Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

J.M. Meisel and M.D. Pam (eds.): Linear Order and Generative Theory. Amsterdam Studies in the Theory and History of Linguistic Science Séries IV, Current Issues in Linguistic Theory Vol. 7. John Benjamins 8.V., Amsterdam 1979, 512p.

Finn Sørensen

Comme son titre le suggère, ce recueil d'articles traite du problème de l'ordre des mots dans le cadre de la grammaire generative. Ce problème a connu un certain renouveau depuis la publication de l'étude typologique de Greenberg (1963) et depuis l'introduction de la notion de structure profonde dans la grammaire generative, cf. Chomsky (1965).

L'article qui sert d'introduction présente le problème de l'ordre des mots et son traitement dans différentes théories linguistiques. Dans tous les autres articles, cf. la liste à la fin de ce compte rendu, les auteurs s'efforcent par contre de démontrer l'importance d'un problème ou d'un point de vue spécifique. Presque tous les auteurs retiennent un niveau linguistique proche de celui de la structure profonde où sont définies les notions fonctionnelles du type sujet, objet direct etc. Cependant, ils ne sont d'accord ni sur le nombre d'informations qu'il faut intégrer dans la structure profonde d'une phrase ni, par conséquent, sur la nature d'une dérivation. Von Stechow constitue une exception: il traite le problème de l'ordre des mots à l'intérieur du cadre théorique inspiré par les travaux de Montague.

Pour Hudson et pour Sanders, les éléments de la structure profonde ne sont pas ordonnés, mais seulement hiérarchisés par les relations de dominance. Ils adoptent par cpnséquent une notion de dérivation qui leur permet de faire dériver l'ordre linéaire de la structure superficielle dont l'existence n'est niée par personne. Pour Peterson, la structure profonde d'une phrase est un ensemble de structures ordonnées. Lui préfère donc une notion de dérivation qui lui permet de choisir une structure superficielle parmi les structures profondes. Enfin Werth et Hall pensent qu'il faut faire intervenir dans la dérivation d'une phrase des notions ayant un rapport direct avec la fonction de la phrase dérivée dans le discours.

Dans les quelques remarques que je ferai ci-dessous, j'utiliserai le français pour illustrer
mes propos. Les langues étudiées dans ce recueil d'articles sont l'anglais, l'allemand et-le yiddish.

Dans son introduction (p. 3), Vincent fait observer qu'il faut distinguer entre ordre réel et ordre descriptif. L'ordre réel est celui qu'on attribue aux éléments appartenant à un domaine empirique donné. L'ordre descriptif est celui qu'on établit entre les symboles appartenant à la théorie avec laquelle on travaille. Celle-ci ne représente pas nécessairement celle-là parce qu'on peut introduire un ordre dans une théorie dans le seul but d'en faciliter la formulation.

A ces deux types d'ordre, on peut ajouter l'ordre empirique qui est un ordre descriptif

Side 121

dont on prétend qu'il représente un ordre réel. Ce que contestent Hudson et Sanders, c'est à la fois le statut empirique de l'ordre descriptif de la structure profonde et sa nécessité en tant qu'ordre descriptif. Pour eux, on peut et on doit se débarasser de l'ordre imposé aux éléments appartenant à une structure profonde. Ils diraient par exemple que la structure profonde de (1) est (2J et que la structure superficielle (4) est dérivée de (2) par les règles de sérialisation (3). Il faut remarquer que la notion de dominance est applicable à la fois aux structures (2) et (4), tandis que celle d'ordre ne l'est qu'à la structure (4):

(1) La solution en est claire, (en =du problème)

(2) (S(NP(NP la solution) (pp en)) (yp(y est) (AP claire)))

(3) a. (s(NP x) (vp z)) "* ÍSINP xl tVP zll

b. (s(pp en) (y x)) => [§[v en [y x]]|

c. (yp(v x> (AP z» =" ÍVPIV xl UP ZH

(4) [SINP la solution] [yp[y en [y est]] [ap claire]]]

(3a) place un NP sujet à gauche du syntagme verbal. (3b) place le pronom en devant le verbe.
(3c) place le prédicat adjectival après le verbe.

La dérivation de (4) par (3b) me semble une possibilité intéressante parce qu'on peut
aussi faire dériver (5) par (3b). (5) est supposé dérivé de (6):

(5) Pierre en trouvera la solution.

