Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

Else Marie Bukdahl: Diderot, critique d'art II. Rosenkilde et Bagger, 1982.394 p.

John Pedersen

La thèse de doctorat d'Else Marie Bukdahl, parue en 1980, portait sur «théorie et pratique dans les Salons de Diderot» et offrait aux chercheurs une abondance de réflexions judicieuses fondées sur un dépouillement très consciencieux des matériaux. Il est heureux que Mme Bukdahl ait eu le courage et les forces de mener à bonne fin ce vaste projet, sans rien sacrifier des exigences méthodologiques scrupuleuses qui caractérisaient sa thèse. En effet ce tome II complète fort heureusement les résultats déjà acquis en élargissant la perspective jusqu'à comprendre ici «Diderot, les salonniers et les esthéticiens de son temps». Le but de l'auteur est de nous montrer le dialogue, explicite aussi bien qu'implicite, que mène Diderot avec les critiques d'art de son époque, et il est en effet impressionnant de voix la richesse des matériaux que nous offre l'auteur sans que, pour autant, les grandes lignes du dialogue nous échappent. Le sujet est passionnant, il s'agit de rien de moins que de la naissance de la critique d'art moderne, et on peut, avec l'auteur, s'étonner que ces problèmes aient été jusqu'ici assez peu étudiés. Parmi les questions soulevées à l'époque, et destinées à une longue existence, est celle de la fonction sociale de la peinture, et il est intéressant de trouver dans ce débat entre autres Bachaumont, dont les Mémoires secrets ne portent pas que sur la république des lettres.

Sa grande réceptivité fait que Diderot reste ouvert à presque tout ce qui se déroule dans les débats artistiques de son temps. L'auteur reprend ici un point central de sa thèse, à savoir la dialectique fondamentale qui existe entre théorie et pratique chez Diderot critique d'art. Avant tout, elle souligne l'originalité de la contribution de Diderot quand il conçoit la totalité artistique comme une totalité fonctionnelle. Son originalité par rapport aux critiques d'art contemporains se reflète par ailleurs, et à titre d'exemple, dans la citation suivante: «Diderot est le seul à utiliser délibérément et méthodiquement les différents procédés poétiques et méthodes narratives pour décrire et interpréter les aspects de l'entité artistique qui ne pouvaient être traduits par des concepts ou catégories» (p. 365).

Comme le montre nettement le passage cité, l'auteur ne perd pas de vue la totalité de la personnalité complexe et parfois déroutante de Diderot. Ce travail s'inscrit dans la longue série d'ouvrages des dernières décennies qui se sont donné pour tâche de retrouver l'unité derrière les domaines multiples et les attitudes apparemment contradictoires qui caractérisent les activités de celui qui représente de plus en plus la modernité du XVIIIe siècle. La pluridisciplinarité de l'auteur des Salons pose de graves problèmes méthodologiques. Avec son ouvrage riche en perspectives stimulantes, Else Marie Bukdahl fait la démonstration brillante qu'il est possible de surmonter ces problèmes; notre connaissance réelle de Diderot en est considérablement augmentée.

Copenhague