Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

A propos de: Marianne Hobaek Haff: «Une approche de quelques types particuliers de syntagmes de coordination». (Revue Romane XVII2, pp. 22-23. 1982).

Henning Nølke

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Il existe deux genres d'articles linguistiques qui sont, tous les deux, essentiels à l'évolution de la science: ceux qui par leurs explications nouvelles et par leurs développements audacieux de la théorie provoquent à la réflexion, et ceux qui, plus modestement, présentent minutieusement de nouveaux faits, sans pourtant s'efforcer de les expliquer, stimulant ainsi la curiosité du lecteur: quelles sont en effet les explications? L'article de Marianne Hobaek Haff appartient à la seconde catégorie, et j'aimerais présenter ici quelques-unes des idées que sa lecture me suggère.

1. Les faits présentés

L'article s'occupe de six types particuliers de coordination:

la. proposition imperative +ou+ proposition déclarative

Ib. syntagme nominal (SN) +ou+ proposition déclarative

lia. proposition imperative +et+ proposition déclarative

Ilb. syntagme nominal +et+ proposition déclarative

Illa, proposition imperative + mais + proposition déclarative

Illb. syntagme.nominal + mais + proposition déclarative

La propriété commune qui distingue ces six constructions des autres coordinations réside dans le fait qu'elles sont susceptibles d'être interprétées comme des «conditional imperatives«, le premier conjoint exprimant à la fois un ordre (ou une incitation) et une condition, et le second sa conséquence. L'interprétation relève du domaine de la pragmatique dans la mesure où il s'agit d'actes de parole accomplis, mais les analyses soigneuses de l'auteur (qui fait preuve d'une intuition remarquable quant aux nuances semantico-pragmatiques) dévoilent la dépendance étroite entre ces actes et la structure syntaxique. L'auteur parle en effet de «constructions syntaxiques «idiomatisées»».

Les six constructions comportent cependant des différences intéressantes. la. et Ib. donnent lieu à une interprétation unique: «(...) en recourant à cette construction, l'émetteur fait savoir au récepteur que dans le cas où celui-ci n'obéirait pas à l'ordre, il lui arriverait quelque chose de désagréable, (...)» (p. 24). Le deuxième conjoint véhicule donc une conséquence («négative») de la non-obéissance à l'ordre, et, soulignons-le, cela indépendamment du contexte linguistique ou extra-linguistique ainsi que des syntagmes employés. S'il n'y a pas de différence perceptible entre la. et Ib., il en va tout autrement des constructions II et 111. A la différence de I, II présente dans son deuxième conjoint une conséquence de l'obéissance à l'ordre véhiculé par le premier conjoint. La construction permet deux interprétations. Prenons l'exemple de l'article:

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(7) Approche-toi et je t'embrasse.

Selon le contexte, il peut s'agir ou bien d'une conséquence positive pour I'allocutaire (une sorte de promesse), ou bien d'une conséquence négative, auquel cas l'imperative exprime une sorte de défi. Outre ce type d'interprétation, que connaissent et Ha. et Ilb., l'auteur nous présente quatre autres types: 2: hypothèse (pure) qui porte sur l'avenir, 3: hypothèse qui porte sur le passé (un irréel du passé), 4: dénotation de deux faits qui se sont réellement passés (ex: une semaine de travail, et il passait son examen) et 5 : dénotation de deux faits futurs. Il y a des contraintes concernant l'emploi des temps. Les interprétations 1., 2. et 5. demandent le présent ou le futur, 3. le conditionnel et 4. le passé (ou le présent dit historique). Enfin les constructions III: Le deuxième conjoint de Illa, «transmet le résultat négatif pour le destinataire au cas où il se conformerait à l'appel» exprimé dans le premier conjoint (et cela indépendamment du contexte). Quant à Illb., l'auteur fait remarquer que cette construction est rarement très naturelle, et que, de toute façon, elle connaît certaines restrictions par rapport à Ilb.

2. Un peu de théorie

On pourrait imaginer plusieurs manières d'«expliquer» les phénomènes observés. Par explication j'entends un rapprochement avec des phénomènes déjà connus. Idéalement, on montrerait que les faits nouveaux sont gouvernés par une combinaison de règles déjà établies pour d'autres domaines de la langue.

Dans le cas qui nous occupe, il est tentant d'essayer une explication de nature structurale. On dispose d'une part de théories concernant la fonction des conjonctions ou, et et mais, et d'autre part de théories sur les relations entre la structure syntaxique (et sémantique) et les actes de langage. Les théories font prévoir certains apports partiels des constituants, et en combinant ces apports on aura une prédiction sur la construction complexe, qu'on pourra comparer avec les analyses «empiriques».

