Revue Romane, Bind 18 (1983) 2

Le désagréable dans la syntaxe

par

David Gaatone

Le mot "désagréable", que l'on utilise ici faute d'un terme plus approprié, doit être pris dans un sens très large. Il recouvre le domaine de la violence physique ou verbale (injures, insultes), celui des actes condamnables aux yeux d'une communauté donnée ou, plus simplement, des événements considérés comme fâcheux par cette même communauté. Cette notion, parfaitement subjective, semble cependant nécessaire à la définition d'un nombre, peut-être considérable, d'unités lexicales. Il paraît par exemple difficile, sinon impossible, de distinguer sémantiquement le verbe commettre d'autres verbes tels que exécuter, accomplir, ou même plus simplement faire, sans avoir recours à la notion d'"action blâmable", comme le font le Robert et le DFC. L'introduction d'un trait de cette espèce permet de rendre compte d'une manière naturelle de l'inventaire relativement restreint et sémantiquement cohérent des compléments possibles de ce verbe (une erreur, une gaffe, un crime, une imprudence, une injustice, etc.). Elle permet aussi d'expliquer le transfert de sens que subit, dans le contexte de commettre, tout nom qui ne désigne pas intrinsèquement une action blâmable, comme par exemple, dans la phrase suivante, à connotation ironique:

Roland a commis plusieurs poèmes dans sa jeunesse

Le verbe traiter (quelqu 'un) de doit être distingué de son correspondant "neutre" appeler, et peut-être aussi de qualifier (quelqu'un) de, par ses implications injurieuses, péjoratives, mentionnées par le Robert et le DFC, mais non par le GLLF, dont les exemples attestent pourtant tous l'existence de ce trait additionnel {traiter d'hypocrite, d'ambitieux, etc.). Il va sans dire que, dans ce cas, comme dans celui de commettre, même un mot que rien a priori ne prédestine à servir d'injure, peut le devenir, par contamination, dans le contexte de traiter de:

Dans ses moments de colère, sa femme le traite de linguiste

Le verbe encourir constitue un autre exemple. Son complément désigne ordinairement,comme le notent d'ailleurs les dictionnaires, "quelque chose de fâcheux,de dangereux": reproche, peine, mépris, blâme, haine, etc. Ceci semblevrai également d'un autre verbe qui lui est très proche, à savoir: s'exposer

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à, dont les compléments possibles sont de la série ennui, danger, critique, inconvénient,etc., c'est-à-dire, de Tordre du désagréable. Par opposition, mériterest neutre, contrairement à mérite, orienté positivement (mériter une récompense,un châtiment, louer les mérites de quelqu 'un).

A la limite, on pourrait même mentionner le cas d'une expression telle que espèce de qui, employée dans des apostrophes, semble bien n'avoir d'autre trait sémantique que celui, précisément, de marqueur d'injure. D'où souvent la difficulté, voire l'impossibilité, de la traduire dans d'autres langues. Comme dans les cas précédents, tout terme neutre qui sera associé à cette expression, recevra de ce fait même valeur d'injure:

Espèce d'abruti, espèce de linguiste!

Les exemples qu'on a vus jusqu'ici comportent tous, dans la description sémantique qu'en donnent la plupart des dictionnaires, le trait "désagréable" (sous diverses apellations). Il en est cependant d'autres où ce trait n'est pas explicitement mentionné bien que les exemples proposés ne laissent guère de doute à ce sujet. C'est le cas, me semble-t-il, du verbe insinuer, dont la définition, dans quelques dictionnaires, tels que le Robert, le GLLF et le DFC, est approximativement donner à entendre sans dire expressément. Rien donc, dans cette définition du contenu de insinuer ne restreint la classe des compléments possibles. Cependant, les énoncés illustrant les emplois de ce mot comportent tous un objet désignant un procès désagréable:

II insinue que la mésentente règne dans leur ménage (DFC)

Insinuer à quelqu'un que son entourage le dessert (Robert)

