Revue Romane, Bind 17 (1982) 2

Boulevard écrit

par

Bernard Magné

Il vouait une inaltérable passion à tout ce qui s'édifie sur les mots, assemblant et combinant calembours et paronomases, homonymes et anagrammes, rimes et palindromes. Il s'avançait jusqu'à prétendre qu'on ne saurait saisir l'enchaînement des pensées et les constellations qu'elles forment, tant qu'on refuserait d'admettre qu'en mainte circonstance les . mots, non moins que les choses, s'assemblent selon de secrètes affinités.

Jean Ricardou, La Prise de Constantinople

"Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se
trouvait absolument désert."*

Cette phrase initiale de Bouvard et Pécuchet pourrait appeler le commentaire que, dans Madame Bovary, Emma réserve aux conversations de Charles: "plates comme un trottoir de rue": d'autant que du boulevard à la rue, il n'y a, généralement, qu'un pas, ou guère plus.

Mais s'agissant d'un auteur dont le rêve était d'écrire un "ouvrage (...) arrangé de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui ou non",l cette platitude pourrait bien dissimuler quelques accidents insoupçonnés. Et si le boulevard sur quoi s'ouvre l'espace de la fiction retrouvait ici — entre autres — sa fonction première? On le sait: avant d'être cette "promenade plantée d'arbres", évoquant le plaisir des errances sans contraintes, le boulevard a été "le terre-plein d'un rempart" et, par extension, la "place forte qui met un pays à l'abri de l'invasion des ennemis" (Littré). Ainsi le texte se désigne comme le lieu d'un conflit, d'une "belligérance",2 et plutôt qu'à une déambulation nonchalante, c'est bien à une prise vigoureuse qu'invite cette prose.

Flaubert lui-même avouait avoir trouvé son incipit "après tout un après-midi
de torture".3 Torture, travail: le souvenir du vieux tripalium latin indique assez



1: Lettre à Boailhet, 4 septembre 1850.

2: Voir J. Ricardou, "Le texte en conflit" (problèmes de la belligérance textuelle à partir de Madame Bovary) in Nouveaux problèmes du roman, Seuil, 1978.

3: Lettre à Ernest Commanville, ler août 1874.

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que c'est tout un. C'est donc à ce travail du texte que je voudrais m'attacher, non dans une tentative pour reconstituer l'engendrement de cette première phrase, ce qui relèverait d'une impossible archéologie textuelle où l'analyse ne ferait que s'épuiser à la poursuite d'une illusoire et improbable origine, mais en essayant de montrer quelques uns des complexes réseaux de relations disposés par cet énoncé initial. C'est dire assez clairement que le concept de production textuelle, sous-jacent à toute ma lecture, désigne le texte non comment effet mais comme cause, non comme produit mais comme producteur.4 C'est dire aussi que le découpage est rien moins qu'innocent. S'il est évident que l'incipit d'un roman est un de ses lieux stratégiques,s cette importance ici se trouve encore accrue par l'abondance des signes démarcatifs: syntaxe, ponctuation et typographie se combinentpour faire de cette phrase-paragraphe une lexie sans doute un peu moins arbitraire qu'une autre.6 Mais surtout, d'un point de vue méthodologique, il m'a semblé intéressant de choisir comme unité de lecture un texte monophrastique pour montrer qu'à partir du moment où un énoncé est reconnu comme appartenantau discours littéraire, il est à la fois le lieu et l'objet de ce mode spécifique de signification que Riffaterre appelle la signifiance, et qui repose notamment sur l'intertextualité, c'est-à-dire sur la présupposition d'autres textes. Ce qui va suivre peut donc aussi se lire comme une tentative de penser les rapports inévitablesmais conflictuels du sémiotique et du sémantique dans le texte de fiction.

L'illusion référentielle

Dans un article connu, Roland Barthes attribue à certains éléments du récit la fonction de connoter le "réel".7 Mais doit-on, comme il le fait, limiter cet "effet de réel" aux seules séquences qu'aucune fonction de l'analyse structurale ne permet de justifier? Ne doit-on pas plutôt admettre que l'illusion référentielle dont participe l'effet de réel caractérise tout récit dans son ensemble, même si elle prévaut largement dans le roman réaliste? Dire que le texte littéraire doit certaines de ses particularités à l'absence de réfèrent ou plus exactement à son "simulacre de réfèrent"B ne doit pas conduire à négliger la référence qui, comme le rappelle J. Ricardou, fait de tout texte littéraire une fiction:



4: Je partage sur ce point précis les thèse défendues par M. Riffaterre dans La Production du texte, Seuil, 1979.

5: Puisqu'il s'agit de Flaubert, je renvoie à l'étude de C. Duchet sur l'incipit de Madame Bovary: "Pour une socio-critique ou variations sur un incipit" in Littérature, n° 1, 1971.

