Revue Romane, Bind 17 (1982) 1

Gunnar Graumann: "La Guerre de Troie" aura lieu. La préparation de la pièce de Giraudoux. Etudes Romanes de Lund,C. W. K. Gleerup, 1979. 173 p.

John Pedersen

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Le titre qu'a choisi Gunnar Graumann pour sa thèse de doctorat est plus qu'un jeu de mots. C'est un programme. L'auteur veut en effet "étudier le travail créateur", montrer la genèse - "ou plutôt la préparation" (6) de cette Guerre de Troie qui aura lieu au théâtre de l'Athénée en novembre 1935.

Pour mener à bien son entreprise, Graumann combine une étude biographique, une étude de littérature comparée et une étude historique, chacune effectuée dans un des trois grands chapitres qui constituent l'échafaudage principal de son livre. Après une présentation concise de la structure de la pièce et de sa "philosophie", l'auteur aborde l'étude biographique. Ce premier chapitre utilise l'ouvrage de Mauron sur Giraudoux, notamment sa distinction entre un "moi social" et un "moi créateur", mais il me semble que c'est là la partie la moins convaincante du travail de Graumann. A mon avis cette "étude biographique" ne nous éclaircit guère sur la préparation de la pièce examinée, et le chapitre a tendance à détourner notre intérêt de l'essentiel, surtout dans les dernières pages, consacrées à Jouvet.

En revanche, les deux autres grands chapitres, sur les contextes littéraire et politique, sont très riches en rapprochements pertinents et en réflexions suggestives. En se mettant à la recherche des "plus importantes des sources littéraires" (54), Graumann nous fait profiter à la fois de ses riches connaissances et de son don pour l'exposé net et précis. Nous passons d'Homère aux "autres Grecs" et ensuite à Shakespeare, dont le Troilus et Cressida est caractérisé comme "une autre source possible" (85). Mais Racine, Goethe et Tolstoï figurent aussi dans ce chapitre; de même qu'Offenbach! On aura compris que cette partie du travail est très riche en références - le chapitre est une mine pour les futurs chercheurs - mais il me semble qu'une discussion préalable, sur les rapports entre allusions et sources, par exemple, aurait été à sa place ici. L'auteur pèche parfois par une trop grande discrétion théorique, notamment en ce qui concerne la fonction de toutes les références, explicites ou implicites, que comporte le texte.

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II est vrai qu'au chapitre suivant, à la page 10, il est question justement de fonction, mais dans un contexte assez limité. L'apport le plus important de ce chapitre me semble d'ailleurs être l'argumentation mise en œuvre pour considérer la guerre entre l'ltalie et l'Abyssinie comme un point de départ possible pour Giraudoux. Il n'est pas superflu, bien au contraire, de nuancer la thèse dominante des rapports franco-allemands comme fondement historique de la pièce. C'est à la fin du chapitre, cependant, que M. Graumann m'intéresse surtout en introduisant, quoique implicitement, des réflexions sur Yattente du public vis-à-vis du jeu référentiel du texte: "Même si on ne peut que deviner la présence du nazisme et de Hitler dans la pièce de Giraudoux, ils étaient sans doute présents à l'esprit de quelques spectateurs comme une boîte de résonance" (147). Il est un peu dommage que le projet de M. Graumann soit trop étroit pour qu'il y ait introduit des concepts relevant des théories récentes sur l'intertextualité ou sur la réception.

Dans l'ensemble, on regrette en effet que l'auteur se soit senti obligé de mettre à l'écart les réflexions théoriques: le sujet y invite et, durant son travail, M. Graumann a dû se poser un certain nombre de questions. Par exemple sur les rapports entre références extra-textuelles et création littéraire; sur le risque de tomber parfois dans la causalité la plus pure; sur la possibilité de mesurer l'importance respective de facteurs littéraires et non-littéraires; enfin sur l'attitude et les choix, bref sur le message de Giraudoux dans cette masse d'influences possibles. Comme l'affirme l'auteur dans sa conclusion: "Mais le résultat de toutes ces influences est une pièce tout à fait personnelle et très caractéristique de son auteur" (153). Sans doute. Mais n'est-ce pas là le point de départ de toute une série de questions concernant les fonctions esthétiques aussi bien que référentielles des éléments du texte que l'auteur vient d'exposer avec tant de soin et de précision?

Gunnar Graumann nous a offert un inventaire quasi-complet des influences possibles, ce qui nous permet d'y voir bien plus clair qu'avant. Nous aidera-t-il, dans le prochain volume qu'il nous promet, à aborder les problèmes du jeu intertextuel au sens large, à intégrer le réel et l'imaginaire dans une lecture qui profite à la fois des connaissances acquises et de la liberté relative de chaque nouveau public? La parole est au lecteur...

Copenhague