Revue Romane, Bind 17 (1982) 2

Une approche de quelques types particuliers de syntagmes de coordination 1

par

Marianne Hobæk Haff

Introduction

A notre connaissance, les constructions qui seront traitées dans cet article n'ont pas été soumises jusqu'ici à une analyse de fond. Thorstein Fretheim les a abordées dans trois articles2, et nous lui sommes redevable dans une large mesure. Nous avons trouvé nécessaire, cependant, de développer l'analyse qu'il réserve à ses constructions, nous y reviendrons.

Ce sont les six constructions syntaxiques suivantes qui constituent le point de
départ de nos analyses:

la. proposition imperative +ou + proposition déclarative

Ib. syntagme nominal (SN) +ou + proposition déclarative

Ha. proposition imperative +et + proposition déclarative

Ilb. syntagme nominal (SN) +et + proposition déclarative

Illa, proposition imperative + mais + proposition déclarative

Illb. syntagme nominal (SN) +mais + proposition déclarative

Elles ont ceci en commun que l'action ou la situation exprimée dans le premier
conjoint précède celle du second conjoint; celle-là est donc antérieure à celle-ci
d'un point de vue temporel.

Une étude satisfaisante de ces syntagmes de coordination demande, à notre avis, que l'on étudie la façon dont ils sont utilisés. Autrement dit, il faut tenir compte de l'aspect pragmatique. Mariana Tutescu définit la pragmatique comme "l'examen des rapports complexes existant entre le langage et ses usages, entre le discours et le contexte situationnel, entre l'énoncé et la situation d'énonciation "3. Dans le Dictionnaire de linguistique Dubois et al. définissent la pragma-

1: Les termes "conjoint" et "élément coordonné" sont utilisés comme synonymes par
nous. Le tout, c'est-à-dire les éléments coordonnés + d'éventuelles expansions communes
+ le coordonnant, est appelé "syntagme de coordination".

Il convient de noter que cet article s'intègre dans un projet d'étude intitulé Coordonnants
et éléments coordonnés dans le français journalistique des années 1970. Notre projet
d'étude est subventionné par le Conseil Norvégien de la Recherche Scientifique.

2: "Pragmatic Constraints on the Use of a Syntactic Construction in Norwegian" p. 122-124, Grammars. Sentence Grammars. or Both?" p. 10-23 Ces deux articles ne sont pas publiés. Cf. aussi 'Text Grammars, Sentence Grammars, Presuppositions and Pragmatics"p. 21-31 in Working Papers in Linguistics, University of Oslo N° 4 1973.

3: Cf. Mariana Tutescu: Précis de sémantique française, éd. Klincksieck, Paris, 1975, p. 178.

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tique ainsi: "L'aspect pragmatique du langage concerne les caractéristiques de
son utilisation (motivations psychologiques des locuteurs, réactions des interlocuteurs,types
socialisés de discours, objet du discours etc. ..."

En parlant, on accomplit des actes; c'est là l'hypothèse de départ de John Searle4, un des théoriciens de la pragmatique. Le nombre d'actes de langage ou d'actes illocutionnaires est très vaste: assertion, question, promesse, ordre, conseil, avertissement, menace etc. En fonction du choix d'unités lexicales, du type de phrase et du contexte extra-linguistique, on peut transmettre des actes de langage différents. On doit noter qu'il n'y a pas de correspondance bi-univoque entre type de phrase et acte de langage accompli. Premièrement, comme nous l'avons déjà souligné, le nombre d'actes illocutionnaires est très élevé, et les types de phrase consacrés par la tradition ne sont qu'au nombre de quatre (déclarative, interrogative, imperative et exclamative)s. Deuxièmement, bien que la phrase interrogative, par exemple, serve le plus souvent à transmettre l'acte d'interroger (question), on peut également effectuer un ordre en y recourant:

Te tairas-tu?

Et quoique la phrase déclarative s'emploie dans la plupart des cas pour accomplir
l'acte d'assertion, elle sert parfois à communiquer un ordre:

Vous emmènerez les enfants se promener.

Les quatre types de phrase (ou trois si l'on ne considère pas l'exclamative comme
un type primitif) se définissent à la fois par des critères syntaxiques et prosodiques.
Dans certains cas, seule l'intonation sert à distinguer les types différents:

II pleut.

Il pleut?

