Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

Remarques sur l'usage et l'histoire de l'adverbe occitan lèu

par

Lars Lindvall

0.0. En lisant des textes catalans anciens, on constate que l'adverbe aviat n'y figure pas; l'usage de ce vocable particulier s'est donc répandu à une époque plus tardive dans l'histoire de la langue catalane. Par contre, on trouvera, dans le lexique de l'ancien catalan, l'adverbe tosí, avec ses différentes formes composées et avec ses différents emplois. En ce qui concerne l'usage de plusieurs autres mots, sémantiquement plus ou moins directement apparentés à tost, le catalan manifeste des affinités évidentes avec l'ancien français aussi bien qu'avec l'ancien italien. (Voir Lindvall 1978). Dans la présente étude, je me suis proposé d'examiner l'occitan, moderne et ancien, en vue d'étudier de quelle façon cette langue a structuré ce sous-système lexical particulier.

0.1. Pour qu'elle puisse nous servir d'entrée en matière, je voudrais proposer un examen rapide de la carte n° 132 de l'Atlas linguistique de la France. La carte montre les différentes aires de répartition des mots qui, en France, servent à exprimer le sens 'bientôt'. La phrase-clé de notre carte est: «... nos prunes, elles se moisiront BIENTOT». On voit que, au sud du pays, une très grande zone est couverte par l'usage de l'adverbe lèu, seul ou en combinaison avec la particule ben (benlèu). Encore peut-on constater que l'adverbe aviat correspond à bientôt dans le département Pyrénées-Orientales^ c'est-à-dire la partie catalanophone de la France (Roussillon). Exception faite de quelques localités isolées, où d'autres mots ont été attestés (voir ci-dessous), lèu (ou benlèu) est tout à fait prédominant à l'intérieur de l'aire linguistique occitane. L'isoglosse n'exclut que certaines parties septentrionales de cette aire. A travers la carte, on voit que l'isoglosse de lèu délimite vingt départementsoccitans dans leur totalité (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Lot-et- Garonne, Gers, Hautes-Pyrénées, Lot, Tarn-et-Garonne, Haute-Garonne,Aveyron, Tarn, Aude, Ariège, Lozère, Hérault, Gard, Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes et

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Var); au nord, l'isoglosse traverse huit départements, soit Gironde, Dordogne, Corrèze, Cantal, Haute-Loire, Ardèche, Frôme et Hautes-Alpes. Si nous évaluons à 31 le nombre de départements occitans(ce chiffre peut varier selon les spécialistes), cela signifie que l'isoglosse de lèu délimite à peu près entièrement le domaine occitan.

D'après la carte, quelques localités isolées ont donné d'autres vocables; viste a été attesté dans les localités 641, 690, 888 et 899; les localités 657, 667, 696 et 698 donnent dawit; pour les localités 898 et 990, d'autres mots ont été attestés, bientôt et subito respectivement.

0.2. Les matériaux linguistiques occitans sont aujourd'hui d'un accès assez facile puisqu'un nombre considérable de textes littéraires modernes et de manuels scolaires ont été publiés pendant ces dernières années. Pour cette étude j'ai dépouillé l'excellent manuel, instructif et amusant, intitulé «L'occitan sans peine», qu'Alain Nouvel (AN) a publié dans la collection «Assimil langues régionales» (1975) et, en outre, un certain nombre de textes littéraires édités par 1'1.E.0. (l'lnstitut d'Estudis Occitans de Toulouse) dans leur collection «A tots». Il s'agit des textes suivants: Coma perdonarvi pas... par J.B. et P. Vaselhas (1973), Nòstre Sénher lo segond par Josèp Delteil (1973), Lo cap del camin par Pèire Gougaud (1973), Bogres d'ases! Cronica deis annadas 1927-1936 dins un vilatge provençau par Amat Serra (1974), Dins de patetas rojas ... par Maria Roanet (1975), Jòc òrre, un livre de Manuel de Pedrolo, traduit en occitan par Pèire Lagarda (1975) et, finalement les deux premiers volumes de la trilogie de Pessamessa, Defuòc amb de cendre (t. I Onze oras passadas de cinc, 1973; t. II Lo réfugiât, 1976). (Je vais renvoyer à ces textes par Va, De, Go, Se, Ro, MP et Pe I-II).

Ce qui nous intéressera surtout ici sera l'analyse du contenu sémantique de cet adverbe et l'étude de ses différents emplois grammaticalisés. On verra que lèu sert à exprimer un ensemble de valeurs liées les unes aux autres de façon très intime constituant un réseau de valeurs et d'emplois pour lesquels nous pouvons même proposer un ordre chronologique donné. Quand, plus loin, nous nous occuperons aussi de matériaux plus anciens, nous serons à même d'indiquer des différences entre l'usage ancien et l'usage moderne, qui deviennent significatives lorsqu'on rapproche l'occitan non seulement du catalan et du français ('francien') mais, aussi, de l'italien.

1.0. Lèu s'emploie et comme adverbe de manière et comme adverbe de
temps; ses formes composées sont aussi usitées avec d'autres valeurs et

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avec d'autres fonctions dans la phrase. Je discuterai dans ce qui suivra de l'emploi du lèu simple, y compris les formes un pauc lèu, plan lèu et pro(n) lèu (sous 1.1); ensuite, je traiterai des formes composées pus lèu (sous 1.2), aitanlèu (sous 1.3) et tan+lèu (sous 1.4); enfin, j'examinerai de plus près la forme ben+lèu qui, en occitan, a acquis la valeur particulièrede 'peut-être', ce qui soulève des questions qui nous amènent de façon naturelle à prendre en considération aussi des données historiques.

1.1. On n'a pas de peine à constater que lèu s'emploie comme adverbe de manière; dans des contextes tels que (1-2), il signifie évidemment 'vite, rapidement'; cf. aussi (3-4) où nous retrouvons un pauc lèu ('un peu vite', au figuré) et plan lèu. Si, par contre, l'action verbale déterminée par l'adverbe est délimitée dans le temps, la valeur de lèu se définit plutôt par 'promptement, en peu de temps', voir les exemples à partir de (5). Employé seul, voir (9), lèu devient une sorte d'interjection exhortative. Dans (11), l'adverbe prend la valeur de 'facilement'. Assez fréquemment, lèu se retrouve dans la structure aver lèu fach de + Infinitif (ou bien aver lèu fach + Complément), voir (7, 12). Il est intéressant de constater que lèu fach peut s'en détacher pour être employé comme une sorte de complément circonstanciel, voir (13-14), surtout (15). L'adverbe est parfois répété pour indiquer un haut degré de promptitude ou un avenir très proche, voir (10, 16-17).

(1) Lo tren vai lèu, l'auto tanbèn [AN 30]

(2) Lo temps passa lèu [Go 63]

(3) Benlèu Marta vai un pauc lèu [Va 68]

(4) Vol trucar los que se trufan d'el, mas corris pas plan lèu, l'Antoni, e tot lo
mond ritz [Ro 113]

(5) La taula es estada lèu plegada e tot lèu recaptat [Go 92]

(6) e lei cosiniers terrorizats aguèron lèu sortit dei cròtas, conservas e mangilhas
[Pe I: 228]

(7) Avèm lèu agut fach, lei quauqueis encambadas que nos aduson vèrs lo sauvament
[Pe 1:173]

(8) N'i a pron, faguèm lèu, merda! [Pe 11:17]

(9) «Lèu! ala mitralhadoira!», crida un sergent [1:159]

(10) A l'auto, e lèu lèu! [AN 326]

(11) Li getèri la cadièra ala cara mas èra mai lèst que ço que semblava e l'evitèt
pro lèu [MP 155]

(12) La novèla a agut lèu fait de faire lo torn del vilatge [Go 155]

(13) Pas qu'un còp! Lèu fach! [Ro 58]

(14) Barrera amb sei tres compaires, la còrda au còl e leu fach [Pe 11:38]

(15) Ambé Alfônsi, se quicham lèu fach la man ese fixam l'ora elo jorn [1:253]

