Revue Romane, Bind 18 (1983) 1

Dans l'attente d'une solution Analyse syntaxique d'une construction predicative

par

Kjell-Åke Gunnarson

1. Introduction

La théorie X, p.ex. Chomsky 1970 et Jackendoff 1977, propose la relation structurale
suivante entre tête et complément:


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où X est tête et le complément du type qui correspond à un argument. Comme X représente au moins V,N,A et P, (1) prédit une symétrie parfaite dans l'expansion de ces catégories au niveau X'. La théorie n'exige pas que toute catégorie lexicale se construise avec un tel complément, mais que leur configuration soit celle de (1) dans les cas où il y en a un. La relation illustrée par (1) est à la base de la sous-catégorisation stricte dans le domaine X', p.ex.: X=V: attendre quelqu'un, + [_N"], X = N: attente de quelqu'un, + [_p"[de N"]], et aussi à la base d'une hypothèse sur le rapport entre structure syntaxique et interprétation sémantique. Selon Jackendoff (1977, 57) p.ex. le complément de (1) correspond à un argument. Fondamentale dans la théorie de gouvernement de Chomsky (1981) (X gouverne son complément), la structure (1) l'est aussi dans les théories qui en dépendent, celle des cas et celle des rôles thématiques. Il est pourtant bien connu qu'il existe des structures dont le complément n'entre pas dans la configuration de (1), mais se trouve dans une position plus éloignée de X. Cf. p.ex. Gross 1976, Giry-Schneider 1978, Cattell 1976, 3.5, Chomsky 1977, 113-116. L'existence de ces structures soulève de nombreuses questions qui, en général, n'ont même pas été abordées: Quelles sont ces constructions? Quelle est leur structure syntaxique intérieure? Comment les engendrer? etc.

Le but que nous nous proposons est d'analyser syntaxiquement une de ces constructions.Elle diffère de celles étudiées ou mentionnées dans les ouvrages cités ci-dessus en ceci qu'elle est predicative, avec un P" comme prédicat: (être) — p"[dans n"[l'attente]] - p"[d'une solution], X = attente,complément =p"[d'une solution]. Nous montrerons que la structure intérieure de cette construction n'est pas celle de (1), et nous en proposerons deux autres sans être capable de choisir définitivement entre elles (sections 2-4). Nous montrerons l'impossibilité

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d'une dérivation qui aurait annulé un argument important avancé aux sections précédentes (section 5). Nous examinerons une solution qui consiste à dériver ces structures à partir d'une structure basique contenant (1) (section 6). Notre examen suggère qu'une telle dérivation doit comporter une restructuration plutôtque l'application d'une règle de déplacement et que cette restructuration «porte sur» le complément. Nous verrons également que cette dérivation constitueun grave problème pour une théorie qui introduit les pronoms dans la base. Notre but, on le voit, est assez modeste. Or, si la présente étude n'apporte pas de réponse à la troisième des questions posées ci-dessus, c'est parce qu'il y a un grand nombre d'autres constructions qui doivent sans doute être engendrées par le même mécanisme et parce que la théorie, en l'occurrence la Théorie Standard Etendue (EST), ne semble pas avoir de mécanisme approprié à offrir.

Les exemples suivants peuvent illustrer la construction que nous allons examiner:

(2) Tout le monde est dans l'attente de mon évasion

(3) Les électeurs qui sont dans l'impossibilité de se rendre à leur bureau de vote
peuvent voter par procuration

(4) Ils sont dans la conviction qu'on essaie de les escroquer

(5) Elle se voit /croit/ dans l'obligation d'augmenter ses tarifs

En position de prédicat, nous avons une séquence composée des éléments suivants .dans — article défini — substantif— complément. Le complément est un P" en de (2), un infinitif (3, 5) ou un S' à temps fini (4). L'infinitif est sans doute aussi un P", plus exactement p"[de-S]. Plusieurs substantifs entrent en combinaison avec plus d'un de ces compléments. Voir la liste ci-dessous. Les exemples de (2-5) donnent une idée approximative du profil sémantique de la construction. Une analyse sémantique fera sans doute usage de la distinction entre état et situation. Le réfèrent, c'est-à-dire le sujet, peut se trouver dans un état qui est un état d'esprit (espoir, crainte, conviction, certitude, etc.) ou qui ne l'est pas (attente, dépendance), mais il peut aussi se trouver dans une situation déterminée par des forces indépendantes de lui (impossibilité, obligation, etc.).

Il existe des constructions apparentées que nous n'étudierons pas:

prédicat en à: Je suis au regret de vous annoncer que vous n'êtes plus notre
porte-parole.

- prédicat en en: La foule est toujours en attente d'un train qui ne viendra jamais.
Cf. Negroni-Peyre 1978.

- complément en préposition fde: Paul est en admiration devant le paysage.

A notre connaissance, la construction illustrée par (2-5) n'a fait l'objet d'aucun examen. Elle ne semble avoir été étudiée ni par Blinkenberg ( 1960) ni par Sandfeld, qui en donne pourtant des exemples en abordant les relatives (1965, 11, §118, 146) et les possessifs (1965, I, §118).

La séquence dans le N complément n'apparaît pas seulement dans les positions
de prédicat:

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(6) Dans l'espoir de vous voir prochainement, je vous prie de me tenir au courant de
la situation

(7) Je suis venu dans l'espoir de vous voir

Celle de (6) est un «prédicat détaché», alors que celle de (7) est — ou peut être —
un adverbial. D'autres contextes sont vivre et mettre N" (section 4):

(8) II vit dans la crainte d'être abandonné

(9) On l'a mis dans l'impossibilité de gagner sa vie

En gros, il semble donc que la distribution de dans le N complément soit celle d'un P" «locatif». L'intérêt des phrases (1-9) réside en partie dans le fait que la structure et les propriétés de cette séquence «locative» varient en fonction de sa position dans la phrase.


