Revue Romane, Bind 17 (1982) 1John Pedersen, Ebbe Spang-Hanssen, Carl Vikner: Fransk grammatik, Kobenhavn, Akademisk Forlag Universitetsforlaget i Kobenhavn, 1980, XV + 532 p.Arne Halvorsen Side 146
1. Le manuel Fransk syntaks, paru en 1970, a contribué, dans une proportion non négligeable, à transformer l'enseignement du français au niveau universitaire en Norvège. Par l'importance qu'il accorde à l'appareil analytique, son souci constant de donner des règles précises et son enthousiasme pour les faits de langue, il a invité des générations d'étudiants à réfléchir sur les structures linguistiques. Pendant presque 10 ans, il a été, pour la grande majorité de nos étudiants, leur seul guide en matière de syntaxe française. Une nouvelle édition de cet ouvrage est donc un événement dont on ne saurait minimiser l'importance. En réalité, c'est un ouvrage presque entièrement refondu que nous offrent les auteurs. Comme son titre l'indique, il ne s'agit plus uniquement d'une syntaxe du français, mais d'une grammaire au sens traditionnel du terme, renfermant, outre une syntaxe, des renseignements sur la formation et la flexion des mots. Fransk grammatik compte 130 pages de plus que l'édition précédente, augmentation qui est due non seulement à l'inclusion de la morphologie, mais aussi au fait que bon nombre de phénomènes y font l'objet d'un traitement plus détaillé (par exemple les formes verbales non personnelles et les propositions subordonnées). L'ouvrage a un double but: donner aux lecteurs un moyen d'élargir leur compétence - active et passive - du français, et les initier aux méthodes scientifiques de la linguistique. En ce qui concerne l'objet à décrire, les auteurs sont très explicites. C'est une grammaire contrastive,visant surtout les domaines où le français et le danois diffèrent; c'est aussi une grammairenormative, en ce sens qu'elle est centrée sur cette variété qu'on appelle le français Side 147
standard. Dans
la description morphologique, c'est la langue écrite qui
constitue le point de Comme toute grammaire pédagogique, Fransk grammatik est éclectique et s'inspire, dans la partie théorique, de plusieurs théories contemporaines. Ainsi, dans l'analyse de la phrase, se trouvent combinés des éléments empruntés aux méthodes structurales et transformationnelles, le tout formant un appareil analytique qui, dans ce qu'il a d'abstrait et de complexe, peut effrayer un débutant en la matière, mais ne fournit que le strict nécessaire à une analyse quelque peu détaillée de la phrase française. Evidemment, c'est dans la partie théorique que l'apport de la théorie transformationnelle se fait surtout sentir. Les auteurs font ici une distinction, fondamentale dans leur conception, entre structures élémentaires et structures complexes. Ces dernières comprennent non seulement les structures proprement dites, comme les propositions subordonnées et les syntagmes infinitival et participai, résultats de transformations diverses, mais aussi certaines fonctions grammaticales, comme le sujet "réel" et le complément d'agent, qui s'expliquent également au moyen de la notion de transformation. Tout cela n'a rien de choquant, même pour un enseignant non-transformationaliste. Reste à savoir si cette approche, avec sa force explicative incontestable, peut contrebalancer l'effort intellectuel qu'elle demande. Encore plus intéressante est la question de savoir si elle peut être de quelque utilité dans l'enseignement du français à l'école. Comme dans Fransk syntaks, une place assez importante est accordée aux différents tests (omission, intercalation, accord, substitution etc.) destinés à déterminer comment les mots se groupent en syntagmes, ainsi que les rapports entre syntagmes. Les auteurs soulignent, on le constate avec satisfaction, qu'à l'aide de ces tests on arrive à caractériser les cas typiques d'une notion grammaticale. Dire qu'on arrive par les mêmes procédés à définir une notion me semble moins heureux. Il est clair qu'une définition comme celle que nous donnent les auteurs du sujet ("le sujet est le membre qui est substituable à un pronom sujet") ne nous apprend pas grand-chose sur ce qu'est le sujet de la phrase. Tout au plus est-ce-là un moyen de savoir où se trouve le sujet, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Les auteurs insistent avec raison sur la nécessité