6: J'emprunte lexie à R. Barthes: "Le signifiant tuteur sera découpé en une suite de courts fragments contigus, qu'on appellera lexies, puisque ce sont des unités de lecture. Ce découpage, il faut le dire, sera on ne peut plus arbitraire" (S/Z, Seuil, Points, p. 20).

7: "L'effet de réel" in Communications n° 11.

8: M. Arrivé, Les langages de Jarry, Klincksieck, 1972, p. 17-19. Voir aussi J. Kristeva: "Le signifié poétique à la fois renvoie et ne renvoie pas à un réfèrent" ("Poésie et négativité" in Recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 253). Mais le précurseur, ici encore, est Mallarmé parlant de la "presque disparition" d'un fait de nature "selon le jeu de la parole" {Crise de vers).

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L'événement narré n'est pas seule succession des mots alignés par l'écrivain sur la feuille, ni davantage l'événement, réel ou imaginaire, auquel il s'est référé en écrivant. Il est Veffet de l'agencement scriptural en référence à tel événement, réel ou imaginaire: ce que nous appellerons une fiction.

Ce sont ces effets référentiels queje voudrais d'abord analyser.

Si l'incipit d'un roman joue dans son élaboration un rôle déterminant, ce n'est pas seulement au titre de cellule génératrice, selon le processus évoqué par Aragon dans Je n 'ai jamais appris à écrire ou les Incipit, mais aussi parce qu'il met en place l'univers spatio-temporel de la diégèse, satisfaisant ainsi à une des conditions de la lisibilité. La première phrase de Bouvard et Pécuchet n'échappe pas à la règle. Elle assure le fonctionnement de la fiction par le jeu d'un triple dispositif: au topographique et au météorologique vient en effet s'ajouter l'idéologique.

La référence au boulevard Bourdon ancre le récit dans un lieu géographique - ment repérable - une artère de Paris allant de la place de la Bastille au boulevard Morland - le dotant ainsi d'un espace objectif, selon un procédé éprouvé que Flaubert avait déjà utilisé au début de l'Education sentimentale en évoquant le quai Saint-Bernard et dans Salammbô en écrivant: "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Le contexte immédiat complète d'ailleurs cette détermination spatiale, puisque la seconde phrase commence par "Plus bas, le canal Saint-Martin..." tandis que le cinquième paragraphe mentionne la place de la Bastille et le Jardin des Plantes.

Les références temporelles sont plus retorses, puisqu'elles jouent sur la polysémie du mot temps (durée et/ou état de l'atmosphère): les ordinaires précisions chronologiques (on se souvient de l'Education sentimentale: "Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin...") sont donc remplacées par des notations météorologiques d'une objectivité absolue. En apparence, cette transformation n'altère pas le réalisme du texte: du point de vue de l'illusion référentielle, le syntagme "une chaleur de trente-trois degrés" possède un coefficient mimétique élevé, puisqu'il renvoie à un phénomène naturel que le lecteur a toute chance de connaître d'expérience.

En fait, cette métamorphose du "temps qui passe" en "temps qu'il fait" opère un déplacement: ce que vise la mimesis, ce ne sont plus seulement des choses mais des mots, et le texte alors obéit à un véritable "réalisme idéologique", puisque la chaleur dont il est question relève bel et bien des ces "idées reçues", qui, dans les projets de Flaubert, devaient constituer la seconde partie de Bouvard et Pécuchet. Ce n'est pas par hasard que le Dictionnaire des idées reçues comporte les deux articles suivants:



8: M. Arrivé, Les langages de Jarry, Klincksieck, 1972, p. 17-19. Voir aussi J. Kristeva: "Le signifié poétique à la fois renvoie et ne renvoie pas à un réfèrent" ("Poésie et négativité" in Recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 253). Mais le précurseur, ici encore, est Mallarmé parlant de la "presque disparition" d'un fait de nature "selon le jeu de la parole" {Crise de vers).

9: Le Nouveau Roman, Seuil, 1973, p. 27. Cette référence ne doit donc pas être confondue avec la référence linguistique, équivalent de ce qu'ici on nomme réfèrent.

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TEMPS: H temei sujet de conversation. Cause universelle des maladies. Toujours s'en
plaindre.

CHALEUR: Toujours insupportable. Ne pas boire quand il fait chaud.