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Liste non exhaustive de constructions fréquentes ou trouvées dans des textes. Critère: Relativation selon (22a-26a), section 2.

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2. Complément S' ou [de-S']

Les couples d'exemples qui suivent présentent une même séquence dans le N
S' dans les deux fonctions de prédicat (a) et d'adverbial (b):

(10) a II était dans la crainte de perdre ses privilèges

b II a grandi dans la crainte de perdre ses privilèges

(11) a Je suis dans la conviction qu'il a écrit ces lettres

b J'ai agi dans la conviction qu'il a écrit ces lettres

(12) a Elle s'est vue dans l'obligation de rompre le contrat

b Elle l'a fait dans l'obligation de rompre le contrat

et dans les deux positions de prédicat (a) et (c):

(13) a Toute son équipe était dans l'espoir de trouver une solution

c Tout son optimisme était dans l'espoir de trouver une solution

(14) a Elle (= Marie) est dans l'impossibilité de trouver une solution aux problèmes

c Elle (= La source d'un tel conflit) est dans l'impossibilité de trouver une
solution aux problèmes économiques

En examinant ces exemples de près, on s'aperçoit que les rapports entre dans le N et le complément ne sont pas toujours les mêmes. Dans les phrases (a), mais non pas dans les autres, (être) dans le N semble pouvoir servir de prédicat dans le sens de la logique. En (10a) cette séquence est paraphrasable par le verbe craindre. Entre les phrases (a) et (c) on a l'impression qu'il y a une différence structurale. Nous soutiendrons que, dans les phrases (a), le complément n'est pas en général un complément du N.

Appliquons WH-Mvt à ces phrases de telle manière qu'un N" soit extrait
du complément:

(15) a les privilèges qu'il était dans la crainte de perdre

b *les privilèges qu'il grandit dans la crainte de perdre

(16) a des lettres que je suis dans la conviction qu'il a écrites

b *des lettres que j'ai agi dans la conviction qu'il a écrites

(17) a le contrat qu'elle s'est vue dans l'obligation de rompre

b *le contrat qu'elle l'a fait dans l'obligation de rompre

et

(18) a la solution que son équipe était dans l'espoir de trouver

c *la solution que son optimisme était dans l'espoir de trouver

(19) a la solution qu'elle (= Marie) est dans l'impossibilité de trouver

c *la solution qu'elle (= la source d'un tel conflit) est dans l'impossibilité de
trouver

L'extraction du N" donne un résultat grammatical dans les phrases (a), mais
non pas dans celles de (b-c). C'est surtout le premier fait qui demande une explication.
Pourquoi l'extraction est-elle donc possible dans les phrases (a)?

On attribuerait normalement à la séquence introduite par dans la structure
syntaxique suivante:

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(A)


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(où le N" à extraire est indiqué). Si dans le N S' a la structure intérieure de
(A), on s'attend à ce que toute extraction d'un élément hors du complément
S'soit impossible pour les raisons suivantes:

(I) L'extraction d'un élément hors de N" violerait la Condition du NP complexe de Ross 1967 et le Principe de la Sous-Jacence de Chomsky 1973. Pourvu d'un N tête {crainte), N" constitue un NP complexe. La contrainte de Ross empêche l'extraction d'un élément hors d'un tel NP. Dans la théorie de Chomsky, l'élément extrait est passé par-dessus au moins deux nœuds cyliques, celui de N" et celui du S' enchâssé, opération qu'interdit le Principe de la Sous-Jacence. Ces contraintes prédisent correctement Fagrammaticalité de l'extraction suivante (un N" a été extrait d'un N" du même type que celui de (A)):

(20) La dure réalité a tué l'espoir de trouver une solution

*Une solution que la dure réalité a tué l'espoir de trouver

(II) Le syntagme N", qui constitue lui-même un ilôt, est le complément
d'une préposition. Ce fait devrait contribuer à le «boucler». L'extraction d'un
N" est encore plus difficile dans l'exemple suivant que dans (20):

(21) La dure réalité a triomphé de l'espoir de trouver une solution

*Une solution que la dure réalité a triomphé de l'espoir de trouver

(III) La fonction de P" intervient de la manière suivante. Plus d'un chercheur a proposé cette généralisation que seules les unités qui sont arguments d'un prédicat (dans le sens de la logique) permettent l'extraction d'un élément qu'elles contiennent, p.ex. Cattell (1976) et Cinque (1978). Ce principe interdit l'extraction dans les phrases (b), où P" est adverbial ou, éventuellement, prédicat détaché. L'extraction d'un élément hors d'un syntagme p"[... S'] serait permise, si celui-ci était complément dun adjectif prédicat (p.ex. heureux), mais dans les cas où un tel syntagme apparaît dans le contexte être —, l'analyse en argument(s) et prédicat étant moins évidente, les conditions d'extraction le sont aussi.

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En résumé, il y a au moins deux contraintes qui empêchent l'extraction de N"
dans les phrases (b) et, dans celles de (a) et de (c), il y en a au moins une. Le
syntagme P" de (A) constitue un ilôt fort qui devrait bloquer toute extraction.

Nous proposons de mettre les faits de (15-17, 18-19) en rapport avec ceux de
(22-24,25-26):

(22) a La crainte où il était de perdre ses privilèges

b *la crainte où il grandit de perdre ses privilèges

(23) a La conviction dans laquelle je suis qu'il a écrit ces lettres

b *la conviction dans laquelle j'ai agi qu'il a écrit ces lettres

(24) a l'obligation où elle s'est vue de rompre le contrat

b où elle Ta fait de rompre le contrat

(25) a l'espoir où était son équipe de trouver une solution

c *l'espoir où tout son optimisme était de trouver une solution

(26) a l'impossibilité où elle (= Marie) est de trouver une solution aux problèmes économiques

c Timpossibilité où elle (= la source d'un tel conflit) est de trouver une solution
aux problèmes économiques

