Revue Romane, Bind 16 (1981) 1-2

Les «locutions verbales»: Pour quoi faire?

par

David Gaatone

La notion de locution est couramment utilisée par les grammaires françaises et aussi, quoique très irrégulièrement et d'une façon moins conséquente, par les dictionnaires, dans leurs descriptions de la syntaxe et du lexique. Ce terme désigne, en règle générale, un groupe de deux mots ou plus, ressenti intuitivement comme équivalant à un mot unique. L'existence même d'une désignation spéciale pour ce type de séquences implique le sentiment que l'unité syntaxique et sémantique est le mot et donc que toute combinaison de mots doit être étudiée par rapport à cette unité.

Mais pourquoi, si équivalence il y a entre tel groupe de mots et un mot unique, et quel que soit le sens exact que l'on attribue au terme équivalence, ne pas définir directement le groupe comme mot, au lieu de forger à son intention le terme de locution? Autrement dit, pourquoi ne dirions-nous pas, par exemple, ignorant l'aspect purement graphique de la question, à savoir la présence d'espaces blancs séparant des élémentsles uns des autres, que à condition que est un seul mot plutôt que de lui donner l'appellation de locution conjonctive, comme il est d'usage de le faire? La réponse à cette question est sans doute liée au fait que, dans des groupes de cette espèce, les éléments ou du moins certains des éléments, peuvent apparaître dans d'autres contextes. En outre, l'équivalence postulée entre locution et mot unique (Séchehaye, 1950: 96; Dubois, 1973; Perrot, 1968: 290; Pottier, 1973) ne doit pas être prise à la lettre; elle est surtout comprise, semble-t-il, comme une équivalencefonctionnell el. C'est pourquoi, sans doute, elles ne sont pas considéréescomme



1: Il est vrai que l'insistance de certains à revenir sur cette équivalence, voire à l'illustrer par des paires d'expressions que les auteurs ont sans doute voulues synonymiques, laisse, par moments, planer le doute sur ce point. Un dictionnaire de linguistique (Dubois, 1973) suggère ainsi, à l'article locution, pris dans son acception traditionnelle, les mots gracier et allumer comme correspondant respectivement aux locutions verbal es faire grâce et mettre le feu, de même que vainement comme équi- valent de en vain: il semble bien s'agir d'une véritable recherche de synonymie ou au moins de quasi-synonymie. Brunot (1965: 220) va plus loin encore dans cette voie lorsque, hésitant quant à l'équivalence entre commander et donner l'ordre, il en conclut à la difficulté de savoir parfois «si on a affaire à une locution verbale». Equivalence ici signifie manifestement synonymie. Cette façon de voir a sans doute son origine dans l'idée que la locution, représentant une idée unique, doit nécessairement pouvoir se ramener à un mot simple qui serait, par définition, le support par excellence d'une idée unique. Pour G. et R. Le Bidois (cités in Le Grand Robert, à l'article locution), ce verbe simple, auquel est théoriquement réductible toute locution verbale, est «aisément concevable» même s'il n'existe pas. Il paraît cependant impossible de trouver et tout autant de concevoir, des synonymes simples pour avoir faim, chaud, froid; faire plaisir, partie, attention, etc ... et, très probablement, pour l'immense majorité des locutions. Mais pourquoi devrait-on s'évertuer à réduire la locution avoir mal à un seul mot, alors qu'un mot unique de sens proche comme souffrir sera normalement paraphrasé par un groupe de mots tel que, par exemple, ressentir une douleur'!

Side 50

sidéréescommeformant une classe syntaxique à part, mais sont assignées,par le biais d'une subdivision en locutions prépositives, conjonctives,adverbiales et verbales2, aux diverses classes syntaxiques (parties du discours) traditionnelles. De même donc que la locution prépositive est à distinguer du syntagme prépositionnel (voir à ce sujet Gaatone, 1976 a) en ce sens qu'elle fonctionne en bloc à la manière d'une prépositionunique (ci l'égard de = envers), de même la locution verbale, construction soudée, est à distinguer du syntagme verbal, construction libre, et à rapprocher du verbe unique dont elle serait l'équivalent (prendrefin = finir). Autrement dit, les deux séquences ¿i la fille de Paul et ci l'égard de Paul ont respectivement les analyses suivantes:

S PREP [PREP [à] SN [la fille de Paul]]

S PREP [LOC PREP [à l'égard de] SN [Paul]

Parallèlement, les deux séquences (l'élève) a pris le livre et (la réunion)
a pris fin seront respectivement représentées comme suit:

SV [V [a pris] SN [le livre]]

SV [V [a pris fin]]



1: Il est vrai que l'insistance de certains à revenir sur cette équivalence, voire à l'illustrer par des paires d'expressions que les auteurs ont sans doute voulues synonymiques, laisse, par moments, planer le doute sur ce point. Un dictionnaire de linguistique (Dubois, 1973) suggère ainsi, à l'article locution, pris dans son acception traditionnelle, les mots gracier et allumer comme correspondant respectivement aux locutions verbal es faire grâce et mettre le feu, de même que vainement comme équi- valent de en vain: il semble bien s'agir d'une véritable recherche de synonymie ou au moins de quasi-synonymie. Brunot (1965: 220) va plus loin encore dans cette voie lorsque, hésitant quant à l'équivalence entre commander et donner l'ordre, il en conclut à la difficulté de savoir parfois «si on a affaire à une locution verbale». Equivalence ici signifie manifestement synonymie. Cette façon de voir a sans doute son origine dans l'idée que la locution, représentant une idée unique, doit nécessairement pouvoir se ramener à un mot simple qui serait, par définition, le support par excellence d'une idée unique. Pour G. et R. Le Bidois (cités in Le Grand Robert, à l'article locution), ce verbe simple, auquel est théoriquement réductible toute locution verbale, est «aisément concevable» même s'il n'existe pas. Il paraît cependant impossible de trouver et tout autant de concevoir, des synonymes simples pour avoir faim, chaud, froid; faire plaisir, partie, attention, etc ... et, très probablement, pour l'immense majorité des locutions. Mais pourquoi devrait-on s'évertuer à réduire la locution avoir mal à un seul mot, alors qu'un mot unique de sens proche comme souffrir sera normalement paraphrasé par un groupe de mots tel que, par exemple, ressentir une douleur'!

2: Le Dictionnaire de linguistique de Dubois suggère aussi des locutions nominales: mise enjeu (voir aussi Brunot (1965: 163) et on rencontre le terme de locutions adjectives sous la plume de Brunot (1965: 3): bon marché. Grevisse (1959: 966) mentionne aussi la locution interjective.

Side 51

On se propose de vérifier ici d'une façon plus précise les caractéristiques de ce qu'on appelle communément les locutions verbales (LV) et de se demander dans quelle mesure cette notion a sa place dans une grammaire du français, c'est-à-dire si elle a un rôle à jouer dans la formulation des règles.

Remarquons d'abord qu'une partie considérable des définitions qui ont été proposées de la locution en général (Weinreich, 1969: 26; Chafe, 1978: 111; Fraser, 1970: 22) ou qui découlent logiquement de l'équivalence alléguée entre locution et mot unique (voir plus haut), a pour noyau l'idée de la non-calculabilité du sens. En d'autres termes, le sens global d'une locution en général et d'une LV en particulier ne peut être obtenu par l'addition des sens des constituants individuels, comme cela se ferait pour un syntagme verbal. La différence peut être illustrée au moyen de l'exemple mettre au pied du mur (Roy, 1976: 833). Considérée comme une construction libre, cette séquence aura pour sens la combinaison pure et simple des sens des éléments lexicaux constituants (auxquels il faut, bien entendu, ajouter les éléments grammaticaux et prosodiques), c'est-à-dire, approximativement déposer au bas du mur. Considérée comme une locution, elle recevra une interprétation complètement différente, approximativement forcer à prendre parti, sens qui n'est pas calculable à partir des sens des éléments isolés. Les deux interprétations possibles de prendre la mouche correspondent elles aussi à la même distinction.