La première phrase de Bouvard et Pécuchet offre donc un double fonctionnement référentiel idéologique. D'une part, le même système de causalité élémentaire régit l'univers de la fiction et celui de la réalité, ce qui pourrait s'énoncer trivialement sous la forme: on ne sort pas quand il fait très chaud. La chaleur étant, par définition, toujours insupportable, elle a comme inévitable conséquence la vacuité du boulevard Bourdon, lequel est donc doublement "réel": comme lieu référentiel parce qu'il existe, comme lieu vraisemblable parce qu'il s'y passe des choses en tout point conformes à celles qui se produisent dans la vie de tous les jours. La relation de causalité, qui se donne à lire d'emblée dans le premier mot du texte, est bien la preuve que le roman obéit aux mêmes lois que le réel; cette causalité devient le signe de la vraisemblance, c'est-à-dire de la similitude (avec le vrai), et il est heureux que ce Comme, incipit d'incipit, soit, dans le lexique, suffisamment ambigu pour signifier l'une et/ou l'autre. D'autre part, à cette mimesis de l'énoncé s'ajoute ce que j'appellerai une mimesis de renonciation. Le Dictionnaire des idées reçues le montre: c'est dans la "conversation" que la chaleur est "toujours insupportable", et pas seulement dans la réalité. Ce qui, dans celle-ci, demeure l'exception (il fait rarement trente-trois degrés à Paris) devient la norme dans celle-là (toujours s'en plaindre, toujours insupportable). Outre une règle expliquant une situation référentielle (en l'occurrence la vacuité du boulevard Bourdon), l'intolérance à la chaleur est donc aussi l'énoncé d'un discours, du discours-type du Dictionnaire, et c'est ce discours que reproduit l'incipit de Bouvard et Pécuchet, considéré sous l'angle de renonciation. En produisant un énoncé concernant "une chaleur de trente-trois degrés", la narration - au sens très précis que Genette donne à ce terme en l'opposant à histoire et récit - produit un récit dont les effets de réel ne se réfèrent pas seulement à un phénomène atmosphérique et à ses conséquences sur la circulation urbaine mais aussi à un fait de parole, puisque se trouve reproduite renonciation du discours stéréotypé tenu sur ce phénomène et sur ces conséquences.lo

Ainsi le texte de fiction, privé de réfèrent, n'est garanti que par son intertextualité.Si
cette première phrase de Bouvard et Pécuchet était un énoncé référentiel,elle
pourrait être soumise au critère de vérité; sa vérité ou sa fausseté ne



10: Du point de vue de renonciation, cette première phrase, avec notamment l'insolite précision de la température, fonctionne aussi sur le mode parodique comme imitation du discours scientifique. Son sens référentiel tend alors à disparaître au profit de sa signifiance textuelle: recourant à ce qu'on pourrait appeler une prolepse énonciative, le narrateur utilise d'emblée le type de discours que Bouvard et Pécuchet utiliseront par la suite systématiquement, avant d'en entreprendre, sous l'influence d'un scepticisme grandissant, une radicale remise en cause.

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pourrait être mesurée que par sa conformité ou sa non conformité à son réfèrent, c'est-à-dire à une effective vacuité du boulevard Bourdon due à une chaleur de trente-trois degrés. Mais il n'en va évidemment pas ainsi; et c'est là que l'absence de toute précision chronologique objective joue son rôle: puisque cette journée de canicule n'est pas datée, toute tentative pour vérifier la "vérité" de l'énoncé par confrontation avec son réfèrent est impossible. La transformation de la chronologieen météorologie n'abolit donc pas l'effet de réel, elle en modifie sensiblementla référence: c'est de sa similitude non pas tant à une réalité qu'à un discourstenu sur la réalité que cet incipit tire sa capacité à produire une illusion réaliste.

De la binarité des signes aux signes de la binarité

En tant qu'il est lui-même composé de signes, le texte littéraire n'échappe pas à
ce que F. Récanati appelle "les deux destins possibles du signe":

Soit le signe, opaque, apparaît comme chose, soit, au contraire, il acquiert une quasiinvisibilité et, diaphane, s'évanouit devant la chose signifiée. Quand la chose signifiée apparaît, le signe-comme-chose disparaît, et quand le signe-comme-chose apparaît, c'est la chose signifiée qui disparaît. Le signe-comme-chose et la chose signifiée sont exclusifs l'un de l'autre.ll

Dans ce que j'ai désigné comme "illusion référentielle", c'est îe signe-commechose
qui disparaît, au profit de la chose signifiée. Inversant le mouvement,
voyons ce qui apparaît lorsque la mise au point s'opère sur le signe-comme-chose.

A ce niveau, l'incipit de Bouvard et Pécuchet est incontestablement dominé
par une double allitération, c'est-à-dire par une récurrence de récurrence:
- TRente-TRois

- BOUlevard BOUrdon.

Dans deux groupes de lexèmes, à l'initiale, deux groupes de phonèmes (TR, BOU) se trouvent deux fois répétés. Par ce jeu sur les signifiants se met donc en place une véritable isotopie de la binarité, qui commande tout le début du roman. Mais cette inférence de l'allitération à l'isotopie, c'est-à-dire de l'élément au système, pose au moins deux questions de méthode.

Et d'abord celle de la pertinence de l'allitération par rapport au système de la langue. Si l'on veut bien admettre le caractère non-ré fé rentiel du texte de fiction, si l'on reconnaît qu'aucune réalité préexistante au roman n'a imposé à Flaubert le choix de telle température et de tel lieu, l'apparition dans l'énoncé des deux syntagmes "trente-trois" et "boulevard Bourdon" et les allitérations ainsi obtenues peuvent être soit fortuites soit délibérées. L'hypothèse d'un hasard linguistiques me semble devoir être écartée au moins pour deux raisons qui, toutes deux, s'appuient sur un recours à l'intertexte.