Dans ces phrases, WH-Mvt a déplacé vers la gauche une séquence qui correspond à dans le N en laissant derrière le complément. Comme dans le cas de (15-17, 18-19), les phrases (a) sont grammaticales. Puisque la règle ne déplace que des constituants, la séquence déplacée en est un, et ce constituant ne peut être qu'un P". Pour les phrases (a) nous pouvons alors poser (B) ou (C):

(B)


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Une structure \['[V - P" — S'/P"] où tous les constituants sont sœurs aurait aussi été compatible avec les faits en question, mais nous la considérons comme une variante moins intéressante de (C). A la section 5, nous montrerons que la dérivation de (22-24, 25-26) n'est pas: déplacement de toute la séquence vers la gauche + extraposition du complément vers la droite.

les phrases (a)

Les structures (B-C) permettent à WH-Mvt de déplacer P" comme dans (22-24, 25-26). (Pour le principe A-sur-A, voir ci-dessous). Elles mettent hors du jeu les restrictions I-II (puisque S' ne se trouve plus dans N"), et explique par là les extractions effectuées dans (15-17, 18-19). S' peut être considéré comme un

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argument du prédicat P" en (B) et du prédicat V' en (C), de manière que la condition111
sur l'extraction se trouve également satisfaite.

Il faut noter que la structure (C) n'est pas celle de la construction à prédicat de l'objet (17, 24). Cela reste vrai même si l'on introduit un N" objet entre V et P", car la structure de cette construction semble être soit v'[V — N" — P"] soit y'[V - s'[N" - P"]]. Le S' enchâsse sous V n'a sans doute pas de VP en structure sous-jacente non plus. Il n'y a donc pas de structure (C) à partir de laquelle P" et N" auraient pu être déplacés.

Dans le cadre théorique d'EST, on n'a pas en général postulé l'existence de structures du type (B). On observe d'abord que l'extraction de P" hors de cette structure ne viole la Contrainte sur la branche gauche ni dans la formulation originale de Ross 1967 (P" n'est pas un NP contenu dans un NP plus large) ni dans la formulation modifiée qui fait de la branche gauche un spécifieur (p.ex. whose, how en anglais), cf. Chomsky 1973, note 10, (P" n'est pas un spécifieur). En fait, comme il n'y a pas de tronc, c'est-à-dire de tête, à droite de P", cette séquence ne peut pas être une branche du tout. Il ne semble pas y avoir non plus de contrainte bien justifiée sur le comportement des têtes qui empêche l'extraction de P". Il est pourtant clair que (B)pose le problème du déplacement d'une séquence non maximale, mais sous une forme nouvelle: le déplacement ne concerne ni la branche gauche ni la branche droite, mais un syntagme moins son complément. En supposant que le P" déplacé est seul à porter le trait WH, son déplacement viole le principe A-sur-A dans sa version absolue (P" est extrait d'un autre syntagme P"). On pourrait y échapper en attribuant le niveau trois au PP supérieur (P" serait extrait de P'"). Or on semble alors violer un autre principe, celui selon lequel une règle transcatégorielle comme WH-Mvt ne doit déplacer que des unités d'un certain niveau, p.ex. des syntagmes X", (Jackendoff 1977, 36, chap. 3.4, Bresnan 1977, Milner 1978, 680), car le PP supérieur de (B) est également déplaçable. Voir la seconde partie de cette section. Ce conflit est pourtant un problème plus général. Considérons la structure suivante, engendrée par les règles de la base: v'[V'[V-N"]-Advl]. Dans une langue comme le suédois, les V' sont tous les deux déplaçables par la règle de Topicalisation. L'extraction du V' contenu dans l'autre viole le principe A-sur-A. Si on essaie d'y remédier en modifiant le niveau du VP plus inclusif, c'est l'autre principe qui sera violé. Nous en concluons que le problème n'est pas créé par notre analyse. Peut-être faudraitil dire que le déplacement de P" n'est pas une extraction. Si le principe A-sur-A n'est valable que pour ces opérations, la question d'une violation ne se poserait évidemment pas.

les phrases (b) et (c)

Si nous attribuons à ces phrases la structure (A), leur agrammaticalité s'explique.
L'extraction du N" dans (15-17, 18-19) sera bloquée par les restrictions I-11, et le
déplacement de la séquence dans le N en (22-24, 25-26) est impossible parce

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qu'elle ne forme pas un constituant. Les phrases (b) sont bloquées par encore une contrainte, celle qui interdit l'extraction d'un élément hors d'un adverbial (111 ci-dessus). Elle agit en (15-17) et, nous le supposons, également en (22-24). Dans les cas où dans le N S' est un prédicat détaché, sa structure intérieure est peut-être celle de (B). C'est alors cette dernière contrainte qui bloque les deux extractions. Certains dictionnaires représentent des séquences telles que dans l'attente de et dans la crainte que comme des locutions prépositives et conjonctionnellesrespectivement (p.ex. Trésor de la langue français, dans et crainte). Cette analyse suggère pour la première séquence la configuration j>"[p[dans l'attentede]-N"], structure qui nous semble difficile à justifier.

Il existe d'autres arguments en faveur de l'existence du constituant p"[dans le
N] de (B-C). Constatons d'abord que son déplacement par WH-Mvt n'est pas limité
aux relatives comme dans (22a-26a):

(27) Mais dans quelle obligation étiez-vous de lui dire ça!
P" est remplaçable par le Pro-prédicat le:

(28) On n'est pas dans l'impossibilité de sortir, mais on l'est de pratiquer une activité
sportive

(29) Moi, je le suis surtout d'être attaqué la nuit (le = dans la crainte)

Par contre, la structure (A) n'a pas de constituant qui corresponde au le de (28-29).
complément peut être séparé de P" par des éléments non parenthétiques:

(30) Elle est plus dans la crainte que moi de se faire écorcher dans les restaurants

(31) En réalité, elle n'est dans la certitude ni d'avoir plu ni d'avoir convaincu

Ces dissociations auraient été impossibles, si (30-31) avaient eu la structure (A).

