Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2Grammaire fonctionnelle du français, sous la direction d'André Martinet. Paris, Didier-Crédif, 1979. XII + 276 p.Odile Halmöy Side 202
La GFF nous est présentée comme «un ouvrage d'application, à la description du français,des principes de la linguistique fonctionnelle». C'est donc la deuxième tentative de ce genre, après Pour enseigner le français, da Mahmoudian et son équipe (voir le compte rendu qu'en a fait H. Martinet dans Revue Romane, 1977, XII 2, pp. 373 à 376). On Side 203
précise par
ailleurs que la GFF «ne suppose, chez ses utilisateurs,
aucune formation en La GFF s'ouvre en effet par un chapitre de 25 pages où sont présentés les principes de base de la théorie fonctionnelle, qui fournit le cadre théorique de la description. Cette introduction comporte notamment un ensemble de définitions des termes essentiels, certains propres à la linguistique fonctionnelle (monème, synthème, modalité, prédicatoïde, etc.), d'autres d'usage plus courant mais employés par les fonctionalistes avec un sens un peu déviant par rapport à l'acception générale (c'est le cas du terme syntagme, particulièrement, mais aussi de fonction, valeur, etc.). Ce premier exposé, clair et systématique, séduit par son apparente simplicité. Mais la brièveté de l'exposition peut rendre la lecture difficile par endroits: certaines originalités de la théorie sont insuffisamment développées. Quel lecteur, sans formation linguistique, ne réagira pas à l'affirmation, sans autre commentaire, que dans «ce village est petit» ou «son père est avocat», petit et avocat «sont les noyaux d'expansions éventuelles, y compris, en dépit de la forme, celle de temps et de mode»? (p. 16, c'est nous qui soulignons). L'introduction nous explique également comment seront présentés «visuellement» les rapports de déterminant à noyau, par un système de flèches. Cette visualisation n'est évidemment possible que pour un stade très élémentaire de la description, lorsque sont en jeu un petit nombre d'éléments seulement. Ces schémas ne sauraient rendre compte de phrases longues et complexes, et les auteurs ne s'y essaient même pas. Des coquilles diminuent çà et là l'intérêt de ces schémas (en 1.28, par exemple, alors qu'on devrait avoir, selon les explications du texte, «une flèche de coordination doublée d'une barre de coordination», le croquis présente deux flèches en sens inverse, ce qui dément l'explication; en 2.53 c, c'est la barre des rapports de coordination qui manque). La deuxième partie de la GFF (pp. 27 à 149) concerne l'inventaire des classes de monèmes, définies par l'étude de leurs compatibilités: «les monèmes sont caractérisés, en priorité, par leurs compatibilités, et les monèmes de mêmes compatibilités et mutuellement exclusifs forment une classe» (p. 29). On distingue entre classes ouvertes, dites lexicales, et classes fermées, dites grammaticales. La notion de transfert (passage d'une classe à une autre) est introduite. Chaque classe est présentée suivant le même plan: on indique les critères d'identification, puis vient le catalogue des unités, la morphologie des monèmes en question, et leur axiologie (étude sémantique). Le découpage en paragraphes n'est pas toujours éclairant, mais ce morcellement de l'exposé est justifié en ce qu'il permet de retrouver (grâce à l'index) les points de détail, et d'utiliser de la sorte la GFF comme un ouvrage de consultation. C'est sous les rubriques morphologie et axiologie que l'on trouvera les remarques les plus intéressantes et la présentation la plus originale. Citons, au hasard, une discussion intéressante sur les coordonnants (3.65 à 3.68), une bonne description des présentatifs (2.76 à 2.78), ou encore, point de détail utile pour les étudiants étrangers, un bon exposé, dans sa brièveté, sur l'usage en matière de tutoiement et de vouvoiement (2.40 d), etc. La troisième partie (pp. 153 à 230) est consacrée à la syntaxe, dont la tâche, nous dit-on, est «l'identification des rapports particuliers» qu'entretiennent «les divers élémentsdu discours», et «leur classement» (p. 153). Ces rapports sont de deux types: les compatibilités (étudiées dans l'inventaire, qui recouvre donc aussi une partie de la descriptionsyntaxique), et les fonctions grammaticales, dont l'étude fait plus particulièrement l'objet de cette section. Une bonne discussion générale sur les types de fonctions, répartiesen fonctions spécifiques, comme la fonction objet et la fonction dative, qui «caractérisentles Side 204