L'idée de la non-calculabilité du sens global de la LV reflète, en somme, la conviction assez largement répandue que la LV constitue, sur le plan sémantique tout au moins, un tout inanalysable (voir Guiraud, 1967: 6). De là, les termes de «démotivation, arbitraire, etc...» qui servent souvent à la décrire. Pour Brunot (1965: 221), la LV est même «un véritable composé». Si l'on admet que les métaphores qui sont à l'origine des locutions mentionnées ci-dessus ne sont plus ressentiessynchroniquement comme telles3, alors il est clair que le sens global est parfaitement arbitraire par rapport à celui des constituants, autrement dit qu'il est impossible de faire correspondre une quelconque partie de ce sens à une quelconque partie de la forme qui le supporte. De là, la comparaison inévitable entre LV et verbe unique: le sens d'un verbe unique peut sans doute être décomposé en un certain nombre de



3: On pourrait prétendre que la démotivation n'est pas tellement évidente pour mettre au pied du mur. D'une façon générale, il faut bien reconnaître que des décisions de cette espèce varient selon les individus.

Side 52

traits sémantiques, mais aucun de ces traits, ni même aucun sous-ensemblede
ces traits, ne peut être mis en correspondance avec un segmentdu
lexème verbal.

On tiendrait donc là un critère solide pour la définition de la LV, critère qui semble bien être plus ou moins explicitement accepté par de nombreux linguistes qui se sont penchés sur la question. Cependant, les exemples de LV le plus fréquemment mentionnés comme représentatifs de cette classe d'expressions ne paraissent pas répondre univoquement à ce critère. Il s'agit en effet avant tout, bien que non exclusivement, d'une longue liste de séquences composées d'un verbe et d'un nom, souvent sans déterminant, telles que avoir faim, soif, peur, etc...; prendre feu, garde, goût, etc...; faire appel, allusion, attention, etc...; donner droit, lecture, sujet, etc...; perdre courage, haleine, patience, etc .. .; porter atteinte, plainte, secours, etc... Toutes ces expressions sont considérées d'un commun accord comme des LV et reviennent régulièrement, comme exemples typiques de LV, sous la plume des divers auteurs.

Un coup d'œil même superficiel à ces quelques exemples suffit à remettresérieusement en question le quasi-axiome de l'inanalysabilité du sens des LV. L'élément nominal de ces séquences garde manifestement le sens, ou l'un des sens, que lui attribue le dictionnaire en dehors de ces cas particuliers (à l'exception peut-être de prendre garde). Mais il ne semble pas raisonnable de refuser un sens à l'élément verbal de la séquence, à moins de n'admettre, position indéfendable, qu'un seul sens pour un verbe donné. Si faim représente une partie, clairement délimitable,du sens global de avoir faim, alors ce sens global est analysableen éléments correspondant aux éléments de la LV et avoir est le support de l'autre partie de ce sens. Ce raisonnement est valable même dans les cas où l'un des membres de la locution n'existe pas en dehors de la locution, comme, par exemple, hocher la tête, pouffer de rire, au fur et à mesure, etc... Sans doute, le sens de avoir dans avoir faim n'est-il pas celui qu'il a dans avoir un livre, mais il est probablement semblable, sinon identique, à celui qu'il a dans avoir de l'appétit, expressionque personne n'aura pourtant tendance à définir comme une LV. Pourquoi donc ne pas considérer ce sens, paraphrasable par exemplepar éprouver (comme le suggère le Petit Larousse, 1952) ou peut-être par être le siège de, comme l'un des sous-sens nombreux de avoir dans un contexte donné? Cela ne signifie pas nécessairement que avoir aura toujours ce même sous-sens dans toutes les combinaisons

Side 53

avec un nom sans déterminant, ni qu'il ne l'aura pas dans d'autres combinaisons(par exemple, avoir la fièvre). Le sens d'un mot est toujours, en définitive, sélectionné par son contexte. Comment traiter, par exemple,la séquence prendre le train? On dira sans doute, et c'est aussi la position qui se laisse dégager de la consultation des dictionnaires, que prendre a ici un sens spécial, le point de référence étant généralement un sens considéré comme fondamental, celui que ce verbe revêt dans prendre le livre. Pour le sens «spécial», on mentionnera explicitement le contexte qui le sélectionne, ici, des noms désignant des moyens de locomotion. Si on ne le fait pas pour le sens dit «fondamental», c'est que celui-ci est en fait considéré intuitivement comme sens propre du mot, c'est-à-dire le sens indépendant du contexte. Que cette intuition ait quelque fondement, on peut s'en rendre compte, semble-t-il, à travers la réaction spontanée du locuteur naïf qui, interrogé sur le sens de prendre hors de tout contexte, donnera sans doute automatiquement ce sens fondamental. Mais tout cela signifie simplement que tel sens d'un mot correspond à des contextes très nombreux, d'autres à des contextes plus restreints. Est-ce là une raison suffisante pour considérer ces dernierscomme liés à des LV4?

L'analysabilité sémantique des LV mentionnées plus haut est confirmée d'autre part par l'existence d'assez nombreuses séries, soit à verbe unique et à élément nominal variable (avoir faim, soif, sommeil, peur, mal, etc...), le sens du rapport entre les deux éléments restant identique, soit à élément nominal unique et à verbe variable (avoir, prendre, faire peur; avoir, prendre, faire plaisir; avoir raison, tort; donner raison, tort, etc.. .)5 où la commutation du verbe correspond à une opposition de sens qui laisse intact le sens de l'élément nominal, ce qui montre bien que le verbe a sa propre charge sémantique.

Rares sont, tout compte fait, les séquences du type verbe + nom sans
déterminant qui répondent véritablement au critère d'inanalysabilité



4: On rencontre cependant une proposition dans ce sens chez Pottier (1974: 266) qui, distinguant prendre un autobus (= jouet) de prendre un autobus (= voyager) voit dans ce dernier une lexie à fonction verbale, non analytique.

5: Sur l'existence de séries de LV, voir Bernard, 1974: 7et Thun, 1975: 60. Notons àce propos que l'établissement de telles séries ne peut être fondé uniquement sur des identités formelles. Malgré l'identité formelle du nom, avoir connaissance, prendre connaissance et donner connaissance d'une part, perdre connaissance et reprendre connaissance de l'autre, forment des séries distinctes. Il faut opposer de même donner corps et prendre corps à faire corps (avec).

Side 54

sémantique. On pourrait mentionner des LV telles que tenir tête, avoir trait à, dont il semble que le sens global ne puisse être décomposé en éléments sémantiques superposables respectivement au premier et au second mot. Non seulement tête, dans tenir tête, n'a aucun des sous-sens qu'il possède dans d'autres contextes, mais on ne peut imagineraucun sous-sens spécifique à ce contexte-ci, qui puisse raisonnablementêtre considéré comme une partie du sens global de la LV.