Trois des syntagmes de coordination présentés ci-dessus sont des phrases complexes,composées d'une proposition imperative et d'une proposition déclarative. Aucune des grammaires que nous avons consultées ne mentionne le cas où deux types différents de propositions s'unissent pour former une seule phrase6. Or, le



4: Cf. John Searle: Les actes de langage. Essai de philosophie du langage, Collection Savoir, Hermann, Paris, 1972.

5: Nous sommes encline à nous ranger du côté de ceux quine considèrent pas l'exclamative comme un type de phrase primitif au même titre que les trois autres. Cependant, c'est là un problème qui déborde le cadre de cet article.

6: Nous nous sommes proposé d'étudier la distribution des coordonnants à l'intérieur de la phrase. Il se trouve cependant qu'il n'y a pas de cloison étanche entre la linguistique qui traite les phénomènes syntaxiques au sein de la phrase et la linguistique du discours, qui étudie tout énoncé supérieur à la phrase. En ce qui concerne la coordination de propositions principales ou indépendantes, on peut les ranger dans une seule phrase ou dans deux, sans que le sens change. Ainsi les syntagmes de coordination que nous allons étudier peuvent constituer une seule phrase ou deux: A. Fais un effort, et tu réussiras ton examen. A'. Fais un effort! Et tu réussiras ton examen. En ce qui concerne les syntagmes où c'est un SN qui constitue le premier conjoint, il nous semble que la disposition des deux éléments coordonnés en deux phrases n'est possible que dans certains cas. En effet, si le premier conjoint transmet un ordre, le SN peut constituer un énoncé nominal sans être pourvu d'expansions facultatives (le déterminant constitue une expansion obligatoire): Un effort! Et tu réussiras ton examen. Si le SN traduit l'acte d'assertion, par contre, le premier conjoint ne peut, nous semble-t-il, constituer un énoncé nominal qu'à condition que le substantif soit pourvu d'une expansion dite "facultative" (cf. Pour enseigner le français publié sous la direction de Mortéza Mahmoudian, éd. P.U.F., Paris, 1976): ?Un effort. Et il passa son examen. Encore un effort. Et il passa son examen. On peut noter que dans les exemples authentiques que nous avons recueillis les deux conjoints forment une seule phrase.

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problème relatif au statut de cette phrase complexe se pose. Selon nous, les deux éléments constitutifs de cette phrase complexe ne fusionnent pas de manière à perdre leur identité. La phrase qui en résulte n'est donc ni imperative, ni déclarativeni quelque chose entre les deux. Elle consiste tout simplement en deux élémentsqui gardent leurs traits caractéristiques, et ceci explique qu'on puisse les ranger indifféremment dans une ou deux phrases (cf. note 6). Le problème se pose alors de savoir quelle sera la ponctuation à utiliser pour marquer la fin d'une telle phrase. Le choix ne peut être qu'arbitraire, et nous avons choisi d'utiliserle point. On peut faire à peu près les mêmes remarques pour les syntagmes où le premier conjoint est constitué par un SN. Ce SN peut traduire différents actes de langage: ordre, conseil, avertissement etc. Or, il n'existe pas de consensusquant à la ponctuation à utiliser à la fin d'une phrase se composant d'un SN exprimant l'ordre et d'une déclarative. Là aussi nous choisissons le point.

Ia. et Ib.

Les deux syntagmes de coordination dans lesquels ou sert de coordonnant seront traités ensemble. C'est que dans ces deux types le premier conjoint exprime à la fois un ordre ou une incitation quelconque et une condition7 et le second conjoint une sorte d'avertissementB. Soit les exemples suivants9:

(1) Encore une bière ou je t'assomme(rai).lo

(2) La fille ou il sera tué.

(3) Donne-moi encore une bière ou je t'assomme(rai).

(4) Donne-moi la fille ou il sera tué.



