Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

Douglas C. Walker: An introduction to Old French Morphophonology. Studia Phonetica XIX. Didier, Ottawa 1981. XIV + 125 p.

Michael Herslund

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Cette introduction à la morphonologie de l'ancien français constitue un précis d'un abord

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assez facile, mais qui couvre tous les aspects majeurs du sujet. L'auteur, qui se place dans le courant de la «phonologie generative naturelle», a réussi à donner une image cohérente et fidèle de la structure phonologique du francien aux environs de 1100; la langue décrite est ainsi un ancien français nettement archaïque.

L'ouvrage contient les six chapitres suivants: 1. Introduction (p. 1), 2. The Old French sound system (p. 9), 3. Vocalic alternations (p. 23), 4. Consonantal altemations (p. 57), 5. The verb system (p. 79), 6. Historical developments (p. 105), ainsi que deux appendices (I. Segment structure rules (p. 117) et 11. Phonological features (p. 121)), une liste des règles (p. 122) et une bibliographie (p. 123).

Comme je l'ai déjà mentionné, l'état de langue décrit est le francien archaïque des envirins de 1100. On peut en effet se demander si c'est une bonne idée de baser une description phonologique sur un état de langue antérieur à la période classique du XIIIe siècle où les textes commencent à abonder. Au lieu de s'appuyer sur le témoignage des textes, W est ainsi amené à se contenter des matériaux contenus dans les manuels, désormais classiques, de Rheinfelder, Fouché et Pope, qui, surtout le dernier, contiennent beaucoup de formes reconstruites. Par conséquent, la description tient compte des phonèmes Idi, /Ó/ et du pendant voisé de l'affriquée sourde /c/ ('ts'), /z/; ce phonème n'apparaît pourtant jamais, sauf erreur de ma part, dans les formes citées, si ce n'est sous forme de /dz/ (p. 73) et /dz/ (p. 100) dans le verbe preizier 'apprécier'. Bien que la réalité des phonèmes /#Ôz/ne fasse guère de doute, l'évidence en faveur de l'existence du phonème /z/ autour de 1100 est, pour le moins, ténue, sans parler de la question dialectale: les seuls témoins de l'époque (pratiquement), et presque les seuls textes cités par W, sont les deux manuscrits anglo-normands de La Vie de Saint Alexis (ms. L) et La Chanson de Roland (ms. O); dans Roland, le l.sg. du prés.ind. du verbe en question est pris (v. 3189), et en AF en général, le substantif déverbal est pris; si la racine sous-jacente au verbe preizier avait été /prez-/, on se serait attendu à une forme *priz dans les deux cas cités, forme queje ne connais pas. Ce qui me mène à la question des formes citées en général. Presque toutes sont correctes, exception faite des fautes d'impression manifestes: p. 30, gab pow gap, p. 36, plovier pour ploveir, p. 43, ducesse pour duchésse, p. 44, cheoir (vers 1100!) pour cheeir (la transcription est, correctement, [6aejr]), [demie] pour [damîs], et sospecon pour sospeçon, p. 72, long pour lone, p. 111, français moderne meurs pour mœurs. Parmi ces détails, on peut mentionner le renvoi, p. 31, à Meyerstein 1976, qui ne figure pas dans la bibliographie, et une transcription de vuident, [vù'jôant], p. 35, qui m'a surpris: pourquoi [s]? Tout cela n'est que petitesses; comme je l'ai dit, les matériaux sont en général cités avec beaucoup de soin. Mais presque toutes les fois que des témoignages textuels sont invoqués, la lecture en est malheureusement mauvaise, ou carrément fautive. Ainsi, p. 48, vert pour veit (Roi. 530), Vus le doiissiez pour Vos les doussez (Roi. 455); p. 51, jat portirai (Alexis 91) pour ja te portai (Alexis 453, str. 91), ferer pour ferir (Rol. 3568), posdres neger pour posche s neger (Passion 238); p. 52, Li cuens Rollanz en apelet Oliviers (Roi. 1502) pour Li quens Rollant en apelet Oliver (Roi. 1545).