(6) (s^NP Pierre)(vp(y trouvera)(]\jp la solution (pp en))))

Si cette extension se montre acceptable, on aura une solution simple et presque banale à un
problème épineux qui tracasse les grammairiens du français depuis longtemps, cf. Ruwet
(1972) et Couquaux (1979).

Pour Werth et Hall, la structure profonde est toujours ordonnée, et Werth prétend même démontrer la «préférabilité» économique d'une théorie qui permet la formulation des règles de déplacement et pas seulement des règles de sérialisation ou de restructuration comme celles que j'ai illustrées dans (3). Son argument est basé sur la généralisation reproduite dans (7), cf. (p. 240):

(7) Eléments undergo movement in order to restore the emphatic structure, i.e.


DIVL2607

La formulation de (7) présuppose que la phrase est une unité de discours. F(ocus) marque le ou les constituants de la phrase qui sont porteurs d'une information nouvelle par rapport au contexte qui précède la phrase en question. C(ontraste) marque un constituant dans la phrase qui nie implicitement un autre constituant qui le précède dans le discours. Réduction) marque un constituant qui répète une information déjà mentionnée dans le discours, cf. (p. 219 ss.).

Pour établir (7), Werth propose des structures emphatiques du type cité dans (7) et les
attribue aux phrases citées dans (8)- Les syntagmes soulignés sont supposés placés dans
leur position par une transformation de déplacement:

(8) Pierre semble être heureux.

(9) Pierre a été tué par Jean.

(10) Pierre est difficile à comprendre.

(11 ) C'est Pierre que j'ai vu.

A mon avis, Werth n'arrive pas à démontrer qu'il y a un contenu empirique intéressant dans (7). Il montre bien quelle est la structure emphatique des phrases qu'il analyse, y compris les phrases du type mentionné dans (8)- Il est vrai aussi que les générativistes font souvent dériver les phrases (8)- par transformation. Mais le point faible de (7), c'est le fait que Werth démontre aussi qu'une phrase comme (12):

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(12) Pierre est arrivé hier soir

peut avoir la même structure emphatique que les phrases (8)- si on l'insère dans un contexte plus large. Puisque (12) n'est pas dérivé par une transformation de déplacement on peut attribuer à (12) et aux phrases (8)- leur structure emphatique au niveau de la structure superficielle. Et on n'aura pas besoin de savoir si telle ou telle phrase est dérivée par déplacement ou non. Voilà la raison pour laquelle (7) est sans contenu empirique.

Pour terminer, je voudrais mentionner un fait intéressant sur lequel Werth et Hall insistent beaucoup. Les grammairiens disent souvent qu'il y a plusieurs types de langue, y compris les langues à ordre libre. Une langue à ordre libre permet au même ensemble de mots de se réaliser en plusieurs ordres différents. Le latin est l'exemple typique d'une telle langue. En s'appuyant sur l'anglais et le yiddish respectivement Werth et surtout Hall prétendent que l'ordre des mots qui paraît être libre au niveau de la phrase devient obligatoire ou déterminé au niveau du discours. Si ce postulat se montre acceptable, il pourra servir de base à une théorie reliant entre elles les propriétés de la phrase en tant qu'unité isolée et celles provenant de la phrase en tant qu'unité constituante du discours.

Copenhague

Articles:

N. Vincent: Word Order and Grammatical Theory, p. 1-22.

G.A. Sanders: Constraints on Constituent Ordering, p. 71-98.

T. H. Peterson: Constraining Grammars through Proper Generalization. Multiple Order Grammar,
p. 99-164.

T.H. Peterson: Multiple Order Grommar and the Movement ofNP, p. 165-186.

P. Werth: // Linear Order Isn't in the Base, then Where Is It? The Rôle of Focus in Word
Order,p. 187-252.

B.L. Hall: Accounting for Yiddish Word Order or What's a Nice NP like you doing in a Place
like this??. 253-287.

M.D. Pam: Problems in the Description of Germán Word Order, p. 289-316.

Bibliographie:

Chomsky, Noam (1965): Aspects ofthe Theory ofSyntax. MIT Press, Cambridge, Mass.

Couquaux, Daniel (1979): «Sur ia syntaxe des phrases prédicatives en français», Lingvisticœ
Investigationes 111, 2, p. 245-284.

Greenberg, J.H. (1963): «Some Universals of Grammar with Particular Référence to the
Order of Meaningful Eléments». In Universals of Language p. 73-113, MIT Press, Cambridge,

Ruwet, Nicolas (1972): «La syntaxe du pronom en». In Théorie syntaxique et syntaxe du
français p. 48-86, Le Seuil, Paris.