6: Nous nous sommes proposé d'étudier la distribution des coordonnants à l'intérieur de la phrase. Il se trouve cependant qu'il n'y a pas de cloison étanche entre la linguistique qui traite les phénomènes syntaxiques au sein de la phrase et la linguistique du discours, qui étudie tout énoncé supérieur à la phrase. En ce qui concerne la coordination de propositions principales ou indépendantes, on peut les ranger dans une seule phrase ou dans deux, sans que le sens change. Ainsi les syntagmes de coordination que nous allons étudier peuvent constituer une seule phrase ou deux: A. Fais un effort, et tu réussiras ton examen. A'. Fais un effort! Et tu réussiras ton examen. En ce qui concerne les syntagmes où c'est un SN qui constitue le premier conjoint, il nous semble que la disposition des deux éléments coordonnés en deux phrases n'est possible que dans certains cas. En effet, si le premier conjoint transmet un ordre, le SN peut constituer un énoncé nominal sans être pourvu d'expansions facultatives (le déterminant constitue une expansion obligatoire): Un effort! Et tu réussiras ton examen. Si le SN traduit l'acte d'assertion, par contre, le premier conjoint ne peut, nous semble-t-il, constituer un énoncé nominal qu'à condition que le substantif soit pourvu d'une expansion dite "facultative" (cf. Pour enseigner le français publié sous la direction de Mortéza Mahmoudian, éd. P.U.F., Paris, 1976): ?Un effort. Et il passa son examen. Encore un effort. Et il passa son examen. On peut noter que dans les exemples authentiques que nous avons recueillis les deux conjoints forment une seule phrase.

7: Etant donné que le second conjoint (Y) présuppose d'un point de vue logique le premier conjoint (X): ~ X conduit à Y, nous attribuons la condition au premier conjoint.

8: On peut noter que si l'on substitue sinon à ou, le sens reste le même: Donne-moi encore une bière, sinon je t'assommerai.

9: Les exemples quine sont pas dotés d"une référence ne sont pas authentiques. Nuus le& avons cependant soumis à un groupe de francophones.

10: Dans les systèmes hypothétiques où l'hypothèse porte sur l'avenir, on peut utiliser le présent ou le futur dans la principale cf. Knud Togeby: Fransk grammatik §560.

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Les exemples (1) et (3) d'un côté et (2) et (4) de l'autre peuvent être paraphrasé
sll de la même façon:

(1) et (3): Donne-moi encore une bière, car si tu ne me donnes pas encore une bière, je
t'assomme(rai).

(2) et (4): Donne-moi la fille, car si tu ne me donnes pas la fille, il sera tué.

Il faut noter que (1) et (2) peuvent être paraphrasés de bien d'autres façons
aussi:

Bois encore une bière, ...
Achète encore une bière, ...
Trouve encore une bière, ...
etc.

Le premier conjoint exprime donc à la fois une sollicitation et une condition et le second conjoint ce qui sera la conséquence si le destinataire ne se conforme pas à l'ordre donné. Plus précisément, en recourant à cette construction, l'émetteur fait savoir au récepteur que dans le cas où celui-ci n'obéirait pas à l'ordre, il lui arriverait quelque chose de désagréable, directement ou indirectement. Dans (1) et (3) c'est le destinataire en personne qui sera touché, tandis que dans (2) et (4) la conséquence ne sera malencontreuse pour lui qu'indirectement.

Nous avons dit que le second conjoint exprime une conséquence négative pour le récepteur. Plus exactement, ce conjoint annonce une conséquence que l'émetteur considère comme malencontreuse pour le destinataire à partir de ses connaissances de celui-ci. Soit la phrase suivante:

(5) Approche-toi ou je t'embrasse.

Paraphrase :

Approche-toi, car si tu ne t'approches pas, je t'embrasse.

Elle implique que le destinataire n'aime pas être embrassé par le locuteur, et
c'est la construction syntaxique utilisée qui nous amène à interpréter ainsi, nous
y reviendrons plus bas.

Les remarques que nous venons de faire à propos des intentions ou motivationspsychologiques de l'émetteur relèvent de la pragmatique. Cependant, ces considérations sont fondées uniquement sur la forme même des deux constructionssyntaxiques en cause. On n'a pas besoin de recourir au sens lexical des unitésemployées, ni au contexte extra-linguistique: ce sont les deux types de syntagmesde coordination qui excluent d'autres interprétations. Ainsi, même si l'on ne connaît pas le sens des monèmes utilisés, on sait, à partir des deux constructionssyntaxiques seules, que le locuteur incite l'allocutaire à faire quelque chose et que si celui-ci ne se conforme pas à l'ordre exprimé, il lui arrivera quelque chose qui lui déplaît. Ces deux types de structure ont un statut à part et peuvent,à notre avis, être considérés comme des constructions syntaxiques "idiomatisées".Par



11: Nous donnons le sens des syntagmes de coordination à travers des paraphrases (la phrase réalisée et sa paraphrase sont synonymes d'un point de vue cognitif).