Etant donné les structures (A), (B) et (C), le principe A-sur-A fait certaines prédictions quant à la possibilité de déplacer le P" complément. Son extraction hors de (A) est interdite, alors que rien n'empêche son déplacement dans (C). Nous avons vu ci-dessus qu'en (B) ce principe n'empêche pas le déplacement du P" en dans. Dès lors, il n'y a aucune raison de croire que le P" complément ne serait pas déplaçable aussi. Dans les exemples suivants c'est PL-CLqui a déplacé le P" en de la position du complément à la position préverbale des cliqtiques:

(32) Mais j'en suis vraiment dans l'incapacité (en =de payer maintenant)

(33) Malheureusement, je m'en vois dans l'obligation (en =de rompre le contrat)

Si la structure sous-jacente avait été (A), en se serait trouvé dans un P" plus inclusif et son extraction aurait violé le principe A-sur-A dans sa formulation absolue, principe auquel PL-CL obéit normalement. Voir Kayne 1977, chap. 2.8-10. (32-33) seraient exclus pour la même raison que (34-35):

(34) *Cette modification en est sûrement dans l'esprit (en =de l'hypothèse lexicaliste)

(35) *I1 en a parlé du droit (en =de rompre un contrat)

D'un autre côté, il ne semble pas possible de substituer en au complément dans

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les exemples du type (10a). Il faudra donc trouver d'autres moyens que le principeA-sur-A
pour bloquer PL-CL dans une telle phrase.

Il y a aussi des contraintes sur le déplacement du complément par WH-Mvt,
mais dans les phrases suivantes cette opération donne un résultat grammatical:

(36) Ce dont vous êtes dans la crainte, Monsieur, c'est de perdre vos privilèges

(37) Ce dont elle est dans l'impossibilité, c'est de croire à vos déclarations

(36-37) sont des exemples de pseudo-clivage. Dont, qui est un P" en de, a été déplacé par WH-Mvt de sa position après crainte et impossibilité respectivement jusque dans le COMP, en tête de la phrase. La structure (A) aurait donné un résultat comparable à celui de (38):

(38) *Ce dont elle (= la source de notre inquiétude) est dans l'impossibilité, c'est de
croire à vos déclarations

Non seulement dans le N mais aussi la séquence entière dans le NS' peut constituer
une unité syntaxique. Dans les phrases suivantes, elle a été déplacée par WH-
Mvt:

(39) Dans quelque impatience de vous voir que soient les membres du comité, vous ne
serez convoqué que d'ici une semaine

(40) Dans quelque obligation de payer qu'elle se voie, elle ne veut pas le faire avec l'argent
de ses parents

Ces déplacements sont compatibles avec les structures (A) et (B). Nous avons montré que la construction predicative de (10a-14a) possède une des structures (B-C). Faut-il lui attribuer aussi celle de (A)? Les exemples qui suivent révèlent que cette structure peut se retrouver non seulement en position d'adverbial (41) mais aussi en position de prédicat (bien que le résultat ne soit pas très naturel) (42-43):

(41) La crainte d'être abandonné dans laquelle il a grandi a fini par le marquer

(42) La crainte d'être abandonné dans laquelle il a été a fini par le marquer

(43) La nécessité d'enseigner où elle était l'a contrainte à abandonner ses recherches

Dans ces phrases, la relative aun antécédent n'[N — S'] (S'infinitival). Il ressort des illustrations graphiques que la structure (A) est seule à pouvoir offrir un tel syntagme nominal. Cette structure admet également que celui est substitué à le N, substitution qui est impossible dans les deux autres, puisque leur N" manque de complément nominal:

(44) Ils s'embarquent dans l'espoir de voir le monde et non pas dans celui de gagner de
l'argent

La construction predicative semble pourtant rejeter celui,'même si le résultat
n'est pas toujours aussi mauvais que dans (45):

(45) *I1 est dans l'impossibilité de pratiquer une activité sportive, mais Marie est dans
celle de sortir

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(41) et (44) confirment que la structure de l'adverbial est celle de (A). (42-43) montrent que la construction predicative de (10a-14a) peut avoir cette structure aussi. Il nous semble pourtant qu'elle est «marquée» dans ce cas-là, et que la construction predicative n'est pas normalement sentie comme structuralement ambiguë. En fait, il existe des cas où la structure (A) ne semble pas possible, p.ex. avec des N comme impatience et obligation:

(46) * L'impatience de vous voir où ils sont n'a jamais été plus grande

(47) ?*L'obligation de payer où elle se voit pourrait compliquer la situation Comme dans (4243), l'antécédent n'[N - S'] impose la structure (A). Si on attribue l'agrammaticalité de (46-47) à l'incompatibilité de ces exemples avec (A), comme il semble raisonnable de le faire, alors on sera amené à dire que (39-40) n'ont pas cette structure non plus. Leur structure ne pourrait alors être que celle de (B).

Une analyse approfondie de la construction à prédicat du complément d'objet appuie la conclusion que le P" supérieur de (B) existe. La dérivation classique de cette construction consiste à la dériver d'une structure sous-jacente comprenant un S enchâssé en y appliquant une règle qui efface la copule (Be-Deletion): (a) Paul croit $'[Marie être intelligente] (b) Paul croit Marie intelligente. Ruwet (1979) a pourtant donné des arguments convaincants en faveur d'une solution qui fait engendrer (b) par les règles de la base. Les structures suivantes sont alors basiques: On - croire — Paul - dans l'impossibilité de gagner sa vie, Elle - voir - soi - dans l'obligation de payer. Une autre solution consiste à poser un S enchâssé sans copule et nœud VP («small clause»; p.ex. Chomsky 1981, 106 sv.): On - croire — $'[Paul — dans l'impossibilité de gagner sa vie]. Dans les deux cas, le P" en dans peut avoir la structure intérieure de (A) ou de (B). La structure (C), par contre, semble exclue: dans un «small clause» il n'y a pas de nœud VP auquel adjoindre le complément et le VP de la structure basique sans S enchâssé ne correspond pas à celui de la structure (C) (mais à celui qui prend le «small clause»). Cela signifie que des exemples comme (17a, 24a, 33), étant incompatibles avec la structure (A), ne peuvent avoir que celle de (B). Si, malgré tout, on s'en tient à la dérivation classique, il y a d'autres possibilités, mais il semble clair que (B) est seule à représenter une structure de surface adéquate. La structure (C) (avec un N" objet inséré entre V et P") paraît exclue. La structure (A) devrait avoir (B) ou (C) dans son passé dérivationnel pour permettre le déplacement de dans le N (24a). Or (A) est une structure basique, et personne ne proposerait la dérivation (B/C)^ (A).

