Revue Romane, Bind 17 (1982) 2

Yvonne Llavador: La poésie algérienne de langue française et la guerre d'Algérie. Lund,CWK Gleerup, 1980. 208 p.

Marie-Alice Séférian

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Il s'agit d'une thèse de 3eme cycie soutenue le 26 septembre 1980 à l'lnstitut d'Etudes Romanes de l'Université de Lund et préparée sous la direction de l'éminent spécialiste de littérature maghrébine, Jean Déjeux (Alger). La période étudiée va de 1954 à 1964, ce qui se justifie pleinement, les poèmes ayant trait à la guerre ayant continué à paraître après la cessation des hostilités et l'année 1965 constituant un tournant dans la vie littéraire algérienne.

Tous ceux qui s'intéressent au français hors de France se réjouiront d'apprendre que la

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littérature maghrébine franchit le détroit du Sund grâce à cet ouvrage. C'est la première étude universitaire sur des oeuvres souvent peu connues parce qu'inaccessibles et Yvonne Llavador a accompli un remarquable travail de recherche, ne serait-ce que pour se procurer les 560 poèmes qui constituent le corpus étudié.

YL décrit tout d'abord la situation paradoxale de ces poètes algériens qui, par suite de la colonisation culturelle, ne pouvaient exprimer leurs sentiments patriotiques qu'en français et s'adressaient ainsi autant - si ce n'est plus - à leurs adversaires qu'à leurs frères de combat. Après un bref aperçu historique de la période qui précéda la guerre, YL consacre un chapitre au premier manifeste poétique et politique de l'Algérie en guerre: Le soleil sous les armes de Jean Sénac (paru en 1957).

Le chapitre le plus intéressant est incontestablement celui où YL rend compte de ses rechercñes sur les conditions dans lesquelles les dix-huit recueils ont été publiés et l'accueil qui leur a été fait. Etant donné que la plupart de ces oeuvres ont été publiées dans de petites maisons d'édition (françaises et de gauche) et dont certaines n'existent plus, c'est une contribution importante que YL apporte aux recherches maghrébines. Elle souligne ici l'importance des éditions Maspero et P.-J. Oswald.

YL rend compte également de la dimension proprement littéraire de ces poèmes en dressant un inventaire des motifs récurrents qui revêtent une signification symbolique. Parmi ceux-ci, l'arbre (en particulier à cause du thème du déracinement), le soleil (salvateur et destructeur) et l'étoile (gardienne et guide de la patrie) tiennent une place de choix.

C'est donc un vaste sujet que YL a choisi de traiter à la fois sous l'angle historique, sociologique et littéraire. C'est une ambition louable mais qui ne laisse pas d'entraîner certaines faiblesses. J'aurais souhaité pour ma part qu'il ait été donné un aperçu chronologique de la guerre d'Algérie et qu'il ait été montré comment (ou si) cette "poésie de circonstance" coilait à la réalité. De plus l'étude de l'univers symbolique des poètes algériens aurait gagné en intérêt si la poésie algérienne de combat avait été mise en regard de la poésie française de la résistance (écrite et publiée dans des conditions analogues et qui d'ailleurs n'a pas été sans influencer les poètes d'outre-Méditerranée). Certains thèmes seraient peut-être apparus alors comme communs - parce que liés aux circonstances - et il aurait été possiblede mieux cerner ce qui fait la spécificité de cette littérature de langue française dont l'identité est souvent contestée. Il y a enfin le problème méthodologique que soulève le fait de décrire collectivement l'univers de poètes aussi divers que Mohammed Dib, Anna Gréki, Malek Haddad, Bachir Hadj Ali et Jean Sénac, pour ne citer que ceux-là.

Il faut néanmoins savoir gré à Yvonne Llavador d'avoir méticuleusement recensé les
oeuvres, interrogé les éditeurs, compilé la presse et fait une lecture attentive des poèmes.
C'est une pierre solide qu'elle apporte ainsi à l'édifice de la recherche maghrébine.

Copenhague