Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

A. Dees: Atlas des formes et des constructions des chartes françaises du XIIIe siècle. Beihefte zur Zeitschrift fur romanische Philologie, Band 178, Tubingen 1980, 371 p.

Lene Schøsler

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Ce livre, qui a été présenté et très bien accueilli au Congrès International des Romanistes
à Palma en 1980, constitue une vraie mine d'or pour tous ceux qui s'intéressent à la langue
française du moyen âge.

Le professeur Dees et son équipe ont dépouillé 3300 chartes (datées et localisées) comportant près d'un million de formes et de constructions provenant du domaine d'oïl. A l'aide de l'ordinateur ils ont pu trier les formes, calculer les fréquences par région et finalement dresser 282 cartes, couvrant les points les plus importants de la grammaire de l'ancien français: graphies, phonétique, morphologie, syntaxe. (Formes des pronoms, des articles, des noms, des verbes, ordre des mots, etc.). Les cartes sont établies de manière à indiquer la fréquence d'une forme ou d'une construction donnée, qui entre en concurrence avec une ou plusieurs autres - dans les 28 régions du domaine d'oïl. Chaque carte est accompagnée d'une liste comportant le nombre des chartes utilisées, le pourcentage des formes ou constructions en concurrence.

Les études traditionnelles publiées sur l'ancien français reprennent sans cesse les mêmes questions qui n'ont jamais été traitées à fond, surtout à cause du manque de précision dans !a localisation et dans la datation des faits. Voilà que nous disposons finalement d'un précieux document qui pourra proposer des réponses pertinentes. Prenons à titre d'exemple l'épineuse question sur la disparition casuelle de l'ancien français. Pour suivre cette disparition, on dispose maintenant de plusieurs cartes qui, en outre, sont parfois subdivisées chronologiquement (1201-1275, 1275-1300). Si on compare les cartes sur l'article défini (cartes no 34, 34a, 34b) et celle sur la déclinaison des substantifs (masc.sg., cas sujet, carte no 206), on constate tout de suite que la disparition de la déclinaison a dû commencer dans l'ouest, pour se répandre vers l'est. Grâce aux cartes no 34a et b, on peut même constater que la disparition casuelle se produit à Paris entre 1276 et 1300. Si l'on désire voir le rapport entre cette évolution et d'autres faits linguistiques, on peut consulter les cartes sur par exemple l'ordre des mots (no 271 ss.) ou sur la disparition de l'y (carte no 166 sur lestre I lettre < LITTERA).

Autrefois, on a considéré la langue des chartes comme une langue archaïsante, soumise
à l'influence de Paris, ce qui enlèverait aux chartes tout intérêt dans l'étude des dialectes.

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Or, l'Atlas est là pour prouver le non-fondé de ce jugement; effectivement, chaque carte
présente des différences régionales systématiques.

L'auteur et son équipe ont déjà démontré dans plusieurs étudesl avec quel profit on peut s'adresser à l'Atlas et à l'ordinateur qui contient encore davantage d'informations. Espérons qu'il sera possible pour M. Dees de publier plusieurs Atlas, car on aimerait voir des statistiques plus détaillées chronologiquement, pareilles à celles utilisées par exemple dans l'article sur Ve (note 1, c), des cartes plus détaillées sur le plan syntaxique, entre autres concernant la relation entre la disparition de la déclinaison casuelle et les diverses fonctions syntaxiques (par exemple le cas employé dans l'apostrophe, question souvent discutée). Finalement on aimerait bien voir paraître un Atlas consacré aux XIVe et XVe siècles pour permettre un renouvellement des études du moyen français également.

Odense



1) a: A. Dees: A toz cels qui ce lettres verront. La déchéance de la déclinaison et l'ordre des mots, in: Langue et littérature française du moyen âge, Rapports/Het franse Boek 48, 1978, p. 38-47. b: A. Dees: Langue des chartes et langue littéraire (Communication faite à Palma, 1980). c: A. Dees et al.: Un cas d'analogie: L'introduction de -e à la première personne du singulier de l'indicatif présent des verbes en -er en ancien français. (Rapports/Het franse Boek 50, 1980, p. 105-110.) d: A. Dees et P. van Reenen: L'interprétation des graphies -o- et -ou- à la lumière des formes trouvées dans les chartes françaises du XIIIe siècle. (Linguistic Studies Offered to Berthe Siertsema, 1980, p. 269-278.) e: P. van Reenen: A propos de la formation des voyelles nasales en ancien français (Communication faite à Palma, 1980).