Revue Romane, Bind 18 (1983) 1Douglas C. Walker: Dictionnaire inverse de l'ancien français. Ottawa 1982. XXX + 832 p. Ralph de Gorog: Dictionnaire inverse de l'ancien français. Binghamton, New York 1982.X + 256 p.Svend Hendrup Side 123
Comme ces deux
dictionnaires ont paru la même année et qu'ils portent
le même titre, il est Il est évidemment tout à fait impossible de rendre compte, dans tous les détails, de ce genre d'ouvrages scientifiques. Je m'en tiendrai donc à quelques problèmes essentiels: les matériaux à partir desquels ces dictionnaires ont été compilés, l'organisation et la présentation des données, la consultation des deux ouvrages (facile ou difficile), et leur fiabilité. Le dictionnaire de Ralph de Gorog (RdG) comprend une Préface de quatre pages et le Dictionnaire de 256 pages. Dans la préface, RdG présente ses sources, l'orthographe adoptée, la présentation des données, et la manière dont le dictionnaire à été élaboré: un premier jet entrepris à l'aide de calculatrices électroniques, et le reste du travail terminé artisanalement. - Le dictionnaire de Douglas C. Walker (DCW) comprend une Introduction (avec deux appendices) d'une vingtaine de pages et le Dictionnaire de 832 pages. L'introduction de DCW correspond plus ou moins à la préface de RdG, mais elle est plus développée: l'utilité de ce genre de dictionnaire, le nombre des entrées (48.000 au total, et 38.000 sans les «formes alternatives»), etc. Les deux appendices, «Les suffixes en ancien français» (I) et «La phonologie de l'ancien français» (II), sont deux petits aperçus fort instructifs (il me semble pourtant un peu superflu de souligner que «l'accent [tonique] n'est pas indiqué dans les textes» (p. xxvi, = les manuscrits du Moyen Age ou les éditions modernes ou bien les dictionnaires dont s'est servi DCW?); de même, l'exemple cité p. xxvi, parle, ne me semble pas tout à fait heureux: on disait (il) parole). Les matériaux. - II va sans dire que la fiabilité du résultat final (le output) dépend, en premier lieu, de la nature de la documentation de base (le input). Dans cette phase initiale, déjà, nos deux auteurs ont adopté des procédés assez différents, ce qui n'a pas été sans conséquences pour les output (voir plus bas). - RdG a choisi de combiner les données fournies par Godefroy et celles fournies par Tobler-Lommatzsch (dans ¡es dix voiumes, de A à T, parus jusqu'ici): «Le Dictionnaire inverse de l'ancien français est un inventaire de tous les mots enregistrés par Frédéric Godefroy, Lexique de l'ancien français, publié par J. Bonnard et A. Salmón ... et de tous les mots omis par Godefroy mais répertoriés par A. Tobler et E. Lommatzsch, Altfranzôsisches Wôrterbuch ...» (p. vii). L'auteur justifie ainsi son choix du Lexique (au lieu du Dictionnaire de Godefroy): «Pour une entreprise comme la nôtre, le Lexique a été plus maniable ...» (p. vii); et pour ce qui est du Tobler-Lommatzsch, il nous assure, encore une fois, que «Nous avons relevé tous les mots des dix premiers volumes ... que Godefroy n'a pas enregistrés» (p. vii). - DCW, au contraire, s'est tenu exclusivement au seul Tobler-Lommatzsch: «Les présent lexique inverse ... a été compilé directement à partir du magistral Altfranzôsisches Wôrterbuch ... [qui] contient, en particulier, un ensemble d'entrées qui est chronologiquement et géographiquement circonscrit et qui a été rassemblé selon une seule méthodologie ...» (p. xvi). Pour les lettres U-Z du TL, l'auteur a eu la bonne fortune de pouvoir se servir des «fiches non encore publiées du TL actuel» (p. xvi); des fiches qui sont presque complètes et qui, d'ailleurs, ne comprennent qu'à peu près 1.500 items (soit trois pour cent du nombre total, 48.000, des entrées contenues dans le lexique de DCW). - II est évident que le procédé adopté par RdG pourrait entraîner plus d'erreurs et d'omissions que la méthode suivie par DCW; il est possible aussi que celle-ci donne des résultats plus «sûr», tandis que celui-là aboutirait peut-être à un nombre plus élevé d'entrées - on verra, plus bas, si ces suppositions, faites a priuri, sont tout à fait gratuites ou non la présentation (et la consultation). - Là aussi, nos deux auteurs ont fait des choix différents,des choix qui ont abouti à des résultats assez différents, tant pour la consultation plus ou moins facile (ou difficile) de ces deux dictionnaires que pour l'information qu'ils apportent. - RdG a choisi de suivre la méthode pratiquée dans les dictionnaires de rimes, «... Side 124