La question qu'insinuez-vous par là?, comme d'ailleurs, et d'une façon encore beaucoup plus tranchée, le nom insinuation, impliquent clairement une séquence désagréable. Insinuation, par exemple, est en général suivi d'épithètes telles que perfide, mensongère, calomnieuse, etc.. Il n'y a là, sans doute, rien de très étonnant. Ce qu'on ne veut pas dire expressément à son interlocuteur a beaucoup de chance de lui être déplaisant. Mais bien qu'il s'agisse là d'une forte tendance plutôt que d'une absolue nécessité, on imaginerait mal un énoncé tel que le suivant:

II insinue que nous sommes des gens bien

à moins d'avoir affaire à nouveau à un emploi ironique où gens bien est considéré
comme une injure (voir ci-dessus les exemples du même type avec commettre,
traiter de, espèce de).

Le verbe ou auxiliaire faillir me paraît être un autre bon exemple de notre problème. Les dictionnaires voient dans faillir, suivi d'un infinitif, un auxiliaired'aspect et utilisent dans sa définition les paraphrases être sur le point de ou l'adverbe presque. Mais, comme l'indiquent clairement là encore les exemples proposés par ces mêmes dictionnaires, et comme le pense au moins un grammairien (cf. Dauzat, 1947:198), un événement désagréable est en tout

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cas fortement probable avec ce verbe, ce qui n'est pas le cas avec les exprès
sions utilisées pour le paraphraser:

II avait failli périr

II faillit plusieurs fois être renversé par les voitures

De la peste jusqu'au cou! Il ne l'a pas eue, mais il a bien failli l'avoir (GLLF)

La voiture a failli flamber

Nous faillîmes tomber (DFC)

Ils ont failli oublier

La soupe a failli brûler (Robert)

On serait étonné, en revanche, de lire // a failli survivre ou // a failli réussir à l'examen, sauf, bien entendu, dans un sens ironique. Le fameux j'ai failli attendre attribué à Louis XIV fait sourire précisément à cause des implications désagréables de faillir.

Si, comme on a tâché de le montrer à l'aide de ces quelques exemples, la notion pragmatique de "désagréable" joue, dans le lexique, un rôle dont l'importance reste encore à déterminer, il est plus curieux encore de constater qu'elle a également des répercussions sur la syntaxe. On se propose, dans ce qui suit, de montrer la pertinence de cette notion à travers l'étude de deux structures syntaxiques du français qui ne semblent pas avoir beaucoup attiré jusqu'ici l'attention des grammairiens.

1. La construction factitive pronominale

L'interprétation la plus ordinaire des constructions factitives (dites aussi causatives) simples, c'est-à-dire non pronominales, fait intervenir, outre le premier actant du procès désigné par le verbe à l'infinitif, un "instigateur" extérieur à ce même procès. Si la phrase

Le médecin est venu

parle d'une action et d'un agent de cette action, la phrase factitive

Les parents ont fait venir le médecin

introduit en plus le terme les parents, interprété ici comme désignant les instigateurs
de l'action du médecin.

Parallèlement à cette construction factitive, il en existe une à forme pronominale. Si l'on préfère une autre formulation (cf., par exemple, Gaatone, 1975), une construction factitive est compatible, sous certaines conditions syntaxiques et sémantiques qu'on ne discutera pas ici, avec un pronom clitique réfléchi, tout comme un verbe simple peut se combiner, sous certaines réserves, avec un tel pronom. Ce pronom réfléchi correspond à l'objet premier (direct) ou à l'objet second (à préposition à) du groupe verbal factitif:

Roland fait inviter ses amis

Roland se fait inviter

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Roland fait envoyer une invitation à ses amis

Roland se fait envoyer une invitation

Cette construction va normalement de pair avec un complément d'agent introduit par les prépositions par ou de (cf. Gaatone, 1976a et 1976b). Elle ne doit pas être confondue avec la construction factitive résultant de l'association de l'auxiliaire faire avec un verbe pronominal:

Je les ai fait se regarder dans la glace

Dans ce cas, le pronom réfléchi est régi par le verbe à l'infinitif, constituant de
la construction factitive, et non plus par le verbe factitif complexe tout entier.

