Revue Romane, Bind 17 (1982) 1

Timo Riiho: POR y PARA - Estudio sobre los orígenes y la evolución de una oposición prepositiva iberorrománica (Commentationes Humanarum Litterarum, vol. 62.) Helsinki, Societas Scientiarum Fennica, 1979. 320 p.

Arne-Johan Henrichsen

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Pour des raisons diverses, la thèse de doctorat de Timo Riiho mérite d'être considérée commeune
contribution importante et particulièrement solide à l'étude de la syntaxe non seulementdes
langues ibéro-romanes, mais aussi des langues romanes en général. Au premier regard,le

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gard,lesujet du livre, à savoir les prépositions qui se sont développées à partir des prépositionslatines pro et per, peut paraître assez mince. Or, l'auteur a un talent particulier pour utiliser les détails de sorte qu'ils jettent de la lumière sur des problèmes de grande envergure, souvent de nature très générale. Ainsi ce livre doit intéresser tous ceux qui dans leurs recherchesse sont occupés de la théorie des systèmes de prépositions, que ce soit dans le cadre d'une seule langue, d'un groupe de langues ou de la linguistique générale.

Parcourons rapidement les chapitres du livre. Dans son introduction (p. 11-53), l'auteur fait le point des études antérieures à la sienne, définit le but proposé et expose la méthode utilisée. Il ressort de son "Stand der Forschung" qu'il est admirablement bien documenté. Mais je ne crois pas me tromper en affirmant que c'est surtout un chercheur qui a inspiré sa réflexion. Je pense à Bernard Pottier et en particulier à son livre classique intitulé Systématique des éléments de relation et à son article Espacio y tiempo en el sistema de las preposiciones. MM. Pottier et Riiho ont d'ailleurs des traits en commun: l'esprit critique et une méthode rigoureuse avec en même temps une absence louable de sectarisme méthodologique. En ce qui concerne le but du travail, je cède la parole à l'auteur:

Nos proponemos estudiar el proceso histórico durante el cual se han transformado los significados y la naturaleza de las preposiciones románicas morfológicamente derivadas de los relatores analíticos latinos pro y per, prestando especial atención a la formación y la evolución de la oposición iberorrománica entre por y para. Basándonos en primer lugar en el castellano medieval, pero ampliando nuestra visión por medio del gallego-portugués y el catalán, intentaremos combinar las necesidades de un estudio etimológico racional con la comparación semántica sistemática, elaborar una teoría histórica coherente del nacimiento y el desarrollo de la preposición compuesta del tipo àepara, y relacionar el fenómeno iberorrománico con la evolución de otras lenguas románicas, (p. 41).

La méthode de M. Riiho se base avant tout sur une analyse sémantique où il reprend "la repartición clásica de Pottier en tres grandes campos de significación: el espacial, el temporal y el nocional" (p. 44). Ces champs de signification se divisent en un très grand nombre de sous-classes, environ quatre-vingts (p. 45-50). On est frappé par l'aisance avec laquelle M. Riiho manie cet outil compliqué, et la plupart des lecteurs, qui doivent déjà faire un grand effort intellectuel pour suivre l'auteur, lui sauront probablement gré de s'être arrêté là au lieu d'"efectuar una división mucho más detallada" (p. 50).

Comme complément à l'analyse sémantique, l'auteur se sert de deux critères auxiliaires, dont le premier est essentiellement syntaxique - il soumet ses matériaux à "una división tripartita que caracteriza el grado de interdependencia de la preposición y los términos principales de la rección". II distingue ainsi entre "la preposición fuerte", "la preposición debilitada" et "la preposición débil", en soulignant qu'une préposition peut passer d'une catégorie à l'autre selon le contexte (p. 51-52). Il ne faut pas confondre cette distinction avec celle, fort répandue, entre prépositions vides (ou incolores), prépositions à demi vides et prépositions pleines, notions que discute d'ailleurs l'auteur (p. 37-4o).

Deuxième critère complémentaire: la statistique. Le sous-système prépositif dont s'occupe l'auteur consiste en plusieurs formes {por, per, pra, pa, pora, para, pera, per a), et le nombre des exemples dont il dispose se monte à plus de 50000 (dont plus des deux tiers sont inclus dans les statistiques). Cette masse d'exemples se répartit sur toutes les époques depuis le VIIIe siècle - M. Riiho a dépouillé des chartes latines en provenance de la péninsule ibérique - jusqu'aux langues modernes de la même région. Grâce à ce fond très étendu de matériaux variés, la méthode statistique a pu jeter de la lumière sur beaucoup de points de détail (voir par exemple les statistiques p. 233-235, dont il ressort qu'à travers les siècles para a gagné du terrain aux dépens de por en castillan, ce dernier restant toutefois largement majoritaire).

