Revue Romane, Bind 17 (1982) 1

La proposition relative dite attributive

par

Henrik Prebensen

La proposition relative que certains appellent attributive, d'autres predicative,
est facile à identifier dans deux cas particuliers. D'abord, lorsqu'elle apparaît
avec un verbe comme être accompagné d'une indication de lieu (un locatif):

(1) Jo est là qui attend.

Ensuite, lorsqu'on la rencontre avec l'objet d'un verbe de perception tel que voir
comme antécédent:

(2) Je vois Jo qui attend.

Les difficultés commencent lorsque les grammairiens, à partir de tels exemples assez simples, doivent circonscrire avec précision l'étendue de cette construction particulière, formuler les règles auxquelles elle obéit et énumérer les contraintes auxquelles elle est soumise. C'est à une élucidation de ces difficultés que s'attache le présent article*.

1. Une typologie des propositions relatives

On peut établir une classification des propositions relatives en deux groupes:
A. Les propositions relatives anaphoriques. B. Les propositions relatives transformées.

Le groupe A, comprend les propositions relatives où il y a une relation anaphoriqu
el entre l'antécédent et le pronom relatif, soit que celui-là serve de base
et celui-ci d'anaphore comme dans une relative explicative:

(3) a. Sa femme qui avait entendu le bruit apparut àla fenêtre
(cf. Sa femme apparut à la fenêtre - elle avait entendu le bruit)



* II s'agit d'un article abrégé et mis à jour à partir de Henrik Prebensen: Prœdikative relativsœtninger i fransk grammatik, RIDS 76, Copenhague, 1980.

1: Une relation anaphorique s'établit entre une base anaphorique, par exemple un syntagme nominal indéfini, et un terme anaphorique ou anaphore, typiquement un pronom personnel àla 3e personne ou un pronom démonstratif. Ainsi dans Il a acheté une maison. Elle est vieille base anaph.anaph. H. Prebensen/E. Spang-Hanssen (1977) montrent comment on peut utiliser les relations anaphoriques entre antécédent et pronom relatif comme critère de classification des propositions

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b. Je suis allé voir un médecin qui m'a reçu très gentiment
(cf. Je suis allé voir un médecin - il m'a reçu très gentiment)

soit l'inverse comme dans une relative determinative:

(4) a. La serviette qu'il a perdue contenait son manuscrit (cf. Il a perdu une serviette - elle contenait son manuscrit) b. Il n'a pas pris le médicament que lui avait prescrit le docteur (cf. Le docteur lui avait prescrit un médicament - il ne /'a pas pris).

Le groupe A. comprend donc toutes les propositions relatives dites adjointes,
qu'elles soient explicatives (ou parenthétiques) (3), ou déterminatives (restrictives)

Le groupe 8., par contre, comprend les propositions relatives sans relation
anaphorique, où la présence du relatif s'explique par un processus de relativation
à partir d'une phrase simple. Il y a trois cas principaux. Les clivées:

(5) a. C'est Paul qui a sonné àla porte
(cf. Paul a sonné à la porte)
b. C'est à un médecin çw'il faudrait s'adresser
(cf. Il faudrait s'adresser à un médecin).

Les présentatives:

(6) a. Il y aun homme qui vous attend
(cf. Un homme vous attend)
b. Il y a des insultes auxquelles on ne s'attend pas
(cf. On ne s'attend pas à certaines insultes).

Les possessives enfin:

(7) a. Paul a les cheveux qui frisent (cf. Les cheveux de Paul frisent) b. J'ai ma femme quine guérit pas (cf. Ma femme ne guérit pas).

La dernière construction est soumise à des contraintes en ce qui concerne le "possesseur" qui doit normalement être marqué [+ anim] et l'élément "possédé" qui doit être ou bien marqué [- alién] ou bien déterminé par le possessif mon, ton, etc. La construction présentative exige que le syntagme nominal choisi comme antécédent soit indéfini {un, du, des, certains). Les relatives clivées ne sont pas soumises à des contraintes particulières autres que sémantiques2, mais la forme du relatif n'est pas la forme normale en dehors de la fonction sujet.

Qu'il n'y ait pas une relation anaphorique entre pronom relatif et antécédent dans les propositions relatives clivées, présentatives ou possessives, se démontre par l'impossibilité de fractionner des exemples comme (5)—(7) en deux propositions indépendantes selon le modèle utilisé pour les exemples (3) et (4). Le fait qu'une relation anaphorique soit interdite, cf.

(8) a. *C'est àun médecin —il faudrait s'adresser à lui.



2: Voir C.Vikner (1972).

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b.*ll y a des insultes — on ne s'y attend pas
c. *Paul a les cheveux — ils frisent

est donc interprété ici comme une preuve de la non-anaphoricité des constructions

Pour résumer: il y a deux types de propositions relatives, qui se subdivisent à
leur tour en diverses sous-catégories:


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2. Proposition relative attributive et typologie des propositions relatives

II est facile de voir que des propositions relatives attributives (dorénavant: pra)
comme (1) et (2) appartiennent au groupe A de cette classification plutôt qu'au
groupe B. Elles se laissenTën effet fractionner en deux selon le modèle proposé:

(9) a. Jo est là - il attend
b. Je vois Jo - il attend.

En revanche, il est difficile de voir de quelles propositions simples (1)— seraient des transformations, si on voulait les classer parmi les relatives du groupe B, encore que certains grammairiens aient proposé de regarder (2) comme dérivé transformationnellement d'une complétive objet de voir. Nous verrons plus tard qu'une telle hypothèse est improbable. Constatons seulement au passage qu'elle oblige à considérer la pra après être comme foncièrement différente de celle après voir.