L'interprétation de la construction factitive pronominale (CFP) est à l'interprétation de la construction factitive non pronominale correspondante ce que l'interprétation des verbes pronominaux (réfléchis et réciproques) est à celle des verbes non pronominaux correspondants. Les phrases suivantes s'opposent entre elles de la même façon:

Roland soigne ses enfants

Roland se soigne

Roland fait soigner ses enfants

Roland se fait soigner

Autrement dit, dans le cas le plus ordinaire, qu'elle soit pronominale ou non, la construction factitive conserve son trait sémantique essentiel, la différence ne touchant qu'au rapport entre le sujet et l'objet. Il peut cependant être important de remarquer que, contrairement aux trois interprétations possibles, théoriquement du moins, des verbes pronominaux régulièrementl dérivés des verbes simples, à savoir, la réfléchie, la réciproque et la moyenne {les gens se voient dans la glace, les gens se voient dans la rue, ça se voit...), les CFP ne peuvent être que réfléchies. Le sujet grammatical y représente, comme d'ailleurs dans la construction factitive non pronominale, l'instigateur d'un procès dont l'acteur est un autre, mais dont il est en même temps le patient ou le destinataire:

Roland s'est fait soigner

Roland s'est fait acheter le journal

Parler, dans la CFP, d'un instigateur, suppose qu'on attribue à celui-ci une activité volontaire. Or, s'il est bien vrai que c'est là sans doute le sens le plus ordinaire qui s'attache au sujet grammatical de la CFP, il n'en reste pas moins que celle-ci peut quelquefois recevoir, comme l'ont noté de nombreux linguistes, une lecture sensiblement différente. Ainsi la phrase:



1: Ce qui exclut naturellement les verbes dits "intrinsèquement pronominaux", dont le sens n'est pas, ou n'est plus, dérivable synchroniquement d'un verbe simple, que celui-ci existe ou non.

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Roland s'est fait écraser par un train

sera considérée par la plupart des grammaires et des dictionnaires comme une véritable construction passive. Pour la grammaire Larousse, par exemple, se faire descendre (où descendre doit sans doute être pris dans son sens populaire), est équivalent à être descendu comme se faire entendre équivaut à être entendu (1964:327). J. Dubois, quant à lui, postule une chaîne d'équivalences entre les énoncés suivants (1967:124):

La police l'a pincé sur le fait

II a été pincé sur le fait par la police

II s'est fait pincer sur le fait par la police

Le parallélisme établi avec la construction passive peut se justifier dans la mesure où il semble que le trait sémantique "activité volontaire" (ou "intentionalité", selon le terme de E. Spang-Hanssen, 1967:139), n'est plus présent dans le contenu attaché aux sujets grammaticaux de ces exemples. On les interpréterait plutôt comme de simples patients d'un procès que comme des instigateurs d'un procès. Cette différence ressort clairement de la comparaison des exemples de Dubois avec les constructions passive et factitive suivantes:

Roland a été soigné par un excellent médecin

Roland s'est fait soigner par un excellent médecin

Dans la première de ces phrases, le sujet renvoie à, si l'on peut dire, un patient
passif, alors que, dans la seconde, il renvoie à un patient instigateur,
,"'p!l.sjiirp à ììt. riîitii>r!t artif

c est-a-aire, a un patient acuì.

Mais, à y regarder de plus près, il n'y a pas non plus véritable identité de
sens entre la construction passive proprement dite et la CFP à lecture passive.
Hors contexte, on peut certes poser une équivalence

Roland s'est fait écraser par un train

et

Roland a été écrasé par un train

Mais il suffit d'un contexte plus spécifique pour constater que les deux structures ne commutent pas librement ou n'ont pas partout le même degré d'acceptabilité ou de "naturel". Ainsi, seule la CFP à lecture passive paraît convenir dans les contextes suivants (où l'astérisque marque le manque de naturel plutôt que l'agrammaticalité):

Elle est folle. Elle se fera écraser par le tramway. (Danell, 1979:62)

*Elle est folle. Elle sera écrasée par le tramway.

Lui, avait coupé les ponts de tous les côtés et réussi à se faire rejeter de chacun, (ibid.)