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tisées".Parlà nous entendons que la structure syntaxique en soi est porteuse
d'un sens.

Il convient de noter que les syntagmes dans lesquels ou sert de lien semblent
toujours impliquer un conseil ou un ordre. Ceci explique pourquoi la phrase suivante
est inacceptable:

(6) *Un pas à droite ou tu serais tombé.

IIa.

Si l'on peut traiter ensemble les deux syntagmes de coordination dans lesquels ou sert de lien, cela n'est pas possible pour les constructions où et rattache les éléments coordonnés. C'est que la structure SN + et + proposition déclarative se prête à plusieurs interprétations; elle n'est pas toujours équivalente à son pendant lia, ce que montreront nos analyses.

Dans une certaine mesure la construction proposition imperative + et + proposition déclarative s'apparente aux deux précédentes: le premier conjoint exprime à la fois un ordre et une condition. Or, alors que les deux structures syntaxiques précédentes nous amènent, par leur forme syntaxique même, à conclure que le second conjoint exprime une conséquence négative pour le récepteur, la construction Ha permet, d'un point de vue pragmatique, deux interprétations. Prenons un exemple, qui, hors le coordonnant, correspond à la phrase (5):

(7) Approche-toi et je t'embrasse.

En ce qui concerne l'aspect proprement sémantique, il n'y a pas de problèmes;
seule la paraphrase suivante semble possible:

Approche-toi, car si tu t'approches je t'embrasse.

Il convient de remarquer qu'alors que la condition prend la forme d'une conditionnelle
négative dans la construction avec ou, elle doit être paraphrasée, dans la
présente construction, à l'aide d'une conditionnelle affirmative.

Si l'on tient compte du facteur pragmatique, l'exemple (7) se laisse interpréter
de deux façons:

a. Le locuteur considère la conséquence, rendue par la déclarative, comme positive
pour l'allocutaire ; le locuteur exprime ainsi à travers la déclarative une sorte
de promesse.

b. Le locuteur considère la conséquence comme négative pour l'allocutaire; le locuteur exprime donc une sorte de mise en garde ou de menace. Pour comprendre cette dernière interprétation, il faut voir dans l'ordre exprimé par la proposition imperative une sorte de défi: en réalité l'émetteur ne veut pas que le récepteur s'approche.

Afin de pouvoir opter pour l'une ou l'autre des deux interprétations, on est
obligé de prendre en considération le contexte extra-linguistique: il faut connaître
les rapports entre le locuteur et l'allocutaire.

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Dans certains cas, cependant, le sens lexical des unités linguistiques utilisées
semble suffire: le contenu de la déclarative revêt un aspect positif quel que soit
le destinataire et quels que soient les rapports entre celui-ci et l'émetteur:

(8) Fais un effort, et tu auras une récompense.

De même dans l'exemple suivant, le sens des unités constitutives de la déclarative,
semble indiquer que le locuteur émet une sorte d'avertissement:

(9) Fais un pas à droite et tu seras mort.

Pour interpréter la construction lia, il faut donc se fonder non seulement sur le sens lexical des monèmes utilisés, mais aussi sur le contexte extra-linguistique dans certains cas. Si l'on interprète le contenu de la déclarative comme une sorte de mise en garde, l'ordre exprimé par le premier conjoint revêt automatiquement une nuance de défi: le locuteur dit en effet le contraire de ce qu'il pense.

IIb.12

Cette construction se révèle beaucoup plus compliquée que les trois précédentes, et de loin. En dehors du type de communication institué entre le locuteur et son interlocuteur (les actes de langage), il faut tenir compte du temps utilisé dans la proposition déclarative et du contexte linguistique du syntagme de coordination.

Alors que la construction lia implique toujours une sorte de conseil ou d'ordre, ce n'est pas là le cas pour Ilb, ce que montrent les interprétations différentes auxquelles se prête ce dernier type de syntagme. Notre construction permet un des 5 types d'interprétation suivants:

\. SN + et + proposition déclarative correspond à la structure Ha: ainsi SN exprime à la fois un ordre et une condition, et la déclarative une conséquence soit positive soit négative pour le destinataire. La déclarative indique donc ce qui arrive au récepteur si celui-ci se conforme à l'appel du premier conjoint.