( 16) Es un biais moderne pèr far bronzar lo monde lèu lèu e sensa patir [AN 236]

(17) Aùrosament que dins lo Meclemborg, riscam tôtei lei jorns una avançada
americana lèu lèu lèu [Pe 11:28]

Lèu s'emploie aussi comme adverbe de temps. Par conséquent, il peut parfois être difficile de décider avec certitude s'il a une valeur modale (adverbe de manière) ou une valeur temporelle; certains contextes sont tout simplement ambigus car l'adverbe ne qualifie pas nécessairement la façon plus ou moins rapide dont s'accomplit une action donnée ou bien la manière dont se produit un certain événement. L'adverbe peut tout aussi bien se rapporter à l'avenir proche non-immédiat dans lequel aura lieu cette action ou cet événement, voir (1-2). Or, dans la plupart de nos contextes nous n'avons pas lieu d'hésiter : lèu y exprime la valeur temporelle 'bientôt, dans peu de temps' ce qui, d'ailleurs, ressort de la carte de I'ALF que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner, voir (3-5) plus bas. Dans (6), est attestée une autre valeur temporelle - 'de bonne heure (par rapport à ce qui est normal ou naturel)'. Quant à (7) - occurrence unique - il semble bien que l'adverbe y signifie 'presque'.

(1) Luènh s'ausiguèt lo brut d'una porta, puèi un trepejar de passes, mas se
perdèron lèu dins la distància [MP 80]

(2) verd de fraisse o verd de fau, verd que se tinta per venir lèu jaune o roge [Go
127]

(3) e nos anonciava per lèu sa vesita [Va 9]

(4) Lèu sera una ora del matin e auriâi puslèu enveja de me jaire [Va 53]

(5) De gramaticas, ne manca pas. N'espèri d'autras, que devon sortir lèu [AN
218]

(6) tu qu'aviân promougut un dei darrièrs defensèires dau Fùhrer, qu'es trop leu
pèr discutir dei guerras perdudas e retrobadas [Pe 11:126]

(7) Un parèu de côps passam lèu de caire, que li a aquï un camp rus [Pe 1:170]

1.2. Quant au comparatif de lèu, on le retrouve avec deux formes - le comparatif peut être formé avec la particule pus, ce qui est le plus fréquent, ou bien avec la particule mai. (Sur les aires de répartition de ces deux particules et leur histoire, voir Rohlfs 1970 p. 35-36; pour le catalan, voir Lindvall 1978). Nous distinguerons ici entre le comparatif pus lèu et l'adverbe préférentiel puslèu. Ainsi, dans (1-3), le comparatif signifie 'plus vite, rapidement' (1) et 'plus promptement' (2-3). La valeur temporelle est attestée dans les contextes (4-6). On retrouvera le superlatif de lèu dans l'expression au pus lèu 'au plus tôt', (7), ou bien dans la locution lo pus lèu séria melhor, (8), donc avec une valeur temporelle.

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(1) Tótei lei menaires qu'avián coma nosàutrei de cantons de vinha volián far
parier. Alara nos ajudaviam pèr anar pus lèu [Se 86]

(2) Vegèri Babeta Fespigaira, la que per aver pus lèu ligat la garba tirara deis
tavèls a bèls punhats [AN 380]

(3) Nòstra vida èra facha ansin de gras, de nivèus; leis uns lei passavan mai lèu
que leis àutrei [Se 24]

(4) - Perqué oas pas dit pus lèu? - Podiá pas. O sabètz plan [Go 64]

(5) Pus lèu aurai acabat, pus lèu dintrarai a Tostai [Go 157]

(6) Pèr anar a Marselha, podèm prendre l'autèrota, es un pauc car mai i siam mai
lèu [AN 250]

(7) E contam una istòria de trabalhaires constrenhs e forçats que se vòlon far
rapatriar au pus leu [Pe 11:103]

(8) - Som pas vengut per saber si vói demorar, som vengut per la quèrre. M'estimi
mai te dire que lo pus lèu seria melhor [Go 146]

1.2.1. Avec une négation, le comparatif s'emploie dans la locution conjonctionnell e/?as pus lèu (. .. que) signifiant 'à peine ... que'. Plus loin, nous verrons que cette locution possède un synonyme dans la locution morphologiquement analogue de pas tan lèu .. . que qui, au lieu de présupposer une comparaison de supériorité, a la structure d'une construction consécutive. Ces locutions conjonctionnelles, on le sait, ont leurs équivalents en français, en catalan et en italien. Comme c'est le cas pour tanlèu (voir sous 1.4), l'occitan semble avoir pour l'emploi de cette locution conjonctionnelle particulière des règles plus libres que celles que l'on retrouve en français. Les exemples relevés dans nos matériaux nous permettent d'établir pour les constructions possibles la typologie suivante : a) pas pus lèu + (aver +) Participe passé ( + Substantif), (1-3); b) pas pus lèu + Substantif + Syntagme prépositionnel, (4); c) pas pus lèu [...] que + Proposition, (5-6).

(1) Pas pus lèu començada Fannada, li donèron un quasernet rossèl [Ro 148]

(2) Pas pus lèu jagut, dormissi coma una missara [Va 30]

(3) Pas pus lèu aver acabat la messa, endavalavi un crostet [Va 16]

(4) e ieu, pas pus leu lo braç en l'aire, me sautan dessus [Pe 11:146]

(5) E aguèt pas pus lèu virât l'esquina que l'entendi roncar [Pe 11:203]

(6) Pas pus lèu tocava riba que cincanta personas sautavan dedins [Pe 11:55]

1.2.2. A partir de la forme comparative d'un adverbe qui, primitivement, a été employé comme adverbe de manière et, plus tard, comme adverbe de temps, l'occitan a créé un adverbe préférentiel. Nous constatons donc que lèu a évolué en occitan exactement comme ses équivalents dans les autres langues romanes. Dans (6-7), plus bas, puslèu n'exprime pas une valeur préférentielle, mais s'emploie comme adverbe de degré avec le sens de 'assez'.

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(1) Aquô anèt atal, puslèu plan que mal [Go 48]

(2) Norbert a ordenat de se retirar, puslèu que de se laissar manjar ai moscas [Pe
11:174]

(3) I penserèm pas. O puslèu aquô's Victorina qu'o delembrèt [Ro 28]

(4) Mai, au mes d'abriu, èra pas lo noviatge esbelugant, mai puslèu renterrament
lugubre de la femna alemanda [Pe 11:128]

(5) - Que as, Cristal? Es cansat? - Pas que siâ cansat... Puslèu malcorat [Go
141]

(6) Maugrat lo temps puslèu freg, agueriam lèu banhat camisa [Pe 1:74]

(7) èra un pauc nègre de peu, puslèu maigrinèu [Pe 1:218]

1.3. On retrouvera dans nos matériaux peu d'exemples de la forme composée aitanlèu, écrite aussi atanlèu et antanlèu. Cet adverbe, qui dénote une postériorité immédiate et qui, par conséquent, est synonyme de tanlèu (voir sous 1.4), a été relevé dans Pe (1-2) et Va (3). La locution conjonctionnelle antanlèu que, relevée chez AN, dans un texte de Théodore Aubanel, est citée ici dans notre exemple (4). Plus loin, nous verrons que cet adverbe correspond directement à l'ancien ai(ay) + tan(t) + tost où, donc, lèu a pris la place qu'occupait une fois l'adverbe iost.