11: La transparence et renonciation, Seuil, 1979, p. 33-34.

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A ceux qui pencheraient pour une contingente rencontre de sonorités, l'intertextualité
élargie permet d'opposer tel passage connu d'une lettre de Flaubert à
George Sand:

Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je
suis sûr que je patauge dans le faux.

Ce qui tend à prouver:

- 1) que Flaubert recherche pour les éliminer les "mauvaises assonances";

2) que sil yade "mauvaises assonances", c'est qu'il yena qui, au contraire,
ne le sont pas;

3) que les assonances qui subsistent dans une phrase écrite "après tout un
après-midi de torture" peuvent raisonnablement être considérées comme
appartenant à cette dernière catégorie.

Quand à l'intertextualité restreinte, elle offre, dans le contexte immédiat de
l'incipit, un autre exemple d'allitération redoublée à l'initiale, avec la troisième
phrase du roman:

II y avait, au milieu, un Bateau plein de Bois et sur la Berge deux rangs de Barriques. La pertinence des allitérations TRente-TRois et BOUlevard BOUrdon une fois admise, le recours à la notion d'isotopie va de soi, puisque celle-ci se définit comme le champ ouvert par la récurrence d'unités linguistiques du plan de l'expression ou du plan du contenu. Reste à justifier le choix de la binante comme sème définitoire de cette isotopie. Contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture référentielle, l'incipit à lui seul multiplie au plan de l'expression les manifestations de cette binarité. Il y a deux allitérations différentes; chacune est constituée par deux occurrences d'un groupe de deux phonèmes; chacune se trouve dans un syntagme à structure binaire; la seconde a pour armature consonnantique la seconde lettre de l'alphabet; écrit en chiffre (comme dans la lettre du 6 août 1874) trente-trois c'est deux fois le chiffre 3; dans "degrés" il y a phonétiquement deux; la phrase de l'incipit comporte deux propositions et constitue un paragraphe de deux lignes.

Le contexte immédiat vient accroître le nombre des occurrences de cette binarité.En amont, c'est le titre doublement éponyme. En aval, c'est le second paragraphe où, d'emblée, la mention du canal Saint-Martin ajoute à l'effet de réel l'inévitable connotation religieuse du célèbre manteau partagé en deux, dans un espace typographique qui se scinde lui-même en deux phrases. Dans chacune d'elles apparaît le chiffre deux ("les deux écluses", "deux rangs de barriques") qui figure donc deux fois dans ce second paragraphe, dont la deuxième phrase offre, à côté de l'occurrence du lexème milieu (autant dire de Ventre-deux), la quadruple (=2x2) allitération en B déjà mentionnée. On peut donc considérer



12: Lettre à George Sand, après le 10 et avant le 14 mars 1876.

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ce deuxième paragraphe comme la duplication du premier au plan syntaxique (deux phrases au lieu d'une) comme au plan phonétique (quatre occurrences d'un lexème avec B initial au lieu de deux). Enfin, après un troisième paragraphe plus long mais lui aussi composé de deux phrases, le quatrième, très bref avec ses trois mots, exhibe à l'initiale le chiffre deux:

Deux hommes parurent.

Du point de vue de sa structure numérique, c'est donc l'exact reflet inversé du syntagme "trente-trois", puisque cette fois c'est au plan des signifiants que le trois domine (phrase de trois mots) tandis que le deux règle le plan du signifié. Cette relation spéculaire (voir tableau I) vient encore renforcer la structure chiasmatique binaire selon laquelle se disposent les quatre premiers paragraphes de Bouvard et Pécuchet si l'on estime pertinent le nombre des phrases qui constituent chacun d'eux (tableau II).


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Tableau I


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Tableau II

La preuve par deux

On le voit: c'est àun véritable "réglage numérique"l3 qu'obéit l'incipit de Bouvardet Pécuchet et la binarité y joue sans aucun doute ce même rôle de générateurque d'autres chiffres en d'autres textes, comme le trois et le huit dans le Voyeur de Robbe-Grillet ou le huit dans La Prise de Constantinople de Ricardou .l4 Ce sont en définitive les exigences de la sémiosis qui règlent les modalités



13: J'emprunte l'expression à l'article de J. Ricardou, "Ecrire en classe" in Pratiques, n° 20, 1978. Ce réglage numérique est ainsi défini: "II s'agit de concevoir un univers tel que puisse se réunir au plan matériel comme au plan idéel, un ensemble d'occurrences gouvernées par un même nombre ou éventuellement par tel de ses multiples" (p. 60).

14: Pour le Voyeur, se reporter àJ. Ricardou, Le Nouveau Roman, p. 81. Pour La Prise de Constantinople, voir J. Ricardou, "La fiction à mesure" in Nouveaux problèmes du roman.