*Lui, avait coupé les ponts de tousles côtés et réussi à être rejeté de chacun.

Le problème réside sans doute dans le fait que le sujet de la CFP à lecture passive,tout
en ne désignant pas un instigateur comme celui de la CFP à lecture

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active, réfère néanmoins àun patient "responsable"2, dans une certaine mesure,du procès exprimé par le verbe. Aucune responsabilité, en revanche, n'est impliquée par la phrase passive proprement dite. Comme le notent certains linguistes (entre autres,Gross, 1968:44, Kayne, 1977:378, DFC, article faire), les deux constructions ont bien un sens proche, mais non pas identique. Il faut, d'autre part, distinguer le cas de la CFP à lecture passive de celui de certains verbes pronominaux non factitifs, auxquels d'aucuns ont également attribué une lecture passive avec nuance de responsabilité. Il s'agit, en particulier, de se tuer:

Pierre s'est tué en voiture

Dubois (1969:41) note est tué comme l'une des deux valeurs de ce verbe. Boons et alii (1976:151) remarquent que le sujet est interprété dans ce cas comme responsable, mais pas comme "actif. Deux observations me paraissent devoir être faites à ce sujet. En premier lieu, la CFP implique nécessairement, outre le "responsable", un agent, explicite ou implicite, du procès désigné par le verbe, ce qui n'est pas le cas pour le pronominal ordinaire. C'est pourquoi seule la première des deux phrases suivantes paraît acceptable:

Roland s'est tué dans une avalanche
*Roland s'est fait tuer dans une avalanche

D'autre part, l'association de la forme pronominale avec cette valeur particulière de responsabilité, en admettant qu'une telle valeur apparaisse effectivement dans le cas de se tuer, ne constitue certainement pas un modèle productif. L'exemple de se tuer est celui qui revient sous toutes les plumes.

Revenons-en à la CFP à lecture passive. S'il est vrai qu'à cette construction s'ajoute une nuance sémantique, par rapport à la construction passive, de responsabilité du sujet, c'est-à-dire, en fait, si l'on pense que l'auxiliaire factitif ne s'est pas entièrement vidé, dans ce contexte, de son sémantisme primitif, on doit s'attendre à ce que des phrases passives à sujet non animé n'aient pas de CFP correspondantes:

Les récoltes ont été détruites par la grêle
*Les récoltes se sont fait détruire

La proposition a été rejetée par tousles députés
*La proposition s'est fait rejeter par tousles députés



2: Mantchev (1976:70), discutant les diverses valeurs de la construction factitive, pense au contraire que "à la limite, le sens de cette construction devient fataliste car le premier sujet n'est nullement responsable de l'acte accompli et que l'agent pourrait être la situation générale...". Les deux exemples cités à l'appui de cette thèse ne paraissent cependant pas relever de la même analyse: La petite s'est fait écraser ... elle ne savait pas se faire servir

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Les jouets ont été écrasés pai le train
*Les jouets se sont fait écraser par le train

Remarquons d'ailleurs qu'à l'inverse il existe aussi des CFP à lecture passive
auxquelles ne correspondent pas de phrases passives:

Un confrère s'est fait infliger une leçon de convenances à l'occasion d'une question
malvenue (Le Monde)

Les riches dames mûres se faisaient voler leurs bijoux dans les thés dansants par des
gigolos argentins (Spang-Hanssen, 1963:130)

... pour me faire flanquer un coup de fusil... (Sandfeld, 1965:436)

La CFP en effet, quelle que soit sa lecture, a cet avantage sur la construction passive qu'elle peut prendre pour sujet soit l'objet direct d'un verbe actif à objet unique {il s'est fait écraser), soit l'objet second à préposition à d'un verbe à deux compléments {elle s'est fait voler ses bijoux). Les exemples ci-dessus auraient donc été impossibles à la forme passive avec des sujets animés, tous compléments d'objet second du verbe dans la phrase active (cf. Spang-Hanssen,

*Un confrère a été infligé une leçon...