Dans l'introduction, W décrit de façon claire et sobre sa méthode, qu'il qualifie de morphonologie concrète («concrete morphophonology»). Ces pages sont un modèle du genre. Pour éviter les excès et les confusions de la phonologie generative classique, il faut entre autres faire appel à une taxinomie de règles; celles-ci sont de différents types dépendant du type d'information auquel elles sont sensibles: règles phonologiques, sans information grammaticale, règles morphonologiques, qui contiennent des conditions grammaticales, règles de formation de mots, règles d'allomorphes, qui spécifient les manifestations des morphèmes individuels, p.ex. les désinences personnelles du verbe. De plus, il faut tenir compte de règles obligatoires vs. règles facultatives, règles majeures vs. règles mineures (ces dernières ne sont applicables qu'aux formes qui sont spécifiquement marquées comme devant les subir).

Dans le chapitre 2 sont exposés l'inventaire de phonèmes et les contraintes séquentielles

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(contraintes phonotactiques). De telles contraintes sont utiles et sans doute nécessaires, mais leur place dans l'ensemble me semble peu claire. En outre, l'exposé aurait pu gagner en clartési les différentes contraintes avaient été accompagnées d'exemples. La contrainte (11) p.ex., spécifie les groupes finals de deux consonnes; on trouve parmi ceux-ci le groupe /se/ que j'ai du mal à imaginer. En effet, une des rares règles morphonologiques de TAF que W ne mentionne pas est justement celle qui réduit la séquence /se/ ('sts') en /c/, cf. les paradigmessuivants: foresi - forez, ost - oz, conquest - conquez, past - paz, Jhesucrist - Jhesucriz, vestir - tu vez, etc., dont les formes en -z sont, en transcription morphonologique,/...

Le chapitre 3 qui traite des alternances vocaliques contient beaucoup de remarques judicieuses sur les questions épineuses relatives aux voyelles /o/, /u/ et /ii/. La section centrale est pourtant, comme il se doit, consacrée aux conséquences des diphtongaisons, y compris l'alternance /a/ — /set/, l'apophonie. L'alternance régulière entre diphtongue en syllabe accentuée et ouverte et monophtongue en syllabe protonique ou fermée n'est déjà plus, comme on sait, tout à fait transparente et automatique en AF puisqu'on trouve des formes qui, à la suite de la simplification des géminées ou du développement au > o, présentent des monophtongues dans des contextes où on pourrait attendre des diphtongues ou [se] (cf. p.ex. chevel, col, bec, ose, gap, etc.). Cette situation constitue évidemment un problème pour toute analyse morphonologique. W résout le problème en réduisant les règles de diphtongaison au statut de règles mineures; les racines dont la flexion ou la dérivation sont marquées par l'apophonie doivent par conséquent comporter un marquage lexical. Je ne suis pas sûr que l'apophonie, qui constitue quand même un des traits fondamentaux de la structure flexionnelle et dérivationnelle de I'AF, peut ainsi être réduite au statut de règle mineure. La conséquence en est évidemment que toute racine soumise à l'apophonie à un point donné de son histoire flexionnelle ou dérivationnelle doit comporter une marque qui déclenche l'application d'une des règles de diphtongaison, marques qui se compteront certainement par milliers. Déjà de ce point de vue quantitatif, je suis sûr que la solution inverse, qui consisterait à marquer certaines racines comme des exceptions à I'apophonie, est plus économique. Mais cela n'est pas décisif. Par contre, je persiste à trouver que des exemples comme le suivant, où l'on explique le mot énigmatique, Graal, par le verbe agraer, prés, agrée, démontrent de façon éloquente le statut fondamental et vivant de l'apophonie dans le système morphonologique de I'AF:

et por çou l'apelons nous Graal que il agrée a tous preudomes (Didot-Perceval, ms. E
1852)

L'analyse choisie par W me semble pourtant conséquente et fidèle à l'idée directrice de
l'ouvrage.

D'autres questions des chapitres 4 et 5 auraient pu donner lieu à des discussions qui relèveraient pourtant plus d'un désaccord théorique entre W et moi que de l'interprétation des faits à décrire. Mais la description et les analyses qu'on y trouve sont toujours bien équilibrées et sobres. Je pense que W a pleinement atteint le double but qu'il s'était proposé: «This book is intended as a contribution to our knowledge of OF, and also as en exemplification of a particular approach to phonologicai analysis - what might be called «concrete morphophonology»» (p. 1). Son travail est une introduction à la morphonologie très digne d'être lue et qui doit figurer dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent à la phonologie du français. A ceux qui s'intéressent uniquement au français moderne, on peut en particulier recommander la lecture du chapitre 6, section 6.2, qui décrit de façon exemplaire l'histoire de l'apophonie et sa place dans la phonologie du français actuel.

Copenhague