Revue Romane, Bind 18 (1983) 2

Nos ancêtres les Gaulois. Actes du Colloque International de Clermont-Ferrand [juin 1980] recueillis et présentés par Paul Viallaneix et Jean Ehrard. Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université de Clermont-Ferrand 11, 1983.492 p.

Hans Peter Lund

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En dehors des grands anniversaires, prétextes les plus fréquents à l'organisation de colloques, plus de cinquante chercheurs se sont rassemblés pour s'interroger sur le mythe des Gaulois et les représentations qu'on s'en est faites à des époques différentes. Le résultat que voici témoigne d'une interdisciplinarité fructueuse et montre les variations d'un thème qui traverse la littérature, l'anthropologie, l'historiographie, les beaux-arts... et les bandes dessinées. Les 40 communications, les introductions, les résumés des débats, les illustrations prêtent matière à réflexion.

Une question s'impose dès le départ: le titre du colloque renvoie-t-il à un mythe véritable qui serait le mythe des origines de la France, ou les images des Gaulois formées au cours de l'histoire sont-elles à ce point sujettes aux besoins idéologiques qu'il faut parler non de mythe, mais de représentations diverses? Jean Ehrard pose la question dans son discours d'introduction et y revient encore dans le débat final. Au fait, on n'a pas tellement étudié, au colloque, le fonctionnement du soi-disant mythe gaulois ou d'un récit mythique des Gaulois — c'est Paul Viallaneix qui pressent ce manque — et, apparemment, il n'existe aucun mythe 'fondateur' comme celui de Rome auquel Michel Serres vient de consacrer un livre fascinant, Rome, le livre des fondations (Grasset, 1983). Le "mythe" des Gaulois est donc plutôt, à ce qu'il semble, une "réponse à une situation de crise", ou un "discours sur l'identité collective" (Bronislaw Baczko).

En effet, cette fonction est, d'abord, établie par certaines des communications qui considèrent le "mythe" d'avant la Révolution, pai exemple chez Le Maire des Belges qui "s'efforce de donner à la France un passé glorieux, en y intégrant l'histoire glorieuse des Gaulois" (Claude-Gilbert Dubois), obéissant ainsi à des "intérêts politiques". Que cet effort puisse aboutir à la construction d'un mythe, cela se voit plus tard chez un dom Jacques Martin (La Religion des Gaulois, 1727; Histoire des Gaules..., 1752-1754) qui accorde une place aux Gaulois dans l'histoire des peuples remontant à une même origine, celle que désigne la Bible. Par ailleurs, c'est au XVIIIe siècle que commence l'intérêt pour les documents et autres matériaux concernant les Gaulois. Des membres de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres s'intéressent à l'étrange religion des Druides (Duelos, Fréret), et la représentation des Gaulois dans Y Encyclopédie, œuvre des progrès et non des origines, ne comporte aucun aspect mythique, mais illustre plutôt une certaine anthropologie. Nouvelle fluctuation enfin vers la fin du siècle, où les "braves Gaulois" font leur apparition comme image fixe chez les poètes (Saint-Lambert, Roucher...); ici encore l'inexistence d'un mythe gaulois au XVIIIe siècle se confirme.

Par contre, et en dépit de la présence étonnamment faible des Gaulois dans les textes épiques romantiques, un grand changement se produit à la Révolution: une nouvelle mise en marche de l'Histoire - et le renouveau de l'historiographie et de la philosophie de l'histoire qui en suit. L'intuition mythologisante et personnelle de Chateaubriand est décisive, et cela dès VEssai sur les Révolutions. On admire la finesse avec laquelle Béatrice Didier retient ici la rencontre du moi romantique et de l'Histoire, où les Gaulois ont leur rôle - nationaliste et poétique - à jouer, rôle confirmé par Jean-Maurice Gautier à propos de l'épisode de Vellédadans les Martyrs. lout aussi révélatrice est la place des Gaulois chez les historiens attentifsaux mythes collectifs. Après l'ouvrage d'Anquetil, Histoire de France... (1803), celui d'Amédée Thierry (voué à une plus grande postérité, puisque, édité en 1828, il paraîtra encoreen 1835, 1844, 1857, 1858 et 1866!) se présente, selon l'auteur lui-même, comme