de distinguer, dans la terminologie, entre fonction syntaxique et catégorie ou classe de mots. Cette terminologie, qui distingue par exemple verbal et verbe, est a mon avis fondamentale pour une pleine compréhension de l'analyse syntaxique. Ce n'est pas le moindre mérite des auteurs que de contribuer à remplacer l'ancienne terminologie par une terminologie plus adéquate. Le même souci de précision empreint tout le livre qui, dans l'ensemble, se caractérise par une cohérence remarquable, quand on considère qu'il s'agit d'une œuvre d'équipe qui, par surcroît, a subi des changements importants dans la partie théorique. Grammatica non est una, et, naturellement, le lecteur n'est pas toujours d'accord avec les auteurs, ni enee qui concerne le choix des phénomènes à traiter, ni sur l'importance relative qu'il faut leur accorder ni enfin sur la façon de les présenter. Mais avant d'entrer dans le détail, je tiens à souligner que les quelques points qui pourraient prêter à la critique n'enlèvent rien aux mérites de ce manuel. 2. Dans l'univers linguistique des auteurs il n'y a pas de phrase non verbale: tout constituant de phrase quine répond pas à la définition qu'ils donnent de la proposition (caractérisée par la présence obligatoire d'un verbe fini) est à considérer comme une proposition elliptique (§ 14.3). Ils restent muets sur les implications d'une telle conception, ce qui est bien regrettable. Personnellement, je ne vois pas la nécessité de considérer comme "incomplètes" des phrases telles que le bel été!. Que d'esprit pour un linguiste?, et, même si cette hypothèse peut se défendre, il est erroné, d'un point de vue pédagogique, d'inviter les étudiants à faire une opération de récupération des éléments "manquants", sans en même temps leur en donner les outils nécessaires. Side 148
Bien que la plus grande partie du livre soit consacrée à la description des différentes parties du discours, le chapitre sur la définition des classes de mots est assez succinct. Les mots sont répartis en classes d'après leur flexion d'abord et à l'occasion seulement d'après leurs possibilités combinatoires. Après avoir subdivisé les flexifs en nominaux, verbo-nominaux et verbaux (§ 38), division qui d'ailleurs nous laisse curieux quant à la place du flexif de l'infinitif (mentionné § 40.1.2.) et de ceux des participes (mentionnés nulle part), les auteurs font la distinction bien connue entre noms, verbes et particules. Puisque ces dernières sont caractérisées comme "des mots dont le thème ne peut se combiner avec un flexif", on est un peu étonné d'apprendre dans le chapitre sur les adverbes, première sous-classe des particules, qu'ils se combinent avec le flexif (nominal) de comparaison. Quand ils définissent les adjectifs, les auteurs ne reconnaissent l'existence d'un flexif de comparaison que dans les comparatifs synthétiques, semble-t-il (§ 39). Ce point de vue bien rigoureux est abandonné dans la description détaillée des adjectifs (§ 47), où on trouve traitées les formes analytiques d'abord et les formes synthétiques en second lieu seulement. Le transfert possible d'une classe à l'autre est à peine mentionné. Les adverbes sont par exemple définis par leur faculté d'avoir la fonction d'adverbial ou de détermination adverbiale. Mais dans une phrase ordinaire telle que beaucoup sont venus, beaucoup est-il toujours adverbe? Et que dire de son statut dans beaucoup de livres? Les quantifieurs de ce type ne figurent pas dans l'inventaire des constituants de la fonction de déterminant. Dans la discussion sur les critères permettant de distinguer de article de de préposition (§ 61.2.2.), on apprend que c'est la préposition qu'on rencontre après les adverbes de quantité. De livres serait donc un syntagme prépositionnel subordonné à l'adverbe beaucoup. Soit, mais en ce cas il faut être logique jusqu'au bout et admettre qu'un syntagme adverbial (qui peut se trouver réduit à son seul noyau) puisse fonctionner très souvent comme nominal! Les auteurs subdivisent les propositions circonstancielles en s'appuyant sur des dritères sémantiques, ce qui est compréhensible. Comme introducteurs de propositions temporelles, on trouve alors que et tandis que (§ 24.1.1.), mais les auteurs font remarquer que tandis que s'emploie presque exclusivement et alors que très fréquemment avec une valeur