un chapitre à part qui développe les concepts et les outils fondamentaux pour le niveau en question et qui comporte, en outre, des exercices où l'étudiant est invité à répondre à des questions très précises sur des textes ou des extraits, afin de pouvoir comparer, par la suite, ses propres réponses avec celles que l'auteur suggère à la fin de chaque exercice. La disposition même du livre fait donc de ce manuel un instrument de travail très souple que l'étudiant pourra utiliser seul ou en classe. Nous reviendrons sur ce problème après avoir commenté brièvement les six niveaux déjà mentionnés et la présentation que l'auteur en fait.

Un des problèmes majeurs de l'analyse textuelle, en tant que discipline, est certainementcelui qui se pose à qui veut forger une méthode valable à la fois pour les textes de fiction et de non-fiction. Les lecteurs sauront gré à Lita Lundquist de ne pas avoir essayé d'éviter le problème quoi qu'ils ne seront sans doute pas tous entièrement d'accord avec l'auteur pour ce qui est de la façon dont elle a tranché ce problème difficile. C'est à proposdu niveau pragmatique qu'on pourrait d'abord hésiter, car le schéma de la page 18 illustrebien que l'auteur a parfois beaucoup sacrifié à la clarté de l'exposé, ici peut-être au détriment d'une juste présentation de la complexité des phénomènes. Il semble, en effet, qu'on simplifie un peu trop les choses en disant, comme le fait l'auteur dans ce schéma, que les textes de non-fiction sont dans un rapport immédiat, sans intermédiaire, avec l'universréel, là où les textes de fiction auraient comme intermédiaire l'imagination. Toute la richesse des commentaires que nous offre l'auteur dans les exercices qui suivent, nous

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montre qu'elle n'est pas dupe elle-même de ses simplifications; mais, plus un schéma initialest simple, plus il est à craindre que les étudiants s'en tiennent à cela, ce qui ne semble guère souhaitable en l'occurrence. Le chapitre, dans son ensemble, reflète d'ailleurs les difficultés qu'il y a à faire entrer les textes de fiction sous la coupe de la pragmatique; les remarques concernant le point de vue en témoignent notamment.

Ces problèmes se retrouvent, dans une certaine mesure, à propos du niveau thématique, mais ce qui domine, dans ce chapitre, ce sont d'excellentes pages sur la cohérence des textes de non-fiction (pp. 4548) et sur l'étude de la cohérence des dialogues (pp. 56-61). De nouveau, les textes de fiction "font problème": il n'est guère satisfaisant d'utiliser le même concept "thème" pour les deux catégories, surtout si l'on est amené à considérer les éléments constitutifs de l'univers fictif (personnages, temps, espace) comme thèmes du texte narratif. Cet inconvénient risque de n'être pas seulement d'ordre terminologique.

Les niveaux sémantique et syntaxique sont traités dans deux chapitres particulièrement réussis. On y admire sans réserves la compétence de l'auteur et ses talents pédagogiques, et ces remarques sont valables pour le texte de présentation aussi bien que pour les exercices.

Le chapitre sur le niveau rhétorique s'ouvre par des propos historiques qui ne soulignent peut-être pas assez l'essor et la nouvelle orientation des études rhétoriques depuis 1970. Ensuite l'auteur présente, très succintement, une série de procédés stylistiques où l'on ne distingue pas entre tropes et figures, ce qui en fin de compte n'est peut-être pas très grave.

C'est en abordant le chapitre final sur l'idéologie que le lecteur découvre tout à fait les implications de la méthode choisie par Lita Lundquist. Après de fort judicieuses réflexions sur les rapports dialectiques entre idéologie et langue, l'auteur revient en effet ici sur les niveaux déjà présentés pour expliquer la nécessité d'analyser chacun d'entre eux dans une perspective idéologique aussi. C'est peut-être le chapitre le^plus intéressant avec de nombreux éléments fort utiles pour les étudiants; mais c'est aussi le chapitre qui semble confirmer que l'auteur s'est rendu la tâche trop difficile, en voulant forger une méthode pour l'analyse de n'importe quel texte. Comme nous l'avons déjà constaté pour les niveaux pragmatique et thématique, ce sont les textes de fiction qui paient les frais de cette opération. Au dernier chapitre, l'auteur semble bel et bien ne plus en tenir compte, et c'est probablement ici la solution idéale, car cette catégorie de textes "dérangent" un peu la disposition des matières à travers le manuel. Cependant on sait bon gré à l'auteur d'avoir osé cette tentative pour tout embrasser; en étudiant le livre de Lita Lundquist, on peut en effet apprendre bien des choses sur les particularités des textes de fiction, particularités qui se révèlent ici en creux pour ainsi dire. L'apport fondamental du manuel reste cependant les remarquables suggestions pour l'analyse des textes de non-fiction. Ces suggestions seront très utiles pour tout étudiant, mais c'est probablement dans l'enseignement "normal", avec un professeur, que le manuel rendra les plus grands services. Bien des étudiants auront, en effet, besoin d'un peu de direction pour se retrouver dans les écarts considérables entre la présentation très pédagogique et très claire de Lita Lundquist et celle des références, souvent assez difficiles, qui accompagnent son texte. Il est également souhaitable qu'un enseignant puisse approfondir et "étayer" la concision scrupuleuse que s'est imposée l'auteur, (et qui est, en soi, louable).

Le bilan est donc largement positif pour cet instrument de travail mis à notre dispositiondans une situation où l'analyse textuelle semble encore se chercher en tant que "discipline". En effet, à quoi bon l'analyse textuelle? Dans son avant-propos, Lita Lundquistindique comme son triple but la compréhension des textes, la production de textes et, troisièmement, un but critique. Voilà qui semble exclure, une fois de plus, les textes

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de fiction, car les étudiants ne sont guère censés passer à la production de textes de ce registreaprès l'analyse. Peut-être devrait-on s'efforcer d'englober dans une seule conception les deux autres aspects, et peut-être aurait-on intérêt aussi à se demander quelle pourrait être la fonction particulière de l'analyse de textes rédigés dans une langue étrangère? Une autre question pourrait porter sur la future fonction des étudiants. En effet ceux-ci ont peut-être besoin de différents types de formation en analyse textuelle, selon qu'ils se destinentà une carrière pédagogique, "littéraire" ou, par exemple, commerciale? L'envie qu'on a de poser ce genre de questions est significative de l'importance que revêt le travailde Lita Lundquist. Son livre mérite assurément qu'on l'utilise et qu'on le discute; y a-t-il de plus beau compliment pour un manuel?

Copenhague