*Les riches dames mûres ont été volées leurs bijoux

*J'ai été flanqué un coup de fusil

Si l'on veut donc faire de cet objet second, sémantiquement, souvent le destinataire ou bénéficiaire du procès, le thème de la phrase, en le mettant en position sujet, la CFP. à lecture passive bien entendu, constitue un bon procédé pour pallier la carence du passif. Dans des cas de cette espèce, la valeur sémantique particulière de la CFP semble laisser le pas à la simple lecture passive, et la CFP n'apparaît plus que comme une variante contextuelle de la construction passive. On sait que d'autres constructions, utilisant comme auxiliaire le verbe voir, jouent un rôle analogue dans des cas encore beaucoup plus nombreux (cf. Gaatone, 1970 et Bat-Zeev-Shildkrot, 1980):

Un confrère s'est vu infliger une leçon

On a vu que les CFP peuvent avoir deux interprétations différentes: une interprétation active, qui correspond à celle de la construction factitive non pronominale et que l'on peut donc considérer en quelque sorte comme primaire, c'est-à-dire, comme dérivant des caractéristiques syntaxiques de ce type de phrases; une interprétation passive, qui, elle, n'a pas de correspondant ailleurs et qui, de ce fait même, a suscité un peu partout des observations. Mais qu'est-ce donc qui impose à la CFP cette lecture pour ainsi dire déviante? Voyons d'abord quelques exemples:

Je vais me faire engueuler par mon rédacteur en chef (Danell, 1979:62)

Mais maintenant je voulais mon congé. Je me serais fait hacher comme chair à saucisse
plutôt que d'y renoncer (ibid. 103)

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II se fit houspiller par un vieux monsieur qu'il avait bousculé par mégarde (DFC, article

C'est un écolier qui s'est fait écraser (Stimm, 1957:589)

Tu t'es fait enlever par un gendarme (ibid.)

Abélard se fit rosser (Van Hout, 197:290)

M. Tom Jackson s'est fait huer à Hyde Park (Express)

Mais en 1970, les Anglais se sont fait distancer par les autres Européens (ibid.)

Mais il se fait publiquement morigéner par Pierre Mauroy (ibid.)

La plupart des gens ne peuvent pas nager 100 m. sans avoir peur de se faire happer
par quelque monstre... (ibid.)

Mme Jiang Qing s'est finalement fait expulser du tribunal spécial de Pékin (Le Monde)

Je me suis fait arrêter pour une histoire de ramassage d'argent (ibid.)

Il n'a pas le temps de s'évader, donc il se fait piéger (ibid.)

Il a trouvé le moyen de se faire accuser de malhonnêteté (GLLF, article faire)

Elle s'est fait renverser par une voiture (ibid.)

Merci! Pour aller se faire casser la tête par les Prussiens (Sandfeld, 1965, t. 5:436)

II s'est fait battre par ses adversaires (Dubois, 1967:124)

Qu'est-ce qu'une décoration, puisque ce sont toujours les décorés qui se font tuer les
premiers? (Damourette et Pichón, t. 5, 1911-1950:807)

II s'était fait tellement exécrer que personne ne voulait plus le servir (ibid.)

Notons au passage que ces deux dernières phrases ne sont pas distinguées par
les auteurs des CFP à lecture ordinaire, comme:

L'aveugle se fait conduire par son chien

Tu t'es fait traduire la lettre

Ces exemples, ajoutés aux précédents, montrent clairement que la lecture passive de la CFP est étroitement liée au sémantisme du verbe. Celui-ci appartient invariablement au domaine de ce que l'on a dénommé plus haut le "désagréable", terme qu'utilise aussi, pour décrire le sens de certaines de ces constructions, E. Spang-Hanssen, (1967:140), dans lesquelles il est traité, selon lui, "d'actes violents ou désagréables", ou encore "d'ennuis". Aux verbes qui figurent dans les phrases citées, on pourrait en ajouter beaucoup d'autres qui imposeraient eux aussi une lecture passive à une CFP. Mentionnons entre autres abattre, assassiner, assommer, condamner, conspuer, bousculer, chahuter, chasser, exclure, insulter, mettre à la porte, évincer, prendre en flagrant délit, etc. On remarquera qu'un même verbe sera plus ou moins compatible avec notre construction selon que son association avec d'autres mots dans la phrase l'orientera ou non vers le désagréable. L'énoncé