On peut certes admettre que ce qu'on a appelé ici sens particulier ou sous-sens du verbe dans la LV correspond en réalité à une perte de sens par rapport à un sens plein, fondamental. C'est, exprimée dans des cadres théoriques très divers, la position de Moignet qui parle d'une dématérialisation et d'une tendance du verbe à l'auxiliarité (1974: 148), de Gougenheim (1971: 37) pour qui le verbe prend, dans la LV, un sens «général», de Guilbert (1975: 264-266), pour qui le verbe, dans ces groupements lexicalisés qu'il appelle «unités syntaxiques verbales6», est une sorte d'opérateur servant à la transformation d'un nom en verbe, à la manière, par exemple, de certains suffixes, de Blinkenberg enfin (1960: 80), qui parle d'un verbe de sens «peu spécifique». Il y a là cependant une difficulté de principe, à savoir le caractère flou de notionstelles que «sens plus général» ou «moins spécifique», l'impossibilitéde mesurer la quantité d'information véhiculée par tel ou tel élément linguistique. Il y a en outre une difficulté très concrète en ce qui concerneplus directement la description des LV en français. Il est vrai qu'une très grande partie des LV comporte l'un des verbes avoir, faire, prendre, donner, auxquels il est plus facile d'accorder un statut d'auxiliaire(cf. aussi Giry-Schneider, 1978: 29-30) ou de semi-auxilaire parce qu'il paraît plus aisé d'en décrire le sens en termes très généraux, tels que «situation» «état» pour avoir (Gougenheim, 1971: 57; Guilbert, 1975: 266; Rothemberg, 1974: 53; Moignet, 1974: 148), «causatif ou factitif»pour faire et quelquefois donner, «inchoatif» pour prendre (id., ibid.). Mais ils n'ont pas nécessairement ce sens, comme le montrent par exemple les LV avoir coutume, droit, recours, sujet, etc... où il paraît moins facile de parler d'un état, faire cas, partie, défaut, etc... où il semble impossible de parler d'un causatif, prendre garde, parti, prétexte, etc ... où l'on ne voit pas de façon évidente d'inchoatif. En



6: Guilbert réserve le terme de «locution verbale» à des unités phraséologiques, «des manières de parler incrustées dans le lexique de la langue par l'usage constant» (1975: 269), ce quine serait pas, d'après lui, valable pour les unités syntaxiques verbales.

Side 55

outre, il existe de nombreuses LV, à verbes divers, qui ne semblent avoir subi aucune déperdition de sens: savoir gré, chercher querelle, perdre connaissance, courage, patience, haleine, lâcher prise, entendre raison, tirer parti, tenir parole, etc..

Pas plus donc du point de vue de la calculabilité du sens total à partir des sens des composants que du statut d'auxiliaire ou de semi-auxiliaire du verbe, on ne peut voir, dans l'ensemble des expressions communément considérées comme des LV, une classe homogène. Il faudra y distinguer, comme l'a bien montré Thun (1975: 55), qui traite dans son étude des relations entre «groupements de mots figés» dont les LV sont un sous-ensemble, des séquences où tous les composants sont sémantiquement absents (tenir tête) et où il y a donc véritablement inanalysabilité, d'autres où certains seulement des composants sont sémantiquement absents (faire part; cf. aussi sur ce point Newmeyer, 1972: 298), d'autres enfin où les composants sont tous sémantiquement présents, étant entendu qu'ils peuvent y prendre des sens particuliers (cf. discussion ci-dessus; faire faillite, avoir accès), et où il y a donc analysabilité. A en juger par l'immense majorité des exemples de LV que donnent grammairiens et dictionnaires, c'est ce dernier type qui représente la situation de loin la plus fréquente7. Quoi qu'il en soit, un critère de cette espèce ne peut être d'aucune utilité pour la délimitation d'une classe de LV.

On essaiera alors de se rabattre sur la syntaxe. L'inanalysabilité syntaxiqueest avancée par beaucoup, rarement comme critère unique, mais fréquemment comme critère additionnel, allant de pair avec l'inanalysabilitésémantique ou même en découlant. Cette inanalysabilité s'exprimera, dans l'arbre de la phrase, au moyen d'un symbole V, dominantdirectement, comme on l'a vu plus haut, l'ensemble de la LV, à savoir le verbe suivi du nom, alors qu'un syntagme libre correspondant sera dominé directement par SV (syntagme verbal). Dans cette optique, une LV ne différerait en somme d'un verbe simple, sur le plan syntaxique,que quantitativement. Mais ce point de vue ne résiste pas à une analyse sérieuse. S'il ne fait pas de doute que le groupe V+N dans LV n'a pas un comportement comparable en tous points à celui du syntagmeverbal composé d'un verbe et d'un syntagme nominal «ordinaire» et que la grammaire doit rendre compte des nombreuses différences



7: Rohrer, 1967: 357, avait déjà noté, contre Brunot, que l'on appelle LV même des combinaisons à sens analysable.

Side 56

constatées dans la syntaxe de ces deux types de constructions, il n'est pas moins évident que l'équivalence syntaxique entre LV et verbe simpleest pure illusion. Sur le plan morphologique tout d'abord, c'est le premier élément de la LV qui subit, seul, les variations formelles liées aux marques de personne, nombre, temps et mode. Cet élément doit donc être marqué indépendamment comme le verbe de la séquence puisque les variations formelles en question sont typiquement verbalesß.

Sur le plan strictement syntaxique, on connaît un certain nombre de règles qui font explicitement référence, dans leur formulation, à la notion de verbe. On peut mentionner en particulier les règles de placement des pronoms clitiques qui attachent ceux-ci soit immédiatement devant, soit immédiatement derrière le verbe (ce terme n'incluant pas le participe passé). Appliquées à des LV, ces règles donneront prends-en soin et non *prends soin-en, mettez-y fin et non *mettezfin-y, fais-lui peur et non *fais peur-lui, avez-vous faim et non *avezfaim-vous.

Les règles de placement des adverbes de négation font également référence au verbe et attachent le ne (clitique) devant le verbe, éventuellement précédé de pronoms compléments clitiques, et le second élément de la négation (pas, plus, etc ...) grosso modo derrière le verbe: je ne le lui ai pas dit. Dans le cas des LV, le second élément de la négation se placera derrière le premier constituant de la LV et non derrière l'ensemble de celle-ci: je n'en ai pas peur et non *je n'en ai peur pas. Ces faits montrent par ailleurs non seulement que le premier élément de la LV a seul les propriétés typiques du verbe, mais encore que l'ensemble ne fonctionne pas comme un bloc syntaxique, c'est-à-dire en fait comme un mot, puisqu'il autorise diverses insertions d'éléments entre ses composants.

Il n'y a donc pas plus inanalysabilité syntaxique absolue qu'inanalysabilitésémantique absolue. En revanche, le comportement syntaxiqueapparaît clairement déviant par rapport à celui des syntagmes verbaux et on peut se demander si ce comportement est susceptible de caractériser l'ensemble des séquences considérées comme LV. En règle générale, on doit s'attendre à ce que des groupements de mots, figés à des degrés divers, n'aient pas la même syntaxe que les constructions libres (cf. Langacker, 1972: 54 à propos de qu'est-ce que; Casagrande, 1975:23, à propos de la rigidité des constructions «fossilisées»; Chafe,



8: Remarquons ici que l'idée de l'unité de la LV est à tel point enracinée que des grammairiens ont pu parler à ce propos d'«infixation» de signes désinentiels (Bally, 1965: 169).

