Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

Claude Germain: La notion de situation en linguistique, 1973, Ottawa, éditions de l'Université d'Ottawa, 155 p.

Hanne Martinet

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Dans cette thèse de lIIe cycle, Claude Germain vise «à monl.er dans quelle mesure l'entourage doit être considéré comme un élément essentiel dans le fonctionnement de la langue sur le plan sémantique et partant, dans quelle mesure la phrase peut ou ne peut pas être prise isolément.» (p. 16). Ceci est fait du point de vue de l'auditeur surtout (p. 29). Le fait que la thèse soit aujourd'hui traduite en anglais (The Concept of Situation in Linguistics, 1979, Ottawa, University of Ottawa Press, 123 p.) vient, entre autres, prouver que le sujet développé est d'importance et ce, aussi bien sur les plans théorique que pratique.

Dans le chapitre I, l'auteur retrace l'historique de la notion de situation en linguistique (p. 10-14) puis expose et critique les attitudes prises par J. J. Katz et J. A. Fodor dans Structure d'une théorie sémantique dans les volumes 9 n° 2 et 10 n° 1 de Cahiers de lexicologie, 1966-67 (p. 14-19).

Dans le chapitre 11, cherchant à délimiter le concept de situation, il passe en revue les multiples acceptions de termes tels que situation, contexte, contexte verbal ou non verbal ou extra verbal ou de culture, environnement, entourage, situation sociale, discours, etc., il tranche et fait le départ entre contexte et situation. Le premier terme désigne toujours pour lui «un entourage linguistique» c'est-à-dire un fait proprement linguistique et le second «un entourage non linguistique» c'est-à-dire un fait extra-linguistique (p. 23). Il définit la notion de situation comme étant «l'ensemble des faits connus par le locuteur et par l'auditeur au moment où l'acte de parole a lieu» (p. 26). Ceci lui permet de délimiter quatre types de situations, soit physique, non physique, kinésique et contextuelle (p. 31-38), et d'examiner les rapports qui peuvent exister entre le contexte et la situation. Cet examen le conduit à proposer les termes de contexte linguistique pour «l'ensemble des marques formelles linguistiques situées dans l'entourage prochain ou éloigné de l'unité considérée» (p. 39) et de situation contextuelle, pour «l'ensemble des faits qui, provenant du contexte (linguistique), sont connus par le locuteur et par l'auditeur au moment de l'acte de parole», (p. 39).

Dans le chapitre 111, il examine le rôle de la situation dans la communication linguistique.Il passe en revue les conceptions d'un certain nombre de théoriciens contemporains à ce sujet, à savoir ceux qui réfutent le rôle de la situation, ceux qui en ont une perception intuitive et ceux qui en ont tenté l'étude (p. 58-76). Développant les réflexions d'André Martinet sur la notion d'énoncé en situation (Langue et fonction, 1962, Paris, Denoël-Gonthier)ainsi que celles de Maurice Houis («Réflexions sur l'énoncé en situation», Word-Linguistic Studies Presented to André Martinet, 1967, vol. 23, nos 1-2-3), il montre

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en quoi la situation participe à la constitution des énoncés, établissant ainsi qu'elle doit faire
l'objet d'études proprement linguistiques.

Au chapitre IV, il développe les conceptions de Luis J. Prieto sur les mécanismes de l'indication dans le fonctionnement d'un acte de parole, soit Yidentification notificative et significative (Messages et signaux, 1966, Paris, P.U.F). Il se sert de ces notions pour forger le terme d'indication «situationnelle» qui désigne l'indication qui provient à l'auditeur par la situation et le terme d'indication contextuelle qui désigne «le contexte dans lequel la phonie s'est produite et les contextes dans lesquels elle aurait pu se produire», (p. 95). La phonie est pour Prieto (Principes de noologie - Fondements de la théorie fonctionnelle du signifié, 1964, La Haye, Mouton, p. 130) un »signal linguistique* ou une «suite de sons» (p. 25). Il tente également, comme Prieto, d'établir des «traits pertinents situationnels d'un énoncé (p. 93-94) sous forme de distribution en classes complémentaires et montre en quoi un tel travail est difficilement réalisable.

Enfin, dans le chapitre V, il décrit les rôles que joue la situation dans la communication. Après avoir discuté les notions d'homonymie et de polysémie et exposé l'ambiguïté virtuelle du signifié sous différents aspects (p. 103-117), discuté de l'indétermination du signifié et exposé l'ambiguïté virtuelle du sens sous ses différents aspects (p. 120-127), il développe quatre rôles de la situation. Le premier favorise un des signifiés parmi une classe de signifiés virtuels. Le second favorise un des sens parmi une classe admis par une phonie. Le troisième transforme un sens et le quatrième le précise.

Non sans avoir reconnu les difficultés qu'il y a à introduire la situation dans l'analyse du sens, l'auteur conclut de son étude que la situation peut «contribuer à la détermination de la signification de certains énoncés, les énoncés en situation pertinente». Que «réalisant un équilibre, la langue tolère une certaine dose d'ambiguïté réelle» et «Comme le recours à la situation (...) provient d'une habitude collective, on peut dire enfin que les rôles de la situation présentent tous un caractère linguistique et qu'il appartient bien au linguiste d'en étudier les mécanismes», (p. 144).

Claude Germain donne enfin une excellente bibliographie descriptive (p. 145-153), et on pourra regretter qu'il n'ait pas élaboré un index pour un ouvrage si dense et si bien documenté. Toutefois, à une période où se multiplient les études linguistiques qui s'orientent vers ce que d'aucuns dénomment «l'analyse du discours», vers la «pragmatique», cet ouvrage est d'une pertinence indubitable. Et pour ceux qui désirent confectionner des programmes audio-visuels par exemple, il représente un cadre de réflexion précieux.

Copenhague