(1) lo repaisson de la Victoria mau digerit, pas ges d'escapatôris, de sauvament.
E aitanlèu descenderiam mai sota terra [Pe 11:141]

(2) una grôssa micha d'un quilô e mièg qu'aitanleu ne'n fasiam tant de racions
pèr lo mangigotiar [Pe 11:208]

(3) e nos arrestèrem per benlèu portar nôstra ajuda als nafrats. Mas avèm vist
atanlèu qu'èran estats emportats [Va 7]

(4) La nuech fau d'estrangi pantais : M'escapes antanlèu que t'ai [AN 368]

1.4. En passant ensuite à la forme composée (tan(t) + lèu, il nous faudra distinguer entre l'adverbe autonome qui exprime une idée de postériorité immédiate ('aussitôt, immédiatement') et une forme composée particulière de l'adverbe lèu. En principe, dans ce dernier cas, tant(t) + lèu s'écrira en deux mots mais il arrive parfois - voir (4) ci-dessous - qu'il s'écrit en un seul mot, graphie qui, naturellement, est propre au lexème tanlèu. Donc, dans (1), tant lèu signifie '(aussi) promptement, en si (aussi) peu de temps'; dans (2-3), ce sens revient dans la construction comparative tan lèu coma tandis que, dans (4), la construction est consécutive, tanlèu (pour tan lèu) que.

(1) Coma aquel orne de Dieu aguèt pougut faire lo saut tant lèu de Caries Xa
Adolf Hitler? [Pe 1:208]

(2) E tan lèu coma èra venguda, l'espeianca se ne vai [Pe 1.171]

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(3) Al contrari, ara que me sentissiâ enfortit dins la meva assegurança que deviâ
pas crénher res de la justicia, lo voliâ oblidar tan lèu coma pôsca [MP 96]

(4) Ala fin se ficheriam dins un ostau de puta elo cubrefuôc tombèt tanlèu que
ne pogueriam plus sortir d'aqueu iuôc escandalôs [Pe 11:19]

1.4.1. L'adverbe tanlèu est très fréquent. Nous le retrouvons donc comme adverbe de temps mais, aussi, dans des locutions conjonctionnelles temporelles. Dans (1-2) ci-dessous, tanlèu signifie 'aussitôt, immédiatement'; dans (3), l'adverbe exprime une notion de proximité immédiate

(1) «Voldriâu minjar». diguèt. E ieu, tanlèu, li déni d'aquélei corchons de pans
que n'avèm la biaça plena [Pe 11:70]

(2) Dins lo silènci dau rèng s'entendeguèt clarament. Tanlèu i balhère la bobina
[Se 57]

(3) Tanlèu après la villa de Teresa, la vila finis [Ro 99]

Avant de chercher à décrire les locutions conjonctionnelles où figure tanlèu, il faut prendre en considération aussi certaines expressions et locutions dans lesquelles tan(t) + lèu ne s'est pas détaché de la valeur comparative ou consécutive primitive de l'adverbe. Il s'agit de la locution tanlèu ... tanlèu dans (4), qui correspond directement àla locution équivalente française tantôt... tantôt. (Voir aussi sous 2.7.) Il est évident qu'une expression telle que tan(t) lèu dich, tan(t) lèufach dans (5), comparer aussi (6), a un caractère conjonctionnel; or, il est également clair qu'elle dépend de la valeur comparative qu'a exprimée primitivement notre adverbe. On constate que, très logiquement, tan(t) + lèu s'écrit ici en deux mots; dans (7), où la fonction conjonctionnelle est très nette, l'adverbe s'écrit en un seul mot. (Voir plus bas, sous 1.4.2.) Par (8) est illustré l'usage de la locution conjonctionnelle pas tanlèu ... que 'à peine... que' qui, nous le savons déjà, est synonyme de pas pus lèu (... que) dans ses différentes constructions.

(4) Quand son amassa, Fespèran; mas ela va coma qui dança, tanlèu aqui, tanlèu
aval coma un parpalhôl [Go 30]

(5) Totei leis ômes valids se recampam e tant lèu dich tant lèu fach fonçam coma
de môtis vers lei sordats rus [Pe 1:181]

(6) Eme chimi aquèu pechier monstruôs, e, tan lèu fach, tan lèu begut, mon
sang ven bolhènt [Pe 1:242]

(7) E tanlèu dich, me dona la man [Pe 11:92]

(8) Eran pas tanlèu défera que la muralha de darrièr petèt s'entrigossant la mitât
del tet [Go 41]

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1.4.2. Il y a plusieurs particularités dignes d'intérêt dans l'emploi conjonctionnel de tanlèu. On voit tout de suite que les règles de son usage en occitan ne correspondent pas aux règles syntaxiques de son équivalent français. Nous pouvons dresser la typologie suivante des constructions possibles: a) tanlèu + (Substantif +) Syntagme prépositionnel, (1-2); b) tanlèu (+ Substantif) + Participe passé, (3-4); c)tanlèu+ Infinitif, (5-6); d) tanlèu + Proposition, (7-8); e) tanlèu que + Proposition, (9-10).

(1) Crebada. E qu'èri jove. Tanlèu al lièch, m'endormissiâi [Ro 59]

(2) Tanlèu lo pè pel soi se sentis mens assegurada [Go 91]

(3) La Marta m'esperava e tanlèu arribat me vogèt un café fort [Va 63]

(4) Tanlèu la taula mesa, tanlèu un darrièr côp al miralh, tanlèu défera [Go 82]

(5) Tanlèu véser Joan, se leva [Go 61]

(6) Tanlèu me véser, es vengut eliai parlât [Go 75]

(7) E tant lèu aguèri manjat, m'esquilhèri dau collègi [Pe 1:34]

(8) Sul camin, tanlèu la sôrre las a quitadas, randolejan [Ro 136]

(9) Se meton en reng sens esperar, fan silenci tanlèu que la sôrre o comanda
[Ro 152]

( 10) Lo melhor nos semblava èsser de lo gardar edelo tornar al curât tanlèu que
sortiriâ de l'espital [Va 8]

1.5. Avant d'en venir au lexique de l'ancien occitan, il nous reste à traiter de la forme composée ben + lèu qui signifie 'peut-être' et qui constitue un lexème autonome bien caractéristique du vocabulaire modernede la langue d'oc. Ce qui, dans certains contextes, peut causer des problèmes, c'est le fait que ben + lèu, même s'il s'écrit parfois en un seul mot, est aussi une forme composée de lèu employé comme adverbede manière ou de temps. Dans (1), le contexte nous invite à traduire benlèu par '(très) promptement'; dans (2), il est tout à fait évidentque benlèu signifie 'bientôt'. En simplifiant un peu les choses, on dira que 'peut-être' exprime une possibilité, une situation hypothétique, une supposition, etc. concernant un événement, une conjoncture, un état de choses, etc. Par là, je veux dire qu'il est plutôt problématique de vouloir faire dériver cet emploi des autres valeurs, si étroitement associéesles unes aux autres, qu'exprime lèu. Je crois que nous avons à faire ici avec un emploi de lèu qui remonte directement au sémantisme primitif de ce mot et au rôle qu'il a joué dans le lexique de l'ancien occitan. Jusqu'à nouvel ordre, je voudrais donc avancer l'hypothèse que les valeurs de lèu que nous avons discutées jusqu'ici ne sont pas nécessairement très anciennes en occitan. En revanche, la combinaison particulière que constitue ben + lèu 'peut-être' peut aisément s'expliquer à partir de la signification qu'a eue lèu dans l'ancienne langue.Quant

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gue.Quantà sa formation morphologique, l'adverbe benlèu 'peut-être' peut se comparer à, par exemple, son équivalent allemand vielleicht (primitivement 'très facilement') tandis que peut-être en français, en ce qui concerne sa formation, correspond à, par exemple, potser 'peut-être' en catalan et, pourquoi pas, à kanske 'peut-être' en suédois. Quand benlèu figure en tête de phrase, il est fréquemment suivi de que, comme dans (3). A côté de benlèu, nous trouvons aussi le synonyme bensai, qui figure moins fréquemment dans nos textes, voir (6).