Side 57

1970: 267, etc...). Les travaux sur ce sujet font état d'un nombre assez considérable de «bizarreries» syntaxiques - bizarreries, bien sûr, seulement par référence à la construction libre, considérée comme norme - qui seraient propres à l'ensemble des LV (voir en particulier Fraser, 1970: 33-37, sur l'ensemble des expressions idiomatiques, Rohrer, 1967: 357-360, qui se donne précisément pour but de dégager des critères formels permettant de distinguer les LV des groupes syntaxiquesparallèles et Haimon, 1979). On examinera, dans ce qui suit, les plus importantes de ces bizarreries.

Déterminant nul ou figé

L'un des traits les plus caractéristiques d'un très grand nombre de LV, ou en tout cas d'expressions unanimement considérées comme telles, est l'absence totale de déterminant devant le second composant, dont le statut lexical est celui d'un nom. Remarquons d'ailleurs que c'est parce qu'on reconnaît a priori, et toujours par référence au syntagme nominal libre, un statut de nom au second élément de la LV, que l'absence d'un déterminant, devient un fait digne d'être signalé. Il semble bien que la plupart des linguistes en ont fait intuitivement le critère essentiel de reconnaissance d'une LV, sans pourtant l'admettre explicitement comme tel. Guilbert, par exemple, n'y voit qu'un indice de figement, mais non un critère décisif (1975: 262). Gougenheim paraît être le seul, ou en tout cas l'un des rares, à poser l'absence de déterminant comme critère nécessaire de la LV (1962: 133 et 1971: 56). Pour lui donc, prendrela fuite n'est pas une LV. Mais la plupart des linguistes accordent le statut de LV à de nombreux groupements avec déterminant dans lesquelsils ont l'impression de découvrir une certaine cohésion sémantiqueet/ou syntaxique. C'est le cas naturellement de prendre la fuite, ressenti comme synonyme de/w/r (équivalence avec un verbe unique), défaire la guerre, équivalant à guerroyer, prendre son parti (= se résigner)avoir l'air (= sembler). Pour ce dernier exemple, le vieux problèmede l'accord de l'adjectif reflète bien la cohésion particulière de l'expression: elle a l'air intelligente, de préférence à elle a l'air intelligent,autrement dit, l'adjectif est senti comme un attribut du sujet et non comme une épithète du nom, ce qui suppose une analyse où avoir l'air constitue une entité par rapport à l'adjectif. Mais remarquons, après d'autres (Rothemberg, 1974: 53; Guilbert, 1975: 262), que le déterminantdans ces LV est typiquement figé. Il n'est pas commutable

Side 58

avec d'autres déterminants sous peine de faire perdre à la séquence son
caractère de LV. C'est pourquoi sans doute, lorsqu'on reprend l'exempleprécédent
avec un autre article que le défini, la situation s'inverse:
elle a un air intelligent et non *elle a un air intelligente. En règle
générale, la commutation est tout simplement impossible:
fuite, prendre qne fuite, prendre sa fuite, donner la chasse, mais * donnerune

Parallèlement à l'absence de déterminant, on constate celle de de, caractéristique de l'objet direct indéfini en négation absolue: avoir de l'appétit, n'avoir pas d'appétit - avoir faim, n'avoir pas faim (cf. aussi Rohrer, 1967: 359), *n avoir pas de faim.

Certains ont voulu voir dans cette absence si caractéristique de déterminant une conséquence directe de la non-actualisation de l'élément nominal de la LV, de son statut incomplet en tant que nom, d'une «saisie précoce» (Moignet, 1974: 149-152. Pottier, 1962: 161; Wartburg, 1958: 281). D'autres semblent n'attacher à ce fait aucune signification en arguant de la présence fréquente d'un déterminant figé dans toute une série de LV (voir ci-dessus). Ainsi Van Hout, 1973: 167, mettant en parallèle les expressions // a faim avec il a un rhume, de la fièvre, une bronchite et avec // a la grippe, la fièvre, la rougeole, attribue ces différences au hasard et ajoute: «Ces quantifications sont peu significatives

Quelle que soit l'explication9 qu'on adopte pour rendre compte de ce phénomène, ce qu'il me paraît important de noter ici, c'est qu'elle ne sera pas particulière à la LV en tant que telle (cf. Rohrer, 1967:361). On constate, par exemple, des phénomènes semblables devant l'élément nominal des locutions prépositives: à propos de, au sujet de, à proximité de, aux abords de, à côté de, le long de, etc ... et dans au fur et à mesure; dans des locutions conjonctives: à condition que, au lieu que, de façon que, et d'une façon générale, dans toutes sortes d'expressions figées avec ou sans verbe.

Nombre invariable

Pas plus qu'il n'y a dans la LV d'opposition de déterminants, il n'existe
de possibilité d'opposition de nombre du substantif. Celui-ci est figé soit



9: Les positions mentionnées ci-dessus ne sont d'ailleurs sans doute pas vraiment contradictoires. Si le déterminant est indifférent, c'est-à-dire, s'il n'y a pas normalement possibilité d'opposition, il est effectivement dépourvu de signification, ce qui paraît compatible avec la non-particularisation ou non-individualisation du substantif.

Side 59

au singulier, soit, beaucoup plus rarement, au pluriel. On peut comparer avoir peur avec ses correspondants populaires dont certains sont au singulier,avoir la frousse, la trouille, d'autres au pluriel, avoir les jetons, les foieslo, différence qui ne semble pas pouvoir être justifiée par une quelconque différence de sens (voir aussi Rohrer, 1967: 359, Bernard, 1974: 8). L'invariabilité du nombre peut s'expliquer elle aussi par le statut incomplètement nominal du substantifll et elle n'est pas non plus limitée à LV: à l'avantage de, *aux avantages de, au sujet de, *aux sujets de, aux environs de, *à ¡'environ de, etc. ..

Impossibilité d'insertion

II s'agit en fait surtout de l'impossibilité d'adjoindre au nom de la LV un adjectif quelconque ou toute autre expansion: prendre fin, *prendre heureuse fin (Bernard, 1974: 8), porter plainte, avoir mal, * avoir terrible mal, avoir soin, *avoir soin minutieux, faire rage, *faire rage folle. Il faut naturellement mettre à part les cas où la LV comporte déjà un adjectif et où il n'y a donc pas insertion: avoir beau jeu, faire peau neuve, avoir (bonne, mauvaise) consciencel2, faire (triste, piètre) figur el3, faire main basse, prêter main forte, etc... On doit encore signalerla possibilité d'insertion de quelques adjectifs en nombre très limité:avoir grand-peine à, avoir grand(e) envie, faire grand cas de, avoir pleine confiance, etc ... C'est là un phénomène marginal restreint, semble-t-il, à des adjectifs exprimant le degré et apparaissant en fait comme des équivalents d'adverbes, portant sur l'ensemble de la LV plutôt que sur son composant nominal (cf. Moignet, 1974: 154, qui voit dans ce caractère adverbial de l'adjectif la raison de l'invariabilité de grand; Brunot, 1965: 221; Gougenheim, 1971: 61; Bernard, 1974: 8). Il peut être intéressant de remarquer à ce propos la possibilité de phrases exclamati ves, à valeur d'intensité, du type j'ai une faim! j'ai une de ces



10: On notera l'utilisation obligatoire de l'article défini dans ces expressions populaires face à l'absence de tout article dans avoir peur en dépit de l'identité de sens. Moignet lie ce fait à l'expressivité de ces locutions (1974: 156 note 29). Comparons aussi avoir faim, avoir la fringale.

