Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

Don Alfred Monson: Les «Ensenhamens» occitans. Essai de définition et de délimitation du genre. Paris, Klincksieck, 1981. 192 p.

Jonna Kjær

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Le livre de Monson (du College of William and Mary, Williamsburg, Virginia) est curieux
sous plusieurs rapports: autant pour les résultats obtenus que pour la méthode et sa présentation.

A la fin du livre, Monson arrive à délimiter le corpus des ensenhamens à neuf (sic!) poèmes. Il ne faut donc plus se fier à l'article du Dictionnaire des Lettres françaises (vol. 1, Le Moyen Age) et croire que «le genre de Vensenhamen fut très développé dans la langue d'oc du Moyen Age», ou qu'il est question, comme dans cet article, de toute une littérature didactique qui présente des conseils ou des instructions sur n'importe quel sujet. - Monson définit son genre comme «du didactisme courtois», ce qui lui permet de restreindre considérablement le nombre de textes qui méritent la désignation Vensenhamen.

Deuxième point non moins étonnant: pour élaborer une définition du genre en question, Monson utilise le corpus de neuf poèmes établi par Bathe dans son article Der Begriff des provenzalischen «Ensenhamen» (1904). Lt à la fin de son livre et après beaucoup de labeur, Monson nous annonce que son propre corpus défini et délimité coïncide avec celui constitué par Bathe! Procédé assez circulaire, si j'ose dire. L'argumentation circulaire est d'ailleurs ce que Monson reproche aux critiques de tendance sociologique: «(...) le danger, que n'ont su éviter entièrement les savants italiens, d'un argument circulaire: on étudie la société à travers

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la littérature pour ensuite comparer la littérature à la conception de la société ainsi établie.»
(p. 60).

Malgré l'insistance de l'auteur sur la perfection de son propre travail, sur son apport important aux recherches existantes et sur sa propre compétence aux dépens de la critique antérieure, il constate en fin d'étude, je le répète, que ses recherches «semblent confirmer que les neuf poèmes retenus par le savant allemand (Bathe) sont sinon les seuls ensenhamens, tout au moins les plus probables», (p. 165). Ni le nom de Bathe ni son travail ne sont mentionnés dans la Conclusion. Là, «Nous (Monson) sommes arrivé à un canon de neuf poèmes que nous considérons comme les ensenhamens les plus probables.» (p. 167).

La structure du livre de Monson est peu claire: pourquoi ne pas nous dire dès le départ qu'il s'agit d'examiner le corpus établi par Bathe en le comparant aux genres qui s'y apparentent le plus, puisque c'est là le contenu réel du livre. Et pourquoi le lecteur doit-il glaner comme il peut, au cours des cinq chapitres du livre, les éléments épars qui servent finalement à définir ce fameux genre de neuf poèmes? Ce n'est que dans le troisième chapitre du livre que Monson propose résolument certains traits qui doivent caractériser de façon discriminatoire les ensenhamens. Mais ces traits sont complétés en route, dans les chapitres suivants.

Monson avance une «théorie évolutive», déduite de l'hypothèse que le genre «rend explicites les implications morales de la lyrique des troubadours». Le genre des ensenhamens est «un genre dérivé et relativement tardif, un genre en évolution qui a sa naissance à la fin du XIIe siècle et son dernier écho au début du XIVe siècle.»

Monson insiste sur la «littérarité» des poèmes: «Ils ne peuvent être compris à fond sans référence à la tradition poétique des autres genres courtois». Voilà ce qui semble représenter pour Monson son concept opérationnel et sa méthode. Et voilà pourquoi (?) i! décharge d'énormes injures contre «la thèse sociologique» (dans le chapitre 11, sur l'historique des recherches). Malgré son rejet méprisant et intransigeant de ces «savants italiens» (Parducci, Sansone et Margoni), Monson leur consacre non moins de quatorze pages de son livre, tandis que Bathe, dont «les conclusions nous (à Monson) paraissent une base fondamentale pour toutes recherches dans ce domaine», n'a droit qu'à neuf pages, qu'ii partage d'aiileurs avec son prédécesseur Bohs.