(1) L'accident veniâ probable d'arribar e nos arrestèrem per benlèu portar nôstra
ajuda als nafrats [Va 7]

(2) e dos ans mai tard maridèt sa filha amb aquest que sera benleu Caries-Quint
[Pe 11:160]

(3) benlèu que va morir un jorn aquela filhôta, que los sants, aquô se sap, morisson
joves dins d'odors de liris [Ro 108]

(4) e ben pèr élei de son ponch de vista, es lo purgatori. Benlèu ben l'infèrn [Pe
11:28]

(5) Se me passèt pel cap que benlèu al darrièr moment, Virôs aviâ decidit
d'acompanhar las doas femnas [MP 81]

(6) E alavetz, fa En Torbilhon, que se passa? Avètz pas set, bensai? [Go 105]

2.0. Afin de mieux savoir comment l'occitan moderne se comporte par rapport à l'occitan ancien en ce qui concerne l'emploi de notre adverbe et de ses différentes formes composées, j'ai examiné quelques textes appartenant à la vieille littérature qui nous vient du domaine occitan. Les textes dépouillés, au nombre de six, ont été complétés par des donnéeslexicographiques tirées du lexique de Raynouard et du supplément qu'a rédigé Levy. En vue d'étudier le rôle qu'a joué lèu dans le lexique de l'ancienne langue et, en outre, afin d'établir l'identité des mots qui ont pu appartenir au même sous-système lexical, j'ai examiné le vocabulairedu Roman de Flamenca (FI.), de Daurel et Beton (Da.), de la Vida de Sant Honorât (Ho.), de \a Passion provençale (Pa.), de la Vida del Glorios Sant Francés (Fr.) et, pour finir, de Guillaume de la Barre (Ba.). FI. est daté de la fin du XIIe ou du commencement du XIIIe siècle (voir Meyer 1865 pp. V, XXI); Da. remonte àla fin du XIIe (voir Meyer 1880 p. XXIX); Ho. a été composé en 1300 environ; l'auteur en est connu - Raimond Feraud, originaire du comté de Nice (voir Suwe 1943 pp. XXV-XXVI, CXXI, CXXXVII); Pa. semble remonter au XIVe siècle(voir Shepard 1928 p. XXXIII); Fr. est une traduction datée du XIVe, peut-être de la fin du XIIIe siècle (voir Arthur 1955 p. 11); Ba., composé par Arnaut Vidal de Castelnaudari, premier lauréat des Jeux

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Floraux de Toulouse, a été composé dans le premier quart du XIVe
siècle (voir Meyer 1895 p. IV).

2.0.1. Sous l'entrée lexicale sempre 'sogleich, sofort' dans le Provenzalisches Supplementwòrterbuch de Levy, on trouvera un exemple tiré des «Leys d'amor»; il y est fait mention de synonymes : «Et ayssi trobaras granre d'autras dictios sinonimadas que no son nom, si cum vezetz d'aquetz adverbis : ades, tantost,.. . encontenen, sempres, decempres, dece». Dans ce qui suit, je traiterai de quelques-uns des adverbes qui y sont cités. En principe, plusieurs autres mots seraient intéressants à étudier dans ce contexte - entre autres l'adverbe ¿/^[s]^ (dece), si caractéristique de l'ancien occitan, et des mots comme v/[v]í/íz, etc., car il s'agit là de mots sémantiquement apparentés à ceux que j'ai choisi d'étudier ici. Parmi les autres mots qui devraient figurer dans une étude exhaustive de ce champ lexical en occitan, on pourrait signaler abrivat, breu (en breu, breumeni), corrent, demanes, vi[v]acier, viacerament, viassament, etc. Cependant, je tiens à signaler que mes critères de sélection ne sont pas tout à fait arbitraires vu que le choix du groupe de mots que j'ai constitué est justifié par d'autres données de lexicographie romane. Il est évident qu'on aura toujours intérêt à étudier attentivement l'histoire des mots qui portent témoignage des rapports de parenté lexicale qui ont existé entre l'occitan et le catalan. Je citerai à titre d'exemple l'adverbe aviadamens, enregistré par Levy; ce mot est intéressant car il se rattache à l'emploi adjectival du mot catalan aviat qui peut être considéré comme un équivalent de notre lèu occitan. Notons, d'ailleurs, que aviat a été donné aussi pour l'occitan (voir Piat 1970). (Sur aviat en catalan, voir Lindvall 1978). Levy présente deux exemples de aviadamens qui, tous deux, nous viennent du même texte (Vie de Saint George!, 247, 275); le sens en est défini par 'schnell'.

Les six textes, complétés par les deux lexiques indiqués, ont une représentativitésatisfaisante. Inutile de dire que nos matériaux sont trop limités pour que nous puissions prétendre à illustrer de manière exhaustivel'usage de nos mots; or, nous pouvons toutefois nous faire une idée assez nuancée de la façon dont ce sous-système lexical était structuré dans l'ancienne langue. En comparant le lexique ancien avec celui de la langue moderne, on trouvera que sempre (avec ses variantes), encontenent(de contenent), (de) mantenent et tost (avec ses dérivés composés tantost et aitantost) ne figurent pas dans les textes occitans modernes

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(sauf quelques exemples plutôt rares de l'adverbe encontinent et de îost)\ lèu, par contre, avec tout un ensemble de formes composées et d'emplois spécialisés divers se retrouve dans les textes anciens aussi bien que dans les textes modernes. On se posera donc la question suivante : est-ce que lèu était déjà en ancien occitan un synonyme des autres mots traités ici ou s'agit-il plutôt d'un mot qui a parcouru plus tard une évolution au bout de laquelle il a acquis un contenu plus large et un emploi plus différencié? Voilà quelques-uns des problèmes que je voudrais soulever ici, en me proposant d'essayer de répondre à quelques-unesdes questions que l'on doit se poser au sujet de l'histoire de ces mots.

2.1.

FI. est seul à illustrer l'emploi de sempre pour exprimer une idée de postériorité immédiate. A côté de la forme simple de l'adverbe, on trouve aussi une variante composée dans laquelle la particule de précède l'adverbe (sur de+ mantenerli et de + contenerti, voir ci-dessous). Dans Levy il faut chercher sous desempre 'sogleich'; on y trouvera aussi la forme decempres et la variante per de sempre. Les deux formes figurent également dans les locutions conjonctionnelles sempre que et de sempre que. Levy n'a pas enregistré la forme de sempre que; par contre, il connaît la locution sempre quant, définie comme conjonctionnelle, qui n'a pourtant pas été attestée dans FI. (Voir Lindvall 1971 p. 33, 1978 p. 16-18; cf. FEW, sous semper.) Les formes composées semprars (ou semprera) 'jetzt', 'eben (vorher)', ne nous intéressent pas ici. (Voir Levy.)

Dans FI., desempre est la forme la plus fréquente (9 occurrences sur un total de 10 pour l'adverbe). On constate aussi que, dans le texte cité, (de) sempre est le mot préféré pour exprimer la notion de postériorité immédiate; il est nettement plus fréquent que son synonyme tantost. Il faut considérer la possibilité que l'âge du texte y est pour quelque chose; l'usage de sempre ayant cette valeur doit être relativement ancien.En effet, dans une certaine mesure, on peut distinguer entre les différents textes à partir justement des préférences lexicales qu'ils révèlenten choisissant parmi les adverbes synonymes discutés ici. (Je ne compte pas maintenant les locutions conjonctionnelles.) Si l'auteur de F. préfère (de) sempre, l'auteur de Ho. choisit en premier lieu (de) mantenenttandis que les auteurs de Da., Pa., Fr. et Ba. choisissent tantost. On constate que FI. et Ba. offrent une plus grande richesse de

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TABLE I

synonymes que les autres textes. Ces différences lexicales entre les six
textes doivent tenir à des facteurs chronologiques, dialectaux et
idiolectaux qu'il est impossible de discuter ici.

L'exemple (6) ci-dessous est cité d'après Levy; théoriquement, il est possible de proposer pour ce contexte une analyse qui ferait de sempres un adverbe se rapportant au verbe de la principale: [E vos baiszares me 10 fron Senpres] [ qant eu lo vos dirai]; or, on verra que q(u)ant semble effectivement faire partie de plusieurs locutions conjonctionnelles dont 11 sera fait cas dans cette étude et une analyse de ce genre ne s'impose pas. On voit par (5) que la locution conjonctionnelle a pu être discontinue {desempre . . . que).