A l'intérieur du groupe A, il ne peut être question de classer les pra parmi les déterminatives. L'antécédent pouvant être un nom de personne {Jo dans les exemples (1) et (2)), le pronom relatif ne peut être qu'un anaphore. L'antécédent est suffisamment déterminé en lui-même.

Mais, il n'est pas commode non plus de classer les pra parmi les explicatives.
Les pra obéissent à d'autres règles que celles-ci: elles peuvent avoir un pronom
personnel clitique comme antécédent:

(10) a. Il est là qui attend
b. Je le vois qui attend,

construction interdite aux autres relatives. Le pronom relatif est toujours sujet, contrainte qui ne vaut que pour les relatives possessives. Mais surtout, l'apparitiondes pra est liée à la présence de certains verbes, tels que être, voir et quelquesautres. Cette caractéristique les éloigne formellement des autres relatives anaphoriques, qui sont traditionnellement considérées comme des "membres

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secondaires", pour employer la terminologie de Jespersen, c'est-à-dire comme des compléments adnominaux, appartenant au syntagme nominal dont l'antécédentconstitue l'élément. La pra est souvent décrite comme un "membre primaire",directement relié à l'élément dominant de la proposition, tout comme le sont les compléments d'objets et les attributs. Le caractère non-adnominal de la pra se trouve confirmé par sa compatibilité avec un antécédent clitique (cf. (10)).

3. Quelques tentatives d'explication des propositions relatives attributives

Les grammairiens ont essayé d'expliquer le phénomène de façons assez diverses.

3.1. Les grammairiens allemands

Ce sont des romanistes allemands Lücking, Tobler (1884, 1896), Meyer-Lübke (1899) et Polentz (1903) qui s'y sont intéressés les premiers. Ils sont d'accord, si on fait abstraction des menus détails, pour dire que les pra ne constituent pas un type à part parmi les relatives, mais qu'il s'agit plutôt d'un emploi particulier des propositions relatives explicatives (Tobler 1884, 492, Meyer-Lübke §631, Polentz 6). Ils établissent une distinction entre la fonction syntaxique, qui est "adnominale", et la fonction sémantique, qui est "predicative"; c'est-à-dire que ces propositions relatives constituent des compléments ('Bestimmungen') par rapport au verbe ou au prédicat de leur proposition supérieure en ce qui concerne le sens, mais qu'elles font partie du syntagme nominal tout comme les autres propositions

Ces concepts sont assez vagues et insuffisants pour fonder une pratique analytique. Pour distinguer une pra d'une proposition relative ordinaire, Polentz recourt au concept difficile de nécessité dans l'ouvrage très complet et très riche d'exemples qu'il a consacré aux pra. Il s'agit de décider si une proposition relative est purement et simplement subordonnée à son antécédent, ou si elle est "nécessaire" pour le "prédicat". Il en résulte une confusion malheureuse entre les pra authentiques et toutes sortes d'autres relatives qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent être séparées de la proposition entière, par exemple les relatives clivées, possessives ou présentatives, mais aussi beaucoup de relatives ordinaires.

3.2. Kristian Sandfeld

C'est le romaniste danois, Sandfeld, qui a pris la relève des Allemands dans deux ouvrages où les pra sont étudiées dans le cadre des propositions subordonnées en général (1909,1936). En ce qui concerne les pra, Sandfeld se base presque exclusivementsur les matériaux de Polentz. Mais il donne au concept "pràdikativ" des grammairiens allemands un sens nouveau, celui à'attribut3. Cela veut dire qu'il



3: En allemand (comme en danois) les deux concepts de prédicat et d'attribut ont une dénomination commune, Pràdikat (prœdikat). D'où souvent une certaine confusion.

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laisse tomber l'idée d'une double fonction, syntaxique et sémantique, adnominaleet
predicative, pour s'en tenir à une seule fonction, syntaxique, celle d'attribut.

En 1909, Sandfeld analyse les pra comme étant soit des attributs du sujet,
soit des attributs de l'objet, soit des attributs dans des constructions absolues,
sans copule. Ainsi, nous avons

(11) il est là qui attend: - attribut du sujet

(12) je l'ai vu ce matin qui passait en fiacre: - attribut de l'objet

(13) Son pantalon blanc qu'il a remonté laisse admirer qu'il a des bottes: = attribut
d'une construction absolue.

Ces analyses sont présentées sans arguments, ce qui est dommage, car il aurait été intéressant de savoir comment Sandfeld les aurait étayées. Il est difficile de comprendre l'analyse (11), à cause de la présence de là, qui fait de être un verbe de position et non pas une copule. Ces deux emplois s'excluent mutuellement. D'autre part, la pra n'apparaît jamais seule, elle est toujours précédée d'un locatif. Il est également difficile d'admettre l'analyse (12). J'ai établi une liste des verbes qui se construisent avec un adjectif attribut de l'objet et une liste des verbes qui se construisent avec une pra. En dehors des verbes de perception, les deux listes ne se recoupent que très sporadiquement. Un exemple: trouver. Ce verbe a un sens 'concret': = "constater la position d'un objet qu'on cherchait", et un sens 'abstrait': = "constater l'état d'une chose, juger, estimer". Or, c'est dans le sens abstrait que trouver est un verbe à attribut, comme le montre l'exemple (14):

(14) Je m'attendais un peu le lendemain matin à trouver le baleinier disparu... Mais non,
on le voyait là-bas, à son poste, au large... (Loti, Ami, 18),

alors que c'est trouver dans un sens positionnel qui se construit avec une pra

(15) Je l'ai trouvée dans un coin du jardin qui choisissait des fleurs pour un bouquet. En ce qui concerne l'analyse (13) finalement, il faut d'abord constater qu'il s'agit d'un type de relative entièrement différent de celui que nous examinons, soumis à des règles différentes: impossibilité d'avoir un pronom personnel clitique comme antécédent; possibilité d'avoir n'importe quel pronom relatif, pas seulement qui; aucune dépendance par rapport à une classe de verbes particulière. En fait, il est impossible de voir une différence syntaxique entre ces "propositions relatives attributs dans une construction absolue" et les propositions relatives anaphoriques ordinaires. Sandfeld établit un parallèle avec des constructions comme

(16) a. Le verrou poussé l'avait surpris
b. Tout ce vin bu lui saignait le cœur,

mais à tort, me semble-t-il. D'abord parce que poussé et bu peuvent figurer
comme des attributs authentiques

(17) a. Le fait que le verrou avait été poussé l'avait surpris

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b. Le fait que tout ce vin avait été bu lui saignait le cœur,

ce que la proposition relative ne peut jamais, cf.