Exemples:

(10) Un effort et tu auras une récompense. (Cf. exemple (8))
Paraphrase:

Fais un effort, car si tu fais un effort, tu auras une récompense.

( 11) Une semaine de travail, et tu passeras ton examen.



12: Nous tenons à souligner encore une fois que le SN de ce syntagme se prête àun nombre très élevé d'interprétations. Ou plus précisément, dans le cadre de chacun des 5 types d'interprétation auxquels se prête cette construction, le premier élément coordonné peut recevoir un grand nombre de paraphrases. Soit l'exemple: Encore une bière et je pars. Si l'on considère le premier conjoint comme exprimant une hypothèse par exemple (cf. interprétation 2), on peut le paraphraser de bien des manières: Si tu bois/achètes/... encore une bière 5/ on met encore une bière sur la table etc. De même si l'on adopte l'interprétation 1, selon laquelle le premier conjoint exprime à la fois un ordre et une condition, le nombre de paraphrases possibles est immense. Ainsi, les paraphrases que nous donnons ne sont-elles pas les seules acceptables.

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Paraphrase:

Fais une semaine de travail, car si tu fais une semaine de travail, tu passeras ton examen.

On n'a guère besoin, selon nous, de prendre en considération les données extralinguistiques pour voir dans ces deux phrases une sorte d'incitation amicale. Dans l'exemple suivant, par contre, il semble nécessaire de tenir compte non seulement du sens des éléments linguistiques, mais aussi du contexte situationnel:

(12) Encore un mot, et je te dirai la vérité.

Paraphrase :

Dis encore un mot, car si tu dis encore un mot, je te dirai la vérité

Interprétation a.: A supposer que le destinataire désire connaître la vérité, le second
conjoint est porteur d'une promesse.

Interprétation b.: A supposer que le destinataire ne désire pas connaître la vérité,
le second conjoint est porteur d'une sorte de menace, et l'appel du premier conjoint
revêt une nuance de défi.

Il est à noter qu'on peut réserver à l'exemple (12) les interprétations 2 ou 5
(cf. plus bas) aussi.

Pour admettre l'interprétation 1, il faut que la condition suivante soit remplie:

— la déclarative est au présent ou au futur.

2. SN + et + proposition déclarative exprime une hypothèse qui porte sur l'avenir.Pour que cette interprétation soit possible, cependant, il faut que ia propositiondéclarative soit au futur ou au présent. Entre les interprétations 1 et 2 il y a une différence quant au mode de communication. Selon 1 le locuteur donne un conseil, tandis que selon 2 il émet tout simplement une hypothèse sur l'avenirl3. Cette différence est marquée grâce à l'intonation dans le code oral. Dans le code écrit, l'intonation est traduite à l'aide de signes de ponctuation, mais d'une façon très insuffisante. En se fondant sur un corpus écrit, on doit donc admettre pour



13: On peut rapprocher les constructions hypothétiques des syntagmes de coordination que nous examinons. En effet, à la phrase Si tu fais un effort, tu auras une récompense, on peut donner un des types d'interprétation 1 ou 2. Les constructions hypothétiques s'apparentent aux syntagmes de coordination où et sert de lien; c'est que celles-là permettent comme ceux-ci deux lectures d'un point de vue pragmatique: promesse ou menace. Dans certains cas on n'a pas besoin de recourir au contexte extra-linguistique pour déterminer de quel acte de langage il s'agit: Si tu fais encore un pas, tu seras mort. Dans d'autres, le recours au contexte s'impose: Si tu ouvres la bouche, j'enlève mes chaussures. Si l'on choisit pour ce dernier exemple l'interprétation 1, il faut donc prendre en considération le contexte pour déterminer s'il s'agit d'une promesse ou d'une menace.

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la même phrase plusieurs interprétations également acceptables. Ainsi, les exemples(10), (11) et (12) cités plus haut, peuvent-ils aussi être interprétés comme de simples hypothèses portant sur l'avenir. Ils reçoivent alors les paraphrases suivantes:

paraphrase de (10):

Si tu fais un effort, tu auras une récompense

paraphrase de (11):

Si tu fais une semaine de travail, tu passeras ton examen,

paraphrase de (12):

Si tu dis encore un mot, je te dirai la vérité.