3. Vers des explications

Puisqu'on est en mesure de ramener la différence entre les constructions I, II et 111 à l'emploi de trois conjonctions différentes, on devra pouvoir expliquer les différences d'interprétation par les règles gouvernant l'emploi de ces trois conjonctions. De même, on s'attendra à ce qu'on puisse expliquer les différences interprétatives entre les constructions a. et b. en faisant référence à la différence de conditions d'emploi des propositions impératives et des syntagmes

Pour les explications des exemples I, nous aurons besoin de trois sortes d'hypothèses: une hypothèse sur la fonction des conjonctions ou, et et mais, une autre sur la fonction des propositions impératives et une troisième sur les lois du discours. La première sera empruntée à la théorie logico-sémantique de la langue, les deux autres respectivement à la théorie des actes de langage et aux maximes de Grice.

J'accepterai, pour la description des trois conjonctions ou, et et mais, l'hypothèse généralementadmise selon laquelle on peut traduire leurs aspects logico-sémantiques dans le langagede la logique formelle: ou correspondra à la disjonction (dite inclusive) V, et et et mais à la conjonction '&'. (Je parle ici seulement des conjonctions coordonnant des propositions.)La différence entre et et mais est plutôt de nature pragmatique, et je la discuterai plus loin. Cette hypothèse concerne seulement la coordination de propositions déclaratives, où les deux arguments que comporte toujours une coordination sont les contenus propositionnels.Dans notre cas, la question se pose de savoir quel est l'argument provenant d'une proposition imperative. J'aurai ici recours à l'hypothèse - généralement admise elle aussi par les linguistes qui travaillent dans le cadre de la logique vériconditionnelle - selon laquelleil s'agit de la réaction à l'ordre donné. L'énoncé va-t-en ou je te donne une baffe sera

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vrai (jugé postérieurement comme c'est toujours le cas des énoncés qui dénotent des événementsfuturs) ou bien si l'allocutaire s'en va ou bien si le locuteur lui donne une baffe ou bien si les deux actions ont lieu à la fois. Cette interprétation semble adéquate, exception faite - peut-être - de l'adjonction de la troisième possibilité («les deux actions à la fois») qui relève de la lecture dite inclusive de ou.

Une troisième hypothèse à laquelle j'aurai recours est la maxime de qualité de Grice (Grice (1975)): le locuteur doit croire que ce qu'il dit est vrai. Quand il s'agit d'une assertion, il garantit donc sa vérité. Dans le cas d'une assertion concernant le futur (c'est notre cas), cela veut dire que le locuteur prend la responsabilité de la rendre vraie dans la mesure où il a une influence sur sa valeur (future) de vérité. Aussi une assertion qui concerne le futur reçoit-elle souvent la valeur d'une promesse.

Nous sommes maintenant en mesure de proposer quelques explications. Prenons d'abord
les constructions la. Considérons l'exemple (5) de M.H.H.:

(5) Approche-toi ou je t'embrasse,

Selon nos hypothèses, la structure logico-sémantique peut être rendue de la manière suivante:

(s') Tu t'approcheras ou je t'embrasse.

Le locuteur garantit la réalisation de (s'), il garantit donc que ou est employé correctement. Comme il n'a cependant aucune influence sur la «vérité» du premier conjoint, ce qu'il fait c'est promettre qu'il manipulera la vérité du deuxième de manière à rendre vraie toute l'assertion

Alors une autre des maximes de Grice entre en jeu, celle de pertinence: l'assertion doit être pertinente aux yeux du locuteur. Si pourtant l'allocutaire prend soin de rendre vrai le premier conjoint de (s'), l'assertion complète devient vraie indépendamment de l'influence du locuteur sur la valeur du deuxième conjoint. L'assertion perd ainsi sa pertinence parce qu'elle devient pour ainsi dire tautologique. On aura donc: une lecture qui se conforme aux maximes de qualité et de pertinence doit interpréter (5) comme parlant de la situation où l'allocutaire n'obéit pas à l'ordre véhiculé par le premier conjoint. Dans ce cas, le locuteur promet la vérité (future) du deuxième conjoint. Comme, répétons-le, la réalisation du premier conjoint n'est pas dépendante du locuteur, ce conjoint garde une valeur hypothétique dans l'assertion totale, et c'est pour cela que la réalisation du deuxième conjoint reçoit une valeur de conséquence par rapport à la fausseté supposée du premier. Le résultat sera donc qu'une partie du contenu informationnel de (5) se paraphrase (comme M.H.H. le fait) par l'énoncé conditionnel: si tu ne t'approches pas, je t'embrasse. Soulignons que la proposition imperative accomplit toujours l'acte d'un ordre (ou d'une incitation), et les énonciations de constructions telles que (5) fournissent d'excellents exemples d'énonciations qui accomplissent plusieurs actes illocutoires d'un seul coup.