(18) *Le fait que son pantalon blanc est qu'il a remonté laisse admirer qu'il a des bottes

La seule construction possible avec le fait que:

(19) Le fait qu'il a remonté son pantalon blanc laisse admirer qu'il a des bottes

est syntaxiquement et sémantiquement très éloignée d'une construction attributive,
et il est abusif de la comparer avec (17). Ensuite parce que l'emploi le plus
typique de la construction absolue est celui de complément de circonstance:

(20) Le chat parti, les souris dansent,

où il est impossible d'avoir une proposition relative comme second élément de la construction. On peut conclure qu'il est abusif de parler de propositions relatives attributs dans ces cas-ci, puisqu'il ne s'agit pas d'une fonction syntaxique particulière de la proposition relative, mais d'un effet de sens qui n'est pas spécifiquement lié à la présence d'une relative. Le renseignement nécessaire à la compréhension de la phrase (13), à savoir pourquoi le pantalon ne cache pas les bottes, pourrait tout aussi bien être présenté sous la forme d'une proposition adverbiale, par exemple

(2i) Parce qu'il i'a remonté, son pantalon blanc laisse admirer qu'il a des bottes.

Mutatis mutandis, les mêmes arguments peuvent être mis en avant à propos de la
plus grande partie des autres exemples de relatives dans des constructions absolues
que cite Sandfeld.

Dans son second ouvrage sur Les propositions subordonnées (1936), Sandfeld a changé d'analyse, sans que, toutefois, ce changement entraîne une révision de l'ensemble des exemples qualifiés propositions relatives attributs. Il les divise en deux sous-ensembles: celui des attributs directs et celui des attributs indirects. Mais cette distinction n'est pas très claire. En principe un antécédent 4- une relative attribut direct équivaut à une "phrase raccourcie", alors qu'une relative attribut indirect équivaut à un udjectif attribut comme dans

(22) II est parti content.

Ainsi, les exemples du type (11) (il est là qui...) et ceux du type (12) (je le vois qui...) appartiennent à deux catégories différentes, les derniers étant équivalents à une construction avec proposition infinitive. Cela n'est pas heureux, et Sandfeld abandonne discrètement sa propre distinction au cours du chapitre sur les relatives attributs, lequel donne un peu l'impression d'être construit de bric et de broc.

Pour faire la synthèse, on peut dire que Sandfeld a pris le terme "pràdikativ" des grammairiens allemands comme référant au concept syntaxique ""attribut" ("Pràdikat" en allemand) et non pas au concept semantico-logique de "prédicat" (également "Pràdikat" en allemand). Il a donc essayé d'expliquer lespra comme différentes des autres relatives par leur fonction syntaxique, d'où le nom de pra

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qui leur est resté. Il ne s'intéresse pas aux règles qui régissent leur construction,
et il mélange les pra authentiques avec une foule de relatives anaphoriques et
transformées.

3.3. Anna G. Hatcher

Anna G. Hatcher (1944) s'intéresse, elle, à la construction relative après les verbes
de perception voir, regarder, apercevoir et uniquement aux rapports de cette
construction avec les constructions infinitive et participiale:

(22) a. Je le vois qui sourit
b. Je le vois sourire
c. Je le vois souriant.

Sa perspective est donc lexicographique (comment exprime-t-on une perception visuelle?) plus que syntaxique. Son grand mérite est d'avoir rassemblé un corpus si abondant d'exemples littéraires qu'on peut les soumettre à une analyse distributionnelle. Parmi les exemples qu'elle a trouvés dans des romans de la période 1850-1940 env., j'en ai examiné 46 qui me semblent sans ambiguïté. J'ai comparé la distribution de la construction relative avec celle de la construction infinitive par rapport à quatre facteurs: 1) la spécificité de la phrase; 2) le verbe perceptif; 3) la perfectivité du verbe enchâssé; 4) l'appartenance de l'antécédent aux groupes marqués [+ anim] ou [- anim].

a. La spécificité

Définition: Un énoncé est spécifique si et seulement s'il réfère à un événement
que ses coordonnées de temps et de lieu permettent de localiser univoquement
dans l'univers du discours réel, sinon il est non-spécifique.

Cette distinction est formelle dans ce sens que nos connaissances linguistiques
sont suffisantes pour répondre à une question sur la spécificité d'une phrase.
Ainsi tout le monde sait que pour vérifier l'énoncé

(23) J'ai vu l'accusé tuer la victime,

il est nécessaire de procéder à une enquête policière vérifiant le temps et le lieu,
alors qu'aucune enquête de ce genre ne pourrait conduire à une vérification
(mais peut-être à une falsification) de l'énoncé non-spécifique:

(24) Je n'ai jamais vu l'accusé.

Voici un tableau montrant la distribution de ce trait avec les constructions
pra et infinitive :


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II s'ensuit que les pra sont incompatibles avec la non-spécificité, si bien que
des phrases comme

(25) *Je ne l'ai jamais yuqui cueillait des fleurs

sont grammaticalement inacceptables.

b. Le verbe perceptif.