(1) Sempre pesca qui una pren, E talz baisar en cor[t] donatz Val moût d'autres
baisars privatz [FI. 7338]

(2) Car si dons en la cambr' intret E desempre s'agenollet [FI. 2469]

(3) Le rossinol[s] sa voz abiassa Ede chantar del tôt si laissa Sempre quel sein
auzi sonar [FI. 2386]

(4) Fort s'onreron et accuilliron Ambedui, desempre ques viron [FI. 7286]

(5) Ben intret a lei d'issarnit, Mais desempre s'umiliet Que[l] vi si dons, e l'enclinet
Ans que el leis, e vaus lui venc [FI. 6383]

(6) E vos baiszares me lo fron, Senpres qant eu lo vos dirai [Levy; Cour d'am.
1415]

2.2. L'usage de l'adverbe mantenent, employé pour exprimer une notionde postériorité immédiate, est bien établi en ancien occitan; cette langue fait donc partie du domaine qui comprend aussi le français, l'italien et le catalan, domaine où l'adverbe a eu primitivement cette signification perdue plus tard. Je ne crois pas que l'on doive surestimer l'importance du fait que Levy fournit un exemple (hapax) de mantenent signifiant 'à présent' ('jetzt'). Levy dit à ce propos: «Von R. (se. Raynouard) angesetzt, aber nicht belegt. Ich kann auch nur ein Beleg beibringen [...]» (voir (7) plus bas). Cette dernière acception est probablementtardive (voir Lindvall 1971 p. 58-61). On a déjà pu voir que mantenent est, face à ses synonymes, le mot que préfère l'auteur de

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Ho., texte dans lequel sa fréquence est très élevée. Nos textes n'offrent
aucun exemple illustrant l'emploi de la locution conjonctionnelle mantene
nt que qui, pourtant, a été enregistrée par Levy, voir (6) plus bas.

(1) «...me tail' e cos, diss el, is vestement.» Ele dis «volunters», sempres lo
prent, e taillet e coset de maintenent [Appel 1:360: cf. Bartsch 43:23]

(2) Tantost anec montar dese, El nom de Dieu, sus son cavalh; E mantenent
venc j. vassalh (Ba. 966]

(3) E tantost hom los vay vestir; E mantenent volgro venir [Ba. 1836]

(4) Aytantost con deguns los santz tocar podia, Mantenent s'en annava desliures
e iausentz De tota malautia e d'autres marrimentz [Ho. 1875]

(5) Intron en la forest, queran los hermitans, A mala mort los fazan morir de
mantenent [Ho. 863]

(6) E que.l gites encontenen En una fornatz ben arden. E mantenen que yfo
gitatz, Tornet ta frega la fornatz Quez om lo trobet Tendema Dedins la fornatz
vieu e sa [Levy; Brev. d'am. 27245]

(7) Mantenent non vos dich plus, Car vos ho declayraren dessus [Levy; cf.
Bartsch 412:21 (Ludus S. Jacobi)]

2.3. Parmi les six textes étudiés, Ba. seul offre des exemples (huit) de l'usage de l'adverbe encontenent. Quant au texte Ho., le copiste du manuscrit A a eu tendance à substituer (de) encontenent à (de) mantenent, voir les exemples (3-4). On doit noter à ce sujet que le manuscrit indiqué date du XVe siècle, c'est-à-dire d'une époque où mantenent ne s'employait guère plus avec la signification qui nous intéresse ici. Raynouard ne donne pas seulement l'adverbe encontenent mais aussi la locution conjonctionnelle encontenent que. (L'adverbe s'écrit aussi encontinent.)

(1) Tantost, ab guaug et am baudor, Lo reys montet encontenent [Ba. 2731]

(2) Ela resclusa la 'ntendec Ede contenent respirec E vay recobrar son parlar
[Ba. 3786]

(3) Andrïocs vi sa volontat; De mantenent li près a dir Sons fiyllz s'er' anat
esbaudir [Ho. 491; ms. A Encontinent]

(4) Cant Karlles los connoc, mot gran honor lur fey. Mantenent entervet a Magontz
dels cors santz [Ho. 2266; ms. A De continent]

2.4. Aitantost n'a pas été commenté par Levy. Cette forme particulière de l'adverbe se retrouve pourtant dans cinq de nos textes et elle appartientsans aucun doute au vocabulaire fondamental de l'ancien occitan, de même que la locution conjonctionnelle correspondante aitantost corn (cum, con), attestée dans Ho., FI. et Ba.; notons aussi la forme aitantostquo (une seule occurrence) dans Fr., texte qui fournit également un exemple de aitantost quant, relevé aussi dans Ba. (voir plus bas).

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Cependant, ce mot ne semble pas avoir été très fréquent; je tiens à signaler à ce propos qu'en ancien catalan il a été abondamment usité par certains auteurs (voir Lindvall 1978 pp. 12, 22-25). Il y a, à propos de la locution conjonctionnelle, quelques remarques à faire. Ainsi, dans (3), aitantost précède un participe passé; il est théoriquement possible d'analyser cette structure de la manière suivante: [Aytantost lo temptador vencut] [se partie de lu]; la même interprétation pourrait donc s'appliquer - elle est, là aussi, théoriquement possible - au contexte(4), où, pourtant, l'éditeur a mis une virgule. Etant donné que nos matériaux sont assez limités, il vaut peut-être mieux ne pas insister sur les potentialités de ces structures. De même, il faut traiter assez prudemment les exemples (7-8); il y a, on l'a vu, des cas analogues parmi les autres locutions conjonctionnelles étudiées ici (voir sempre quant, sous 2.1, tantost quant, sous 2.5) sans que nous puissions pour autant nous prononcer tout à fait catégoriquement en cette matière car il est toujours possible de proposer l'analyse [Aitantost] [quant lo ser ... toquet] [va aquel malaute ... ], de sorte que aitantost, en tant qu'adverbe,se rapporte au verbe de la principale. S'il s'agit vraiment d'une locution conjonctionnelle, elle a pu être aussi discontinue ce que prouve (8). On notera, avec un intérêt particulier, l'exemple (9) où il y a co-occurrencede aytantost et de aytant lieu ('lèu') cum; nous verrons plus loin que c'est justement dans le texte Ba. que nous pouvons observer le plus nettement la parenté sémantique qui a associé tost à leu.

(1) Lauzem Dieu omnipotent, E aytant tost anem nos en [Pa. 690]

(2) Aytantost lo carr descubri Que fo cubertz dun vert pâli [Ba. 525]

(3) Aytantost lo temptador vencut se partie de lu, e.l baro sant en la cella retornec
ab Victoria [Fr. 174]

(4) ... e, venens denant l'avesque, pus de paraulas no esperec ni parlée, mais
aitantost, despulhadas totas sas vestiduras, davant totz va las redre a son
paire [Fr. 150]

(5) Aytantost con deguns los santz tocar podia, Mantenant s'en annava desliures
e iausentz [Ho. 1874]

(6) Mais aytantost quo aquel malaute maniée d'aquel lectuari [. ..] levan se tôt
sas, tan gran fo la vigor que per aquo receup de anima e de cors, que après
pauc va intrar en la religio del sant baro [Fr. 167]

(7) Aitantost quant loser dels leprozes Sant Frances aquela plaga orribla ab la
sua sagrada boca toquet, va aquel malaute soptament tota la malautia encaussar
e recobrar la sanetat dezirada [Fr. 152]

(8) Aytan tost montée la regina, Quan foron presset de l'aysina [Ba. 5143]

(9) Et aytantost et aytant lieu Cum en G. los ac tocatz, Les effantetz totz abrassatz
Se van levar vezentde totz [Ba. 1810]

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2.5. Il y a chez Levy quelques acceptions et emplois de tantost très intéressants. L'acception qu'illustre (1) est assez facile à expliquer; dans ce contexte l'adverbe se rapporte à un passé immédiat ('eben'). La forme composée aisi tantost ... que ('ebenso schnell ... wie') qui est illustrée par (2) semble un peu déroutante puisque le sens consécutif est exprimé par deux particules à la fois, aisi (aicy) et tant. L'exemple (3) prouve l'existence de la valeur préférentielle neutre 'aussi bien . . . que' ('ebensowohl ... als, ebenso gut ... wie') que cet adverbe apu exprimer aussi en catalan (voir Lindvall 1978 p. 23-25). Dans (4), on trouve un contexte pour lequel Levy propose la traduction 'nicht sobald .. . dass nicht'. La traduction qui semble s'imposer ici peut être rendue par 'à peine . . . que'. Etant donné que la négation est double, la structure de la phrase semble plutôt incorrecte mais la signification générale du contexte et le fait que nous avons pu relever d'autres exemples de cette locution en italien et en catalan - voir plus bas (5-7) - nous amènent à croire que, effectivement, il s'agit d'une locution conjonctionnelle/flAî tost + Nég. + que + Proposition (+Nég.) 'à peine ... que'. A strictement parler, les exemples indiqués auraient dû être étudiés dans l'analyse consacrée à l'usage de tost car nous n'avons pas ici à faire avec le lexème autonome tantost qui exprime une notion de postériorité immédiate.

