Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

Jean Giraudoux: Théâtre complet. Edition publiée sous la direction de Jacques Body. Bibliothèque de la Pléiade, 1982. XXXVII + 1854 p.

John Pedersen

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Si les bicentenaires des naissances des grands écrivains sont en général à considérer comme des consécrations, un centenaire semble plutôt être une épreuve définitive: après l'inévitable «purgatoire» qui suit d'habitude les éloges funèbres, c'est là le moment de peser les possibilités à long terme d'une œuvre dont la popularité initiale a pu donner de faux espoirs quant à son destin dans l'histoire littéraire conçue comme histoire de la réception.

Voilà les circonstances qui accompagnent l'entrée de Jean Giraudoux dans la prestigieuse
Bibliothèque de la Pléiade. Le centenaire de sa naissance a été l'occasion d'une présentation
de son théâtre complet et un volume consacré à l'œuvre romanesque est également prévu.

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Deux questions se posent à ce propos: Cette nouvelle édition était-elle indispensable, étant donné qu'il existe déjà plusieurs éditions de l'œuvre théâtrale de Giraudoux (Ides et Calendes, Grasset)? L'œuvre de Giraudoux n'aura-t-elle pas été définitivement balayée des tréteaux par les soins d'un lonesco, voire d'un Beckett? Cherchons à répondre à ces deux questions.

Il suffit d'ouvrir le volume publié sous la direction de Jacques Body pour se rendre compte du caractère indispensable de cette nouvelle édition pour toute recherche giralducienne à venir. D'une part nous avons ici l'ensemble de l'œuvre théâtrale comportant même un projet de pièce jamais publié, intitulé Les Siamoises, d'autre part chaque pièce est accompagnée d'une notice historique et littéraire du plus grand intérêt et d'un appareil critique qui présente un riche choix de variantes et, parfois, des versions primitives. Saluons le très beau travail fourni par toute l'équipe et souhaitons que l'exemple fasse école; il semble en effet très fructueux de confier ce genre d'édition à un vaste éventail de spécialistes qui fassent converger leurs efforts dans un travail d'équipe. On a rarement vu un volume, même dans cette belle série, fournir tant de renseignements à la fois pertinents et jusqu'ici inconnus, dans un terrain qu'on pourrait considérer comme relativement bien déblayé. A titre d'exemples, mentionnons, après un premier recensement, la notice de Colette Weill sur Electre, qui montre les réactions très hésitantes de la critique de l'époque, celles de Jacques Robichez pour un choix très intéressant de variantes concernant l'acte 111 d'Amphitryon 38 et pour des éclaircissements utiles à l'égard de la genèse de Pour Lucrèce et de Colette Weill encore pour l'ensemble de sa présentation à'lntermezzo, peut-être la pièce la plus giralducienne sur l'ensemble de l'œuvre dramatique. Cette œuvre, nous la connaissons infiniment mieux grâce aux travaux de l'équipe de Jacques Body qui lui-même, avec une présentation de Siegfried digne de l'auteur de Giraudoux et l'Allemagne, s'est en outre chargé de l'introduction générale, qui sur un ton sobre évoque l'importance de l'œuvre dramatique de Giraudoux.

Nous voici donc arrivé à notre deuxième question: Quelle sera à long terme la place qu'occupera l'œuvre de Giraudoux dans l'histoire du théâtre français du XXe siècle? Et on pourrait ajouter: Quel accueil lui réserverait un jeune public des années 80? Ce compte rendu n'est certes pas l'endroit indiqué pour une réponse approfondie à ces questions, mais il est certain que la richesse du texte dramatique de Giraudoux pèsera lourd dans une évaluation littéraire, et l'on s'étonnerait que ce même texte n'exerçât pas une certaine attirance sur des générations qui ont appelé de leurs vœux l'imagination au pouvoir.

Avec le travail d'érudition accompli par l'équipe de Jacques Body, qui mérite tout notre respect, le plus grand mérite de ce volume aura peut-être été de rappeler aux gens de théâtre et au grand public que l'œuvre dramatique de Giraudoux, éminemment scénique, supporte fort bien l'épreuve de la lecture, ce qui ne va pas de soi pour tout texte porté à la scène avec succès. Ce volume nous restitue définitivement une grande œuvre qui aura marqué de sa grâce la première moitié du siècle.

Copenhague