En résumé, nous avons montré que la construction predicative à l'étude, en plus de (A), possède (B) et/ou (C). Les arguments les plus importants ont été fournis par l'extraction d'un élément hors du S complément, le déplacement de dans le N et celui du PP complément. S'il est exact que (B) existe, le choix à faire n'est pas entre (B) et (C), mais entre (B) et (B+C). En d'autres termes, si on

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adopte (C), on postule une ambiguïté structurale en plus de celle qui oppose (A)
et(B+C).

3. Complément P"

La construction predicative analysée dans la section 2 existe également avec un
P" comme complément:

(48) a Tout le monde était dans l'attente de mon évasion

b Tout le monde lisait des romans dans l'attente de mon évasion

c Mon seul plaisir était dans l'attente de mon évasion

Comme dans (22-24, 25-26), la séquence qui correspond à dans le N est déplaçable
dans les phrases (a), mais non pas dans celles de (b) et de (c):

(49) a l'attente où on était de mon évasion

b *l'attente où on lisait des romans de mon évasion

c "l'attente où mon seul plaisir était de mon évasion

ainsi que

(50) a Dans quelle attente fiévreuse n'étaient-ils pas de mon évasion!

Le Pro-prédicat le peut se substituer à P", constituant qui n'existe pas dans (A):
(51) En tout cas, il l'était de mon évasion de la prison (le = dans l'ignorance)

L'analyse déjà proposée dans la section 2 explique ces faits. Les phrases (b) et (c) ont la structure (A), ce qui empêche la dérivation de (49 b,c). Les phrases (a) ont soit (B) soit (C). Les deux permettent le déplacement de P" en (49a-50a) ainsi que la présence du Pro-prédicat en (51).

Notre analyse explique également la différence suivante:

(52) a l'évasion dont on est depuis longtemps dans l'attente

b Tévasion dont on lit des romans dans l'attente

c Tévasion dont mon seul plaisir est dans l'attente

Le complément P" (dont) a été déplacé vers la gauche. Dans les phrases (b) et (c), WH-Mvt a extrait P" d'un autre syntagme P" (p"[dans l'attente p"[t]]) et, par là, violé le principe A-sur-A (comme le Principe de la Sous-Jacence, si S ou P", en plus de N", sont des nœuds cycliques). La phrase (b) de (52) est en plus bloquée par l'interdiction d'extraire un élément d'un adverbial. Dans la phrase (a), par contre, le déplacement de P" peut s'effectuer sans obstacle à partir d'une des structures (B-C).

Considérons aussi le paradigme suivant:

(53) a Ils sont dans l'attente l'un de l'autre

b ?*lh lisent dc> rumane dans l'attente l'un de l'autre

c *Leur seul plaisir est dans l'attente l'un de l'autre

On ne sait pas comment la grammaire doit engendrer la construction l'un ...
l'autre, mais il semble évident qu'elle est sensible aux différences structurales.

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Contrairement aux phrases (b) et (c), celle de (a) est construite comme Ils sont
fiers l'un de l'autre, où A" remplace P". Or la question de la structure des prédicatsAP
se pose également en termes de (B-C).

La séquence entière dans le NP" peut aussi former une unité (cf. (39-40)):

(54) C'est plutôt dans l'ignorance des problèmes économiques que sont les ouvriers de
ce secteur

et dans ce cas-là la structure (A) ne paraît pas possible (cf. (46-47)):

(55) ?*Ce qui l'explique, c'est l'ignorance des problèmes économiques où ils sont
(C) étant exclu, (54) aurait donc la structure (B).

4. Une construction non predicative

Considérons les couples de phrases suivants:

(56) a Nous sommes dans la crainte d'être expulsés

d Nous vivons dans la crainte d'être expulsés

(57) a On croit Paul dans l'impossibilité de gagner sa vie

d On met Paul dans l'impossibilité de gagner sa vie

(58) a On croit les ouvriers dans l'ignorance de ce qui se passe

d On tient les ouvriers dans l'ignorance de ce qui se passe

Les phrases minimales nous permettent d'observer des différences qui pourraient être structurales, mais il est évidemment plus difficile de les décrire. Notre hypothèse est que les phrases (d), contrairement aux phrases (a), ne sont pas prédicatives, et qu'elles sont structuralement ambiguës entre (A) et (C). Analysées selon (A), elles sont à comparer avec Nous vivons dans cette crainte depuis longtemps, On met Paul dans une situation difficile, On les tient dans l'esclavage. Nous proposons donc également la structure suivante:


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Le déplacement de la séquence correspondant à dans le N montre que les phrases
(d) peuvent avoir une structure qui n'est pas celle de (A):

(59) la crainte où il vivait de perdre ses privilèges

(60) l'impossibilité où on l'a mis de gagner sa vie

(61) l'ignorance dans laquelle on vous tient de ce qui se passe

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II est possible de séparer le complément du N en insérant un élément adverbal
non parenthétique (62) ou un complément d'agent (63):

(62) II faut les tenir dans l'ignorance autant que possible de ce qui se passe aux niveaux
supérieurs

(63) Elle a été tenue dans l'ignorance par ses parents de tout ce qui concerne la vie
sexuelle

Le complément P" ne, semble pas pronominalisable par en, mais il peut être déplacé
par WH-Mvt:

(64) les problèmes dont on vous tient dans l'ignorance
Extraction d'un N" du complément (cf. (15-17)):

(65) ??les privilèges qu'il vivait dans la crainte de perdre

(66) ?la critique qu'on nous a mis dans l'impossibilité de formuler

(67) ?la rentabilité qu'on les met dans la nécessité d'atteindre

Cette extraction donne en général un résultat douteux, mais certains informateurs trouvent p.ex. (66) pleinement grammatical. Que (59-61) le soient n'implique évidemment pas que (65-67) le seraient, puisque différentes restrictions peuvent intervenir. Le résultat de l'extraction appuie l'hypothèse que ces phrases n'ont pas la structure (A), car (65-67) se rapprochent bien plus des phrases (a) que des phrases (b) de (15-17).