11: Chafe, dans son étude sur les expressions idiomatiques, explique qu'il ne peut y avoir d'opposition de nombre car le nom n'y est pas sémantiquement présent; il ne représente qu'une forme introduite au niveau post-sémantique. (1978: 123)

12: Qui est une autre LV que avoir conscience de et où il n'y a donc pas eu non plus insertion.

13: Qui n'est pas à confondre avec faire figure de.

Side 60

faims! avec introduction d'un déterminant. Ce qui est donc en fait interdit,c'est l'insertion d'expansions portant spécifiquement sur l'élément nominal et non l'insertion d'expansions en général. On peut comparer ainsi avoir une pleine confiance et avoir pleinement confiance (Gross, p. 6). Le fîgement ou la cohésion de la LV n'implique nullement que soit interdite l'insertion derrière le premier élément, de nombreux adverbesdont c'est la place habituelle: avoir certainement raison, prendre immédiatement parti, faire souvent défaut, etc . . .14

L'interdiction sur l'insertion d'expansions du nom, due peut-être elle aussi à la non-particularisation du nom, n'est pas non plus propre à la LV. On la retrouve, par exemple, dans les locutions prépositives (Gaatone, 1976: 16): à cause de, *à cause évidente de; à proximité de, *à proximité agréable de; aux approches de la ville, *aux jolies approches de; au contraire de, *au contraire absolu de; etc. .. Mais quelques rares exceptions se rencontrent, comme dans le cas des LV; il faut mentionner en particulier le cas de seul, qui semble bien être une réalisation adjectivale de l'adverbe seulement: à l'exception de, *à l'exception étonnante de, à la seule exception de. Ces insertions exceptionnelles ne paraissent possibles que dans des locutions à article.

En ce qui concerne l'adjectif dans la LV, le problème se complique cependant du fait de l'interaction entre adjectif et article. En effet, de très nombreuses LV admettent parfaitement l'adjonction d'un adjectif ou d'une autre expansion à leur partie nominale (sous condition, bien entendu, de compatibilité sémantique), mais cette adjonction même entraînel'apparition obligatoire d'un article: avoir confiance, *avoir confianceaveugle, (Gross, 1971: 6); avoir faim, * avoir faim terrible, de loup, avoir une faim terrible, de loup, avoir envie, *avoir folle envie, avoir une folle envie; prendre plaisir, *prendre malin plaisir, prendre un malin plaisir; faire allusion, *faire allusion insidieuse, faire une allusion insidieuse, etc ... Ce fait peut paraître naturel: une fois particularisé par l'adjectif, le nom exige de l'être aussi par un article. Mais il faut remarquerque



14: II ne semble donc pas qu'il faille voir là, comme le fait Perrot (1968: 290), un cas exceptionnel, digne de remarque, qui serait en contradiction avec une interdiction absolue sur l'insertion d'éléments dans les locutions figées. On ne peut non plus comparer le phénomène examiné ici avec ce qui se produit dans un exemple cité par Perrot, remarquant qu'il y a des insertions impossibles même quand il n'y a pas unité de sens, comme dans *portière verte de wagon. Ici, l'interdiction porte sur la place de l'adjectif (portière de wagon verte est parfaitement possible), alors que, dans le cas discuté plus haut, c'est l'adjonction même de l'adjectif qui est interdite.

Side 61

querqueles LV n'ont pas un comportement uniforme à cet égard; celles que l'on a mentionnées au début de ce paragraphe n'admettent d'insertionen aucun cas. On serait tenté de dire que l'élément nominal y est non seulement non particularisé, mais encore non particularisable. Cette différence ne peut s'expliquer par référence à la notion de LV puisqu'elledistingue précisément des LV entre elles. Elle est liée sans doute à l'écart entre les sens de l'élément nominal dans la LV et hors d'elle et à la plus ou moins grande cohésion de l'ensemble qui en découle.

Quoi qu'il en soit, la nécessité de réintroduire un article en cooccurrence avec un adjectif n'est pas particulière non plus à la LV. Elle est caractéristique de nombreuses constructions syntaxiques françaises. On a ainsi, dans certaines séquences prépositionnelles à fonction adverbiale, une alternance article zéro/article, liée à la présence ou absence d'un adjectif: avec gentillesse, avec une incroyable gentillesse, *avec incroyable gentillesse; par hasard, par un hasard curieux, *par hasard curieux. On la retrouve encore dans les constructions attributives du type Jean est ingénieur, Jean est un ingénieur réputé, *Jean est ingénieur réputé. On la constate enfin dans les syntagmes nominaux du type un homme de talent où l'expansion est souvent considérée comme un équivalent d'adjectif; l'addition d'un adjectif entraîne l'apparition de l'article: un homme d'un rare talent.

Les particularités syntaxiques discutées jusqu'ici paraissent pouvoir toutes être liées, comme on l'a déjà vu, au statut spécial qui est celui de l'élément nominal, dans la LV ou dans d'autres groupements de mots, statut qu'on a essayé de caractériser par des termes tels que «non-particularisation, non-individualisation, non-actualisation, non-concrétisation». Ce semblant de nom, ou ce «faux» nom, semble se trouver en outre, avec le verbe qui le précède, dans une relation de cohésion différente, c'est-à-dire plus forte, que celle qu'entretient avec son verbe un objet direct ordinaire. C'est cette cohésion, ressentie d'une manière ou d'une autre par tous les chercheurs, qui a pu mener certains à parler d'inanalysabilité sémantique ou syntaxique. On a vu que cette dernière notion ne correspondait pas à la réalité pour la grande majorité des LV. Il faut alors s'interroger sur la nature de îa cohésion en question et se demander si elle caractérise effectivement l'ensemble des LV. Les particularités syntaxiques qu'on va discuter dans ce qui suit paraissent susceptibles d'aider à un examen plus approfondi de la cohésion syntaxique entre les deux constituants de la LV.

Side 62

Inversion du sujet

On sait qu'une contrainte assez générale pèse sur l'inversion du sujet en français moderne (comme d'ailleurs sur la construction impersonnelle). En principe, l'inversion d'un sujet nominal (plus précisément, non-clitique) sera interdite si la phrase comporte un objet direct. Cette contrainte peut aisément s'expliquer. Pour que l'inversion puisse placer le sujet derrière le verbe, il faut que la place derrière ce verbe soit disponible, de façon à ce que deux groupes nominaux ne se retrouvent pas côte à côte. On a ainsi Parfois venaient des visiteurs mais non *Parfois apportaient des visiteurs des cadeaux ni *Parfois apportaient des cadeaux des visiteurs. La contrainte est clairement dépendante du statut plein, autonome de l'objet direct. On pourrait s'attendre dès lors à ce qu'elle disparaisse avec des LV si celles-ci jouissent effectivement d'une forte cohésion interne réduisant à rien ou au minimum l'autonomie de l'élément nominal (Blinkenberg, 1958: 160). Cela paraît bien être le cas avec certaines LV du moins pour lesquelles Le Bidois (1952: 154, 165) fournit de nombreux exemples:

la rue où avait lieu l'arrivée ..

les seuls dont tint compte M. Bloch ..

un groupe ... dont faisait partie Saint-Loup ..

ou encore:

là où font défaut de bonnes descriptions ..

c'est donc à l'étranger que virent le jour les méthodes

La grammaticalité de l'inversion varie cependant selon les LV:

quand aura lieu le procès,

? quand auront faim les enfants, .. .
C'est là qu'a pris fin notre histoire

? C'est là qu'ont pris rendez-vous les deux amis
Avant que ne s'évanouisse le malade...

