Revue Romane, Bind 17 (1982) 1Jens Rasmussen et Lilian Stage: Moderne Fransk Grammatik. Det Schonbergske Forlag, Copenhague, 1981, 372 pages.Odile Halmöy Side 151
Un an après la Fransk Grammatik (ci-après abrégé en FG), de J. Pedersen, E. Spang-Hanssen et C. Vikner (voir le compte rendu qu'en fait ici même A. Halvorsen), paraît à Copenhague une nouvelle grammaire française en danois, intitulée Moderne Fransk Grammatik (MFG ciaprès). Il serait tentant de comparer ces deux ouvrages - les auteurs de la MFG avouent la dette particulière qu'ils ont envers la FG et la version antérieure de ce livre, la Fransk Syntaks (1970) des mêmes auteurs, pour ce qui est de leur conception de bien des problèmes grammaticaux - mais dans la mesure où ils s'adressent à des publics d'un niveau différent, la comparaison se justifie mal. L'objectif des auteurs de la MFG (je résume librement ce qui est dit dans la préface) a été d'écrire une grammaire essentiellement pédagogique, destinée à l'enseignement du français à un stade relativement élémentaire des études post-secondaires au Danemark. S'il n'a pas d'ambition linguistique, le manuel voudrait pouvoir servir d'ouvrage de consultation et faciliter la transition à des grammaires "plus raisonnées" - comme l'est justement la FG. Les auteurs visent à une description du système grammatical du français qui soit aussi simple et aussi claire que possible. L'analyse grammaticale qui sous-tend l'exposé se manifeste plus dans la présentation systématique des faits de langue, à travers les titres, les tableaux, les résumés, etc., que par des développements théoriques. La théorie est volontairement reléguée au second plan, mais les auteurs espèrent cependant éveiller de façon indirecte chez l'étudiant un intérêt pour l'analyse et la réflexion grammaticales. Aucun exposé théorique préalable, donc: les chapitres se suivent dans un ordre qui reflète l'importance que leur accordent les auteurs pour l'acquisition d'une maîtrise - pratique — de la langue. Le traitement du groupe verbal précède de la sorte celui du groupe nominal. Notons que si la terminologie utilisée suit de très près celle de la FG (et, disent les auteurs, la terminologie en vogue au Danemark ces dernières années), on assiste à l'introduction de la notion de valence (le terme ne figure pas dans la FG), pour décrire la construction des verbes. Les termes sont définis au furet à mesure de leur apparition, ou éventuellement aussi dans l'index seulement, quand ils sont d'un emploi plus courant. Cet index, très développé, permet de consulter la MFG sans qu'il soit besoin de respecter l'ordre des chapitres. Un des grands mérites de la MFG réside dans sa présentation. Une mise en page très étudiée, aérée, fait ressortir les points essentiels. La typographie est particulièrement variée, et contribue à assurer la clarté du texte. L'exposé grammatical est une suite ordonnée de règles concises et bien formulées, illustrées par de nombreux exemples, toujours traduits en danois, ce qui, disent les auteurs, facilite la compréhension du texte et permet de centrer l'attention sur le phénomène grammatical étudié. Des notes (NB) donnent, dans une perspective contrastive, à la fin de chaque paragraphe ou presque, d'importantes remarques d'ordre pratique concernant les différences d'usage entre les deux langues. Le livre fourmille d'excellentes suggestions de traduction, de danois en français surtout. L'abondance des tableaux—résumés, des schémas, l'extrême systématisation des faits de langue présentent un intérêt pédagogique évident. Mais on risque de masquer - sous l'apparence de la simplicité - la complexité de la réalité linguistique et de camoufler les problèmes. La MFG ne comporte pas de bibliographie, et ne peut de la sorte aider un étudiant intéressé à approfondir certaines questions. Une bonne innovation de la FG était justement de donner, à la fin de chaque chapitre, des indications bibliographiques pour guider le lecteur dans d'éventuelles recherches ultérieures. Autre écueil, plus grave sans doute, de la MFG: le choix des exemples. La question est importante, et je voudrais m'y arrêter quelque peu. Si beaucoup d'exemples sont bien choisis,on en relève aussi un trop grand nombre qui sont moins heureux, ce qui dépare l'exposé et laisse à la lecture une impression des plus fâcheuses. Les auteurs nous disent, dans la préface,utiliser Side 152
face,utilisertantôt des exemples "authentiques", tirés de la langue parlée ou de la prose "non-littéraire", tantôt des exemples forgés ou remaniés, pour varier et simplifier. Or, les sources ne sont jamais données, et c'est là une première raison de maladresse: on ne peut pas dire, en effet, que tout énoncé relevé dans la conversation courante, la prose des journaux,ou autre type d'écrit "non-littéraire", appartienne ipso facto au français standard. Il y a toujours un décalage plus ou moins grand entre la norme la plus neutre et ses variantes possibles en contexte. Ne pas reconnaître ce décalage, c'est faire passer fallacieusement pour du français standard des énoncés marqués d'une façon ou d'une autre, et le résultat est parfoissurprenant. Un des meilleurs échantillons est fourni par l'exemple de la page 300, à propos de l'emploi de la préposition par pour introduire un complément adverbial "climatique": p. 300 Par une
belle matinée du mois de mai, une élégante amazone