Le ministre s'est fait mal accueillir par la population

sera sans doute ressenti comme une CFP à lecture passive tout à fait normale,
ce qui ne semble pas être le cas pour l'énoncé

?Le ministre s'est fait bien accueillir par la population

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En effet, l'interprétation passive ne va pas de pair avec bien accueillir, expression qui ne relève pas du domaine du désagréable. D'autre part, même une lecture active de cette phrase paraît improbable, du fait de la difficulté pragmatique que soulèverait l'idée d'une connivence entre le ministre et la population. En revanche, les phrases passives correspondant à ces deux exemples sont toutes deux également naturelles.

De même, arrêter et relâcher ne s'opposent pas seulement sur le plan sémantique, mais aussi sur le plan pragmatique: ils sont inversement orientés par rapport à la notion du désagréable. De là, le caractère peu naturel de la phrase

Roland s'est fait relâcher hier

en dehors, bien entendu, de tout contexte plus spécifique, tel que, par exemple,
grâce à ses relations, qui orienterait vers une lecture active, face à la parfaite
acceptabilité de

Roland s'est fait arrêter hier

Les phrases passives correspondantes, au contraire, ne diffèrent entre elles que
par l'antonymie des deux verbes et ne présentent aucune différence dans leur
degré d'acceptabilité:

Roland a été relâché hier

Roland a été arrêté hier

On a mentionné, en début de cette étude, certains éléments lexicaux dont la définition semblait devoir comporter le trait "désagréable". Ce trait caractérisant également les verbes et expressions verbales qui imposent une lecture passive à la construction factitive pronominale, on peut raisonnablement s'attendre à ce que ces deux inventaires de mots se combinent sans difficulté aucune, autrement dit, que les unités lexicales à trait "désagréable" soient permises dans les CFP. il en est ainsi, par exemple, de faillir et de traiter de, dont les propriétés syntaxiques sont par ailleurs compatibles avec leur insertion dans les CFP:

Paul s'était fait traiter de bourgeois (Ch. Rochefort)

Nous avons failli nous faire écraser

Théoriquement du moins, la lecture passive des CFP à verbe "désagréable" n'est jamais qu'une lecture supplémentaire. La lecture active, volontaire, la seule qui corresponde à la lecture de la construction factitive non pronominale correspondante, est toujours possible, bien qu'elle ne soit pas très probable. On peut, par exemple, attribuer une interprétation active (masochiste) à la phrase:

Roland s'est fait gifler par sa maîtresse

De même, la phrase

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Roland s'est fait cambrioler

peut parfaitement décrire une action concertée par Roland lui-même pour faire payer sa compagnie d'assurances. Mais il faut reconnaître que ce ne sont pas là les interprétations les plus naturelles de ces phrases et le locuteur ou scripteur ne pourra les imposer qu'en ajoutant des informations additionnelles. Ce fait s'explique aisément si l'on admet que le calcul de la signification d'un énoncé doit prendre en considération, outre le sens des entités lexicales et celui des fonctions syntaxiques (sans parler des facteurs suprasegmentaux et de l'ordre des éléments dans la phrase), des données d'ordre pragmatique. C'est bien la lecture active, volontaire, qui est fondamentale dans la CFP3, découlant directement de l'agencement des éléments dans la séquence. Celle-ci ne devient ambiguë, avec préférentiellement une lecture passive, que lorsque le verbe (ou expression verbale) principal désigne un procès désagréable, pour une société donnée et à une époque donnée. Il est en effet "anormal" d'admettre qu'un être humain soit l'instigateur volontaire de procès dont il serait lui-même la victime.