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de la mimesis et expliquent l'apparition dans le texte des syntagmes les plus
aptes à se lire comme énoncés référentiels: "trente-trois degrés" et "boulevard
Bourdon".

Loin de devoir quoi que ce soit à l'antériorité d'une quelconque topographie, le choix de l'espace diégétique est en effet tout entier soumis aux contraintes textuelles. D'une part, selon un dispositif paragrammatique évident, boulevard n'est rien d'autre que la reprisels à peine modifiée de Bouvard. Boulevard, c'est l'altération, l'allitération de Bouvard; c'est le lieu de Bouvard: je risquerai le Bou-(lieu)-vard. D'autre part, pour obtenir à partir de boulevard - réitération approximative de Bouvard - un nouvel effet de réitération, il faut un nom de boulevard commençant par BOU. Une rapide vérification dans le Dictionnaire des rues de Paris révèle ce qu'on pouvait prévoir: seul le boulevard Bourdon remplit cette condition. C'est donc par une triple surdéterminationl6 qu'est régie la désignation de l'espace diégétique en ce début de fiction:

- la règle de la paronomase (variante de la binarité) impose le boulevard;
- la règle de l'effet de réel impose un boulevard existant;
- la règle de la binarité impose le boulevard Bourdon.

Un même jeu de contraintes explique l'insolite précision de la température. Au plan sémantique, l'exigence majeure est celle de l'espace vide, condition indispensable d'une part à la mise en relief, par contraste, de la rencontre des deux protagonistes (voir le quatrième paragraphe composé de ces seuls mots: "Deux hommes parurent" et par conséquent matérialisation typographique du surgisse - ment dans un entour désert; mais dès l'incipit, par le jeu de la polysémie, "se trouvait" peut, dans un effet de prolepse, se lire comme annonce de la rencontre) et d'autre part à la structure d'un récit devant s'achever sur une scène où les deux personnages se retrouvent seuls. Nécessité structurale, la vacuité du lieu exige à son tour une motivation réaliste: d'où la chaleur, dont on a vu l'efficacité référentielle. Pour mesure de cette chaleur, le nombre de degrés doit donc répondre aux critères suivants:

- correspondre à une température élevée (règle de motivation);

- correspondre à une température possible en climat parisien (règle de l'effet de
réel);



15: Reprise dans l'ordre chronologique du récit, c'est-à-dire selon le déroulement chronologique de la lecture. Refusant ici toute critique génétique, il ne me semble pas pertinent de déterminer quel est de Bouvard ou de boulevard le terme générateur: établir leur relation paronymique suffit à la production de la signifiance. La lecture des carnets de Flaubert publiés par Mme Durry montre que la rencontre "sur un banc du boulevard Bourdon" est programmée alors que Bouvard s'appelle encore Dumolard ou Dubolard; l'homéotéleute prouve que même dans cette esquisse primitive, Flaubert recherche l'allitération.

16: Sur le concept de surdétermination textuelle, voir Ricardou, Nouveaux problèmes du roman, p. 256-259.

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- comporter une allitération et un chiffre répété (règle de binante). Si une hésitation est à la rigueur possible entre 33 et 44, malgré le faible "réalisme" du second chiffre, il existe une raison supplémentaire pour finalement retenir trente-trois: comme l'allitération BOUlevard BOUrdon s'articule sur le B, initiale de Bouvard, TrenTe-Trois offre trois occurrences du T, graphème ultime de PécucheT. Combinant un meilleur effet de réel avec un supplémentaire effet de paragramme, trente-trois degrés s'imposait donc comme seule température possible pour la rencontre de Bouvard et Pécuchet en le seul lieu possible du boulevard Bourdon: ces trente-trois degrés sont bien là de force.

Le métalinguistique textuel

On a depuis longtemps décelé la structure circulaire de Bouvard et Pécuchet reposant
sur la symétrie entre le début de ce roman et les dernières indications rédigées
par Flaubert avant sa mort subite. Rappelons les textes:

Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument

Plus bas, le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses, étalait en ligne droite son eau
couleur d'encre. Il y avait, au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs
de barriques.

Bonne idée nourrie en secret par chacun d'eux. Ils se la dissimulent. De temps à autre, ils
sourient, quand elle leur vient - puis se la communiquent simultanément: copier. Confection
du bureau à double pupitre. - (s'adressent pour cela à un menuisier. Gorju qui a
entendu parler de leur invention leur propose de la faire. Rappeler le bahut.) Achat de
registres - et d'utensiles, sandaraque, grattoirs, etc.
Ils s'y mettent.

A J. Ricardou revient le mérite d'avoir montré que cette "mise en cercle" du
texte était fondée sur l'écriture:

Il faut tout un livre (...) à Bouvard et Pécuchet, qui abandonnent au début leur métier de copistes, pour en venir à s'y livrer de nouveau; mais la comparaison des dernières lignes du projet aux si lointaines premières du livre inachevé permet au renversement de se produire (...) du bois sur l'encre à l'encre sur le bois, selon une sagace copie qui permet la copie.