3. SN + et + proposition déclarative exprime une hypothèse qui porte sur le passé;
il s'agit donc d'un irréel du passé.

Exemple:

(13) Un pas à droite, et je serais tombée. (Cf. exemple (6))
paraphrase:

Si j'avais fait un pas à droite, je serais tombée.

Pour recourir à cette interprétation, il faut que le verbe de la déclarative soit au
conditionnel ou éventuellement au plus-que-parfait du subjonctif.

4. SN + et + proposition déclarative réfère à des faits qui se sont réellement passés.

Exemples:

(14) Une heure de route et il arrive au lieu de destination,
paraphrase :

II fait une heure de route et il arrive au lieu de destination.

(15) Une semaine de travail et il passait son examen,
paraphrase :

II faisait une semaine de travail et il passait son examen.

Afin de pouvoir réserver cette interprétation à notre construction, il faut que la
condition suivante soit remplie:

- le verbe de la déclarative est au passé ou éventuellement au présent. Dans le dernier cas, il s'agit d'un présent historique. Pour déterminer si l'on a affaire à un présent historique, il est nécessaire de se reporter au contexte linguistique. Si ce contexte est au passé, nous réservons l'interprétation 4 à notre exemple. Dans un contexte du présent, par contre, il faut donner à une phrase telle que (14) l'interprétation 1 ou 2. Le contexte linguistique se révèle ainsi important dans certains cas. Détachée du contexte, la phrase (14) se prête donc à la fois aux interprétations 1, 2 et 4.

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5. SN 4- et + proposition déclarative exprime deux faits futurs. Cf. l'exemple
(12):

(12) Encore un mot, et je te dirai la vérité

paraphrase :

Je dirai encore un mot, et puis je te dirai la vérité.

Pour que cette interprétation soit possible, il faut que la déclarative soit au présent
ou au futur.

Il convient de noter que les interprétations 2-5 sont compatibles avec l'exclamatio
nl4. L'émetteur peut donc recourir àla construction SN +et+ proposition
déclarativels également pour exprimer un sentiment vif.

Exemples:

(16) Une semaine de travail et il passait son examen! (Cf. (15))

paraphrase :

II faisait une semaine de travail et il passait son examen!

(17) Un pas à droite et je serais tombée! (Cf. (13))

paraphrase:

Si j'avais fait un pas à droite, je serais tombée!

Il ne semble pas y avoir de restrictions relatives au temps utilisé pour admettre
que l'exclamation se "superpose" à une des autres interprétations.

Fretheim mentionne dans un de ses articlesl6 que la construction 57V +et+ proposition déclarative peut traduire "a promise, or a warning, or some speech act that does not involve any councelling on the part of the speaker". Il n'aborde cependant pas une analyse de fond des cas où la construction ne transmet pas de conseil de la part de l'émetteur; c'est qu'il s'est proposé d'étudier ce qu'il appelle "conditional imperatives" seulement.

Nous avons étudié ci-dessus 5 types d'interprétation différents, qu'on peut appliquerà
la construction en question. Nous ne prétendons cependant pas avoir
présenté une liste exhaustive de toutes les interprétations qui en sont possibles.



14: Plus précisément l'exclamation est une notion générale qui s'applique à tout un groupe d'actes de langage: étonnement, impatience, indignation, mépris, regret etc. Etant donné que l'exclamation peut se combiner avec d'autres actes de langage, tel celui de question, on ne saurait la considérer comme un acte de langage primitif. Ce groupe d'actes se caractérise par le fait que le locuteur ne s'adresse pas forcément à un allocutaire. Au lieu de paraphraser l'exclamation à l'aide d'unités lexicales, nous avons choisi de la traduire dans les paraphrases, à l'aide d'un point d'exclamation.

15: Si l'on considère qu'il n'y a que trois types de phrase primitifs, on peut classer la proposition, même dans ce cas, comme une déclarative. Cependant, en opérant avec trois types primitifs seulement, on suppose que, pour exprimer l'exclamation, il faut pourvoir un de ces trois types d'une composante affective.

16: Cf. "Text Grammars, Sentence Grammars, or both?", p. 17.