? Avant que ne perde connaissance le malade.

Les facteurs qui interviennent dans la syntaxe de l'inversion sont trop nombreux pour permettre une explication simple de ces différences. Mais il est raisonnable de penser qu'il existe, dans les LV, des degrés de cohésion syntaxique, variant sans doute en fonction de la cohésion sémantique. Il semble en particulier que, plus le sens des éléments dans la LV s'éloigne du sens fondamental, indépendant, moins la cohésion est forte et plus l'inversion devient difficile. Ainsi, dans avoir lieu la

Side 63

cohésion paraît maximale et l'inversion tout à fait naturelle. Il faut cependant tenir compte aussi du fait qu'il peut suffire d'un contexte adéquat pour qu'une inversion devienne possible même sans qu'on ait affaire à une LV, comme l'illustrent les exemples suivants:

Ainsi retrouve toute sa valeur l'idée de genre et de fonction ..

Il serait étrange que ne jouât pas son rôle la science qui étudie ce moyen essentiel
de communication ...

C'est... que

La mise en relief au moyen de c'est... que peut s'appliquer en principe à tout élément lexical, à l'exclusion du verbe. Si la LV était l'équivalent syntaxique d'un verbe, une mise en relief de cette espèce devrait s'avérer impraticable. Si l'on admet que seul le premier constituant de la LV est un véritable verbe, on est encore en droit de penser que la cohésion de l'ensemble, donc la non-autonomie du second constituant, empêchera l'application d'une opération de mise en relief qui consiste formellement en un détachement et déplacement de ce constituant. On peut ainsi comparer:

J'aurai un invité à midi - C'est un invité que j'aurai à midi

Le débat aura lieu demain - *C'est lieu que le débat aura..

J'ai pris le livre - C'est le livre que j'ai pris

Le spectacle a pris fin - *C'est fin que le spectacle a pris

L'enfant a fait un dessin - C'est un dessin que l'enfant a fait

La tempête a fait rage - *C'est rage que la tempête a faite

Cependant, il n'est pas possible d'affirmer qu'on se trouve là en présence d'une interdiction absolue (cf. Fraser, 1970: 33). Certaines mises en relief avec C'est... que paraissent grammaticales, en particulier si le contexte est suffisamment explicite:

? C'est faim que j'ai et pas soif

? C'est patience que j'ai perdu et pas courage

? C'est honte que vous lui avez fait et pas honneur

? C'est peur qu'il me fait et pas pitié

Notons par ailleurs un exemple attesté:

Etait-ce peur vraiment qu'elle avait? (Aragon, La Semaine Sainte, p. 217.)

S'il est vrai que les mises en relief de cette espèce ne sont pas très
nombreuses, il faut en chercher la raison, me semble-t-il, non dans la
LV elle-même, mais dans le rôle linguistique de cette opération. Il s'agit

Side 64

en fait d'un procédé permettant de contraster un membre d'une classe sémantique aux autres membres de cette classe (par exemple, faim, soif, sommeil). Dans le cas des LV, le contraste ne sera possible que lorsqu'il existe plus d'une LV avec un même verbe et des noms différentsbien qu'appartenant à une même classe sémantique. Sans quoi, il ne peut y avoir contraste et le procédé est dépourvu de sens. Les groupes de LV répondant à cette condition sont en très petit nombre, d'où la rareté des exemples. Il semble raisonnable d'étendre ces remarquesà l'opération de restriction (exception) avec ne... que:

Je n'ai que faim, pas soif

II ne me fait que pitié, pas honneur

* L'événement n'a eu que lieu hier

* Je n'ai pris que soin de l'affaire

* Le chasseur n'a fait que feu.

Coordination

La cohésion interne de la LV et la non-autonomie de son élément nominal serait aussi à l'origine de l'impossibilité, constatée par certains, de coordonner un autre nom au nom de la LV (Fraser, ibid., et Rohrer, 1967: 359, à qui j'emprunte les exemples:

* Le général a donné instruction et ordre définitif

* Ça me fait grand plaisir et joie immense

Mais là encore, l'interdiction ne paraît pas absolue. Les exemples suivants
ne semblent pas agrammaticaux:

Nous avons tous faim et soif

II me fait à la fois peur et pitié

On lui a donné tort et raison en même temps

On acceptera aussi:

J'ai plus faim que soif

II me fait aussi peur que pitié

J'en ai plus envie que besoin

En fait, pour que la coordination soit possible, il faut et il suffit que les
noms coordonnés fassent tous deux partie de LV à verbe identique.
Autrement dit, ce qui rend agrammaticaux les exemples ci-dessus, c'est

Side 65

l'inexistence de LV telles que *faire joie et *donner instructionls. Là où
se révèle mieux peut-être la cohésion des LV, c'est dans les exemples
suivants:

J'ai perdu patience et j'ai perdu mon enthousiasme

* J'ai perdu patience et mon enthousiasme

J'ai perdu ma patience et mon enthousiasme

En d'autres termes, la coordination est impossible entre une LV et un
syntagme verbal de verbe identique.

Passif

Le test du passif est l'un de ceux que l'on retrouve le plus fréquemment dans les études sur les LV. C'est qu'il paraît a priori devoir permettre de mieux comprendre la nature de ces expressions. En effet, le processus de passivation implique d'une part une certaine indépendance des deux constituants, c'est-à-dire, l'analysabilité de la LV, puisqu'il passe par leur dissociation et leur permutation; d'autre part, il suppose, pour l'élément nominal de la LV un statut au moins très proche de l'objet direct puisque cette notion fonctionnelle est intimement liée en français à la possibilité de la construction passive. En ce qui concerne ce dernier point, les propriétés discutées jusqu'ici, et plus particulièrement les faits liés à l'inversion du sujet, ne sont guère de nature à renforcer pareille hypothèse. Cependant, Kayne (1975: 209) a montré que, du point de vue de son comportement en construction factitive, l'élément nominal de la LV était un objet direct:

Elle fera entendre raison à Jean

II a fait lâcher prise à son chien

En effet, l'agent de l'action désignée par le verbe à l'infinitif ou, si l'on préfère, le sujet sous-jacent de ce verbe (respectivement Jean et son chien dans les exemples ci-dessus) n'apparaissent précédés de à dans la construction factitive que si le verbe a un objet direct; sinon, il se construit

Elle fera danser Jean

II a fait sortir son chien

Si donc les LV étaient considérées en bloc comme des verbes, le à
n'aurait pas dû apparaître.

15: Même si cette expression existait - elle n'est pas absolument inimaginable - la
phrase resterait bizarre du fait de la coordination de deux noms pratiquement
synonymes.

Side 66

Le test du passif sur les LV ne remplit malheureusement pas les espoirs qu'on y avait mis. Les exemples qui suiventl6 montrent à quel point il n'est pas conclusif. Ils ont été empruntés pour la plupart à Ruwet, 1972: 59, Bernard, 1974: 9, Gross, 1975: 186, Giry-Schneider, 1974: 11-39, Gaatone, 1970: 405:

*Garde (plaisir, froid, fin) a été pris(e). ..

*Feu (mouche, confiance) a été fait(e). ..

*Haleine a été reprise par Jules ...

*Gràce semble avoir été criée par Justine ..

?Prise est lâchée ...

* Rancune a été gardée ..

* Avantage a été tiré

Hommage (justice) a été rendu(e)

Assistance a été prêtée ...

Ordre (congé, tort, satisfaction) a été donné(e)..

Appel (lecture, allusion, campagne) a été fait(e).