(1) Els ne sian.aytant innoscens coma un efant que tanto[s]t es natz [Levy; An.
Millau 77:6]

(2) Tan vivacier son veramen Que d'orien en occiden Aicy tantost serian vengut
Que vos auriatz l'uelh mogut [Levy; Brev. d'am. 2822]

(3) Per qu'eu chant clare d'ivern e d'estiu. Tant tost chant d'ivern quan d'abril,
Ab sol que razos i sia [Levy; cf. Appel 32:11]

(4) Tan tost no s'o pesset que no.l fos conogut [Levy; cf. Appel 197:26]

(5) K'el no sera çà dentro uncana tanto tosto cum' igi g'à ligar le mane eli pei
[Poeti XIIIe s.; cf. Lindvall 1975 p. 114]

(6) Tantost Tome no vol pujar a vos per oraciô, que sempre no siats vos devallant
a ell [Llull; cf. Lindvall 1978 p. 21]

(7) E ané-me'n a Menorca, eja tantost no fui a Maon, que ja hi hac missatge
del senyor rei de Mallorca [Muntaner; cf. Lindvall 1978 p. 25]

L'adverbe tantost est fréquent dans nos textes; sa fréquence est élevée surtout dans Ba. et Fr. Le texte Da. est caractérisé par le fait que tantostest le seul de nos adverbes qui y figure tandis que, dans les autres textes, il y a coexistence de deux ou de plusieurs adverbes synonymes. Les redondances lexicales propres à l'auteur de Ba. sont illustrées par la co-occurrence des deux adverbes tantost et demanes dans un contextetel

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textetelque (10), cité plus bas. Notons dans (8) la locution conjonctionnelleta leu que qui introduit la subordonnée temporelle précédantla principale où figure tantost; l'exemple est cité d'après Levy. On notera dans (11) la construction tantost après aysso qui exprime la successionimmédiate de deux événements; dans (12), tantost figure devant un syntagme prépositionnel, de sorte qu'il peut être considéré comme faisant partie d'une préposition; en effet, pour traduire l'expression indiquéeon pourrait se servir de la préposition française dès. La locution conjonctionnelle tantost corn (cum, con / co) est assez fréquente dans nos matériaux; nous avons relevé aussi les variantes tantost quo et tantost quant (qan(t), can). Levy a également enregistré la variante tantost que, voir (18). La forme tantost quant, figurant dans Pa. et Ba., apparaît dans des contextes tels que (16-17) qui, en principe, sont ambigus,vu que la structure des phrases nous permet, théoriquement du moins de rapporter tantost au verbe de la proposition principale. On voit par l'exemple (17) que cette locution particulière a pu être discontinue - à condition qu'il s'agisse vraiment d'une locution conjonctionnelleauthentique.

(8) Enquera hi aportet hom causas plenas de vere que, ta leu que ero el mieh
deis fluvis ... tantost perdio lor maies del vere [Levy; Merv. Irl. 19:3]

(9) Ad Aspremont s'en es tantost anatz: Sos melhors homes a tantost apelatfz]
[Da. 535-536]

(10) E tantost vec vos demanes La una dezena de lor Deis Sarrazis [Ba. 1020]

(11) Car tantost après aysso, al bufament d'aquel, l'ale del quai fa ardre las
brasas, greu temptacio carnal le va pendre [Fr. 173]

(12) Car tantost al tocament d'aquela sagrada ma, que portava l'ensendement e l'abrasament seraphical, ostat tot freg, tantost tan gran calor vene ad aquel home dedins e defora, ayssi quo si alcuna fort fiamma de fornas vengues [Fr. 237]

(13) Car Dieus [t'] a bezenit desus de paradis, Tantost con fust intratz en l'islla
de Lleris [Ho. 2163]

(14) G. Barra, tantost col vi, Li vay sonar, per nom, Guillem [Ba. 2030]

(15) ... e, tantost quo el lo vie, monstrec alcus gestz d'alegrier e coitosament
maniée [Fr. 202]

(16) E mosenhen G. fon gays Tantost quan vie la seu'ayzina [Ba. 5173]

(17) Uh li respondo: No lapodetz mostrar, Tant tost mori quan vos en vi anar
[Da. 1976]

(18) E cant s'estalvava que li serventa trobessa ren d'aspreza de penedencia
qu'illi fezes, tantost qu'illi ho pogues saber, li fazia jurar qu'a res non o
disses [Levy; cf. Appel 119:23]

2.6. Dans le lexique de l'ancien occitan, on retrouvera aussi l'adverbe
tost qui nous intéresse tout particulièrement ici. Ce mot a été employé

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en occitan comme il a été usité en ancien français, en ancien italien et en ancien catalan. Levy veut corriger l'interprétation de quelques exemples cités par Raynouard, où tost a été traduit par 'tôt' (adverbe de temps); Levy a raison lorsqu'il propose la définition 'schnell, rasch, geschwind' qui fait de tost un adverbe de manière. Que tost ait été pourtant employé aussi comme adverbe de temps est confirmé par l'existence d'une expression comme tost o tard (Levy; ace. 4; cf. Appel 34:33), voir ci-dessous. Levy donne aussi le sens 'bald, beinahe' pour tost (ace. 5); cette acception est cependant marquée d'un point d'interrogationet je renonce à la discuter ici.

Les exemples suivants, sans pouvoir illustrer de façon exhaustive tous les sens et emplois que connaît tost avec ses différentes formes composées, nous donnent néanmoins une idée assez exacte des propriétés sémantiques et syntaxiques de cet adverbe. A part tost simple, les combinaisons suivantes ont été relevées: ben tost, molt tost, ai si tost, atres(s)i tost, si tost, tan(t) tost et plus tost. Comme ces formes composées ne font qu'exprimer des modalités des valeurs déjà présentes dans l'adverbe simple, je suivrai plus bas un principe de présentation sémantique, plutôt que d'appliquer un arrangement fondé sur des critères formels. Notons que, dans plusieurs contextes, tost est juxtaposé (coordonné) à des mots ou locutions synonymes, voir (1, 7-8); ces juxtapositions prouvent que nous avons à faire avec un adverbe de manière; dans nos matériaux, on retrouvera également tost de corren [Pa. 2142], tost e esperì [Ba. 662], tost e vïatz [Ba. 784; Da. 1071, vias], tost e viassamen [Da. 188], apert et tost [Ba. 2980], tost e breu (7), tost e breument et tost e lieu (8), juxtaposition qui nous intéresse plus que les autres. Dans (1-4) tost signifie 'vite, rapidement'; l'adverbe détermine ici des verbes de mouvement (duratifs); dans (5-6), nous relevons la construction consécutive tan tost que (5) et l'expression comparative tantost cum (6). L'adverbe peut signifier aussi 'promptement, en peu de temps', voir (7-12). On notera avec un intérêt particulier la façon dont l'adverbe leument est employé dans (4); il s'agit évidemment d'un synonyme de tost 'vite, rapidement'. La juxtaposition tost e lieu dans (8) prouve l'affinité sémantique des deux adverbes et, dans (7), leu signifie, de façon peu douteuse, 'vite, rapidement'. Dans (13), le comparatif a le sens de 'plus facilement'; dans (14) le comparatif exprime la valeur préférentielle 'plutôt', tandis que, dans (15), tan tost con exprime une valeur préférentielle neutre.