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Le verbe apercevoir est incompatible avec une proposition infinitive

(26) *Je l'aperçois cueillir des fleurs dans le jardin

Je n'ai vu qu'un seul exemple qui contrevient à cette règle,

(27) Si vous aperceviez le curé de Glandieu se débattre au milieu de la rivière, hésiteriezvous
à vous porter à son secours? (Polentz, 1903).

L'exemple est intéressant parce qu'il respecte la contrainte de spécificité, qui
exclut une pra dans une phrase non-spécifique, mais qui est en contradiction
avec la contrainte en question.

c. La perfectivité du verbe enchâssé


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Un verbe (ou groupe verbal) perfectif est exclu dans une pra. Un doute peut
exister quant à 9 exemples. Quelques-uns d'entre eux comportent des verbes "à
répétition" comme bondir, sauter, sautiller

(29) Nous la voyions de loin qui sautait, qui sautait, qui faisait le diable toute seule, avec
sa grande coiffe et sa collerette au vent (Hatcher, 1944)

qui sont perfectifs, mais qui peuvent être employés comme imperfectifs pour désigner une répétition illimitée de la même action partielle. D'autres contiennent des verbes "agressifs" comme disparaître, enfiler une rue, etc., qui peuvent être employés comme imperfectifs pour insister sur la partie de l'action verbale qui précède son accomplissement:

(30) Emma le vit qui disparaissait entre la double ligne de bancs (Id.)

Il est donc permis de classer ces exemples parmi les imperfectifs après les avoir
examinés attentivement.

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d. [+ anim] ou [— anim] ?

pra p inf total
Ant.[+anim] min 35 37 72
Ant.[-anim] max 11 61 72

La distribution du trait [— anim] n'est pas tout à fait facile à établir, parce qu'un nom [— anim] peut faire l'objet d'une "animation" ou personnification. C'est pourquoi le chiffre 11 est un chiffre maximum. Certains exemples, comme ceux-ci:

(31) II est dans son petit lit. Il regarde les raies lumineuses qui dansent au plafond (Id.)

(32) Jeanne apercevait, de son banc, les cimes de deux châtaigniers... et, plus loin, le cèdre
de la maison forestière, qui allongeait ses palmes noires sur le bleu du ciel (Id.)

contiennent des verbes d'activité (danser, allonger), présupposant un sujet animé.
Concluons prudemment à une tendance très prononcée à ce que la construction
pra soit incompatible avec un antécédent inanimé.

Les exemples de Hatcher peuvent être recoupés avec ceux de Polentz (1903) qui confirment les résultats ci-dessus. On peut conclure que les deux constructions, relative et infinitive, ne sont pas reliées syntaxiquement, ni sémantiquement d'ailleurs; il n'y a pas de "division du travail". D'un point de vue "instrumentaliste", il n'y a donc pas de gain à les relier, par exemple transformationnellement. Une grammaire qui essayerait de les inclure dans un même processus, deviendrait trop compliquée sans obtenir pour autant des généralisations intéressantes.

3.4. Les grammairiens transformationalistes

Gross (1968, 1245; 1975, 71s), qui ne prend en considération que les verbes du type voir, établit une dérivation en deux étapes: 1. des pra à partir des propositions complétives et 2. des constructions infinitives à partir des pra. Abstraction faite de l'objection qui consiste à rappeler l'existence de pra dépendant de verbes qui ne se construisent pas avec une complétive, on peut alléguer contre cela l'analyse distributionnelle ci-dessus qui montre que la pra est soumise à plus de contraintes que la proposition infinitive, ce qui fait de celle-là une source très improbable de celle-ci.

Kayne (1977, 126ss) propose une structure spécifique pour les pra:

(33) je-ai-vu-lui-(çque-lui-courait à toute vitesse)

(34) elle-a-rencontré-lui-içque-lui-sortait du cinéma)

(35) elle-est-là- (^que-elle pleure)

avec effacement transformationnel du sujet et changement du que en qui. Il éta
blit en plus un parallèle avec la construction participiale

(36) je l'ai vu courant à toute vitesse,

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etc. Son propos n'est pas, cependant, de formuler des règles qui expliquent la construction relative, mais d'éluder certaines difficultés dans la formulation des règles pour l'extraction de en. Aussi ne s'agit-t-il que d'une suggestion. Elle soulève quelques problèmes intéressants. Les pra ne seraient pas des relatives dans la structure profonde de la phrase, mais des "compléments phrastiques... directement dominés soit par VP, soit par le nœud S le plus élevé (mais non par le NP objet)" (Kayne, 128). On peut se demander de quel type de complément il s'agit, comment il entre dans la spécification des traits de subcatégorisation du verbe, etc. La proposition de Kayne implique que les pra appartiendraient au groupe des relatives transformées, ce qui concorde mal avec le caractère indubitablement anaphorique du pronom relatif (voir 2. ci-dessus). Comme il ne s'agit que d'une ébauche rapide, on reste malheureusement sur sa faim.

Ruwet (1978), enfin, étudie la question de savoir si une relative après avec
NP:

(37) avec Georges qui se prend pour Napoléon, la linguistique est mal partie,

est une relative explicative ou une pra (que Ruwet appelle "pseudo-relative"). Il accepte l'analyse de Kayne, critique celle de Gross, inclut les relatives possessives parmi les "pseudo-relatives", et opte pour une analyse qui fait de (37) un exemple de pseudo-relative. A mon avis il se trompe sur les deux derniers points, avoir le cœur qui bat a une tout autre syntaxe que voir Paul qui attend. De même, les relatives après avec NP. En fait, l'argument de Ruwet est à rebours. Il montre que la relative après avec NP n'est ni determinative, ni explicative. Mais de là on ne peut pas conclure qu'elle soit "pseudo-relative", à moins de prendre la classe des "pseudo-relatives" comme un résidu, ce qui est sans intérêt linguistique véritable.

