Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

Lita Lundquist: La cohérence textuelle: syntaxe, sémantique, pragmatique. Nyt Nordisk Forlag, Arnold Busck, Kobenhavn 1980. 236 p. + IX + résumé en anglais.

Finn Sørensen

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Depuis quelques années, la linguistique textuelle connaît un renouveau remarquable. L'objet de ses analyses est le texte et un de ses problèmes principaux est la cohérence textuelle. C'est également ce problème qui est au centre de l'étude de Lita Lundquist (LL). Car elle déclare vouloir «préparer le terrain à l'analyse de certains faits linguistiques qui assurent une fonction cohésive dans la constitution d'un texte» (p. 15).

Pour ce faire, LL présente d'abord sa conception du texte et le problème de la cohérence textuelle (p. 1-27). Suit alors une explicitation de la notion de cohérence textuelle, du cadre théorique dans lequel elle est insérée (p. 28-71) et de la méthode d'analyse que ce cadre invite à utiliser (p. 72-87). Cet outil méthodologique, comme l'appelle LL elle-même, est enfin appliqué à trois textes: une nécrologie du journal le Monde, un extrait d'un manuel de géographie et un texte sur le droit civil (p. 88-175). Le livre se termine par un chapitre qui, au dire de l'auteur, tente de montrer comment la cohérence pourrait servir de fondement à une typologie de textes (p. 176-183).

Pour LL, un texte est à la fois un signe global composé d'énoncés, une manifestation concrète de la parole au sens saussurien, c'est-à-dire un acte de parole individuelle, et une suite de phrases, cf. (p. 7-15). Et c'est à partir de cette conception qu'elle envisage de préciser, autant que possible, en quoi consiste cette cohérence qui lie entre elles les phrases d'une suite donnée. Le noyau de sa démonstration s'inspire directement de la théorie des actes de langage de Searle. En tant qu'acte, le texte peut se diviser en trois actes d'énonciation fondamentaux: l'acte de référence, l'acte de prédication et l'acte illocutionnaire,cf. (p. 14). Cette tripartition est supposée pertinente à la fois pour le texte en tant qu'unité et pour la phrase en tant qu'unité constituante du texte. Autrement dit, LL suppose qu'un texte a deux niveaux et que ces deux niveaux doivent être analysés de la même manière. Par l'acte de référence, le locuteur, c'est-à-dire le producteur de textes, isole des objets du monde réel ou imaginaire et, par l'acte de prédication, il les met en relation entre eux dans une intention spécifique, c'est-à-dire en faisant un acte illocutionnaire.Ces actes de langage, qui sont donc responsables de la production du texte, l'organisentaussi en trois structures: la structure thématique, la structure sémantique et la structure pragmatique. C'est au niveau de ces trois structures textuelles que s'établit la cohérence textuelle par l'intermédiaire de certains indices de cohérences. Les indices les

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plus significatifs de cette étude sont les suivants: au niveau thématique, le thème du texte est exprimé par des expressions nominales ou pronominales; au niveau sémantique, il s'agit des rôles casuels ou sémantiques fillmoriens et des relations sémantiques d'inclusion ou d'intersection; et enfin, au niveau pragmatique il s'agit des indications de personnes, de temps, de mode, de voix et de relations interphrastiques du type argumentatif. Ces éléments se manifestent donc dans le texte d'une manière structurée, et c'est cette structurequi rend le texte cohérent.

Dans ses analyses de textes, LL montre comment ceux-ci peuvent être structurés. A titre d'exemple, je citerai quelques traits de son analyse d'une nécrologie. Ce texte annonce la mort du maréchal Vassilevsky tout en résumant ce qu'il y a eu d'important dans sa vie. Au niveau thématique, la cohérence se manifeste par un thème constant, le maréchal, ce qui veut dire que le texte ne parle que de lui. Cette cohérence est assurée au long du texte par des expressions linguistiques coréférentielles assumant la fonction de sujet. La progression du texte est assurée par une série d'énoncés qui résument l'histoire du maréchal. Chaque énoncé introduit du nouveau dans cette histoire. Comme on l'a certainement deviné, on se retrouve ici devant la vieille notion de rhème. Au niveau sémantique, la cohérence se manifeste autour des rôles sémantiques AGENT et MOMENT, c'est-à-dire que le texte relate ce qu'a fait le maréchal et quand il l'a fait. Ce type de cohérence se manifeste surtout dans le texte par le choix de verbes et par la distribution d'expressions de temps. Au niveau pragmatique, le texte est caractérisé comme neutre, c'est-à-dire sans intervention appréciative explicite de la part du locuteur, en l'occurrence le journaliste du Monde. Cette neutralité se manifeste par le choix des pronoms à la troisième personne, du mode indicatif, de la voix active, des temps passé composé et passé simple et de l'absence de connecteurs interphrastiques du type donc, mais, en effet etc.