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Illa

Voici quelques exemples de cette construction que Fretheim ne traite pas dans
ses articlesl7:

(18) Fais comme tu veux, mais tu seras responsable,

paraphrase :

Fais comme tu veux, mais si tu fais cela, tu seras responsable.

(19) Aide-le, mais personne ne te remerciera
paraphrase:

Aide-le, mais si tu l'aides, personne ne te remerciera.

Comme pour les constructions où et et ou servent de lien entre une imperative et une déclarative, le premier conjoint exprime àla fois une conditionlB et un appel. Quant au second conjoint, il transmet le résultat négatif pour le destinataire au cas où il se conformerait à l'appel. Il s'ensuit que l'incitation du premier conjoint est à considérer comme une sorte d'avertissement. C'est la construction syntaxique même qui nous amène à interpréter ainsi. Les coordonnants ou et mais ont donc ceci en commun que, quand ils relient une imperative et une déclarative, la structure syntaxique en elle-même implique certains facteurs pragmatiques: Si ou sert de lien, le second conjoint exprime ce qui sera la conséquence négative au cas où le récepteur ne se conformerait pas à l'appel du premier conjoint; si mais constitue le lien, le second élément coordonné transmet la conséquence négative au cas où le destinataire se conformerait justement à l'appel du premier élément coordonné. Pour les deux constructions on n'a donc pas besoin de recourir au sens des monèmes utilisés, ni au contexte situationnel pour faire ces considérations d'ordre pragmatique.

IIIb.

En ce qui concerne cette dernière construction, les avis des informateurs sont opposés dans certains cas. Alors que l'exemple (20) semble acceptable à toutes les personnes interrogées, (21) est considéré comme acceptable par quelques-uns seulement:

(20) Encore un saut, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

(21) ?Un saut, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

Egalement pour l'exemple (22) les avis des informateurs diffèrent. Certains l'ont
accepté, mais seulement en tant qu'exclamation. Deux des personnes interrogées
ont interprété le premier élément coordonné comme exprimant un ordre, mais



17: Fretheim se borne à analyser les coordonnants et et ou et ne mentionne pas le rôle que mais peut jouer dans les environnements en question.

18: En ce qui concerne la construction Illa, nous admettons qu'à la place d'une condition on peut y voir une concession.

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pensent que l'exemple est d'une grammaticalité douteuse. Le reste des informateursle
rejette catégoriquement:

(22) Encore un essai, mais tu le regretteras.

Les phrases (23) et (24) ont été acceptées par presque tous les informateurs:

(23) Encore un chapitre, mais tu dois le lire distinctement.

(24) Encore un essai, mais je ne promets rien.

On peut réserver à ces phrases l'interprétation 1 (cf. p. 25), selon laquelle le premier conjoint exprime à la fois un incitation et une condition. Pour ce qui est du second conjoint, celui-ci véhicule une mise en garde ou une réserve de la part du locuteur.

Le premier conjoint de cette construction ne peut pas transmettre une simple
hypothèse sur l'avenir; l'interprétation 2 (cf. p. 25) est doc exclue. Il en est de
même pour l'interprétation 3, où l'hypothèse porte sur le passé:

(25) *Un pas à droite, mais tu serais tombée.

Il semble donc que certaines restrictions se rattachent à cette construction syntaxique. Pour qu'on la juge tout à fait acceptable, le SN semble avoir besoin d'une expansion (comparer (20) et (21)). Le choix d'expansion est cependant restreint, comme le mettent en lumière les exemples suivants, qui sont considérés comme douteux par la quasi-totalité des informateurs:

(26) ?Un saut énorme, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

(27) ?Un saut admirable, mais il n'arrivait pas à franchir le mur.

Deuxièmement, il y a des restrictions quant à l'emploi des temps; la construction paraît plus acceptable dans un contexte du passé (cf. (20)) que dans un contexte du présent/futur (cf. (22), (23) et (24), exemples à propos desquels les avis sont opposés). On peut conclure que la construction 57V + mais + proposition déclarative est affectée de bien des restrictions et qu'elle s'avère, en plus, difficile à interpréter.