en présentant toutes les terminaisons qui se composent d'une syllabe, commençant par une voyelle, à la différence que le terminaisons en -e (-esse, -eie, etc.) sont enregistrées, quoiqu'ellesreprésentent deux syllabes en ancien français» (p. viii). pour certaines terminaisons très répandues, les entrées ont été divisées en sous-entrées, selon la (les) lettre(s) qui précède(nt)immédiatement la terminaison en question (pour -eau, p.ex., des sous-entrées en -beau, -bleau, -breau, -ceau, -deau, et ainsi de suite (p. viii)). Enfin, toute terminaison est - s'il y a lieu, et aussi bien dans les entrées que dans les sous-entrées - divisée en sous-groupes, selon ses fonctions syntaxiques différentes: adj, adv, s f, s m, v, etc. Le résultat immédiat de cette manière de présenter les données est qu'il est assez facile de se faire une idée de l'emploide telle ou telle terminaison, dans telle ou telle fonction; à quoi il faut ajouter que la consultation du dictionnaire de RdG est rendu facile aussi par le choix des caractères pour son impression et par l'emploi de «titres courants» (en caractères gras AGE, etc.). - DCW, par contre, a choisi de rédiger un dictionnaire inverse au sens strict du terme (comme celui de A. Juilland: Dictionnaire inverse de la langue française. La Haye 1965). Chaque entrée, donc, est présentée strictement selon l'ordre alphabétique, «à rebourse» (inverse, p.ex., est présenté comme esrevni: on cherche le mot sous la lettre -/, et puis on continue «de droite à gauche» ...). Les entrées sont groupées selon leur lettre finale, puis sous-groupées selon la lettre qui précède la lettre finale, et ainsi de suite. La liste des mots est, sur chaque page, organiséeen trois (quatre) colonnes: la première colonne contient chaque entrée du Tobler- Lommatzsch (entrées principales en caractères gras, les variantes (graphiques) en caractères normaux), la deuxième donne la catégorie grammaticale de chaque entrée, la troisième fait pendant à la première (avec variantes et entrées principales - dans cet ordre renversé - et avec le même jeu, mais renversé aussi, entre caractères gras et caractères normaux); la quatrièmecolonne, enfin, est «un type d'index organisé selon le segment final et sous-catégorisé à partir des deux et des trois dernières lettres» (p. xvii), un type d'index qui pourrait être très utile pour les études sur la suffixation an ancien français - et cela d'autant plus que l'auteur donne, pour chaque «sous-catégorie», le nombre total de ses occurrences (un exemple: aage, blaage, nonáage, pà'age, pràage ... age 714). A première vue, le système de présentation adopté par DCW paraît un peu compliqué; mais l'auteur a bien expliqué le fonctionnement de son système (p. xvii-xix), et si l'on suit ses indications, on arrive vite à «manier» ses index - et à apprécier l'importance des renseignements qu'ils fournissent. La fiabilité. - II est impossible, dans les cadres restreints d'un compte rendu, de juger de la fiabilité d'un dictionnaire (inverse ou «normal»): pour cela, il faut des années d'un maniementquotidien du dictionnaire en question. Aussi, je me suis borné à faire quelques sondagesdans les deux dictionnaires présentes ici; moins pour «contrôler» leur exactitude respectiveque pour faire ressortir la différence entre eux. J'examinerai d'abord la manière dont nos deux auteurs ont compilé leurs données à partir de leurs sources, puis la présentation qu'ils donnent d'une certaine terminaison (avec un grand nombre d'occurrences: -age). - La compilation: Comme nos auteurs se sont servis tous les deux du dictionnaire de Tobler-Lommatzsch,j'ai choisi des échantillons dans le tome dix du TL (le dernier volume paru et qui contient la lettre T); j'en ai retenu toutes les entrées qui figurent dans les colonnes 100, 200, 300, 400, 500, 600, et 700, ce qui a donné un total de 29 entrées (nombre