d'opposition. Est-ce par respect de la tradition ou par souci du contenu "originel" des composants que les auteurs se refusent une sous-classe de propositions adversatives (qui, de toute façon, serait utile pour le classement de par exemple loin que)! La caractérisation de l'emploi de tandis que est d'ailleurs contestable. Même si introduirait uniquement une proposition concessive irréelle (§ 24.1.4.). C'est une valeur qui semble liée à la combinaison des temps imparfaitfplus-que-parfait + conditionnel/conditionnel passé. Avec d'autres combinaisons, la valeur "réelle" est fréquente. La valeur "réelle" de si seul s'explique d'ailleurs de la môme façon (Si je cours mal, je cours vite etc.). L'analyse des phrases dites clivées, si importantes pour exprimer l'emphase en français, est toujours chose délicate. Les auteurs appellent du cognac dans C'est du cognac qu'elle boit le focus (§ 25). C'est là une analyse qui semble "superposée" à l'analyse plus traditionnelleen membres de phrase, car ailleurs (voir par exemple § 99.2.2. et § 119.1.), ce qui précèdela relative est analysé en sujet, verbal et attribut. Je préférerais considérer le c'est d'une phrase clivée comme formant un tout. Une telle analyse permet de mieux comprendre le fonctionnement de ce: il est anaphorique (et sujet) dans C'est du cognac, non présupposantpar rapport au contexte antérieur (et composant du présentatif) dans C'est du cognac qu 'elle boit. A en croire les auteurs, la proposition relative d'une phrase clivée serait la seule relative qui accepte comme antécédent une proposition subordonnée. Mais si on voit dans ce qui un pronom unique, comme le font les auteurs, on a pourtant des phrases du genre Si elle est d'accord, ce qui m'étonnerait, (§ 23.2.). Toute expression emphatique, comme le sont les phrases clivées, présuppose une expression non-emphatique correspondante. Le statutemphatique des formes 'longues" des pronoms interrogatifs (qui est-ce qui vs. qui) est Side 149
déjà
discutable, du moins si on s'en tient au registre du
parler quotidien. Mais quand le choix Le traitement des unités linguistiques de rang inférieur au mot est assez traditionnel. Les auteurs n'ont pas recours à la diachronie pour réunir par exemple (je) vais et (j')irai, mais ils se sentent obligés d'expliquer maternel comme une dérivation non de mère, mais du latin mater (§ 40.1.2.).P0urqu0i se priver d'une description synchronique qui, en plus, a l'avantage d'être simple? Il suffirait de dire que le contenu "mère" a deux variantes de l'expression dont l'une est employée quand c'est la racine nue qui apparaît et l'autre quand la racine est pourvue d'un suffixe. Dans le chapitre sur la flexion des verbes irréguliers (§ 140), les auteurs attachent la même importance au signifiant, car on y trouve liés bon nombre de mots qui, synchroniquement, n'ont en commun qu'une partie de leur signifiant (par exemple sentir — sentence; sortir - une sorte). Les auteurs semblent avoir changé d'avis en ce qui concerne la place systématique de des: dans Fransk syntaks c'est le pluriel de un, alors que dans Fransk grammatik il est considéré comme le pluriel de du (§ 42). Ne serait-il pas plus simple de dire que l'opposition qui existe au singulier entre du et un se trouve neutralisée au pluriel, le résultat étant "l'indéfini-partitif" A propos du déterminant du nom, on apprend qu'un syntagme substantival ne peut comporter qu'un déterminant (§ 58.1.). En bonne logique, on ne doit pas considérer de comme article dans de ses nouvelles (c'est donc un cas de préposition omissible?), et autres, tous et certain dans par exemple d'autres mots, tous les garçons, un certain temps remplissent probablement la fonction d'épithète (cf. § 124). Les cardinaux font exception à cette règle, apparemment, car selon le paragraphe 127.1. ils peuvent avoir la fonction de déterminant soit seuls (deux témoins), soit précédés d'un article (les deux témoins). Le paragraphe
61.1. énumère les cas où apparaît la variante de des
articles indéfini et partitif; Dans le chapitre
sur l'inversion dans les propositions