J'ajouterai que la relation dépasse la simple symétrie thématique. A qui veut bien
scruter l'opacité des signes apparaissent maints "reflets réciproques" relevant des
correspondances translinéaires.lB

En cette fin, fût-elle réduite à quelques notes, le texte dispose à l'évidence la
même isotopie de la binarité: c'est, au plan des signifiés, le syntagme "chacun



17: Pourune théorie du Nouveau Roman, beuil, 19/1, p. 160-161.

18: Sur ces relations translinéaires, voir Ricardou. "Le dispositif osiriaque" in Nouveaux problèmes du roman, p. 179 et sq.

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d'eux" (avec son homonymie obligée: chacun deux) et le bureau à double pupitre,et surtout, au plan des signifiants, le redoublement des doubles T: graT- Toirs, meTTent. Mieux: si à l'incipit la règle de dispersion paragrammatique inviteà voir dans les récurrences de B et de T de véritables monogrammes de Bouvardet PécucheT, comment éviter ici de pointer l'insolite rappel d'un bahut que rien ne vient motiver, si ce n'est justement une configuration spécifique — B initialet T final — qui le rend particulièrement apte à fonctionner comme emblème graphématique? Et si la sandaraque figure en toute vraisemblance dans les ustensilesnécessaires à la copie, je suis d'autant plus enclin à la rapprocher par allitérationtranslinéaire des barriques du second paragraphe qu'il s'agit d'une résine dont "on frotte le papier qu'on a gratté pour l'empêcher de boire" (Littré); du bois sur l'encre à l'encre sur le bois peut donc se compléter d'un autre renversement:de ce qui permet de boire à ce qui empêche de boire, il ne s'agit plus de bois que par calembour, mais il est toujours question Récriture.

Loin d'être en effet une simple recherche expressive, la référence à Venere dans le second paragraphe initial joue un rôle pleinement structurall9 déterminant une véritable isotopie de l'écriture. Par les effets d'homonymie dont il est virtuellement porteur, ce lexème organise le paragraphe selon un double sysstème:

— par son signifié, il se rattache à l'isotopie de l'écriture;

- par son signifiant ambigu (âkß(a) < ancre )' se rattacne a l'isotopie de la
navigation (canal, écluses, eau, bateau, berges).

Dans ce texte bi-isotopique, encre joue donc le rôle d'un embrayeur, puisqu'il peut être lu sur deux niveaux sémiques différents.2o Mais cet embrayage s'opère d'une manière asymétrique: c'est par dénotation que ce lexème est isotope à l'écriture et c'est par connotation qu'il est isotope àla navigation.2l S'il est donc vrai qu'une isotopie n'est pas nécessairement homogène et ne relève pas exclusivementde la dénotation ou de la connotation, je risquerai alors cette hypothèse:à une isotopie hybride22 de la navigation reposant sur une majorité de



19: Sur l'opposition entre métaphore structurale et métaphore expressive, voir Ricardou, "La métaphore aujourd'hui" in Problèmes du Nouveau Roman, Seuil, 1967, p. 123-157.

20: Que ce lexème occupe une position stratégique, en voici une preuve supplémentaire: en ce paragraphe tellement marqué par sa structure binaire et symétrique que le milieu y figure en toutes lettres, c'est précisément à égale distance des extrémités que Venere est jetée (19ème mot sur 37).

21: Navigation, écriture: le rapprochement de ces deux isotopies est peut-être moins fortuit qu'il n'y paraît. On le retrouverait dans Salut de Mallarmé, analysé par F. Rastier ("Systématique des isotopies" in A.J. Greimas, Essais de sémantique poétique, Larousse, 1972).

22: J'emprunte ce terme à Catherine Kerbat-Orecchioni {La connotation, P.U. de Lyon, 1977, p. 187-188).

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Tableau 111

dénotations et une seule connotation (encre) correspond une isotopie hybride de
l'écriture reposant sur une seule dénotation (encre) et sur une majorité de connotationsà
identifier (voir tableau III):

Or, puisqu'il s'agit à'écriture, identifier ces connotations revient à repérer dans le texte toutes les manifestations du métalinguistique textuel implicite, c'est-à-dire toutes les occurrences d'unités linguistiques qui, selon des modalités diverses, comportent un signifié second où figure le sème écriture. Le second paragraphe de Bouvard et Pécuchet me semble en offrir au moins trois exemples.

Les deux premiers relèvent de ce que j'appelle ia syllepse métatextueiie. En m'autorisant de l'exemple de Riffaterre qui parle de "syllepse intertextuelle"23 et en m'aidant comme lui de Fontanier, je définis cette figure come le procédé qui consiste à prendre un même mot tout à la fois dans deux sens différents, l'un primitif ou censé tel, mais toujours du moins propre, et l'autre figuré, ou censé tel, mais toujours du moins en relation soit avec le code global de la langue, soit avec le code local du texte où ce mot apparaît. Sur cette base, le syntagme "en ligne droite" a un ensemble de signifiés de dénotation qui renvoie à la topographie (le canal Saint-Martin); mais il a aussi un signifié de connotation selon lequel, par polysémie, ligne renvoie à la typographie. De la même façon, au début du paragraphe, "Plus bas" dénote l'espace diégétique de la fiction, mais connote l'espace textuel de ce paragraphe lui-même qui est matériellement placé en dessous du premier.24



23: "La syllepse intertextuelle", in Poétique n° 40, 1979.