Après cette condamnation sans appel de la critique sociologique, Monson lance son dernier atout, sous forme de question: «Ne pourrait-on pas envisager entre la lyrique et les ensenhamens une influence directe, qui n'ait pas besoin de passer par la société?» (p. 59). La question en tant que telle peut surprendre - et surtout si on la compare à ce qui est dit quelques pages plus loin: «Ce que l'on cherchera à établir, ce n'est pas une influence d'un texte sur un autre, mais simplement un point de repère qui permette de mieux juger des qualités particulières de chacun. D'ailleurs, une telle influence peut exister ou ne pas exister sans affecter la validité de nos recherches, toutes soumises à des fins descriptives et typologiques.» (p. 65). (Je note entre parenthèses que Monson ne s'embarrasse pas de distinctions subtiles entre «genres» et «types»).

Dans les deux volets formés par l'lntroduction et la Conclusion de son livre, Monson explique d'abord qu'il avait voulu soumettre les principaux ensenhamens à une analyse poétique approfondie, mais que, s'étant rendu compte qu'il n'y avait chez les critiques «aucun accord sur ce que c'est qu'un ensenhamen», il a cru bon d'entreprendre préalablement à l'étude des textes, une enquête sur la définition et la délimitation du genre. Cette enquête est devenue l'ouvrage présent.

Dans la Conclusion, Monson promet de se consacrer prochainement à une étude littéraire
approfondie des neuf textes en question et il dit qu'il pourra peut-être se livrer aussi un jour
à une étude d'ensemble, par genre poétique, des conceptions courtoises.

Je tiens à souligner que si le livre de Monson me paraît assez confus, tant par la théorie
éventuellement sous-jacente que par la présentation, il contient néanmoins des informations

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intéressantes sur les groupes de textes avec lesquels Monson compare les ensenhamens, d'une part les textes de la tradition courtoise: la chanson, les «novas», les allégories d'amour, les saluts d'amour (chapitre IV), et de l'autre les textes didactiques: les épîtres, les traités religieuxet pratiques et les «sirventes» pour jongleurs (chapitre V). Ces textes sont traités à la lumière des ensenhamens (ou est-ce l'inverse?) et pour en être écartés. Notons le plaisir presquesadique que semble éprouver Monson à anéantir la possibilité, aussi mince soit-elle, d'inclurecertains de ces textes dans le canon des ensenhamens, comme ont voulu le faire d'autres critiques: «tout éloigne ces poèmes des ensenhamens», «nous pouvons sans hésitation les éliminer désormais de notre considération», «ne suffit pas pour que nous retenions l'œuvre parmi les ensenhamens», «est donc à rayer de la liste», etc.

Bathe, dans un article qui fait suite à celui de Der Begriff..., semble plus circonspect et plus libéral quand il désigne le corpus des neuf textes comme Die moralischen «Ensenhamens» im Altprovenzalischen (article de 1906). Par la restriction «moralisch», Bathe situe son groupe à l'intérieur d'un ensemble plus vaste de textes didactiques - ce qui ouvre le champ à d'autres travaux, à d'autres chercheurs. Cela me paraît scientifiquement très sage.

Parlant sagesse, je me demande si le ton désagréablement arrogant et exagérément polémique
du livre de Monson peut être dû au fait que l'auteur n'écrit pas dans sa langue maternelle?

Le moment est venu de révéler, au terme de cette présentation, à la Monson, quels sont
enfin ces neuf poèmes - les ensenhamens «les plus probables»:

El termini d'estiu de Garin lo Brun, Qui comte vol apendre d'Arnaut Guilhem de Marsan, Razos es e mezura d'Arnaut de Mareuil, Aissi co-l tesaurs es perdutz (YEnsenhamen d'onor) de Sordel, Abril issi' e mays intrava de Raimon Vidal de Besalú, Sitôt non es enquistz de N'At de Mons, En aquel mes de mai (YEnsenhamen de la donzela) d'Amanieu de Seseas, El temps de nadalor {YEnsenhamen del escudier) du même poète, L'autrier, mentre ques ieu m'estava (YEnsenhamen del garso) de Peire Lunel de Montech.

Copenhague