Il nous reste à expliquer pourquoi la conséquence est toujours conçue comme défavorable à l'allocutaire. En effet, on n'aura guère un énoncé tel que *Bats-le ou tu seras récompensé, même s'il est tout à fait compatible avec les normes que quelqu'un serait récompensé pour refuser de battre quelqu'un d'autre. La restriction doit donc relever de la construction même, comme le fait remarquer M.H.H. On pourrait imaginer qu'il existe une loi du discours qui dise quelque chose comme: «On émet un ordre pour être obéi» ou «l'auteur d'un ordre tient toujours à être obéi» (dans le cas d'un véritable ordre parce que c'est dans l'intérêt du locuteur, et dans le cas d'une incitation parce que le locuteur considère l'obéissance comme dans l'intérêt du destinataire). Il s'ensuit alors que la conséquence de la désobéissance doit être présentée comme défavorable au destinataire. On verra que cette «explication» pose un problème pour le traitement des constructions lia.

J'aimerais faire remarquer enfin que l'analyse explique aussi pourquoi on ne rencontre
que le présent ou le futur dans la proposition déclarative. Dans la combinaison avec ou, l'imperativeéquivaut
à une déclarative (cf. ex. (5) ci-dessus), et comme cette déclarative dénote

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la réaction du destinataire, donc un événement futur, elle n'accepte que le futur (ou le présentà
valeur futurale). Or de sévères restrictions semblent régir l'emploi des temps grammaticauxdans
les coordinations:


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L'explication de lia. est presque parallèle à celle de la. Considérons l'exemple (7) de M.H.H.:

(7) Approche-toi et je t'embrasse.

qui, selon notre deuxième hypothèse, est logiquement équivalent à (7'):

(7') Tu t'approcheras et je t'embrasse.

(7') est vrai si et seulement si les deux conjoints sont vrais. Si l'allocutaire rend tu t'approcheras faux, le locuteur n'est pas en mesure de rendre vraie l'assertion totale. Le locuteur n'asserte donc rien sur cette éventualité. Ce qu'il dit c'est: «Au cas où toi tu rendrais vrai le premier conjoint, moi je veillerais à ce que le deuxième soit vrai». Et on aura l'interprétation notée par M.H.H.

Nous n'avons pas expliqué pourquoi (7) est susceptible de deux interprétations «inverses». M.H.H. fait remarquer que la conséquence peut être présentée par le locuteur soit comme favorable soit comme défavorable au destinataire. Si j'avais raison en proposant plus haut une loi du discours selon laquelle l'obéissance à un ordre est dans l'intérêt du locuteur et/ou du destinataire, on devrait s'attendre à ce que seule la première interprétation soit possible. Je ne vois pas clairement comment expliquer l'autre interprétation attestée. Le choix entre les deux dépend pourtant, comme le montre M.H.H., de facteurs extralinguistiques (même si l'une des lectures peut être bloquée par la présence dans le deuxième conjoint de certains morphèmes tels que 'récompense', etc.), ce qui laisse entendre qu'il s'agit d'une sorte de dérivation illocutoire (cf. Anscombre (1980)). Il est en effet bien connu qu'une proposition imperative dans certaines conditions peut accomplir un acte de défi, où le locuteur dit quelque chose comme «tu peux faire ça, bien sûr, mais je te conseille de ne pas le faire». On ne voit pas clairement pourquoi ces conditions peuvent s'appliquer à lia. et non pas à la. Peut-être la structure interprétative de la. est-elle trop complexe? (La disjonction 'p v q' est en effet logiquement équivalente à l'implication matérielle 'non-p ->• q', et l'on pourrait conjecturer que c'est cette présence «cachée» de la négation qui bloque la dérivation illocutoire.) Ce problème ne touche cependant pas à la validité de l'analyse proposée, car il s'agit dans les deux interprétations de la même structure logique: le deuxième conjoint exprime la conséquence de la soumission à l'ordre.