24: Cette syllepse métatextuelle jouant sur la { nmo^P*"6 est devenue, dans le roman contemporain, une forme classique du métalinguistique textuel implicite. Je me bornerai à un double rappel: - la première phrase-des Lieux-dits de J. Ricardou: "A peine franchie, sous les nuées, cette sombre ligne de faîte, tout le pays, en contrebas, dispense ses reflets" figure, selon l'auteur, le texte lui-même: "les nuées répercutent la blancheur du papier en haut de la page initiale; la sombre ligne de faîte fait allusion à la première ligne d'écriture au sommet du texte" (LeNouveau Roman, p. 70); - plus récemment, le dernier roman de Claude Ollier, Marrakch-Médine est tout entier fondé sur la convergence entre parcours et discours.

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Le troisième exemple a déjà été cité; il concerne le lexème barriques que rien, à première vue, ne permet de rattacher à l'écriture, du moins au plan des signifiés. Seule une lecture translinéaire peut actualiser la virtuelle similitude de barriques et de sandaraque en mettant au jour

- un effet de paronomase au plan des signifiants: -aßik //-aßak;
-

un effet d'intersection sémique sur la base de l'élément commun: boire.

A ce stade de l'analyse, l'existence dès le second paragraphe de signifiés de connotation isotopes à Y écriture incite évidemment à une lecture rétrospective de l'incipit pour y rechercher des signifiés de même type. Et d'emblée, c'est l'indication temporelle qui retient l'attention. Dénotant un état de l'atmosphère, "il faisait" offre un nouvel exemple de syllepse métatextuelle puisque ce syntagme connote cette fabrique textuelle à laquelle Flaubert attachait tant d'importance. D'entrée de jeu est alors rappelée cette évidence si facilement oubliée par le lecteur "réaliste": c'est bien le narrateur qui, par son récit, produit l'histoire et son "réel". Loin d'être une donnée antérieure à l'écriture, la chaleur qui règne sur le boulevard Bourdon est le pur produit d'un faire scriptural, mais d'un faire sans sujet apparent: pas de meilleur exemple de la "disparition élocutoire du poète" que ce recours au masque de l'impersonnel pour évoquer un travail dont, dès le départ, Flaubert avait pressenti qu'il provoquerait son effective "disparition".2s Une telle lecture vient à son tour renforcer la construction circulaire du roman, puisqu'à ce "il faisait" initial peut désormais correspondre le "ils s'y mettent" final.26

Comme il fallait s'y attendre, la clausule de l'incipit — autre lieu stratégique — n'échappe pas au jeu réglé du métalinguistique textuel implicite. Si le lexème "désert" dénote la vacuité, sème indispensable au bon fonctionnement de cet élément canonique du récit qu'est la rencontre, il permet aussi, par certaines de ses connotations, l'embrayage sur l'isotopie de l'écriture. Par un dispositif paronymiquequ'on prendrait à tort pour un impertinent calembour, cette phrase où le phonème R est huit fois récurrent est effectivement désigné comme l'espace des R. Selon une figure désormais familière, espace référentiel et espace textuel se trouvent une nouvelle fois confondus, mais c'est bien le dernier qui ici domine,malgré les apparences. Loin que le roman reflète un quelconque lieu réel, c'est ce lieu même qui s'offre comme reflet d'une production discursive27 et c'est



25: "II me semble que je vais m'embarquer pour un très grand voyage, vers des régions inconnues et queje n'en reviendrai pas" (Lettre à Tourguenieff, 25 juillet 1874).

26: Cette correspondance fonctionne aussi dans le hors texte, et l'on peut comparer aux ultime préparatifs de Bouvard et Pécuchet ceux de Flaubert: "Hier, j'ai rangé toute mes "petites" affaires, ce matin je me suis taillé des plumes, et tout à l'heure, à 4 heures, après tout un après-midi de torture, j'ai enfin trouvé la première phrase de Bouvard et Pécuciïet" (lettre citée).

27: Cette prédominance de l'espace textuel sur l'espace référentiel est soulignée par Flaubert lui-même dans une lettre où il oppose sa pratique à celle d'un des frères Goncourt: "Goncourt est très heureux quand il a saisi dans la rue un mot qu'il peut coller dans un livre, et moi très satisfait quand j'ai écrit une page sans assonances ni répétitions" (Lettre à G. Sand, décembre 1875; les passages soulignés le sont par moi). C'est dire en quelques lignes toute la distance qui sépare la reproduction (le mot transféré de la rue au livre) de la production (attachement à la matérialité du signe dans l'espace de la page).