L'exemple suivant fournit un argument en faveur de (C):

(68) L'armée espagnole n'a jamais été mise dans l'impossibilité de se replier, mais elle
l'a été d'attaquer

Débarrassé du N" passive, la séquence mis dans le N constitue une unité par rapport
au complément. La structure (C) est seule à être compatible avec un tel découpage
du VP.

La séquence dans le N complément peut former un constituant syntaxique dans
les phrases (d) aussi:

(69) la crainte d'être abandonné dans laquelle il a vécu a fini par le marquer

La structure de (69) ne peut être que celle de (A), cf. (41-43). D faut donc attribuer aux phrases (d) les structures (A) et (C). Par contre, nous ne voyons pas de raison de postuler celle de (B). Notons aussi l'existence de phrases qui ne peuvent avoir que la structure (A): Elle est tombée dans la dépendance de son mari, *La dépendance où elle est tombée de son mari nous inquiète.

5. Extraposition du complément à partir de COMP?

Nous allons maintenant considérer une hypothèse qui ne concerne que la dérivation
de phrases comme (22a-26a, 27, 49a-50a).

Dans le N" la classification qu'il a établie de ces adverbes comme dans la
phrase Combien avez-vous trouvé de champignons? il y a une dépendance entre

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deux éléments séparés l'un de Tautre (classification — de ces adverbes, combien — de champignons), dont l'un a été déplacé vers la gauche par WH-Mvt. Pour les constructions «scindées» de ce type, on a assez souvent avancé l'hypothèse d'une dérivation comportant (a) le déplacement par WH-Mvt d'une séquence composée des deux éléments {combien de champignons) (b) l'extraction vers la droite du second (de champignons). Cf. p.ex. Ross 1967, chap. 2, Higgins 1973, 114, Grosu 1974, 317-318. Dans cette hypothèse, les phrases (22a-26a, 27, 49a-50a) auraient pu être dérivées à partir de la structure (A), et elles n'auraient pas fournid'argument en faveur des structures (B-C). Il semble pourtant clair qu'une telle solution est impossible. Considérons les étapes pertinentes de la dérivation de (22a):

(a) la crainte S'[COMP[WH] §[il était dans la crainte de S']]
(b) WH-Mvt: la crainte S'[COMP[WH-dans la crainte de S'] s[il était t]]
(c) Extrap: la crainte s'[çoMP[WH-dans la crainte] $[il était t [de S']]

On constate d'abord que cette dérivation serait impossible dans une théorie qui introduit les pronoms relatifs lequel et où dans la base. Il n'y aurait rien à extraposer à partir d'un N" de la forme laquelle ou du P" où. En extrayant un élément du COMP sans le déplacer dans un autre COMP, la règle d'extraposition viole une des contraintes de Chomsky 1973. Mais ce qui paraît bien pire, c'est que cette règle devrait descendre du matériel dans un S enchâssé, opération toujours interdite en français comme dans beaucoup d'autres langues:

(70) Ce qui m'intrigue, c'est l'attente où on dit qu'ilsj ont été l'un de l'autre) toute la
nuit

(71) Cela est en contradiction avec la nécessité où vous disiez qu'il était de vendre,
votre associé

En (70), l'un ... l'autre doit être lié (dans le sens de Chomsky 1981) par son antécédent/7s dans le S en que. Cela implique, entre autres choses, que le complémentl'un de l'autre se trouve à l'intérieur de cet S. L'adverbial toute la nuit en est un constituant, puisqu'il en modifie le VP (être dans l'attente de N"). Le complément l'un de l'autre, à sa gauche, l'est donc aussi. En (71), le sujet du S enchâssé (votre associé) a été disloqué vers la droite. La dislocation à droite étant une opération limitée (dans le sens de Ross), ce sujet n'a pas été sorti de son S. Le complément de vendre, à sa gauche, s'y trouve donc aussi. Or dans l'hypothèse que nous considérons, ces compléments ont été extraposés à partir de la position de où. Une analyse approfondie de phrases du type (70-71) montreraitsans doute que la règle d'extraposition devrait les déplacer dans la positionmême dont ils proviennent. Comme le note Obenauer ( 1976, 1:2) dans son étude sur les phrases avec combien, la théorie de la cyclicité successive offre à priori une possibilité de ne pas violer l'lnterdiction d'insertion. Au lieu de déplacerle complément à partir du COMP de la phrase matrice (position de où), la règle d'extraposition pourrait s'appliquer sur le cycle du S enchâssé. Le complémentserait alors obligatoirement extraposé à partir du COMP de cet S (position

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de que), et dans le N continuerait vers la gauche sur le cycle suivant. Obenauer
montre pourtant aussi qu'il faut rejeter une telle solution.

6. Dérivation des structures (B-C)

Nous avons montré que la structure (A) et une des structures (B-C) existent. Nous avons essayé de montrer que (B) et (C) existent toutes les deux, (B) comme structure predicative et (C) comme structure non predicative, alors que l'existence de (C) comme structure predicative demeure incertaine. Nous continuerons néanmoins à parler des structures prédicatives (B-C).