3.5. Mira Rothenberg

Mira Rothenberg (1979) nous offre l'étude la plus approfondie de la syntaxe des pra. Son point de départ est de considérer la distinction entre relatives adjointes et relatives non-adjointes (que Polentz appelle "prédicatives" et Sandfeld "attributs") comme fondamentale. Mais elle a bien senti l'hétérogénéité qui caractérise l'ensemble des dernières. C'est pourquoi, ingénieusement, elle propose de les répartir en deux groupes, les relatives prédicatives comprenant des exemples tels que

(38) J'ai le cœur qui bat

(39) Le "tripot" qu'il fit construire dans son jardin, n'implique pas qu'il en ouvrit l'accès
au public (Sandfeld, 1936,145),

et les relatives attributives, qui comprennent uniquement les exemples du type

(40) II est là qui pleure

(41) Je le vois qui pleure.

Les relatives prédicatives sont définies à l'aide des concepts sujet, prédicat et

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nexus (ou syntagme predicati/), le dernier étant constitué par un lien de solidarité(ou relation exocentrique) entre les deux premiers. C'est à mon avis la partie faible de son étude. Les concepts de relations syntaxiques, forgés par les linguistesstructuralistes d'avant-guerre tels que Jespersen, Bloomfield et Trubetzkoy,ont été utiles dans leur temps, mais sont trop rudimentaires comparés aux instruments conceptuels dont dispose le linguiste moderne, lesquels visent les règlessyntaxiques de construction plutôt que les relations entre les éléments d'une construction syntaxique. Au lieu de s'en tenir à une notion vague, presque métaphorique,de prédicat, il vaut mieux se poser la question de savoir si, à partir de structures simples, on peut construire, suivant une règle claire et générale, les propositions relatives classées dans une même catégorie. Or, il s'avère que cela est ici impossible. La construction avoir le cœur qui bat peut être obtenue à partir de la phrase simple le cœur de N bat à l'aide d'une règle de transformation facile à formuler et générale, comme l'a déjà montré Le Bidois: "Ces phrases peuvent s'énoncer sous forme simplifiée. ... on a affaire ici à un procédé affectif de mise en relief: le sujet du verbe qui, sémantiquement, est le plus important, est présenté comme l'objet du verbe avoir, et relié au second verbe par le conjonctif qui" (1967, §1365); et il cite les exemples suivants:

(42) J'avais ma petite maison quine se louait pas: = ma petite maison ne se louait pas

(43) J'ai la main quinen peut plus: = ma main n'en peut plus

(44) C'est qu'elle a des yeux qui vous entrent au cœur comme des vrilles: = C'est que ses
yeux vous entrent au cœur comme des vrilles.

Il s'agit, en effet, des relatives possessives, déjà mentionnées ci-dessus (p. 99).
Parmi les autres relatives classées comme "prédicatives" chez Mira Rothenberg,
un grand nombre sont présentatives, mais elliptiques

(45) Dans l'air, (il y avait) des balles qui sifflaient,

d'autres anaphoriques comme (39) ou (13). Il reste un petit groupe irréductible
de relatives parmi lesquelles celles étudiées par Ruwet, à savoir le groupe


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(46)

pour lequel il faut trouver une règle de construction propre. Mais tel n'est pas ici
mon propos.

Le chapitre sur les relatives attributives a le grand mérite d'éviter la confusion traditionnelle de la catégorie des pra avec toutes sortes d'autres relatives. Le critère qui les définit est chez Mira Rothenberg la possibilité d'avoir un pronom personnel clitique comme antécédent. Sur cette base, Mira Rothenberg veut distinguer trois types différents de pra:

I: II est là qui pleure

II: Ils sont nombreux qui pleurent

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III: Marie le voit qui pleure.

A mon avis, il ne peut cependant être question de considérer le type II comme
une pra, car ce n'est pas, malgré Yaccord dans des phrases comme

(47) Nous sommes des pies qui nous jetons à l'étourdie sur tout ce qui brille,

le sujet de la phrase qui est l'antécédent de la relative, mais l'attribut. C'est ce
qu'on peut montrer par l'interversion des propositions, comme cela est proposé
dans Prebensen/Spang-Hanssen (1977):

(48) Les pies que nous sommes se jettent à l'étourdie sur tout ce qui brille.

On peut montrer également que le type II n'est pas soumis aux mêmes contraintes
que les types I et 111, par exemple


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(49)

qu'il faut comparer avec


DIVL2245

(50)

II vaut donc mieux exclure le type II de l'ensemble des pra.

En ce qui concerne la structure syntaxique de la construction pra, Mira Rothenberg avance une hypothèse intéressante, à savoir qu'il faut y voir des compléments facultatifs faisant partie de la valence du verbe, et corollairement, elle donne une liste de verbes, 77 en tout, qui admettraient une pra dans leur dépendance.

Cette hypothèse présente cependant quelques difficultés. D'abord la liste des verbes est sujette à caution. La construction pra est rare et plutôt littéraire, comme dit Mira Rothenberg. Néanmoins, pour environ 45 verbes, elle ne cite que des exemples construits et apparemment contrôlés d'une façon sporadique avec l'aide d'une seule informatrice. Les informateurs que j'ai consultés ont du mal à les accepter, mais il faut admettre qu'ils sont hésitants aussi devant certains exemples littéraires. Ce qui me paraît plus contrariant, cependant, c'est qu'une très grande partie des verbes de Mira Rothenberg présentent des propriétés syntaxiquesqui dévient par rapport au reste. Alors que ces verbes forment un groupesyntaxique

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pesyntaxique"naturel", permettant de formuler une hypothèse simple et généralesur la construction pra, les verbes figurant dans les exemples construits par Mira Rothenberg "brouillent" considérablement l'image, sans toutefois la détruire.Il vaut donc mieux laisser de côté ces verbes en attendant une vérificationplus contrôlable de leur apparition avec une pra4.