térisentlesverbes auprès desquels on les rencontre», et qui «constituent ce qu'on désigne souvent comme la valence du verbe», et les fonctions non spécifiques, «dont l'apparition est indépendante du choix d'un verbe particulier». Ces dernières se subdivisent en fonctionnon spécifique obligatoire (la fonction sujet), et en fonctions non spécifiques facultatives(par exemple les fonctions locative ou modale, c'est-à-dire, en termes traditionnels, de manière), voir tableau en 4.13. Une remarque sur la fonction sujet, dont le statut reste peu clair, malgré la place spéciale qui lui est accordée: s'agit-il ou non d'une expansion du verbe? Deux grands courants linguistiques s'opposent sur la question. Soit on considère, avec Tesnière et la grammaire de «valence», que le sujet est la première expansion du verbe (et on parle de verbes monovalents, bivalents ou trivalents, selon qu'ils admettent une seule expansion (le sujet), deux expansions (sujet et objet) ou trois expansions (sujet, objet et complément datif), - le terme de valence figure à la page 159 -, soit on considère, en accord avec la tradition danoise, que le verbe et le sujet entretiennent un rapport de nexus, auquel cas on ne saurait parler d'un rapport de subordination d'une expansion (le sujet) à un noyau (le verbe). Le schéma de visualisation de la GFF semble hésiter sur ce point entre ces deux positions: le verbe et son sujet sont reliés par une flèche à double hampe, comme le nexus de Hjelmslev {Prolégomènes, p. 57), mais le verbe est encadré, ce qui lui confère un statut spécial par rapport au sujet aussi. Le texte confirme cette hésitation: on lit p. 159 que «les fonctions autres que le sujet introduisent, en principe, des expansions - la tradition dit des «compléments» - c'est-à-dire des segments qui ne font pas partie du minimum nécessaire pour constituer un énoncé viable». On comprend donc que le sujet n'est pas une expansion, il entretient bien un rapport de solidarité avec le verbe (il est parlé, p. 167, du «complexe sujet-prédicat»). Pourquoi lit-on alors, à propos de la position des expansions, que «les expansions en fonction sujet et objet occupent, dans la proposition, une place déterminée qui est l'antéposition pour le sujet, la postposition pour l'objet (...)»? (p. 166, c'est nous qui soulignons). On sera peut-être dérouté aussi par la multiplication des fonctions (particulièrement en ce qui concerne les rapports du nominal au noyau verbal, pp. 167 à 199), et surtout par les étiquettes qui leur sont appliquées, comme celle de «fonction d'origine» pour désigner la fonction de du projet dans il parle DU projet à son ami (p. 172). Les auteurs eux-mêmes notent toutefois que «on peut parfois hésiter à identifier une fonction comme indirecte en de ou d'origine, des critères formels ne permettant pas toujours de les distinguer» (ibid.). C'est que, pour la GFF. à chaque fonctionne! correspond une fonction - ou parfois plusieurs - et qu'à la limite, nous dit-on, «de nouvelles fonctions peuvent apparaître tous les jours dans la langue par figement de syntagmes formés d'un fonctionnel, de l'expansion qu'il introduit et d'un autre fonctionnel» (p. 198, 4.71 b). Atomisation déconcertante au premier abord, mais qui ne fait que refléter la complexité de la syntaxe des prépositions en français, dont elle permet de la sorte l'étude approfondie, précieuse particulièrement pour les étudiants étrangers. Les fonctions temporelles se décomposent ainsi en fonctions ponctuelle, inessive, et, quand on renonce à leur donner une étiquette autre que celle du fonctionnel qui les introduit, en fonctions dans, avant, après, vers, de, depuis, dès, pendant, jusqu'à, entre, pour, en, etc. Il faut applaudir dans la quatrième partie (synthématique) l'introduction dans une grammaire d'une partie de la description linguistique laissée d'habitude aux dictionnaires, à savoir une analyse de la formation des mots. Une trentaine de pages (231 à 268) nous donnent une description convaincante de la formation des synthèmes (clairement opposés Side 205