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au moment précis où il semble multiplier les preuves de sa vraisemblance par le recours aux signes les plus universellement admis de la vérité que le récit exhibe, non sans doute sans quelques pervers détours, les marques les plus sûres de sa littéralité.

Copie qu'on forme

On le devine: ce qui, dans un texte poly-isotopique, fait sens, ce n'est pas la simple juxtaposition d'isotopies diverses mais leur intrication. En combinant le binaire et le scriptural, l'incipit de Bouvard et Pécuchet se réfère, au sein même du métalinguistique, à un mode particulier d'écriture, à l'écriture comme copie. Actualisée par le geste final des deux commis, cette pratique du duplicata est déjà virtuellement présente dans la première phrase qui, sous l'aspect d'informations réalistes, multiplie les figures de la répétition comme fondement même de la production textuelle. Par la charge polysémique du Comme qui l'inaugure, la fiction tout entière s'élabore sous l'emblème de la répétition imitative, de la reproduction, mais d'une reproduction qui, d'être généralisée, ne prétend plus tenir lieu de réel et fait de la répétition avouée le seul réel possible. Ce n'est pas le: "tout est dit", mais le: "tout est redite". Référentiellement désert, le boulevard, qui retrouve en même temps son originelle circularité,2B littéralement bourdonne du toujours-déjà-dit. Il n'y a que de la réécriture et le parcours fictionnei s'ouvre dans le toujours-déjà-là d'un discours. Roman inachevé, Bouvard et Pécuchet est en même temps, et en un certain sens, un roman toujours déjà commencé. Mise en cercle, mais aussi mise en circulation, texte ouvert, en amont comme en aval, sur les stéréotypes et les idées reçues d'une époque donnée, sans doute, et en même temps sur la continuité du tissu textuel.

Et il ne me déplaît pas de constater, à titre d'ultime remarque, que cet incipit
échappe à la circularité pure et simple pour essaimer dans l'intertexte généralisé
de telle fiction contemporaine. De La Mise en scène:

Comme il fait une chaleur de quarante-cinq degrés, la grande rue d'Assameur se trouve
absolument déserte.

à Marrakch-Médine :

Comme il fait une température de quarante-cinq degrés, l'endroit est complètement désert
,3o



27: Cette prédominance de l'espace textuel sur l'espace référentiel est soulignée par Flaubert lui-même dans une lettre où il oppose sa pratique à celle d'un des frères Goncourt: "Goncourt est très heureux quand il a saisi dans la rue un mot qu'il peut coller dans un livre, et moi très satisfait quand j'ai écrit une page sans assonances ni répétitions" (Lettre à G. Sand, décembre 1875; les passages soulignés le sont par moi). C'est dire en quelques lignes toute la distance qui sépare la reproduction (le mot transféré de la rue au livre) de la production (attachement à la matérialité du signe dans l'espace de la page).

28: Boulevard: "promenade plantée d'arbres qui fait le tour d'une ville" (Littré).

29: Claude Ollier, La Mise en scène, 10-18, p. 52.

30: Claude Ollier, Marrakch-Médine, Textes-Flammarion, 1979, p. 72.

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toute l'oeuvre de Claude Ollier inscrit dans son propre travail de réécriture cet
incipit comme signe des rapports conflictuels que toute production narrative
entretient avec

tous les textes, littérairement constitués ou non, qui s'offrent à nous avec leur impressionnant
catalogue de formules narratives, lyriques, épiques, dramatiques, juridiques,
économiques, scientifiques, picturales, musicales, cinématographiques, etc.

Preuve, s'il en était besoin, que l'initial boulevard du roman de Flaubert croise
inévitablement les innombrables "sentiers (...) ouverts pas à pas, c'est-à-dire mot
après mot, par le cheminement même de l'écriture".32

Bernard Magné

Toulouse

Résumé

Au-delà d'une dimension référentielle évidente et banale, au moins en apparence, l'incipit de Bouvard et Pécuchet comporte une sous-jacente et capitale dimension littérale dont on analyse quelques fonctionnements. C'est d'abord, par les redoublements textuels à divers niveaux (graphème, lexème, syntagme, phrase) la mise en place d'une isotopie de la binarité. C'est ensuite par les figures métatextuelles (syllepse, paronomase) la mise en place d'une isotopie de l'écriture. C'est enfin par la combinaison de ces deux isotopies, la mise en scène du lieu référentiel initial comme lieu littéral emblématique de l'activité fondatrice du roman: la copie.



31: Claude Ollier, "Les inscriptions conflictuelles" in Pratiques, n° 10, 1976, p. 84.

32: Claude Simon, Orion aveugle, Les sentiers de la création, Skira, 1970, p. 6.

* Cet article reprend une communication faite à VAtelier pour une théorie matérialiste du texte qui s'est tenu à Cerisy-la-Salle en août 1980.