Revue Romane, Bind 17 (1982) 2

Françoise Pouradier Duteil: Trois suffixes nominalisateurs. Un essai d'analyse actantielle. Gunter Narr Verlag, Tubingen, 1978.

Ole Mørdrup

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Ce livre contient deux parties bien distinctes: d'une part, il comprend une discussion des
modèles actantiels (ch. 2, p. 21-126), et, d'autre part, une analyse actantielle des noms en
-age, -ment, -ation I -ition (ch. 3, p. 127-187).

L'auteur discute principalement les modèles de trois linguistes: Tesnière, Fillmore et J.
Anderson, et elle finit par en proposer un en s'inspirant de Chafe. Cette étude a été terminée
en janvier 1976, et JcíX ce qui explique que des études plus récentes ne «r>nt pa« citée*

Duteil reproche avant tout à ces auteurs de proposer des définitions des actants fondées
sur des critères syntaxiques. A son avis, cette tentative aboutit à des contradictions et il faut
se résoudre à poser pour les Actants des définitions purement notionnelles. Nous n'allons

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pas entrer dans les détails de ce modèle, parce que nous nous intéresserons plus particulièrement
à l'analyse des noms suffixes par -age, -ment, -ation / -ition.

Pour faire cette analyse, FPD a relevé dans le Dictionnaire Inverse de Juilland tous les
noms munis de ces suffixes qui se trouvaient en même temps dans Le Petit Robert. Cela lui a
donné un corpus de 463 noms en -age. 640 noms en -ment et 887 noms en -ation / -ition.

Malheureusement, elle ne présente pas la totalité de ces listes, mais seulement une partie.

Son analyse révèle que les noms en -age sont assez homogènes sémantiquement, alors que
ce n'est pas le cas pour ceux en -ment. Les noms en -ation / -ition sont encore plus diversifiés
de ce point de vue.

C'est ce qui peut expliquer d'ailleurs pourquoi -ment n'est pas productif en français moderne:
c'est tout simplement parce que -tion s'est substitué à -ment.

Kn comparant -age à -ment. FPD met aussi en lumière une autre différence entre les deux
groupes de noms. Alors que le Patient des noms en -age est souvent affecté par l'action effectuée,
ce n'est pas le cas pour les noms en -ment.

Cette différence peut peut-être expliquer un autre phénomène, qui n'est pas directement mentionné par FPD: le fait que le préfixe en- et, dans une moindre mesure, a-, ont une prédilection pour les noms suffixes par -ment par rapport à ceux suffixes par -age, alors qu'on peut constater la tendance inverse pour les noms correspondants sans préfixe. Cela peut être dû au fait que en- et a- n'acceptent pas facilement l'affectation du Patient par l'action effectuée.

Il est seulement regrettable que FPD n'ait pas donné de listes complètes, mais seulement un échantillon d'exemples. Si elle l'avait fait, son travail aurait présenté beaucoup plus d'intérêt. Le Petit Robert contient, par exemple, une cinquantaine de noms en -age préfixés par en-, mais ils ne sont pas cités, sauf deux d'entre eux, dans le chapitre sur -age. Si ces noms avaient figuré là, il aurait été possible de comparer beaucoup plus directement les noms en -age à ceux en -ment. Et, en même temps, on aurait vu si le modèle actantiel aurait pu éclaircir ce problème.

Dans une étude sur les préfixes a-, en-, é-, dé-, j'ai réussi à mettre en évidence que la théorie des relations thématiques possède un pouvoir explicatif en ce qui concerne la préfixation, parce qu'elle peut expliquer dans certains cas pourquoi certains verbes n'acceptent pas ces préfixes. De la même manière, on s'attend à ce que FPD se serve de l'analyse actantielle pour discuter des problèmes de la formation des mots en -age, -ment, -tion, puisqu'elle a choisi justement ce domaine pour illustrer son modèle. L'intérêt de ces noms résident précisément dans le fait qu'ils constituent un domaine bien délimité qui peut servir de fondement à une discussion sur les rapports d'une analyse sémantique et des problèmes de la formation de mots. Cette discussion serait d'autant plus intéressante qu'il ne fait pas de doute que la sémantique joue un rôle important pour les contraintes sur la formation des mots.

I PD présente elle-même (p. 20) son travail comme "une tentative d'analyse des trois suffixes
nominalisateurs -age, -ment et -tion à l'aide d'une système actantiel".

Je reproche essentiellement à l'auteur de ne pas avoir poussé l'analyse assez loin. Car. il n'est pas évident, d'après ce livre, que le modèle actantiel serve à grand-chose dans l'analyse de ces suffixes. Mais, cela aurait été possible, puisque ce modèle possède, en fait, un pouvoir explicatif dans ce domaine.

Il se peut que ma critique soit un peu injustifiée dans la mesure où FPD s'est assigné le but plus modeste d'étudier les relations sémantiques des trois suffixes. Or. il faut admettre, comme il a été dit plus haut, qu'elle a pleinement atteint ce but. Mais, il est seulement dommage qu'elle n'ait pas vu les perspectives que présente l'analyse actantielle en ce qui concerne les problèmes de la formation des mots.

Copenhague