D'un ordre plus théorique est la question suivante: Cela concorde-t-il avec les définitions normales des concepts de valence, actant, circonstant, etc., de considérer les pra comme faisant partie de la valence du verbe? La réponse est non, immédiatement. Un actant a le caractère d'un argument de la logique formelle; il renvoie à un réfèrent, qui peut être une entité, une classe ou un événement. Cela, une relative ne le fait pas. Il faudrait postuler qu'à un niveau plus profond la pra soit une complétive, car celle-ci peut figurer comme l'actant d'un verbe. On rejoint donc l'hypothèse de Gross, que Mira Rothenberg refuse d'accepter (op. cit., 388). Ou bien alors, il faudrait réviser la grammaire de dépendances, ce qui n'est peut-être pas une mauvaise idée, mais ce n'est pas ce qui est envisagé dans l'article de Mira Rothenberg.

Il me semble donc impossible que les pra soient en dépendance syntaxique du
verbe: c'est à une autre sorte d'explication syntaxique qu'il faut recourir pour
saisir l'originalité de la construction.

3.6. Résumé

En résumé, on peut dire que les romanistes allemands ont rassemblé une masse hétéroclite de propositions relatives sous la dénomination de "relatives prédicatives"; cette masse est caractérisée par rapport aux autres relatives à l'aide de la notion sémantique de dépendance du prédicat, ou du verbe.

Sandfeld a voulu préciser la catégorie sur le plan conceptuel sans toucher à



4: II s'agit des verbes suivants, rangés en groupes par ordre décroissant d'acceptabilité: abandonner visualiser décrire identifier choisir quitter * dépeindre intercepter chronométrer * flairer ébaucher saisir endurer discerner percevoir évoquer * distinguer * filmer imaginer pressentir entrevoir déceler peindre se figurer rappeler épier dégoter photographier se représenter se rappeler guetter dénicher révéler voir (en esprit) redouter lorgner repérer * * souffrir observer * appréhender accepter supporter remarquer attraper admettre Pour préciser la portée du concept d'acceptabilité en jeu, je souligne que mes informateurs refusent d'accepter des phrases comme (a) On l'a accepté qui marchait encore à peine (b) Je l'ai rappelé qui avait oublié ses clés venant d'un étranger.

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son extension. Il a tenté infructueusement de remplacer le concept sémantique
de "prédicat" par le concept syntaxique d'attribut.

Hatcher a restreint le champ de son analyse aux différences de sens entre les
constructions relative, infinitive et participiale après voir, regarder et apercevoir,
constructions qui sont sans rapports systématiques entre elles.

Gross, Kayne et Ruwet se bornent à étudier quelques cas particuliers sans s'interroger sur le domaine d'application des règles qu'ils proposent. Ils sont d'accord pour voir dans les pra, non pas une construction authentiquement relative, mais une complétive, qui, chez Gross, est objet, ce qui est faux, chez les autres un subordonné énigmatique, soit du VP, soit du S principal.

Mira Rothenberg, enfin, circonscrit assez exactement la construction en proposant de distinguer entre une catégorie de "relatives prédicatives", qui reste dans la tradition des fourre-tout inaugurée par les Allemands, et une catégorie de "relatives attributives" qui est malheureusement encore trop compréhensive puisqu'elle englobe les relatives anaphoriques ayant un attribut comme antécédent.

Ce petit historique de l'étude grammaticale de la construction pra montre comment, par étapes successives, on obtient un triage de plus en plus fin des éléments de l'ensemble hétéroclite dont on était parti. Le noyau étant cerné, il doit être possible de procéder enfin à une description syntaxique et sémantique de la structure des pra.

4. Syntaxe et sémantique des propositions relatives attributives

4.1. Valence du verbe supérieur

Aux deux exemples types qui figurent dans l'introduction,

(1) Jo est là qui attend

(2) Je vois Jo qui attend

correspondent deux groupes de verbes, les verbes de position et les verbes de perception.
En voici une liste comprenant tous les verbes qui ont été trouvés chez
des écrivains des deux derniers siècles:


DIVL2364

1. Verbes de position


DIVL2367

2. Verbes de perception (trivalents)

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La. Les verbes de position bivalents peuvent être décrits comme ayant la valence

(51) Vp (sujet, complément local)
Ainsi


DIVL2298

(52)

et


DIVL2304

,
( '

l.b. Les verbes de position trivalents se définissent comme suit:


DIVL2310

ce qui correspond à des expressions telles que


DIVL2316

„,.
(55)

a.

b.

2. Les verbes de perception finalement auront la valence suivante

(56) a. Vp (sujet, objet, comp. loc.)

comme le montre un exemple tel que


DIVL2330

(56) b.

On sera peut-être étonné de voir affirmer que les verbes de perception sont trivalentset que le complément local dans le jardin n'est pas analysé comme un circonstant, un complément de lieu "scénique". C'est une difficulté inhérente à toute grammaire de dépendances de distinguer les circonstants de lieu et les actants locatifs, et il n'y a pas de test formel qui permette de trancher dans tous les cas. La description de la valence d'un verbe a donc toujours le caractère d'une hypothèse qui, si elle n'est pas d'emblée infirmée, sera corroborée au fur et à mesure que sa description s'intègre dans des ensembles explicatifs de plus en plus compréhensifs. Je citerai ici deux observations qui semblent confirmer le bien-fondé de l'analyse proposée pour les verbes de perception. Premièrement, le fait que, sémantiquement, un complément de lieu scénique sert à situer l'événementmis en scène à l'aide du verbe et ses actants dans sa totalité, alors qu'un complément local se rapporte à l'un des autres actants présents en particulier, normalement le complément d'objet. Ainsi dans transporter un objet quelque

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part, il y a comme une prédication secondaire assertant que l'objet sera là où il aura été transporté. De même, avec voir une personne dans le jardin, c'est la personnequi est localisée dans le jardin, et non pas l'acte de perception qui a lieu dans le jardin, cf. la réponse à la question:

(57) Où l'as-tu vu? - Dans son lit.

qui n'implique pas normalement que l'observateur se soit trouvé dans le même lit que la personne observée au moment de l'acte d'observation. Deuxièmement, l'existence des deux expressions "présentatives", voici et voilà, atteste le lien intime entre le verbe perceptif et un complément local.