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"une biographie qui a pour héros un de ces personnages collectifs appelés "peuples" dont se compose la grande famille humaine". L'image sympathique de ce "personnage" peinte par Amédée Thierry a sans doute contribué à former l'image mythique qui se développe tout au long du XIXe siècle. De son côté, Michelet, s'il ne nie pas l'originalité du peuple gaulois, accorde,comme on le sait, beaucoup d'importance aux "additions étrangères", selon son idée d'une histoire dynamique. L'origine de la France, ce n'est pas tellement les Gaulois que le peuple français, encore que l'idée d'égalité - sur ce point important je renvoie à Ylntroductionà l'histoire universelle - est clairement attribuée par Michelet aux Gaulois, puisque "le sacerdoce gaulois" surgit "non pas de la naissance et de la chair, mais de l'initiation, c'est-àdirede l'esprit, de l'égalité"; les Druides sortent du peuple!

Quoiqu'il soit impossible de mettre sur le même rang les représentations mythologisantes - expression que je préfère au "mythe" proprement dit - chez Chateaubriand, Thierry et Michelet (pour nous en tenir à ces trois-là), il me semble que c'est dans la philosophie romantique de l'histoire qu'on trouve ces valeurs et cette tendance valorisante qui, en passant par le travail d'Henri Martin (pour lequel "des usages des Gaulois étaient barbares, mais leur âme était grande"), aboutissent aux Gaulois de l'imagerie officielle, sculptures et tableaux, en particulier après la défaite de 1870. Que la liste est longue, rien que celle qui énumère les Gaulois sculptés et détruits par fait de guerre (Anne Pingeot)! C'est ici que le mythe domine - comme supplément, dirait-on, aux progrès réels effectués par la recherche autour de 1900, et aux Gaulois de Renan, élément de stagnation et de déchéance dans l'évolution...

L'image des Gaulois dans l'enseignement constitue presque un chapitre à part. Dans l'histoire de la nation, introduite comme sujet obligatoire dans l'enseignement primaire en 1867, Vercingétorix et ses compagnons ont leur part dans la "Revanche". Il est très instructif de considérer, dans certains manuels scolaires plus proches de nous, l'image des Gaulois déterminée par le contexte politique immédiat. En 1948, les Gaulois, vivant un peu "comme les paysans d'aujourd'hui", sont heureusement colonisés par les Romains qui "firent à peu près ce que les Français ont fait dans leurs colonies (...). Ils construisirent de belles routes bien pavées..." En 1965, c'est le progrès matériel qui importe: "Comparez la ville gallo-romaine au village gaulois, Où préféreriez-vous vivre?" A l'école élémentaire, Vercingétorix n'est plus, en 1979, un héros national comme vers la fin du siècle dernier, mais un chef de guérilla... Mythe des origines, mythe vivant? Les Gaulois, c'est bien plutôt un mythe exploité, et actuellement épuisé, à en juger d'après les manuels de l'enseignement secondaire et leur approche "scientifique" des ancêtres, "froide, sceptique, aseptisée" (Suzanne Citron).

Ce colloque a porté un démenti à l'existence d'un Mythe gaulois, et j'aimerais retenir du débat final les propos de Michel Morineau qui propose le terme de "réactivation" du thème gaulois. Plutôt que d'insister sur l'attitude changeante des différentes époques par rapport à un mythe, et à un seul mythe, on a, en fait, parlé d'une représentation toujours modifiée des Gaulois. Cependant, autant qu'un mythe, ces représentations sont révélatrices: elles témoignent des différents systèmes de valeurs qui échelonnent l'histoire de la France, de la tendance à vouloir se donner des origines valables pour le présent, ou, inversement, à se tenir à une distance ironique par rapport à tout mythe, distance qui est le propre d'Astérix. Enfin, c'est la "pluralité du "mythe" et des fonctions très diverses qu'il a pu assumer à différentes époques" (Jean Ehrard) qui ressort de ce livre, qui, dans toutes ses parties, fait preuve d'une érudition impressionnante et d'une verve entraînante.

Copenhague