Les règles de la base engendrent la structure (A). Une grammaire du français
doit rendre compte du rapport syntaxique et sémantique entre (A) et les structures
prédicatives (B-C). Les solutions suivantes sont à considérer:

(I): (B-C) sont dérivées de (A) par Restructuration ou Extraposition.

(II): (B-C) sont basiques et leurs relations structurales avec (A) sont établies par
un (nouveau) mécanisme lexical.

(III): (C) est dérivée selon (I) ou (II) et (B) en est dérivée par Restructuration.
(La dérivation de (C) à partir de (B) nous paraît invraisemblable).

On observe que la solution (II) est incompatible avec la théorie X qui exige une structure basique telle que (1). Dans (B-C), l'élément qui prend un complément argument n'est pas une catégorie lexicale X mais une catégorie syntaxique X" (P' ) et X' (v'[V-P"]) respectivement. Il y a une différence entre (III) et les deux autres solutions. (I) et (II) mettent en jeu la dérivation des structures «à verbe complexe», alors que (III) pose le problème de la structure et de la dérivation des constructions prédicatives en général. Il est naturel d'opposer (I) et (II), mais (III) est compatible avec les deux autres dérivations si (C) est seule à être dérivée par (I) ou (II)*.

Dans cette section, nous discuterons la dérivation (I) sans formuler de règle, et nous mettrons en évidence quelques difficultés auxquelles elle se heurte. Notre discussion prendra pour point de départ l'analyse des sections 2-5, ainsi que quelques règles proposées pour des constructions apparentées.

Une règle qui dérive (B-C) de (A) aurait pour fonction de créer un nouveau complément au niveau du prédicat. Cette règle serait à son tour déterminée par une condition sur les relations structurales entre prédicat (sens large) et complément. Le complément du verbe transitif est sœur de son verbe selon (1), celui de (B) l'est de son prédicat P" et celui de (C) l'est du VP v'[V-P"]. Nous soulignons que (A-B-C) sont des structures syntaxiques. Il serait donc impossible de rendre compte des différences entre p.ex. les phrases (a) et celles de (b,c) avec une réanalyse sémantique. Cf. la règle du prédicat complexe de Jackendoff 1974.

Dans (A), le N" dont est tiré le complément est soumis à une condition sémantiqueimportante:
il doit être non référentiel. Ce N" peut être défini ou indéfini

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(27,50), mais non pas avoir la forme suivante: dans sa/cette crainte d'être expulsé.Les
relatives de (22a-26a) ne peuvent pas être non restrictives:

(72) *La/sa/cette crainte, où il était d'être expulsé, le paralysait

La relation de coréférence à la base de la relativation dans les non-restrictives fait du N" du P" déplacé un N" référentiel. Cette dernière condition paraît liée à une autre qui concerne la nature de la phrase predicative. Lyons (1968, 8.4.3) distingue quatre types différents de phrases avec être: I existentielle II copulative (ou predicative): (1) identificatrice (2) locative (3) attributive. Parmi les propriétés qui distinguent (3) de (1-2) sont sans doute les suivantes: (a) le prédicat attributif peut être AP,NP,PP ou AdvP (et non seulement NP (1) ou PP, AdvP(2)) (b) le prédicat attributif est toujours non référentiel. Si on applique ce classement à nos phrases, il semble clair que (B-C) sont attributives et que (A) est, ou peut être, locative. Cf. p.ex. (13a-14a) avec (13c-14c) et (22a-24a) avec (42-43). Il est alors raisonnable d'émettre l'hypothèse que seul un prédicat attributif peut prendre un complément.

Certaines autres conditions sur une dérivation (A) ->¦ (B-C) peuvent être dégagées des sections 2-4. D'abord, l'opposition entre les phrases (a, d) et les phrases (b) dans (10-12, 48, 56-58) montre que la règle doit tenir compte de la distinction entre le VP qui domine directement V et celui qui comprend aussi un adverbial. Si, dans (56-58), les phrases (a) sont seules à posséder la structure (B), comme le suggère notre analyse, alors la règle doit être capable de distinguer entre deux configurations, structuralement identiques, dont l'une est predicative et l'autre non. Par contre, le sujet de la phrase semble se trouver en dehors du domaine de cette dérivation. Il incombe plutôt aux règles de sélection de filtrer les combinaisons impossibles. *Mon seul plaisir était [dans l'attente] [de mon évasion] sera exclu pour la même raison que *Mon seul plaisir attendait mon évasion

En comparant la position du complément en (A) avec ses positions en (B-C), on s'aperçoit qu'elles sont séparées par N" et P", c'est-à-dire deux catégories syntaxiquesmajeures. Supposons que ce soit une règle de déplacement qui met en rapportles deux positions (Chomsky (1977, 113-115) a proposé la dérivation suivante:He saw picture p"[o/John]] -> He saw n"[j picture t] j>"[ofJohn]). Une telle règle violerait le Principe de la Sous-Jacence si N" et P" sont tous les deux des nœuds cycliques, celui de A-sur-A si c'est un P" qui est extrait de P" (cf. section 3) et celui de la Catégorie vide de Kayne 1981. On pourrait invoquer ces violations pour soutenir que ce n'est pas un déplacement, mais, étant donné qu'il s'agirait d'une espèce d'extraposition, une telle conclusion serait difficile à justifier: Riemsdijk (1978, 146, 180sv., 216) a montré que certains éléments peuvent être extraposés à partir d'un PP, et on ne sait pas si les extrapositions respectent les deux derniers principes. Il y a pourtant une raison de croire que le complément n'est pas déplacé. S'il l'avait été, il aurait laissé une trace: tenir N"/

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être [dans l'ignorance t]P". Dans le cadre théorique de Chomsky 1981, on serait sans doute obligé d'attribuer deux rôles thématiques au PP: celui d'un complémentde (être) dans l'ignorance / tenir (N" ) dans l'ignorance et celui d'un complémentde ignorance, par l'intermédiaire de la trace. Ce serait une violation du «critère thématique» (chap. 2.2).