A mon avis, LL réussit à montrer l'intérêt de ses analyses et donc aussi de sa conception de la linguistique textuelle, qui, d'ailleurs, est influencée par les travaux de Searle, de Benveniste et de l'école allemande. Pour ma part, j'aurais aimé moins de définitions et plus de discussions allant au fond des problèmes qui restent parfois vagues. C'est sur une justification de cette remarque que je terminerai ce compte rendu.

La notion de thème de texte est essentielle pour la structure thématique du texte et pour sa cohérence thématique, cf. l'analyse de la nécrologie, résumée ci-dessus. Mais l'explicitation de cette notion n'évite pas la confusion. Regardons en effet les assertions suivantes, citées en substance:

(1) le thème se constitue d'un sujet: ce dont on parle, et d'un prédicat: ce qu'on en dit (p.
55)

(2) dans le thème, on reconnaît le NP (sujet) et le VP (prédicat) de la grammaire générative
(p. 55)

(3) le thème est ce qui est connu par le contexte et le rhème est ce que la phrase apporte
de nouveau (p. 56)

(4) la structure thématique est basée sur des éléments présupposés connus et des éléments
posés, nouveaux (p. 55)

L'assertion (1) nous dit que le thème est une unité à deux constituants, un sujet et un prédicat, ce qui est réaffirmé dans (2) par référence à la grammaire generative. En comparant (3) et (4), on arrive au résultat que le thème est présupposé connu et que le rhème est posé. Mais comment peut-on dire en même temps que le thème est constant dans la

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nécrologie du Monde et qu'il est présent dans le texte par l'intermédiaire des expressions linguistiques qui occupent la place de sujet grammatical? cf. (p. 94-95). A mon avis, ce court-circuit cache une contradiction interne entre (1) et (3) puisque la distinction sujet-prédicat reflète, d'une manière imparfaite, celle entre thème et rhème, ce qui implique que (1) et (2) sont inacceptables.

Les assertions (3) et (4) prêtent aussi à confusion si l'on les compare aux problèmes de référence. (3) et (4) font croire que le thème est connu et présupposé. Mais comment peut-on en même temps prétendre que la cohérence par référence s'établisse par des occurences du type 'phrase contenant le syntagme une femme' et 'phrase contenant le pronom elle', cf. (p. 21), puisque l'introduction du thème 'telle et telle femme' par le syntagme une femme', par exemple dans la phrase une femme est venue me voir hier soir, ne présuppose pas que la femme en question soit connue, mais seulement l'existence d'une espèce appelée femme. A mon avis, il y a donc incompatibilité dans (3) et (4) entre 'connu par le contexte' et 'présupposé connu" et surtout entre (4) et la cohérence par référence, telle qu'elle est conçue par LL. Cette difficulté devait pouvoir être évitée par référence aux mécanismes qui permettent au locuteur d'introduire dans le texte les thèmes dont il a envie de parler, problème que n'aborde presque pas cette étude.

La théorie que nous propose LL comporte une version danoise de la grammaire de cas fïllmorien (p. 77 ss) et cette partie de la théorie est essentielle pour la structure sémantique du texte et donc pour sa cohérence sémantique. Cette théorie repose, comme celle de Fillmore, sur l'impossibilité de deux occurrences du même cas dans la même phrase et sur l'existence de sept cas primaires qui se subdivisent en quinze cas secondaires. Parmi les cas primaires on trouve PATIENT, BUT et LIEU qui, dans le système de sous-cas, comportent respectivement les cas RECEVEUR (= but animé d'un acte à caractère délibéré), RESULTAT (= résultat de l'action) et DIRECTION (= direction spatiale de Faction), cf. (pp. 77, 78 et 79). Ces sous-cas sont exemplifiés dans les phrases suivantes:

(5) il construit une maison pour ses parents (RECEVEUR)
(6) on l'a nommé premier ministre (RESULTAT)
(7) mettez le riz dans une passoire (DIRECTION)

Si l'on interprète ces phrases comme le veut LL, il faut faire dépendre les syntagmes soulignés des verbes utilisés. Faisons-le sans discussion et rappelons que les trois cas cités son indépendants l'un de l'autre, cf. la présentation ci-dessus. Etant donné cela et le principe qui n'exclut que deux occurrences du même cas dans la même phrase, on s'attendrait à ce qu'on trouve un texte français qui combine ces cas dans la même phrase. Je n'ai pu trouver un verbe qui permette une telle construction et j'en crois l'existence exclue par principe. Pourquoi? Le système de cas de LL est incapable d'y répondre. La raison en est, je suppose, que LL ne voit pas que le domaine des définitions en question se recouvre partiellement, et notamment à cause des concepts de but, de résultat et de direction, cf. les définitions que j'ai citées plus haut. Autrement dit, je crois à l'existence d'un cas plus profond et unique dont les trois cas mentionnés ne sont qu'un reflet superficiel et qui expliquerait l'absence d'un verbe qui les combinerait.

Voilà les raisons qui me poussent à croire que les définitions de cette étude servent plus à la confusion qu'à l'éclaircissement des problèmes que pose la linguistique textuelle. Ce jugement d'ordre technique ne m'empêche pas de trouver intéressante dans son ensemble l'étude de LL.

Copenhague