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(1) Anem no.n tost ede coren Als apostols en Jherusalem, E digam lor que vist
l'avem [Pa. 2285]

(2) Moût gent Tacullon e l'onoron. E Guillems tost vaus lo rei cor [FI. 7315]

(3) Lo senhor vay dir mantanent Al latinier que tost ânes [Ba. 791]

(4) Letras del fait van sagelar E van las dar ad .j. corssier Que tost ânes, ses
alonguier, E van li dar aur et argent. Lo messagier s'en vay leument Ab so
rocinet tôt ambiant [Ba. 2892]

(5) Dese Margarida sonet L'esquilleta, el gilos venc Tan tost que a penas si
tenc E miei la via de caser [FI. 6048]

(6) Ab las par[a]ulas hil se van adobar, Vec vos Bertran en .j. caval li(r)ar, E
venc tantost cum pot esperonar [Da. 1302; cf. Da. 378, tan tost cum]

(7) e anatz leu, E mandatz ades tost e breu Que vengua tantost ses oblit Lo
cavalier que m'avetz dit [Ba. 2580]

(8) Le cavaliers près lo borzes, E val covidar tost e lieu, E vay jurar la mort de
Dieu Qu'el sopera la nueg am luy [Ba. 4791]

(9) Ara tost obezeys als mieus mandamens, car ia ayssi no maniaras, mais en
autre loc [Fr. 219]

(10) Tost, diys el, vay ad aquela peira, et aqui trobaras aygua viva [Fr. 194]

(11) Esilo pren aquel ric[he] borges, Dedins la cambra cum se panatz l'ages;
Ben tost l'enporta en [I'] irla demanes [Da. 715]

(12) El pros Beto vai sa vieula gitar, E près sa capa molt tost a despolhar [Da.
1949]

(13) Ja fail plus tost que non fai rieus De pluja qu'es plus rabiners De cel ques es
acostumiers De corre que de fon a cap [FI. 7852]

(14) Retornec adoncas lo bestial home als sieus, e las suas cauzas recobrec, lo
quai, no las volens layssar als paubres, lo prepausament de vertut pus tost
laissée [Fr. 189]

(15) Qu'om del mal d'amor non rêve Tan tost con hom fai d'autre mal [FI. 2999]

Dans certains contextes on peut hésiter à définir tost comme adverbe de manière; ces contextes sont ambigus puisque l'adverbe a tendance à y exprimer une valeur temporelle, voir (16) où il y a co-occurrence de tost et de leu. Or, l'existence de la valeur temporelle de tost est prouvée par la locution o tost o tart dans (17). La locution conjonctionnelle atressi tost com 'dès que, aussitôt que' (19) présuppose une valeur temporelle à l'adverbe.

(16) Car eu serai tost melluratz E d'aicest mal leu espassatz, E poissas tornares
vos ne [FI. 3539]

(17) E non ten pro forsa ni tors A cor, pos lo destrein amors, Que non fassa, o
tost o tart, Sa volontat [FI. 1283]

(18) Amors, fait aves gran peccat Car m'aves si tost réveillât [FI. 2968]

(19) Car huei mati, atressi tost Con fui aici sobr' esta post... Eu dis que la
marga daria A cel que prumiers> justaria. [FI. 7759-7760]

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2.7. Nous avons déjà rencontré quelques occurrences de lèu, tel qu'il est employé dans les anciens textes. Ce qui nous intéressera surtout ici, c'est donc la question de savoir dans quelle mesure lèu a été un concurrent des autres mots traités dans cette étude, notamment tosí. Constatons d'abord que lèu, conformément à son étymologie, a été usité aussi comme adjectif. Levy définit le sens de l'adjectif par 'leicht' (ace. 1) et 'hurtig, flink, munter' (ace. 2). On peut relever plusieurs exemples de l'emploi adjectival dans FI. [136, 1091, 1760, 3867, etc.]. Le sens de l'adjectif peut être défini par 'prompt, habile, gaillard', ce que prouve un contexte tel que (1):

(1) E vie qu'era grans e cayratz E leus e joves, de bon talh [Ba. 4251]

Les autres acceptions données par Levy ont trait à lèu employé comme adverbe avec sa signification fondamentale (primitive) 'leicht' (Levy, ace. 3). Quelques acceptions, telles que 'wenig' (ace.6) et les locutions verbales tener lèu/tener a leu 'leicht nehmen, gering achten' (Levy, ace. 13) ne nous intéresseront pas ici. Parmi les textes dépouillés, ce sont FI. et Ba. qui présentent des fréquences élevées et un usage varié de l'adverbe lèu. Les combinaisons suivantes y ont été attestées (notons aussi l'existence de l'adverbe leument [FI. 2073, 4695]: leu simple [FI. 331, 2537, 3869, 4059, 4110 (bis), 4111 (bis), 6924, 7867; Ba. 144, 665, 1372, 2579, 3402, 3403, 3773, 4791, 4904]; ben leu [FI. 884, 1156, 1240, 2329, 4084, 4232, 4434, 4435, 7645]; moût leu [FI. 4261]; trop leu [Ba. 4905]; aisi leu [FI. 2062; Ba. 4359]; aytan leu [Ba. 3331]; tan leu [FI. 1560, 4899; Ba. 3414];plus leu [FI. 4768, 6290].

Nos matériaux sont limités; je crois pourtant que l'on pourra se faire une idée assez satisfaisante de la sémantique de lèu. Etant donné l'étymologie de notre adverbe, il semble naturel de proposer pour les contextes (2-4), cités plus bas, la signification 'facilement, aisément'. De même, si on examine de plus près les combinaisons moût lèu, qui est discontinue dans (5), aisi leu (6), tan leu (7) et plus leu (8), on doit en déduire que le sens propre de l'adverbe est toujours le même. Notons que les exemples cités ont tous été relevés dans FI. A tout prendre, la sémantique de lèu, tel qu'il est employé dans le texte indiqué, semble assez nettement marquée par la signification que ce vocable détient en vertu de son étymologie. Or, il y a dans FI. quelques particularités dignes d'intérêt concernant l'emploi de lèu. Raynouard propose pour un cas de répétition de a leu (a leu ... a leu) la traduction 'tantôt... tantôt',traduction rejetée par Levy qui préfère lire alcu ... alcu. Quoi

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qu'il en soit, notre contexte (9) semble en effet réclamer justement la traduction qu'a proposée Raynouard. Le sens 'facilement' reste, en principe, toujours possible mais il paraît moins naturel. (Pour tanlèu ... tanlèu 'tantôt ... tantôt' en occitan moderne, voir sous 1.4.1.) Le contexte(10) n'est plus douteux: leu y signifie très nettement 'vite, rapidement';l'adverbe est donc à considérer comme un synonyme véritable de îost, cf. aussi (12-13), relevés dans Ba., et (14), cité d'après Levy. Dans le lexique de FI., aussi bien que dans celui de Ba., tost et lèu coexistent. Or, lèu ne peut être considéré comme un proche synonyme de tost que dans ce dernier texte, plus tardif, on le sait, que FI. (voir sous 2.0.). En dépit d'un exemple comme (11), où lèu signifie facilement,aisément' plus bas), il faut assigner respectivement les sens de 'vite, rapidement' et 'promptement, en peu de temps' à lèu, tel qu'il est employé dans (12) et (13). Les sens discutés ici ont été donnés par Levy, acceptions 4 ('schnell, hurtig') et 5 ('schnell, bald'), acceptions propres, on le sait, à la sémantique de tost. De même, on constate que ayssi lieu (15), aytant leu 'aussitôt' (16) et tant lieu (17), tous attestés dans Ba., expriment les mêmes valeurs que aisi tost (2.6.), aitan(t) + tost (2.4) et tan(t)+tost(2.s). Finalement, on constate que Levy a enregistréaussi les locutions conjonctionnelles ta leu que (18) et ta leu quan, conjonctions temporelles qu'il faut rapprocher des locutions correspondantestan(t)+tost que et tan(t)+tost quan, dont nous avons fait cas, par ailleurs (2.5).