Etant admis que les verbes perceptifs figurent parmi les verbes trivalents, qu'ils sont donc à complément local, nous entrevoyons la possibilité d'unifier la description des deux types de pra, après être et les autres verbes de position et après voir et les autres verbes de perception. Nous pouvons dire désormais que la construction pra dépend sur le plan de la syntaxe d'un verbe à complément local:

(58) Emma l'aperçut dans la prairie, qui marchait sous les peupliers (Flaubert, Bovary,
Garnier 121)

(59) Je les revoyais encore là sous la lampe, qui feuilletaient leurs livres (Polentz, 1903)

(60) Je la croisai au coin de la rue,,, et qui se dirigeait vers ma porte (Sandfeld, 1936)

(61) Quand nous l'eûmes là, devant nous, qui remplissait de sa splendeur... cette misérable
chambre..., le vieillard posa sa main sur mon épaule (Polentz, 1903)

(62) II la trouvait près de la fenêtre, ou à genoux à côté du lit, prosternée, dans son peignoir
rose, le rose était sa couleur, qui lui demandait d'une voix entrecoupée les
sels anglais (Aragon, Quartiers, 50)

(63) (elle) le laisse dehors qui sanglote au jardin (Polentz, 1903)

(64) Avant que la fille eût pu la retenir, la terrible femme était déjà dans l'escalier, qui
criait (Id.)

(65) M. l'abbé Taconet est avec lui qui le console (Id.)

(66) C'est ici encore la toile tendue et l'araignée est tapie, qui veille (Id.)

(67) Elle était assise dans une robe claire, qui regardait avec amour les croisées du receveur

Les derniers exemples, ainsi que d'autres cités ci-devant, montrent que le complément local n'est pas obligatoire dans tous les cas. Ce qui importe, c'est qu'il est impliqué par le verbe dans ce sens qu'on ne peut pas affirmer la position ou la perception d'une entité et, en même temps, ignorer son lieu.

4.2. Une règle de construction pour les pra

Nous venons d'établir que le verbe supérieur d'une phrase complexe comportant une pra doit être un verbe de perception ou de position impliquant un complémentlocal. Nous pouvons maintenant formuler une règle de construction pour les pra. Cette règle aura la forme suggérée plus haut (3.5.): elle prescrira comment,à partir d'une structure plus simple, on produit la structure complexe en question. Comme le pronom relatif a la valeur d'un pronom anaphorique, il faut

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partir d'une structure simple comportant deux propositions entre lesquelles il y a
une relation anaphorique :


DIVL2377

(
-

- où Wf" est la base du pronom anaphorique 'II';

- 'Vp' est un verbe de position ou de perception qui comporte un complément
local dans sa valence;

— 'L'le complément local impliqué par Vp;

- '#' un symbole indiquant la frontière entre deux propositions principales.

La règle permet d'aller d'une séquence comme

(69) a. la terrible femme était déjà dans l'escalier. - Elle criait,

à la phrase complexe

(69) b. la terrible femme était déjà dans l'escalier qui criait,

ou d'une séquence comme

(70) a. Emma l'aperçut dans la prairie. -II marchait sous les peupliers,

à la phrase complexe

(70) b. Emma l'aperçut dans la prairie, qui marchait sous les peupliers.

4.3. Quelques contraintes sur la règle de construction

L'idée de la règle (68) est d'exprimer qu'une pra équivaut à une proposition principale et, partant, à une proposition relative explicative, sans toutefois rien préjuger de la structure syntaxique des relatives, qui est, à mon avis, une question encore en suspens. Mais la règle est encore trop permissive et il faut la contraindre quelque peu.

1. La contrainte de spécificité. J'ai montré ci-dessus (3.3.1.), qu'avec les verbes de perception visuelle, la proposition complexe contenant une pra doit être spécifique. Il s'avère que cette contrainte vaut pour tous les verbes de perception et de position. Cela veut dire que le réfèrent du NP antécédent doit être une entité du monde réel et que le temps et le lieu de l'événement auquel il participe doit être spécifiable dans le monde réel et non pas seulement dans un monde possible. Il s'ensuit que des constructions telles que


DIVL2414

(71

sont impossibles.

2. La contrainte de l'antécédent animé. J'ai montré également, dans 3.3.4., que l'antécédent d'une pra après un verbe de perception visuelle doit être marqué [+ anim]. Cette contrainte semble également être générale. Tous les exemples de pra exempts d'ambiguïté que j'ai trouvés, c'est-à-dire du type

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(72) II les sentit qui lui couraient le long des jambes, lui chatouillaient les reins (Gide,
Caves, Pléiade, 777) (les = les puces)

la respectent, si on admet la possibilité d'une personnification/animation, cf.

(73) La mer battait le roc où ils étaient assis; ils l'écoutèrent qui chuchotait pour eux
(Polentz, 1903)

où le verbe chuchoter autorise une telle interprétation. Il s'ensuit que des exemples
souvent cités comme entendre la porte qui craque ont été abusivement identifiés
avec des pra. En effet, mes informateurs rejettent la phrase

(74) *Je l'entends qui craque

avec la = fa porte.