2. L'emploi de dessus pour des animés

On peut voir dans le mot dessus4, que de nombreuses grammaires considèrent comme un adverbe (cf., entre autres, Grevisse, 1980:1105), la variante contextuelle de la préposition sur devant pause ou, si l'on préfère, en emploi absolu, c'est-à-dire, sans complément, celui-ci étant sous-entendu (non répété ou effacé dans un contexte de substitution)s. Les exemples suivants illustrent cet emploi:

Je me suis assis sur une pierre

*Je me suis assis dessus6 une pierre

J'ai vu une pierre, je me suis assis dessus

* J'ai vu une pierre, je me suis assis sur (elle)

II faut encore ajouter qu'en français moderne, dessus est normalement réservé aux compléments non animés. Les compléments animés, ou peut-être est-il préférable de parler dans ce cas de compléments humains, n'admettent généralement pas la suppression pure et simple, ni, en conséquence, la variante dessus de la préposition:



3: II faut cependant mentionner ici la position de Stefanini (1971:124), pour lequel, dans une optique guillaumienne, tout verbe pronominal peut, de par sa composition même, exprimer aussi bien l'actif, un mélange d'actif et de passif et le passif.

4: Comme aussi dans dessous et dedans.

5: Pour une discussion plus détaillée de cette question, voir Ruwet, 1969 et Gaatone, 1972:41-44, 1981:197- ainsi que Damourette et Pichón, 1911-1950, t. 3:302.

6: Cet emploi, si l'on en trouve encore des exemples dans la langue écrite, n'appartient plus au français standard.

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Roland est honnête, vous pouvez compter sur lui
* Roland est honnête, vous pouvez compter dessus7

Ces enfants sont très jeunes, veillez sur eux
*Ces enfants sont très jeunes, veillez dessus

II existe cependant une structure syntaxique où dessus est admis et même seul
admis, en relation avec un complément humain, comme dans la phrase:

On lui a marché dessus

La caractéristique la plus évidente de cette construction est l'emploi absolu de dessuÊ, mais en cooccurrence avec un pronom clitique datif, représentant un complément humain. La présence du pronom datif dans ces contextes est en fait indépendante de la transivité du verbe, comme le montre l'exemple ci-dessus, où le verbe est intransitif et refuserait tout complément datif en dehors de ce contexte spécifiqueB. D'autre part, ce pronom datif serait interdit avec un antécédent non animé:

Cette plante est fichue; quelqu'un a marché dessus

Cette plante est fichue; * quelqu'un lui a marché dessus

Comme on l'a déjà vu plus haut, ce type de complément admet la suppression pure et simple en contexte de substitution, ce qui entraîne l'emploi de la variante dessus de la préposition sur, mais non la cooccurrence de dessus et de lui (représentant le pronom datif en général).

Cependant, si un antécédent humain est une condition nécessaire à cet emploi
très particulier de dessus, il n'est pas pour autant une condition suffisante:

Roland est honnête; vous pouvez compter sur lui

Roland est honnête; *vous pouvez lui compter dessus

Ces enfants sont très jeunes; veillez sur eux

Ces enfants sont très jeunes; *veillez-leur dessus

On ne peut agir sur lui que par la persuasion
*On ne peut lui agir dessus que...

Elle a jeté sur lui un furtif regard
*Elle lui a jeté dessus un furtif regard

Manifestement, il existe une contrainte autre que purement syntaxique (cooccurrence de dessus et de lui), ou purement lexicale (caractère humain du complément). Il est temps de rechercher cette contrainte au moyen d'un corpus un peu plus fourni:

J'aime autant qu'on me marche dessus (Sandfeld, t. 1:54)

II va nous tomber dessus (ibid.)



7: A moins d'interpréter compter sur cela.

8: Pour d'intéressantes remarques sur la syntaxe de cette construction et d'autres qui en paraissent proches, voir Kayne, 1977:139-142.

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Les lettres anonymes avaient dû lui tomber dessus (ibid.)

Il nous bave dessus (ibid.)