(2) E qui non sap aiso saber Non sap gaire de bon saber; E qui aiso leu non
entent Ane non ausi, mon eisient, Lo proverbi [FI. 4069]

(3) Quar ben a obs que sia leu So que dirai, e bone breu, E tal com posca leu
entendre Cella quem fai lo cor encendre [FI. 3869]

(4) Ges ola leu perdre non deu La sabor don primas s'enbeu [FI. 7867]

(5) E moût pot leu domna percebre Qui l'ama ola vol decebre [FI. 4261]

(6) Mais vos aves dreg et eu tort Car mi desconfort aisi leu [FI. 2062]

(7) Et anc non vi homen estrain Que tan leu d'amor si plaisses A domna que
non conogues [FI. 4899]

(8) E dis li que nol sia greu De sufrir un pauc, car plus leu Que nos cuja l'estorsera
De la greu pena on esta [FI. 4768]

(9) Moût es Guillems en greu pantais: Leu s'alegra e leu s'irais, Leu ha conort,
leu haesmai [FI. 4110]

(10) e tan garit si sen Que près a comjat bone breu D'aicels que dec, e vai s'en
leu [FI. 6924]

(11) Dona, prec vos ara Que vos, sius platz, li perdonetz Quar leu s'ave que
mantas vetz Home jove ialhiss trop leu, Et a mi sena fort greu [Ba. 4904]

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(12) Lo latiniers es tost montatz Ab gran joy ede gran talent Desus son destrier
leu corrent [Ba. 1372]

(13) Le cavaliers près lo borzes, E val covidar tost e lieu.E vay jurar la mort de
Dieu [Ba. 4791]

(14) Que nos aurem secors del rey Marsseli leu e tost [Levy; Gesta Karoli 2215]

(15) Per Dieu! enans n'auretz trebalh, So diss lo paire, que y montetz, Qu' ieu
vos gardaray esta vetz Que no y montaretz ayssi lieu [Ba. 4359]

(16) Lo reys sonec al pastoret, El pastorel venc aytant leu [Ba. 3331]

(17) El pastoret s'en vay tant lieu E retornec a son bestiar [Ba. 3414]

(18) Enquera hi aportet hom causas plenas de vere que, ta leu que ero el mieh
dels fluvis..., tantost perdio lor maies del vere [Levy, Merv. Irl. 19:3; cf.
51:24, ta leu yuan]

2.7.1. Lorsqu'il s'agit de ben+lèu, on voit que l'éditeur de FI. (Meyer 1865, 1901) marque une certaine hésitation face à cette forme composée (op. cit. p. 400 et p. 321 respectivement); il donne le sens 'peut-être', en commentant ainsi notre exemple (1): «[...] le sens est plutôt 'bien facilement', ben leu o dises signifie: «il est facile de le dire, c'est vite dit'» (Meyer 1901 loc. cit.). Voyons d'abord comment le grand dictionnairede Grimm a traité du problème analogue que pose en allemand l'histoire de l'adverbe vielleicht 'peut-être': «1) herkunft und form. das adv. ist zusammengeschoben aus vil und mhd. lîhte. letzteres allein hat im mhd. und noch dem alteren nhd. die bedeutung des nhd. adv. vielleicht[...] mhd. vil lîhte wird nicht nur im sinne von 'sehr leicht, ganz ohne schwierigkeit', sondern schon in freierer bedeutung angewandt [...] der unterschied gegen die heutige anwendung kann sehr gering sein; im allgemeinen wird in der alteren sprache der zusammenhang mit leicht, facilis noch empfunden, daher mehr die sichere erwartung, vermuthungoder befiirchtung, als die blosze moglichkeit bezeichnet.» (Grimm, sous vielleicht.) En comparant les exemples donnés par Levy pour illustrer les acceptions 7 fgar leicht') et 8 ('vielleicht'), il faut constater que, malgré un contexte tel que (4), il est impossible de distingueravec certitude entre eux. (Levy donne aussi de leu 'gern', ace. 10, et leu que leu 'très facilement', ace. 11). Dans nos textes, ben+lèu, avec la nuance hypothétique qu'il faut, peut presque toujours se traduire par 'très facilement/aisément, très bien'. L'adverbe ne s'emploie donc pas sans que sa valeur primitive ne soit aussi inhérente à son sémantisme. Dans Piat (1970, sous peut-être), on trouvera non seulement benlèu (belèu), bensai (bessai) et lèu simple mais aussi tuest, betou et bentot; tuest est, d'après Piat, alpin tandis que bentot est forésien. On sait qu'en ancien français l'adverbe tost, seul ou en combinaison avec une

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particule, a eu tendance à exprimer aussi cette valeur; ainsi on trouvera
encore une propriété commune à tost et lèu, cf. (5-6). (Voir Lindvall
1971 pp. 79-80).

(1) Amiga, ben leu o dises, Ans [nos] coven, so sai, trobar Tal mot que puescam
acordar [FI. 4232]

(2) Que ben leu se diran Cylh que non o sabran Qu'elh eyx n'es encolpatz [Levy;
cf. Appel 63:57]

(3) Mas servir l'ai dos ans otres, E pueys ben leu sabrai lover [Levy; cf. Appel
13:36]

(4) Quar la operacio am ma es prostrada en nostre (sic) re[li]gio..., entro que
fort leu peric la sciencia de lu (sic) [Levy; cf. Appel 302:19 n. 20, lat. fortasse]

(5) Car se porroit tost avenir Qu'il le dist por moi losangier [Cligès; cf. Lindvall
1971 p. 79]

(6) Si ot laienz de tiex qui de legier s'i acordassent et qui tost le vousissent, se ne
fust uns preudom vielz [Queste del Saint Graal; cf. ibid. p. 80]

3.0. On peut voir à travers la table suivante, qui résume ce qui a été discuté dans cette étude, que tost 'vite, promptement' (adverbe de manière) a figuré dans l'ancien lexique du français, de l'italien, du catalan et de l'occitan, tandis que les langues modernes ont opté pour des innovations lexicales, selon des principes de diversification qui leur sont propres et pour lesquels on pourrait difficilement trouver des explications


DIVL1573

TABLE II

Lars Lindvall

Gòteborg

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Résumé

Pour exprimer le sens 'bientôt', l'occitan moderne emploie l'adverbe lèu; c'est aussi le vocable que donne l'Atlas linguistique de la France. Or, lèu n'est pas seulement un adverbe de temps mais aussi un adverbe de manière signifiant 'vite, promptement'. Des lexèmes composés tels que a(n)tanlèu et tanlèu expriment une idée de postériorité immédiate. En outre, on peut relever un certain nombre d'emplois grammaticalisés, notamment des locutions conjonctionnelles où figurent (a-lan-)tanlèu et pus lèu. En faisant une comparaison avec les locutions françaises correspondantes, on peut mettre en évidence plusieurs particularités d'emploi. On notera également que, en occitan moderne, puslèu exprime la valeur préférentielle 'plutôt'. Or, en ce qui concerne le lexique de l'ancien occitan, il faut dégager un sous-système lexical auquel n'appartient pas lèu. Il s'agit d'adverbes tels que sempres, mantenent, encontenent et tantost qui, tous, expriment une notion de postériorité immédiate. La valeur 'facilement' qu'a exprimée lèu en ancien occitan est pourtant restée dans l'adverbe benlèu qui signifie 'peut-être'. On est ainsi amené à constater que, en ancien occitan, c'est tost qui correspond directement à lèu tel que s'emploie cet adverbe dans la langue moderne.

Bibliographie

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