Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

Réponse à Yvon Belaval

Marcel Hénaff

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Je voudrais remercier Yvon Belaval pour la bienveillance mais aussi l'exigence qu'il a
apportées dans la lecture de mon travail. Lecture précise et pertinente, riche de nombreusesinformations

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breusesinformationsnouvelles mais posant aussi un certain nombre de questions critiques qui semblent se concentrer autour de trois problèmes: celui de réfèrent et de la fiction, celui de l'impensé du texte, enfin celui du fantasme. Je vais tenter de m'expliquer sur chacun de ces points.

1. Le réfèrent

La question du réfèrent est devenue le fantôme insaisissable des châteaux de la fiction. Depuis quand? Dupuis sans doute que la réalité s'est voulue raison,"c'est-à-dire en gros depuis le XVIIe siècle et la naissance du réalisme littéraire, lequel ne deviendra intention et théorie qu'au XIXe siècle. Réalisme qu'est-ce à dire? Ceci sans doute: que les histoires que «fabriquent» les écrivains ue modèlent et s'articulent sur l'Histoire que vivent les sociétés. Le récit quitte les sphères du légendaire, de l'épique où s'affrontent princes et chevaliers, pour devenir la geste de l'individu ordinaire traversant tous les milieux de la société. Naissance du «roman bourgeois» en somme convoquant toute l'épaisseur du réfèrent social. Du même coup la fiction gomme l'artifice qui l'institue pour se faire récit de la réalité. Elle cesse d'être exemplaire ou allégorique, elle cesse de se poser comme jeu et convention, pour se donner comme histoire et vérité. Ainsi commence l'aventure contradictoire du réfèrent. Contradictoire parce que plus la littérature prend conscience de sa forme spécifique et de ses moyens (donc de son statut d'artefact de langage), plus aussi elle semble tendre à les effacer dans une donation exhaustive de la réalité. Comme si le réalisme, qui désormais soutient le récit, devait racheter l'artifice qui institue sa forme. C'est précisément cette dénégation que la littérature récente tente de démystifier dans son écriture même (réfèrent indécidable, récit éclaté, personnages sans histoire ou sans psychologie etc.). Quant à la théorie littéraire contemporaine, allant plus loin encore, elle s'efforce de repérer dans le texte réaliste lui-même tout ce qui dément le réalisme, c'est-à-dire tout ce qui à travers la lisibilité immédiate fait apparaître un autre texte avec ses codes, ses logiques, ses enjeux signifiants produisant un tout autre sens que celui du signifié référentiel.

Cette différence de niveaux est essentielle car elle marque toute la distance qui sépare un langage transitif d'information (ou de communication) du langage intransitif de la fiction. Dans le premier cas le réfèrent est essentiel: il s'agit de parler de quelque chose. Dans le deuxième cas il est sans importance: le langage y parle de lui-même. La littérature met la langue à l'épreuve, elle en redistribue ou en transfigure les codes. Et c'est en cela qu'elle est pour nous une expérience fondamentale.

Ce qui veut dire que même si le texte nous prend dans un espace/temps précis et nous parle d'une réalité socialement et historiquement reconnaissable, l'important n'est pas dans ce que nous reconnaissons (soit le signifié référentiel) mais dans la manière dont il en parle (son organisation logique et signifiante et sa rhétorique propre c'est-à-dire son style).

Ce qu'on appelle réfèrent je dirais donc que c'est l'ensemble des effets de vraisemblable
que fournit le texte. C'est donc simplement un des codes parmi les autres (tel le code
actanciel, le code culturel, le code symbolique etc.) selon lesquels le texte se construit.

2. L'impensé

Quand vous rapprochez l'impensé du texte de l'implicite phénoménologique et quand vous ajoutez: «Cet impensé n'est pas l'inconscient freudien», je me sens tout à fait en accord avec votre point de vue. Ce n'est donc pas un sujet de controverse entre nous. Mais si je tiens à relever ce problème c'est qu'il me paraît offrir un biais intéressant pour

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Copenhague

reprendre autrement la question délicate du réfèrent. Car ce qu'on appelle l'impensé du texte c'est précisément ce qui correspond à sa sémiosis: ce que le texte dit sans le dire, soit le sens qui se forme dans le jeu des signifiants, l'entrelacs des codes où se reconnaît une réalité. Bref tout ce qui constitue le géno-texte et qui émerge comme lisibilité dans le phéno-texte. Prendre cette lisibilité immédiatement, la couper de la sémiosis qui la produit,c'est précisément se donner l'illusion référentielle, c'est la penser fantasmatiquement comme miroir d'une réalité extérieure conçue non moins fantasmatiquement comme toute faite. Il en est du texte littéraire comme du discours scientifique: le seul réel qu'ils nous proposent c'est celui qu'ils produisent.

Parler d'impensé c'est donc du même coup refuser toute perspective classiquement herméneutique qui chercherait dans le texte une «vérité» voire un secret qui serait comme un sens second dissimulé sous l'évidence des énoncés. La problématique de l'impensé ne renvoie pas à un rapport dedans/dehors ou dessous/dessus. Si l'on devait proposer un modèle spatial ce serait plutôt celui d'un volume et de son plan de projection codé sur une surface. Modèle trop statique bien sûr car le volume du texte ne cesse de «projeter», «d'émettre» à la mesure même du travail de la lecture.

3. Le fantasme

Avec la question du fantasme on touche le point que vous considérez comme le plus controversé. Vous me dites que dans mon analyse du texte sadien j'exclus le fantasme. Je crois qu'il y a malentendu. Je n'exclus pas le fantasme mais je montre que le texte sadien lui fait subir un traitement très particulier, en cela qu'il soumet constamment l'imaginaire à l'imaginable et qu'il intègre toujours l'image dans une combinatoire, ou si l'on veut dans une «grammaire». Je ne nie pas qu'il y ait chez Sade une extraordinaire valorisation de la vue, bien au contraire puisque j'y ai même consacré un chapitre de mon ouvrage (chap 4 «L'espace du tableau et l'imaginable»). Ce queje montre c'est que cette valorisation de la vue et de l'image ne cherche jamais l'identification spéculaire ou la jouissance fétichiste (ce qui suppose une subjectivité, dimension que le texte sadien précisément exclut) mais cherche la jouissance de l'organisation. Et c'est bien ce qui fait la spécificité de la perversion sadienne. Les fantasmes (les «passions» dit Sade) abondent certes, mais ils ne deviennent vraiment libertins qu'à entrer dans un processus d'ordre, de classement, de programmation dont le modèle est discursif (Qu'on pense aux classements méticuleux et gradués des 600 passions décrites dans Les 120 Journées). Bref pour le dire encore autrement l'imaginaire chez Sade est toujours soumis à l'ordre du discours. Ce sont moins les images qui comptent que leur articulation ordonnée. C'est en somme le triomphe de la représentation comme ordre des signes qui s'autonomise par rapport aux choses signifiées.

Je crois donc pouvoir redire comme je l'ai fait avec insistance dans les chap. II et 111 de mon travail, que Sade ne met en jeu le fantasme que pour le plier aux exigences d'un tableau logique. C'est plutôt de ce tableau que le personnage jouit: jouissance de tête, jouissance du discours.