qui ne saurait pas satisfaire aux exigences d'un sondage sérieux - mais qui doit suffire à notre modeste enquête). De ces 29 entrées, 6 (soit 20%) ne se retrouvent pas chez RdG (taper, tenebre, tieu, tresbëu, tru, trüandement - des entrées qui ne sont pas dans le Lexique, mais seulementdans TL), tandis que, chez DCW, il n'en manque qu'une (soit 3% - tendue). On ne peut pas conclure grand-chose de notre petit sondage, mais il est peut-être significatif que RdG, qui a combiné les données du Lexique et du TL, «saute» plus d'entrées du TL que ne le fait DCW, qui s'en est tenu exclusivement à ce dictionnaire. - La terminaison -age: Deux petits sondages, l'un à partir de Nyrop, l'autre en forme de comparaison quantitative entre Side 125
les données fournies par nos deux auteurs. - Dans sa Grammaire historique de la langue française, tome 111 (Copenhague, 19362), K. Nyrop cite 20 mots dérivés en-age du Moyen Age (§ 147-50: lunage, evage ... hontage, ombrage ... ramage, hyvernage ...; et deux mots, esclavageet nuage, qui datent du XVIe siècle et qui, par conséquent, ne sont ni dans RdG ni dans DCW). RdG enregistre bien tous ces vingt mots, mais il en manque un chez DCW (par pure inadvertance?): ramage, qui est pourtant bel et bien dans le TL, et qui aurait dû se retrouver,chez DCW, entre les entrées bigamage et femage. - Le nombre total d'occurrences de la terminaison -age s'élève, chez RdG, à 1140 (mon dénombrement), tandis que DCW ne donne que 714 occurrences (chiffre fourni par lui-même). Comme cette différence, quantitative,entre les deux dictionnaires est assez considérable, j'ai examiné les données pour trois autres terminaisons (d'un emploi moins étendu que -age): -ade (RdG 40, DCW 29), -ade (RdG 84, DCW 31), -ail (RdG 133, DCW 96). On est donc amené à admettre l'existence d'une différence quantitative non négligeable entre nos deux dictionnaires, différence queje ne saurais pas expliquer, pour le moment; il se peut, pourtant, que cette différence soit due au fait que RdG s'est servi et du Lexique et du TL (bien qu'il semble qu'il lui arrive de «sauter»des entrées contenues dans ce dernier)? Comme on vient de
le voir, ces deux dictionnaires inverses, parus la même
année et portant Le dictionnaire de RdG est, au fond, un dictionnaire de rimes — qui se veut aussi un dictionnaire de suffixes. Ses données sont «structurées», il est maniable, et il est facile de s'y orienter pour une première vue d'ensemble sur un problème (une «terminaison») donné. Enfin, il paraît que RdG donne un nombre plus élevé d'entrées que DCW, mais aussi qu'il pèche, de temps en temps, par omission (par rapport au TL). - Le dictionnaire de DCW est, par contre, un vrai dictionnaire inverse au sens strict du terme, et où les entrées sont présentées dans un ordre absolument rigoureux. DCW ne «structure» pas ses données, mais il apporte plus de renseignements précis pour chaque entrée (notamment pour les «formes alternatives», le. les variantes graphiques). De même, s'il fournit moins d'entrées que RdG, il pèche aussi moins par omission. Enfin, et il faut bien le souligner, ces deux dictionnaires différents ont pourtant ceci en commun: ni l'un ni l'autre ne sont des dictionnaires de suffixes — quoiqu'en dise DCW («... la classification établie selon les segments finals, et par conséquent (nous soulignons) par suffixes ...», p. xix). Et, il faut bien le rappeler aussi, tous les dénombrements cités ci-dessus concernent les terminaisons, c'est-à-dire qu'ils comprennent aussi bien les mots simples que les mots dérivés {cage, etc., aussi bien que ramage, etc.). Mais, en tout cas, nous avons désormais à notre disposition deux instruments de travail indispensables à toute étude sur la suffixation en ancien français; indispensables aussi à des études comparatives entre le système de l'ancienne langue et celui de la langue moderne (à l'aide du dictionnaire de A. Juilland) - et dans cet ordre d'idées (les comparaisons diachroniques), nous pourrons peut-être espérer voir paraître, un jour, un dictionnaire inverse de la langue du XVIe siècle (à partir du dictionnaire de E. Huguet)? Copenhague
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