Si mais aussi bien que et se traduisent en &, Illa, doit avoir la même structure conditionnelle que lia. Tel est en effet le cas: le deuxième conjoint véhicule la conséquence de l'obéissance à l'ordre. J'ai supposé que la différence entre et et mais était de nature pragmatique, et il s'avère - comme il conviendrait — que la différence entre lia. et Illa, est pragmatique elle aussi. Alors que la conséquence est présentée par le locuteur comme favorable au destinataire dans Ha. (mise à part la lecture mal expliquée où l'imperative prend une valeur de défi), elle est conçue comme défavorable dans Illa. Si l'on accepte la description que Oswald Ducrot a proposée de mais (p.ex. dans Ducrot et al. (1980)), ce fait s'explique aiséement. La thèse de Ducrot est la suivante: pour interpréter la structure 'p mais q', il faut trouver une proposition r telle que p peut être considérée comme un argument permettant de conclure à r, et q comme un argument permettant de conclure à non-r. 'p mais q' sera alors un argument en faveur de non-r. Autrement dit, en employant 'p mais q', le locuteur exprime quelque chose comme: «p, et cela pourrait te faire conclure à r, tu dois cependant conclure à non-r, car q».

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Considérons maintenant un exemple de Illa. ((18) de M.H.H.):

(18) Fais comme tu veux, mais tu seras responsable.

Si l'on applique cette description de mais à Illa., il faut donc trouver une proposition r telle que «le destinataire fait comme il veut» est un argument en faveur de la conclusion r, et «le destinataire sera responsable» est en faveur de non-r. On pourrait par exemple imaginer une r telle que «le destinataire n'ait pas de responsabilité (ce qui est bien pour lui)». Si l'on combine cette analyse avec l'hypothèse que la soumission à l'ordre soit dans l'intérêt du destinataire, parce qu'il s'agit d'une incitation, le résultat sera que r doit être une conclusion favorable à celui-ci, et, par contrecoup, la conséquence exprimée dans le deuxième conjoint lui sera défavorable. L'assertion de la construction Illa, véhicule donc à la fois le fait que l'obéissance à l'ordre est dans l'intérêt du destinataire et le fait que sa conséquence lui est défavorable. On a ainsi une contradiction apparente, ce qui explique, je crois, les sévères contraintes que connaît ce type d'énoncés. Une solution praticable au dilemme pourrait être de sousentendre que l'allocutaire se serait déjà déclaré intéressé à accomplir l'action dénotée dans l'ordre, et il me semble en fait qu'on peut toujours distinguer un tel sous-entendu dans les énoncés du type Illa. On n'énoncerait guère (19):

(19) Aide-le, mais personne ne te remerciera,
sans sous-entendure qu'on présume que le destinataire veut bien aider la personne en question.

Considérons maintenant les constructions b., qui ont un syntagme nominal comme premier conjoint. Il est bien connu qu'un syntagme nominal dans des conditions appropriées peut constituer à lui seul une énonciation et par là accomplir des actes illocutoires. Il convient probablement dans de tels cas de parler d'un emploi elliptique. Comme tout emploi elliptique, renonciation d'un seul syntagme nominal n'est possible (ou plutôt elle n'est interprétable) que si le contexte suffit à remplir les «trous» pour l'interprétation. L'emploi est répandu, par exemple, dans les réponses à des questions partielles, où la situation rend la signification claire, et dans d'autres cas encore on peut ajouter un marqueur comme par exemple s'il vous plaît (une bière, s'il vous plaît peut être une demande ou une offre). Dans le cas qui est le nôtre, la coordination joue vraisemblablement un rôle important dans l'interprétation. On peut dire que l'interprétation consiste dans une reconstruction de la phrase dont le syntagme est conçu comme une ellipse. Pour remplir les fonctions grammaticales qui y manquent, on se sert, apparemment dans une certaine mesure, de syntagmes qu'on trouve dans la déclarative (tout à fait comme c'est le cas dans les compléments de comparaison, voir p.ex. Spang-Hanssen (1980)). On peut faire remarquer notamment que le temps grammatical de la déclarative s'impose dans l'interprétation de l'ellipse. De cette manière, on pourra expliquer les lectures analysées par M.H.H. Il reste cependant à élucider la question de savoir pourquoi le syntagme, si c'est le présent ou le futur qui s'imposent, a une tendance évidente à accomplir un acte d'ordre (ou d'incitation).

Au lieu d'aborder cette question, j'aimerais achever mes réflexions sur les exemples en faisant une brève étude des constructions Illb. Celles-ci connaissent, comme le fait remarquer M.H.H., des restrictions particulièrement sévères. Je crois que certaines d'entre elles s'expliquent aisément à l'aide de notre esquisse de la lecture elliptique. Prenons (20) et (21):

(20) Encore un saut, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

(21) 'Un saut, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

(20) est bien meilleur que (21). La même constatation est pourtant vraie des reconstructions
des deux énoncés:

II fitil n'arrivaità franchir le mur.