Contact (rendez-vous, conscience) a été pris(e)

Argument a été tiré ...

Moyen sera trouvé.

Fin a été misc...

Compte sera tenu ..

Une LV n'est donc pas, d'une façon univoque, passivable ou non passivabl
el7. Son comportement à l'égard de la passivation varie, comme



16: Toutes les LV avec avoir sont absentes de ces exemples puisque ce verbe na pas de passif.

17: Remarquons que certains au moins des exemples donnés comme impossibles au passif deviendraient grammaticaux ou en tout cas meilleurs à la forme passive impersonnelle. Ainsi Gross admet (1975: 186): II a été pris garde à cela II a été pris plaisir à cela On peut aussi proposer: II a été mis fin au débat II a été fait confiance à la direction II a été tiré avantage de cette situation ?I1 a été fait feu de toutes parts Mais cette possibilité est limitée d'une part à certaines seulement des LV et, d'autre part, on sait qu'elle existe aussi ailleurs. On a, par exemple, avec des verbes autrement non passivables: II a été procédé à des élections II a été répondu aux questions II sera traité de tous les problèmes

Side 67

varie le comportement d'autres combinaisons verbales, selon des facteursqui restent assez mal connus jusqu'à ce jour et qui tiennent sans doute, entre autres, au sens du groupe. Seule une théorie du passif, plus précise que celle que nous avons aujourd'hui à notre disposition, pourra tenter de rendre compte des données ci-dessus. Mais il faut renoncer à y chercher une caractéristique de la LVIB.

Pronominalisation et détachement

C'est sans doute à l'absence de déterminant (voir plus haut) et aussi à la cohésion interne des éléments qu'il faut rattacher l'impossibilité notoire de pronominaliser le constituant nominal de la LV (Rohrer, 1967: 358, Rothemberg, 1974: 53) et de le détacher par une pause du reste de l'énoncé (procédé qui suppose un rappel pronominal):

Tu as de la patience? Moi aussi, j'en ai Tu as faim? Moi aussi, *j'en ai *Faim, j'en ai bien entendu 11 a perdu patience et, petit à petit, *je la perds aussi

Les choses sont cependant moins claires quand la LV a un article:

La guerre, certains généraux la font avec plaisir
La vaisselle, ce sont toujours les maris qui la font

Mais tous ne verraient sans doute pas, dans ces expressions, de véritables
LV. En revanche:

*La fuite, il l'a prise pendant la nuit
?La trouille, tout le monde peut l'avoir

II semble que, là encore, on n'ait pas affaire à un comportement unique
de toutes les LV, mais plutôt à une propriété liée au degré de cohésion.

Les phénomènes linguistiques qu'on vient de passer en revue fournissenttous
des indices précieux sur la nature particulière de toutes sortes
de groupes verbaux rassemblés intuitivement sous le nom de LV, en



18: Mentionnons cependant un exemple de Pottier (1974: 266) où la possibilité de passif est liée à la non-lexicalisation. Comparant les deux sens de prendre un autobus, l'auteur remarque que, avec l'interprétation saisir un jouet, l'expression est analytique et peut donc se mettre au passif, alors qu'elle est lexicalisée et donc non passivable, au sens de voyager. Mais on comprend mal alors pourquoi prendre contact, rendez-vous, qui paraissent pourtant autant, sinon plus lexicalisés que prendre i autobus admettent le passif sans difficulté.

Side 68

particulier sur le statut de leur constituant à apparence nominale et sur la cohésion avec le verbe, qui en découle. Mais on a pu observer aussi que certains de ces phénomènes ne caractérisaient pas l'ensemble des LV (par exemple le passif, la mise en relief) et que d'autres n'étaient pas particuliers à la LV, mais se retrouvaient avec d'autres groupes de mots (par exemple l'absence de déterminant, l'invariabilité du nombre, l'impossibilité de certaines insertions). Autrement dit, les règles, sémantiques ou syntaxiques, que devra comporter la grammaire pour en rendre compte, devront être formulées indépendamment de la notion de LV. Il n'y a pas, dans les «bizarreries» discutées ci-dessus, de quoi fonder une classe de locutions verbales.

Si l'on se demande cependant ce qui caractérise les LV en tant que telles, il peut être utile de suggérer la notion d'imprévisibilité. Admettons,en effet, que le verbe avoir ait pour sens fondamental la désignation,au sens large, de la possession. On est alors en mesure de prévoir une infinité de combinaisons possibles de ce verbe avec des noms précédés,conformément à la grammaire des noms, de tel ou tel déterminant:avoir une maison, un livre, de l'argent et aussi puisqu'il s'agit d'un sens large, avoir de la chance, des parents, des ennuis, de la patience,etc... La seule limitation est d'ordre sémantique: il doit y avoir compatibilité entre les traits sémantiques des composants. Dans ces combinaisons, non seulement le sens total est toujours calculable à partirdu sens des éléments, mais la possibilité même de la combinaison ne doit faire l'objet d'aucune mention spéciale; le lexique n'aura donc pas à en tenir compte. En revanche, même si l'on pose un sous-sens spécial de avoir dans le contexte de noms de sensations ou de sentiments, ou, mieux encore, si l'on parvient à dériver ce sens particulier du sens fondamentalou à dériver ces deux sens à la fois de quelques traits sémantiquesde base de avoir, il n'en sera pas pour autant possible de prévoir quelles combinaisons existent et lesquelles n'existent pas, ni quelles combinaisons existent sous forme de syntagme libre et lesquelles n'apparaissentque sous forme figée (par exemple sans déterminant). Autrementdit, avoir honte, honneur, pitié, confiance sont parfaitement analysables comme on l'a montré plus haut, mais ne sont pas prévisibles:synchroniquement, l'existence de pareilles combinaisons est arbitraire.En effet, *avoir fierté, admiration, dégoût, méfiance n'existent pas, en dépit du fait que les noms y désignent aussi des sentiments et on ne voit pas pourquoi ces substantifs, non actualisés, ne pourraient pas

Side 69

former avec avoir des groupes susceptibles de dénoter l'état en rapport avec ces sentiments. Tout compte fait, les LV avec avoir exprimant des sentiments ne représentent qu'une bien petite proportion de celles qu'on pourrait imaginer: *avoir amour, haine, joie, remords, etc.. . Cela est vrai pour beaucoup d'autres cas. S'il y a avoir peur, il n'existe pas *avoir crainte, effroi, appréhension (Gougenheim, 1971: 60) et à côté de avoir mal, on ne trouve pas *avoir douleur, souffrance (ibid.); opposons encore avoir coutume de à *avoir habitude de au lieu duquel existe avoir l'habitude de (mais quelqu'un proposerait-il d'y voir une LV?); prendre la fuite mais non *prendre l'évasion ni d'ailleurs *fair e fuite; à prendre femme (action) ne correspond pas * avoir femme (état); pas de *avoir patience, espoir, courage parallèlement à perdre patience, espoir,courage, ni parallèlement à ceux-ci, *perdre sang-froid, envie, enthousiasme. On peut vérifier en outre que dans la plupart de ces cas, et malgré les affinités de sens avec les LV, un déterminant est obligatoire(autrement dit, si le substantif y est non actualisé, cette propriété ne paraît avoir ici aucune influence), dans d'autres, la combinaison de avoir avec tel ou tel nom ne paraît pas possible même avec déterminant: *avoir de la souffrance, de l'effroi, de la fatigue, (cf. aussi à ce sujet Rohrer, 1967: 361, Bernard, 1974: 7).