non-interrogatives, on trouve traitées Pour expliquer le fonctionnement des pronoms et les grouper en sous-classes, les auteurs introduisent les termes de représentation, référence et relation anaphorique ("henvisning"). Je ne comprends pas comment on peut ranger dans la même sous-classe je et /"/ en faisant appelà ces notions (§ 90). La faculté d'entrer dans un rapport de coréférence avec un syntagmesubstantival précédent ne distingue pas non plus, comme le prétendent les auteurs, les pronoms personnels, démonstratifs, possessifs etc. des pronoms indéfinis (§ 123). Dans Mon train est parti. Le tien vient d'arriver le pronom possessif renvoie bien à train, mais le pronomet le syntagme substantival n'ont pas le même réfèrent. Les auteurs ne font pas de distinctionentre les cas où il y a anaphoie et coréférence et les cas où un pronom est anaphoriquesans pour autant entrer dans un rapport de coréférence. Que cela ne soit pas un raffinementsuperflu ressort d'un des exemples qu'ils donnent (§ 116.1). Dans Laquelle des chaises préférez-vous? Celle-ci ou celle-là?, celle-ci est dit renvoyer ("henvise") à ce qui est proche et celle-là à ce qui est lointain dans le discours, description absurde, évidemment, puisqu'il n'y a qu'un seul antécédent. La notion de représentation n'est pas très claire. Que ça représenteune autre grandeur grammaticale, à savoir une proposition, dans les questions du genre Comment boil. Mais comment expliquer aux étudiants que ce représente le syntagme infinitif dans Lui demander pourquoi, c'est inutile (et probablement aussi dans C'est inutile, de lui demander pourquoi) mais ne représente rien dans C'est inutile de lui demander pourquoi!C'est pourtant la description que proposent les auteurs: en tant que sujet "apparent", Side 150
ce ne
représente rien, même pas le sujet "réel" qu'il est
censé remplacer (cf. § 117.1). Le En général, les
pronoms n'admettent pas d'être déterminés directement
par un adjectif La classification des pronoms de I'"indifférence" pose toujours des problèmes. Mais il n'est pas très logique de ranger quiconque avec les pronoms indéfinis (§ 124.7), de traiter qui que ce soit sous le titre bien vague interrogatives indéfinies (§ 121.6) et de ne pas accorder de place bien précise à n 'importe qui. La règle selon laquelle le verbe d'une complétive antéposée est au subjonctif (§ 147.1) doit être modifiée, si on accepte, comme le font les auteurs, qu'une complétive puisse être introduite, non seulement par le simple que, mais aussi par le fait que, la pensée que et l'idée que (cf. la pensée que cette maison est bourrée de livres m'effraie). Il est d'ailleurs douteux que l'on puisse donner à ces séquences le statut de mots composés. Mais si on accepte une telle analyse, ne faudrait-il pas accorder à le fait de, la pensée de etc. droit de cité parmi les indices de l'infinitif? Dans le grand
chapitre sur l'emploi des temps, on peut regretter que
les auteurs n'aient Appeler les
périphrases vais (allais) + l'infinitif variantes du
futur et du conditionnel Dans la description des formes verbales composées, les auteurs utilisent le terme verbal principal pour le rôle du participe passé ou de l'infinitif (à leurs yeux, il s'agit d'une fonction). Curieusement, ils ne parlent pas de verbal auxiliaire, sauf à propos de faire, pour désigner le rôle du verbe fini: avoir, être, aller et venir sont toujours des verbes auxiliaires (§ 169.0.). Le traitement des auxiliaires avoir et être n'est pas tout à fait suffisant, d'ailleurs, pour expliquer tous les cas envisagés: selon la règle donnée au paragraphe 169.2.2., tous les verbes intransitifs dérivés de venir se conjugueraient avec être. Le verbe convenir (qui est intransitif selon la terminologie des auteurs) apparaît pourtant régulièrement avec avoir en français moderne. Finalement, dans
le chapitre sur ne négatif sans pas (§ 207.3.), on ne
mentionne pas les 3. J'ai choisi d'étoffer ce compte rendu de remarques critiques, le plus souvent sur des détails qui concernent la cohérence interne de l'ouvrage. C'est cependant ne pas lui rendre justice que de laisser dominer les remarques négatives, et je m'en voudrais de ne pas revenir sur ses qualités. Par sa rigueur scientifique et son efficacité pédagogique, le manuel Fransk grammatik mérite, plus encore que Fransk syntaks, la place qu'il occupe dans nos universités, et continuera, j'en suis sûr, à exercer son influence sur l'enseignement du français dans les pays Scandinaves. Regrettons seulement qu'il ne soit pas accessible à un public plus grand! Trondheim
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