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L'introduction est suivie de trois chapitres intitulés respectivement "Las lenguas románicas en su estado medieval", "Reconstrucción de la fase protorrománica" et "El paso a las lenguas románicas modernas". Le premier et le dernier de ces chapitres sont organisés selon le même modèle, les divers domaines linguistiques - gallego-portugués, astur-leonés, castellano, navarro-aragonés, catalán — faisant l'objet d'un traitement particulier. Pour terminer, on trouve des observations sur le français, l'occitan et l'italien. Il n'est pas possible dans un bref compte rendu d'entrer dans les détails de l'évolution des diverses langues. Je me borne à constater que dans un chapitre final — "Líneas generales de la evolución" — M. Riiho a réussi à tirer les conclusions de ses études à l'aide d'un exposé bien organisé et parfaitement clair. Ce chapitre a beaucoup gagné à être illustré par des cartes montrant la distribution géographique, à deux époques différentes, ainsi que par des figures élucidant quelques points théoriques. Pour terminer, je m'arrêterai à deux des problèmes discutés dans la conclusion.

D'abord un problème d'ordre théorique. L'auteur reprend (p. 288-290) un point qu'il a déjà souligné dans son introduction (p. 35), à savoir que le système prépositif roman ne constitue pas une structure homogène et qu'il y faut distinguer les prépositions qui ont assumé les fonctions des cas latins de celles qui correspondent aux prépositions latines. A l'aide des termes R (- relator fuerte, preciso y no aglutinado) et r (= relator débil, general y aglutinado), il formule son point de vue ainsi: "En latín los relatores de la categoría r son casos, y los de la categoría R preposiciones. En las lenguas románicas, los relatores de ambas categorías llevan el epíteto de "preposiciones", indistintamente de su naturaleza, aunque una parte de los mismos, en su origen preposiciones en el sentido "latino", o sea, preposiciones de la categoríaß,han pasado a ser elementos de la categoría/-" (p. 289).

Posons enfin la question suivante, qui résume en quelque sorte les recherches de M. Riiho: "Qu'est-ce qui distingue, en ce qui concerne le développement des prépositions latines per et pro, le domaine ibéro-roman du reste de la Romania?" Partout il y a eu "extensión y posterior confluencia semántica de los derivados de pro y per" (p. 277), mais c'est seulement l'ibéro-roman qui a créé une préposition composée à l'aide de la préposition continuant le latin ad, cette préposition composée ayant une forte tendance à exprimer surtout des nuances finales. La forme de la préposition composée était dans la langue du moyen âge le plus souvent pera à l'ouest de la péninsule et pora au centre. Plus tard, il y a eu généralisation de la forme altérée para. Pour ce qui est de la partie orientale de la péninsule, occupée par le catalan, l'auteur est arrivé à des résultats intéressants. Avant le XVe siècle le catalan ne possède qu'une préposition, à savoir per, pour couvrir tout le champ sémantique qui nous occupe. Au XVe siècle apparaît la forme per a, qui n'est pas une véritable préposition composée, mais plutôt une "préposition double", et qui, à l'opposé de para et de ses variantes, est une pure formation romane (p. 144 ss.). Soulignons que même de nos jours la fréquence de per a en catalan est de beaucoup inférieure à celle de para en portugais et en espagnol (voir p. 261 et les statistiques p. 281). Il faut aussi signaler que tandis que le catalan per s'oppose par sa forme au por de l'espagnol et du portugais, il a cette forme en commun avec son voisin l'occitan (p. 275). Ces constatations confirment la vue selon laquelle le catalan occupe une position intermédiaire entre l'ibéro-roman et le gallo-roman, et elles fournissent même, au moins en partie, un appui à ceux parmi les romanistes qui sont enclins à considérer le catalan comme une langue gallo-romane plutôt qu'ibéro-romane (voir par exemple mon article "La périphrase anar + infinitif en ancien occitan", Omagiu lui A. Rosetti, Bucarest 1965).

La présentation du texte, avec ses statistiques, ses figures et ses cartes, est très soignée, et il y a peu de coquilles. Le style coulant et clair contribue également au plaisir d'étudier le livre. Somme toute, il s'agit d'un ouvrage qui fait honneur à son auteur et en même temps à la romanistique finlandaise.

Bergen