aux syntagmes), par affixation, confixation et composition, ainsi qu'une morphologie de la synthématique, et sa dynamique. C'est là une innovation: l'étude grammaticale est limitée d'ordinaire par le mot (unité inférieure) et par la phrase (unité supérieure). Et quand les auteurs font une place dans la description aux unités linguistiques de rang inférieur au mot, on aurait aimé aussi qu'ils poursuivent l'analyse au-delà de la phrase. Cela aurait permis d'éviter, par exemple, de considérer et comme un coordonnant à l'intérieur de la phrase, mais comme transféré dans la classe des adverbes quand il relie deux phrases l'une à l'autre! (La GFF tient ce raisonnement pour mais, mais la logique force à l'appliquer aussi à et): «Là où un monème, identifié comme coordonnant, établit une relation sémantique de phrase à phrase, on le considérera comme transféré à la classe des adverbes» (3.65 a). La GFF est une œuvre d'équipe, ce qui explique peut-être certaines incohérences dans la présentation. Pour n'en prendre qu'un exemple, il est déclaré en 3.18 d que les formes de gérondif sont à considérer comme des «variantes de l'infinitif», sans autre explication. Ce point de vue relativement nouveau - même si H. Bonnard écrit déjà dans le Grand Larousse de la langue française que l'infinitif prépositionnel en fonction adverbiale et le gérondif sont «en distribution complémentaire», vol. 3, p. 2221 - n'est nullement exploité par la suite, et on ne retrouve plus trace de cette forme «d'infinitif» au chapitre de syntaxe qui traite des rapports de l'infinitif au noyau verbal. Par ailleurs, si un bon système de renvois internes facilite la lecture et contribue à maintenir la cohésion de l'ensemble, l'index gagnerait à être étoffé. On y cherchera en vain des termes comme conditionnel ou imparfait, remplacés respectivement par futur décalé et passé. Le traditionnel attribut n'y figure que sous l'appellation de prédicat à copule. L'utilisation de l'index et de la GFF comme ouvrage de consultation suppose donc déjà une grande familiarité avec la présentation fonctionnelle et sa terminologie. La GFF ne comporte pas de bibliographie; il est renvoyé «une fois pour toutes» au Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel de A. Martinet et H. Walter pour les questions de prononciation, et sont mentionnés sinon La phonologie du français d'H. Walter, Le bon usage de Grevisse, Pour enseigner le français de Mahmoudian, et la Fransk Syntaks de Pedersen, Spang-Hanssen et Vikner, manuel en usage dans les universités Scandinaves, auquel les auteurs empruntent nombre de développements de détail - comme la présentation de l'inversion, l'introduction du concept de complément datif, le traitement des prépositions, etc. - rendant ainsi accessible à un public francophone les descriptions judicieuses de cet ouvrage danois. En conclusion, disons que la GFF atteint son objectif difficile, qui était selon les termes mêmes de A. Martinet de «confronter un modèle assez formalisé (...) avec la multitude des faits qui constituent une langue réelle» (p. IX). L'exposé de la théorie fonctionnelle est séduisant par sa simplicité et son envergure, la description est riche en observations et remarques de détail, et abondamment illustrée par des exemples bien choisis - ce n'est pas un des moindres mérites de cette grammaire que d'accorder la priorité à la «langue d'usage quotidien sous sa forme orale» (p. 23), et de donner la transcription phonétique la plus usuelle (/kestydi/ à côté des formes d'interrogation que dis-tu?, qu'est-ce que tu dis? et tu dis quoi?, /jaka atàdr/ pour/7 n'y a qu'à attendre, etc. (p. 83, 2.77 b). En un mot, une lecture stimulante, qui ne manquera pas d'être utile aux enseignants du français, qu'ils soient fonctionalistes ou non. Trondheim
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