Conclusion

Nous avons traité ci-dessus l'emploi des coordonnants et, ou et mais dans les environnements:

/proposition imperative proposition déclarative/

et /SN proposition déclarative/

Les six structures examinées ont été soumises à une étude d'ensemble du fait: a. que, pour les interpréter d'une façon satisfaisante, il faut dans certains cas tenir compte des dimensions pragmatiques. Plus précisément, c'est quand elles se laissent interpréter comme des "conditional imperatives" (cf. interprétation 1), qu'on doit faire intervenir la pragmatique.

b. qu'elles permettent toutes l'interprétation selon laquelle le premier conjoint
exprime à la fois un ordre et une condition (toutefois, en ce qui concerne 57V +
mais + déclarative les avis sont opposés).

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II semble donc raisonnable, en ce qui concerne les deux environnements examinés, de rapprocher les trois coordonnants et, ou et maisl9. Il faut pourtant souligner que et se distingue des deux autres pour ce qui est de la puissance coordinative, ce qui ressort clairement si ¡SN déclarative/ constitue l'environnement. Dans cet entourage et permet 5 interprétations, ou l'interprétation 1 seulement, et mais l'interprétation 4 et éventuellement 1 et 5. Comme nous l'avons déjà remarqué, la construction SN + mais + déclarative semble non seulement affectée de bon nombre de restrictions, mais s'avère aussi difficile à interpréter.

Les coordonnants et et mais se rapprochent à un certain égard: l'incitation éventuelle du premier conjoint (cf. interprétation 1) est affectée d'une réserve et (ou) revêt une nuance de défi quand mais sert de coordonnant. Il en est de même pouref si le second conjoint exprime une menace ou une mise en garde.

Dans le cadre de l'interprétation 1 les deux coordonnants mais et ou se ressemblent
aussi: le second conjoint transmet toujours un avertissement ou quelque
chose qui doit être conçu comme négatif pour le récepteur.

Nous allons terminer sur quelques exemples authentiques:

Paysans et chercheurs, encore un effort, et le prix de l'anis français sera compétitif avec
le prix de l'anis chinois. (Le Monde ler août 1978, p. 17, c. 3)

Un coup d'oeil à droite, un autre à gauche, un ordre bref au palefrenier de service, et la
perche en un tournemain était posée tout haut des chandeliers à 1,70 mètre. (Le Monde
ler août 1978, p. 11, c. 3)

Le temps d'imaginer ces 40" pendant lesquelles le pilote maintient son accélérateur écrasé
sous son pied, et déjà la fête était finie. (France-Soir 9 juin 1979, p. 19, cl)

Marianne Hobœk Haff

Oslo

Résumé

Dans le présent article nous nous sommes proposé d'étudier l'emploi des coordonnants et,
ou et mais dans les deux environnements suivants:

/proposition imperative proposition déclarative/

et /syntagme nominal proposition déclarative/

Si nous avons choisi de soumettre ces six constructions justement à une étude d'ensemble,
c'est pour trois raisons: Premièrement, il faut dans des cas bien précis tenir compte de facteurspragmatiques,
à notre avis, pour pouvoir les interpréter d'une façon satisfaisante. Deuxièmement,dans



19: Et, ou et mais semblent être les seuls coordonnants possibles dans ces constructions. Le coordonnant car apparaît certes dans les environnements en question, comme le montrent les exemples ci-dessous: Donne-moi de l'eau, car j'ai soif. Encore de l'argent, car j'en aurai besoin. Or, si car sert de lien, le syntagme de coordination n'assume jamais le rôle de "conditional

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xièmement,danstoutes les constructions examinées le premier conjoint peut exprimer un
ordre et,une condition à la fois. Troisièmement, et, ou et mais semblent être les seuls coordonnantspossibles
dans les constructions dites "conditional imperatives".

Bibliographie

Dubois, Jean et al.: Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1973.

Fretheim, Thorstein: "Pragmatic Constraints on the Use of a Syntactic Construction in Norwegian".
Article non publié.

Fretheim, Thorstein: 'Text Grammars, Sentence Grammars, or Both?" Article non publié.
-: 'Text Grammars, Sentence Grammars, Presuppositions and Pragmatics", in Working Papers
in Linguistics, University of Oslo N° 4, 1973.

Mahmoudian, Mortéza: Pour enseigner le français, P.U.F., Paris, 1976.

Searle, John: Les actes de langage. Essai de philosophie du langage. Collection Savoir, Hermann,
Paris, 1972.

Togeby, Knud: Fransk grammatik, Gyldendals forlag, Kobenhavn, 1965.