(20 ) encore un saut, mais pas
(21') fit un saut, mais il n'arrivait pas à franchir lemur.

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bien que la différence soit moins nette ici. L'explication en est probablement qu'il faut faire plusieurs efforts pour qu'on puisse parler d'«arriver à». Pour interpréter (21'), il faut donc interpréter faire un saut comme consistant en plusieurs efforts (ou comme le dernier et plus fort d'une série d'efforts), et pour interpréter (21), il faut, outre cette réinterprétation, d'abord travailler la reconstruction de l'ellipse, ce qui rend tout le procès encore plus compliqué, et, par conséquent, l'énoncé moins intelligible. Si l'on a besoin de encore, c'est donc dû à la présence du verbe arriver dans la proposition consécutive, plutôt qu'à la structure elle-même. Même explication de la bizarrerie de (26) et de (27). Peut-être trouvera-t-on des explications analogues aux autres restrictions observées par M.H.H.

4. Evaluation et conclusions

Même si les remarques que j'ai présentées ci-dessus ne constituent qu'une esquisse explicative, elles permettent certaines réflexions et conclusions. Nous avons eu recours à une gamme de théories linguistiques différentes, et dans la mesure où les résultats auraient été satisfaisants, ils serviraient à éclaircir certaines relations entre ces théories. La méthode fondamentale appliquée est structurale, et si nous avons raison de penser que la combinaison des théories a produit certaines explications valables, nous avons du même coup fourni des justifications des théories dont nous nous sommes servi. Il me semble en particulier que les résultats offrent des arguments en faveur d'une analyse linguistique basée sur l'interaction de composantes autonomes. Il s'est montré fructueux de faire appel à plusieurs théories différentes dans l'analyse. Certains phénomènes ont trouvé des explications plutôt syntaxiques, d'autres ont été considérés comme sémantiques ou lexicaux, et d'autres encore comme pragmatiques. Il semble de même qu'on doive permettre des «boucles» entre les composantes. Nous n'avons pas pu opérer une dérivation propre entre les composantes, qui fît par exemple d'abord le travail à un niveau syntaxique, ensuite à un niveau sémantique pour finir par la pragmatique. Nous avons dû avoir recours à la pragmatique, par exemple, pour décrire la fonction logicosémantique des conjonctions. Les résultats soutiennent ainsi une théorie globale de la linguistique qui est componentielle sans forcément être dérivationnelle (cf. la discussion dans Korzenetal. (1983)).

L'étude a en même temps contribué à la théorie des conjonctions linguistiques. Elle a appuyé l'hypothèse selon laquelle on peut traduire leurs aspects logico-sémantiques dans la logique formelle, quitte à expliquer les autres aspects de leur signification dans d'autres composantes. On a vu aussi qu'il sera nécessaire de préciser les relations entre les conjonctions et les actes de langage. A cet égard, il semble que ou, et et mais se comportent autrement que car ou la simple juxtaposition:


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Alors que, comme M.H.H. l'a démontré, ou et et enchaînent sur la réaction à l'ordre, car et la juxtaposition enchaînent sur renonciation de l'ordre dans la mesure où ces deux constructions justifient celle-ci. Vu que la juxtaposition de deux propositions déclaratives est normalement quasi-équivalente à la coordination se servant de et, cette différence est très intéressante et mériterait des études approfondies.

On pourrait sans doute développer et préciser les analyses informelles de ce petit article; telle n'était pourtant pas mon intention en l'écrivant, et il me semble que l'esquisse donnée suffit à démontrer que les faits linguistiques, mis en pleine lumière par M.H.H., appuient un certain nombre d'hypothèses déjà établies en vue d'explications d'autres phénomènes linguistiques,et que j'ai essayé d'employer. Cependant, même s'il s'avère qu'aucune des explicationssoumises ici ne pourra être maintenue, j'espère que la présentation de ces réflexions

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Copenhague

diverses, qui ont été une réaction spontanée à l'article de Marianne Hobzek Haff, a réussi à
démontrer la valeur de ce type d'articles pour les recherches linguistiques. Enfin, telle était
mon intention.

Bibliographie

Anscombre, J.-C. (1980): «Voulez-vous dériver avec moi?» Communications 32. pp. 61-124.

Grice, H.P. (1975): «Logic and Conversation.» in: Syntax and Semantics 3: Speech Acts.
New York. pp. 41-58.

Korzen, H. et al. (1983): «PC-grammar, an Alternative?» Acta Linguistica Hafniensia 18.1.
(sous presse).

Spang-Hanssen, E. (1980): «L'analyse transformationnelle du complément de comparaison
en français.» Revue Romane XVI. pp. 84-100.