Dans le cadre d'EST, il a été proposé un nouveau type de règle dite de restructuration (ou de réanalyse). Cette règle, qui n'est pas une transformation, a pour fonction de changer la structure hiérarchique sans modifier l'ordre des éléments qui la composent. Celle proposée par Hornstein et Weinberg (1981) pour rendre compte du phénomène de «préposition stranding» en est un exemple. Une autre règle de restructuration a été proposée dans Akmajian, Steele et Wasow 1979, 59-60: [make [thè claim that he is a fool]] -» [[make [thè claim] [that he is a fool]]. C'est avec une règle de ce type qu'on pourrait envisager de dériver (B-C) de (A). La règle proposée porte sur un item lexical. Appliquée à (A), elle aurait restructuré p.ex. crainte, c'est-à-dire attaché une séquence [.. crainte ..] à un nœud V ou V'. Or cette séquence ne peut être que dans la crainte, qui en (A), n'est pas une unité syntaxique. D est naturellement souhaitable de contraindre les règles de restructuration, et une contrainte naturelle serait celle qui interdit une telle opération. On peut alors envisager les deux restructurations suivantes:

(I): adjonction chomskienne de P" àV, adjonction chomskienne du complément
à P" (B) ou à V' (C).

(II): adjonction chomskienne du complément àP" (B) ou àV' (C).
(Il y a certaines différences entre (B-C) et les structures produites par (I)).

Comme la seconde restructuration fait partie de la première, elle est évidemment préférable. En plus, dans les constructions à prédicat du complément d'objet (12a, 57a, 58a), il n'y a pas de V auquel ajoindre P". S'il existe une dérivation (A) -* (B-C), il semble donc que c'est le complément sous forme de variable catégorielle (S', P") qui est restructuré.

La restructuration proposée consiste essentiellement à «promouvoir» un argument.Le prédicat de la structure résultante est une unité complexe, et cette unitén'est pas du niveau zéro: celui de (B) n'est pas un P (mais un P") et celui de (C) n'est pas un V (mais un V'). Bien qu'on puisse peut-être lui trouver un caractèreidiomatique, nous ne connaissons pas de fait qui justifierait une telle analyse.D'autres restructurations ont été proposées qui produisent un prédicat complexeX: Kayne (1981, note 25) suggère be - [A — S'] -> y[be - A] — S' et pour Chomsky (1981, 37, 146) le V de \j[takeadvantage of] - N" est un item lexical dérivé. En fait, il y a quelques arguments en faveur de notre analyse qui sont indépendantsdu processus de restructuration adopté. D'abord, les prédicats de (B- C) contiennent tous les deux un NP plein et celui de (C) un PP plein en plus. Considérons ensuite la construction (57d): mettre - N" — [dans l'impossibilité] — S'. Si le prédicat en est mettre - N" - [dans l'impossibilité], il contient une

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variable, si c'est mettre [dans l'impossibilité], il est discontinu. Dans les
deux cas, il nous paraît difficile de lui attribuer le statut d'un V (cf. Pollock
1979,88).

Nous allons maintenant mettre en évidence trois difficultés pour la dérivation (A) -* (B-C). La première concerne la structure sous-jacente (A), qui ne semble pas toujours exister. Cela est vrai des phrases du type (39-40), si notre analyse est correcte. Certaines constructions apparentées découvrent ce phénomène avec plus de netteté, p.ex. dans les cas où le verbe aun emploi «figuré». En voici un exemple tiré du suédois (qui ne possède guère que les constructions non prédicatives): svava i ovisshet om nágonting, «planer en incertitude de quelque chose», sens: ignorer quelque chose, être dans l'incertitude de quelque chose. Tout essai d'imposer à cette expression la structure V — [P N — P"] produit un effet bizarre, sans doute dû au fait que le verbe tend à reprendre son sens «concret».

Nous avons vu que les syntagmes dans le N et le N peuvent être relativisés:

(73) la crainte où/dans laquelle il était de perdre ses privilèges

Dans le cadre d'EST, il est naturel d'introduire les pronoms relatifs dans la base
(cf. p.ex. Jackendoff 1977, 174). Dans la structure (A) nous avons alors }>"[dans
et p"[o«] respectivement. De ces PP il est évidemment impossible
de tirer un complément. La dérivation (A) -> (B-C) serait donc exclue. Le PP en
dans pourrait offrir un complément à restructurer, si sa structure sous-jacente
était [dans crainte S']] où laquelle est un specifieur (déterminant).
Cf. Kayne 1977, 29-30. Mais cette analyse nous paraît difficile à justifier.

Le syntagme dans le N peut aussi être représenté par le Pro-pédicat le (28-29,
51):

(74) Moi, je le suis surtout d'être attaqué la nuit (le = dans la crainte) (= (29))

Comme cette forme Pro est basique, la structure de (A) ne peut pas être source de (74). Si le est P" ou un P' dans (A), il n'y a pas de complément. Si on introduit le au niveau des catégories lexicales, c'est-à-dire comme un P, nous aurons *le — la crainte - S', et, en plus, il n'y a aucune raison de considérer le comme une préposition. Le représente toujours un PP, c'est-à-dire P' ou, plus probablement,

Kjell-Âke Gunnarson

Lund

Résumé

L'auteur se propose d'analyser syntaxiquement la construction predicative illustrée par On
est dans l'attente d'une meilleure solution. En la comparant avec certaines constructions non
prédicatives mais apparentées, il montre que sa structure n'est pas celle engendrée par les

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règles basiques de la théorie X et il propose deux autres structures sans être capable de choisirdéfinitivement entre elles. Il examine un solution qui consiste à dériver ces structures à partir d'une structure basique et son examen suggère d'une part qu'une telle dérivation doit comporter une restructuration plutôt qu'un déplacement et d'autre part qu'elle constitue un problème pour une théorie qui introduit les pronoms dans la base.

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