parcourait les allées où l'on reconnaît, un peu amputée, la laborieuse phrase liminaire du "roman" de Grand, dans La Peste de Camus. Or, dans La Peste déjà, la phrase fait sourire par sa maladresse. Mais le contexte nous avertit qu'il s'agit d'une tentative stylistique malheureuse, d'un essai poétique raté. La phrase n'appartient pas de toute évidence au français standard. Il eût été facile d'éviter cet écueil en indiquant tout simplement les sources des exemples (c'est la solution adoptée par la FG), ou en faisant contrôler les exemples en question par une équipe de francophones. Une autre difficulté vient de ce que les auteurs, qui opèrent avec trois niveaux de style différents, marqués respectivement par les abréviations (S) = style soigné, (F) = style familier et (P) = style populaire, oublient trop souvent de faire suivre leurs exemples de ces indications stylistiques, ce qui porte à croire que tout exemple non suivi d'une de ces trois lettres est neutre et appartient à la norme. En gros, on peut dire que sont marqués (F), par exemple, tout au long de l'ouvrage, les exemples pour lesquels le ne, premier élément de la négation, se trouve supprimé. C'est une simplification abusive du problème. Le registre (niveau de langue) est aussi bien souvent une question de choix lexical et des phrases comme (c'est moi qui souligne): p. 84 Après avoir
travaillé vingt ans dans la même boîte, j'aimerais bien
changer. p. 225 II avait
une telle trouille de se faire engeuler qu'il s'est
absenté des cours ce p. 231 II cuve
son vin. sont indiscutablement marquées stylistiquement et devraient être suivies de la mention (F). Inversement, un grand nombre d'exemples appartiennent à la langue littéraire, ou soignée (écrite) et devraient être suivis d'un (S), notamment tous les énoncés au passé simple - et ils sont légion -, comme: p. 84 A force
d'insister, elle obtint ce qu'elle voulait. p. 222 Ce fut une
grande surprise. p. 109 II faisait
si chaud qu'on dut ouvrir la fenêtre. p. 83 Le voilà
contraint de prendre le métro. p. 83 Elle va
pour l'embrasser mais se ravise. qui appartiennent
au style du récit. D'autres exemples sont si peu
naturels qu'ils ont un effet p. 183 Ils
adoraient se promener dans les vertes prairies de
l'lrlande. p. 187 Cet enfant
ne pourrait être pire à l'égard de ses parents. p. 203 Rien au
monde ne me ferait vous épouser. p. 225 Ce n'est
guère vivre que de passer sa vie avec des vieux
bouquins. où le début de
l'énoncé est ampoulé et la fin familière, avec l'emploi
du mot bouquin. Si ces Side 153
exemples, hors contexte, ou sans indication de leur source, ont un côté un peu ridicule par la préciosité du ton, du vocabulaire, ou par leur construction, nous n'en sommes encore cependant qu'au stade de la maladresse. La situation est plus grave quand on nous présente comme du français standard des constructions rares, douteuses ou controversées, sinon carrément fautives, comme: p. 92 La
situation va s'empirant. Cette
construction archaïque est même reprise (négligence ou
ignorance?) dans un exemple p. 252 Habiter au
même quartier (on dit habiter le même quartier, ou
habiter dans le p. 246 C'est un
arrêté duquel je n'ai jamais entendu parler. p. 231 nous
préférons vivre chacun de son côté, p. 105 en mettant
que (expression qui n'existe pas), mise sur le même plan
que mettons p. 253 Ses amis
même l'ont souvent critiqué. p. 286 beaucoup
de nous (pour d'entre nous) p. 286 Son
admiration du talent etc. Parfois, la
bizarrerie des exemples tient au sens mal compris des
mots ou expressions. p. 255 Le restaurant nous semblait vraiment tel quel, mais nous n'avions pas le choix, où "les auteurs semblent confondre le sens de l'expression tel quel avec celui de quelconque. Ils ignorent également le sens habituel de litote de l'expression rien que ça, dans un contexte comme: p. 260 Combien ça
va te coûter, la réparation de la voiture? — 2000
francs! — Rien que où la traduction
danoise Ikke mere?/Kun 2000 francs? ne laisse pas de
doute sur le fait que Parfois aussi,
les exemples comportent des fautes d'usage courant: on
dit de la sorte passer Enfin, le trop grand nombre de coquilles de toutes sortes - et je ne parle pas des coquilles du texte danois, moins pernicieuses d'un point de vue pédagogique - dont sont parsemés les exemples français, accents qui manquent, accents fautifs, fautes d'accord, lettre pour une autre, etc., nuisent fâcheusement à l'ensemble. Pour n'en donner qu'un petit échantillon: p. 163 finançâmes
pour traduire forlovelse (la trouvaille est du moins
jolie!) p. 193 tousles
nuits jours p. 194 nœuf (pour
neuf, trois fois en deux lignes, et encore une fois àla
page suivante!) p. 116 je saurai
*** résultat des élections (etc.) p. 20 je l'ai \u
pleurer (traduit par jeg sa hende grœde) p. 46 je résouds,
tu résouds, (pour/c résous, tu résous) ou encore des
coquilles dans la traduction: déplaire traduit par
misbruge (p. 70). Il va sam dire que l'accumulation de ce genre de bévues nuit considérablement a l'impic^iùii très favorable que pourrait autrement donner la lecture de cette grammaire. Il est à espérer qu'une nouvelle édition prochaine de la MFG corrigera ces coquilles et choisira ses exemples avec plus de discernement. Car il est indiscutable que ce manuel répond à un besoin et pourraitrendre Side 154
raitrendrede
grands services à un public soucieux d'acquérir une
maîtrise pratique de la Trondheim,
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