Cette pierre lui tombera dessus (Kayne, 1977:139)

On lui a crié dessus

Je lui crache dessus

Tape-lui dessus

Ne dites plus ça ou je vous jette cette pierre dessus

II saute aux yeux que le trait commun sémantique à toutes ces phrases, dont le modèle syntaxique peut se résumer sous la formule LUI (+HUMAIN) V DESSUS, réside dans le caractère "désagréable" du procès désigné parle verbe, plus particulièrement, semble-t-il ici, une violence physique ou verbale. Là encore donc, on se trouve en présence d'une relation étroite entre une certaine structure syntaxique et la valeur pragmatique attachée à certaines expressions. L'auxiliaire faillir, dont on a vu qu'il pouvait servir de révélateur de cette même valeur pragmatique, doit être compatible avec notre structure:

Moi, j'ai failli vous tirer dessus (Sandfeld, t. 1:54)

Cette pierre a failli lui tomber dessus

Bien entendu, la CFP à lecture passive et la construction LUI (+HUMAIN) V
DESSUS étant liées toutes deux à la notion de désagréable, on doit pouvoir
trouver des exemples où les deux structures sont imbriquées l'une dans l'autre:

Roland s'est fait taper dessus

Nous nous sommes fait crier dessus

Nous avons failli nous faire cogner dessus

Notons encore l'exemple suivant d'imbrication, stylistiquement marqué, où
l'insertion d'un mot intrinsèquement neutre dans une structure typiquement
rattachée au désagréable, lui confère automatiquement cette même valeur:

Ça m'était égal de me faire sourire dessus (Ajar)

II semble qu'avec une expression à double sens (propre et figuré), telle que
mettre la main sur quelqu'un, la structure LUI (+HUMAIN) V DESSUS ne
sera possible que pour le sens figuré, lequel relève du domaine du désagréable:

Son père a mis la main sur lui pour le bénir
*Son père lui a mis la main dessus...

?La police a enfin mis la main sur lui

La police lui a mis la main dessus

On a peut-être affaire à un emploi ironique du sens figuré dans l'exemple suivant,
cité par Togeby (1965:750):

II y a pas mal de jeunes filles qui seraient contentes de te mettre la main dessus

Certes, cet emploi particulier de dessus est assez généralement considéré

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comme appartenant àun niveau de langue familier ou même populaire9. Mais, outre le fait qu'une forme familière ou populaire, lorsqu'elle représente une construction productive, fait elle aussi partie de la compétence linguistique et, à ce titre, mérite autant qu'une autre d'être décrite, il faut encore remarquer que la forme soignée théoriquement correspondante ne semble pas lui être entièrement équivalente. Comparons, par exemple, les deux phrases suivantes:

On a crié sur nous

On nous a crié dessus

La première, relevant d'un niveau de langue soigné, utilise obligatoirement un pronom non clitique (disjoint) derrière la préposition et donne, de ce fait, plus de relief au complément qu'au verbe: elle "rhématise" en quelque sorte, le syntagme prépositionnel. A l'inverse, c'est bien essentiellement sur le procès que paraît porter l'information dans la seconde phrase. On serait donc en présence de deux types de phrases différents plutôt que de variantes libres appartenant chacune à un autre niveau de langue. Quoiqu'il en soit, c'est là une question qui mériterait une étude plus détaillée.

Il est diffìcile de dire, dans l'état actuel de nos connaissances, quelle est l'importance réelle de la notion pragmatique de désagréable pour la description lexicale et syntaxique. Mais on espère au moins avoir montré, à travers cette brève étude de deux phénomènes spécifiques à la syntaxe du français moderne, que c'est une notion indispensable pour une meilleure compréhension de certaines structures de phrases.

David Gaaîone

Tel-Aviv

Résumé

II s'avère que l'attitude de la communauté linguistique à l'égard de certains procès et événements, et plus particulièrement à l'égard de ceux qu'elle considère comme désagréables, n'est pas sans avoir des répercussions sur le système linguistique. Dans cette étude, on s'efforce de montrer, à travers l'analyse de deux types de phrases peu étudiés jusqu'ici, le lien étroit existant entre la notion pragmatique de désagréable et la syntaxe du français moderne.



9: Brunot (1965:412) note cependant qu'elle est très ancienne et aujourd'hui très commune. - Le Trésor ne fait aucune remarque sur le niveau de langue de cette construction.

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