3. Contraintes sur le VP de la pra. Nous avons vu, au 3.3.3., qu'avec les verbes de perception visuelle, le VP de h pra enchâssée doit être imperfectif. Cette contrainte se vérifie avec toutes les pra. Sur 61 exemples avec d'autres verbes, 49 sont clairement imperfectifs, 3 sont ambigus en l'absence d'un contexte, 9 sont perfectifs-égressifs, c'est-à-dire peuvent être pris dans une acception imperfective, par exemple

(75) Je l'avise un jour qui débouchait de sa caserne

(76) Je le découvris qui rentrait d'assez méchante humeur (Polentz, 1903).

Le VP de la pra doit en outre se trouver dans un temps duratif, normalement
le présent ou l'imparfait. Le passé simple est pratiquement exclu. Les trois exemples
que j'ai trouvés sont tous bizarres

(77) Soudain je la vis, cette main, la mienne,... s'avancer vers le pied de biche pendant à
sa chaînette, et qui le tira (Sandfeld, 1936)

(78) II les regarda disparaître sous l'ombrelle, qui se retournèrent une ou deux fois (Aragon,
Quartiers, 133)

(79) II était là, en effet, qui la reçut dans ses bras (Sandfeld, 1909).

Le VP de la pra n'admet pas de négation, à moins qu'il ne s'agisse d'une double
négation comme dans

(80) Elles sont là quine cessent de hurler autour de la demeure, les mystérieuses puissances
de la tempête (Polentz, 1903),

de même que le VP ne peut pas dénoter un état

(81) *I1 est là qui est obèse maintenant,

mais doit désigner une activité.

5. Conclusion

Les pra sont donc des propositions relatives anaphoriques d'un type particulier. Elles apparaissent avec des verbes de position et de perception impliquant un complément local. Celui-ci indique le lieu où est situé ou perçu un être vivant (ou un objet présenté "rhétoriquement" comme vivant). Cet être est en plein exercice d'une activité qui dure.

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Un verbe Vp, c'est-à-dire un verbe de position ou de perception comportant un complément local, crée ainsi un champ sémantique dans lequel peut entrer la proposition suivante si certaines conditions sont remplies. Les manifestations syntaxiques de ces conditions sont : Le NP sujet ou objet de Vp doit être animé. Le sujet de la proposition suivante doit être anaphoriquement relié à ce NP. Le VP doit en être une expression verbale imperfective, dans un temps durati/ et comportant un verbe d'activité comme noyau. Le champ ne s'actualise que si les deux propositions sont spécifiques.

La seconde proposition peut être une proposition principale ou relative. La possibilité d'avoir une relative ici paraît être une spécialité des langues romanes, non du français seuls. Mais la possibilité d'avoir un pronom personnel clitique comme antécédent d'une telle relative est une particularité du français; c'est cette particularité qui nous empêche de voir dans la pra une simple relative explicative.

Ainsi on a, en danois:

(82) a. Adam er ude. Han saver braende.
b. Jeg ser Adam derude. Han saver braende.

tout comme on a, en français:

(83) a. Adam est dehors. Il coupe du bois,
b. Je vois Adam dehors. Il coupe du bois.

Mais on n'a pas, en danois:

(84) a. *Adam er ude som saver braende.
b. *?Jeg ser Adam derude som saver braende.

alors qu'en français, on a:

(85) a. Adam est dehors qui coupe du bois,
b. Je vois Adam dehors qui coupe du bois.

ni

(86) a. *Han er derude som saver brsende.
b. *Jeg ser ham derude som saver braende.

à l'encontre de

(87) a. Il est dehors qui coupe du bois.
b. Je le vois dehors qui coupe du bois.

Je ne vois pas d'explication à ces différences, du moins dans le cadre d'une grammaire synchronique. On doit s'en tenir à la constatation de l'existence d'une catégorie de proposition relative particulière en français: une proposition relative anaphorique ni explicative ni determinative - la proposition relative dite attributive:



5: Les romanistes affirment qu'elle existe en italien, en roumain et peut-être en espagnol.

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DIVL2501

Henrik Prebensen

Copenhague

Résumé

On montre l'étendue du concept proposition relative attributive et la place de cette construction
à l'intérieur de la typologie des relatives. On propose une règle de construction pour
ces relatives et on montre à quelles contraintes elles sont soumises.

Bibliographie

Gross, M.: Grammaire transformationnelle du français, syntaxe du verbe, 1968.
-: Méthodes en syntaxe, 1975.

Hatcher, Anna G.: "Je le vois sourire, je le vois qui sourit, je le vois souriant."Modem Language
Quarterly, 5, 1944.

Kayne, R. S.: Syntaxe du français. Le cycle transformationnel, 1977.

Prebensen, H.: Prœdikative relativsœtninger i fransk grammatik, RIDS 76, 1980.
- et E. Spang-Hanssen,De/ra«sA;e relativsœtningers typologi, 1977.

Polentz, E. Franzòsische Relativsâtze als pràdikative Bestimmungen und verwandte Konstruktionen,

Rothenborg, Mira: "Les propositions relatives prédicatives et attributives: Problème de linguistique
française", Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, LXXIV, 1979.

Ruwet, Nicolas: "Une construction absolue en français", Linguisticae observationes, 11,
1978.

Sandfeld, Kristian: Bisœtningerne i moderne fransk, 1909.
-: Les propositions subordonnées, 1936.

Tobler, A.: "Vermischte Beitràge zur Grammatik des Franzôsischen", Zeitschrift fur Romanische
Philologie, 8,1884, p. 490, et 20,1896, p. 55-58.

Vikner, C: "Quelques réflexions sur les phrases clivées en français moderne", Actes du 5e
congrès des romanistes Scandinaves, 1973.