Tout cela revient à dire que, pour les mots entrant dans ces groupes non prévisibles, les possibilités combinatoires doivent explicitement figurer au lexique. Comme il s'agit non de combinaisons entre des classes sémantiques, mais de groupements idiosyncrasiques entre éléments individuels, le lexique devra mentionner en fait toutes les combinaisons possibles. Contrairement donc à prendre le livre, prendre patience apparaîtra dans le lexique en tant que groupe. Mais si la forme doit être donnée en bloc, parce que non prévisible, ce ne sera pas nécessairement, comme on l'a déjà vu plus haut, le cas du sens. Celui-ci ne sera donné en bloc que s'il s'agit d'expressions sémantiquement inanalysables telles que celles déjà mentionnées plus haut tenir tête, avoir trait à et peut-être prendre garde, avoir lieu, etc...; il sera donné pour l'un des constituants seulement s'il est le seul à prendre un sens particulier dans la combinaison {avoir faim, etc.. .) pour les deux constituants si la sélection des sous-sens est mutuelle (prendre ombrage, donner raison).

Ce traitement des groupes verbaux non prévisibles n'est certes pas
particulier à ce type de séquences, mais valable pour toutes les combinaisonsnon
prévisibles telles que les locutions prépositives (à cause

Side 70

de, ò l'intérieur de, etc . . .), les locutions adverbiales (par hasard, à peine, en fin de compte, etc. . .), les locutions nominales (appelées quelquefois lexies, synapsies, synthèmes, telles que chemin de fer, pomme de terre, valet de chambre, etc. . .), des locutions adjectivales (bon marché, etc . . .). On a déjà vu que toutes ces locutions pouvaient présenter des particularités syntaxiques, dont certaines ne différaient pas essentiellement de celles qui ont été observées sur les LV, et qui variaient en fonction de leur degré de figement. Peut-être faut-il admettreque ces locutions-là équivalent fonctionnellement aux catégories grammaticales dont elles portent le nom, du fait, en particulier, de la soudure des éléments qui les composent et qui en fait pratiquement de véritables mots. Mais ce n'est pas, on a essayé de le montrer, le cas des LV. Celles-ci, tout en exigeant une analyse en deux constituants dont seul le premier est proprement verbal, fonctionnent cependant à la manière d'une unité complexe, du moins dans de nombreux cas, du point de vue de leur transitivité. On en a vu un exemple à propos de avoir l'air (voir plus haut). On pourrait proposer aussi à l'appui les deux groupes verbaux faire connaissance et faire la connaissance, qui paraissent pratiquement synonymes, mais dont le premier semble se comporter comme une entité par rapport à son complément: \faire connaissance][avec Paul] et le second comme deux éléments séparés [faire] [la connaissance de Paul], d'où la possibilité défaire sa connaissance.Mentionnons encore: j'ai mal à la tête, *j'ai mal de tête, j'ai un mal de tête, où la différence de préposition reflète la différence dans le rapport de tête à ce qui précède. On est tenté de rapprocher ces faits du comportement des groupes factitifs, à propos desquels il n'est plus question de figement, du type faire -\-verbe à l'infinitif, souvent traités en termes de «verbe complexe», du fait, là encore, de leur comportementpar rapport à leurs compléments (cf. à ce sujet Kayne, 1975: ch. 3 et Gaatone, 1976 b: 172). Mais l'étude récente de Giry-Schneider (1978) montre clairement que ce comportement non plus n'est pas particulier à ce qu'on a coutume d'appeler les LV et qu'il semble s'étendre à des portions considérables du lexique. On s'y heurte, à propos des phrases (ibid: 23):

(1) Paul trouble l'enquête sur cette affaire

(2) Paul mène l'enquête sur cette affaire

à ce même problème de la différence dans le degré de cohésion entre
l'objet et le verbe. De nombreux tests permettent de montrer que celle-ciest

Side 71

le-ciestplus forte dans (2). Il y a là, pour le moins, de quoi jeter un
doute sérieux sur l'utilité même de la notion de locution verbalel9.

David Gaatone

Tel-Aviv

Résumé

Grammairiens et lexicologues du français font un usage courant de la notion de «locution verbale», parallèlement à celles de locution prépositive, conjonctive, adverbiale, etc... Dans la tradition grammaticale française, la locution en général, et la locution verbale en particulier, désigne un groupement de deux mots au moins dont le fonctionnement, sémantique et/ou syntaxique, serait en fait celui d'un mot unique. Dans le cas de la locution verbale, les composants sont un verbe suivi d'un élément nominal (quelquefois adjectival), lequel est souvent dépourvu de tout déterminant. L'ensemble est censé être l'équivalent d'un verbe unique (prendre fin -finir, baisser pavillon - céder, tenir tête - résister).

A l'étude, il s'avère qu'il n'existe aucun critère rigoureux qui permette de grouper les très nombreuses expressions auxquelles on attribue communément l'appellation de locutions verbales. Elles ne forment pas nécessairement, ni même fréquemment, des unités inanaiysables sur le plan sémantique et moins encore sur le plan syntaxique. Toutes sortes de «bizarreries» syntaxiques observées dans leur comportement (impossibilité ou difficulté d'insertion d'éléments divers dans le groupe, impossibilité ou difficulté d'opérations telles que l'extraction, le détachement, etc...) peuvent s'expliquer sans référence à l'existence d'une structure définie telle que la locution verbale et, par ailleurs ne sont pas communes à toutes les locutions verbales ni caractéristiques des seules locutions verbales. Les groupes de mots, figés à des degrés divers, que constituent les traditionnelles locutions verbales exigent sans doute, comme d'ailleurs tous les groupes de mots figés de la langue, un traitement spécial dans le lexique, mais rien ne semble justifier l'établissement d'une classe grammaticale de locutions verbales qui supposerait un parallélisme en réalité inexistant entre verbes et locutions verbales, sur le modèle du parallélisme entre prépositions et locutions prépositives.



19: Gougenheim parle explicitement d'une catégorie lexico-grammaticale (1971: 56).

Références

Bally, Ch. (1965) Linguistique générale et linguistique française. 4e éd., Francke, Berne.
Bernard, G. (1974) «Les locutions verbales françaises» in La linguistique, V. 10-2, p. 5-17.

Bjòrkman, S. (1978) Le type avoir besoin. Etude sur la coalescence verbo-nominale en
français. Uppsala.

Blinkenberg, A. (1958) L'ordre des mots en français moderne. 2e éd., V. 1., Munksgaard,
Kobenhavn

Blinkenberg, A. (1960) Le problème de la transitivité en français moderne. Munksgaard,
Kobenhavn

Brunot, F. (1965) La Pensée et la Langue. 3e éd., Masson, Paris.

Casagrande, J. (1975) «Fossilization in French Syntax» in Diachronic Studies in Romance
Lint>ui\tics, P. Saltarelli & D. Wanner eds., Mouton, The Hague, p. 23-35.

Chafe, W.L. (1970) Meaning and thè structure oflanguage. University of Chicago Press.

Chafe, W.L. (1978) «Idiomaticity as an anomaly in thè Chomskyan paradigm» in Foundations
of Language, V. 4, p. 109-127.

Dubois, J., et al. (1973) Dictionnaire de linguistique. Larousse, Paris.

Fraser, B. (1970) «Idioms within a transformational grammar» in Foundations of Language,
V. 6-1, P- 22-42.

Gaatone, D. (1970) «La transformation impersonnelle en français» in Le Français Moderne,
V. 38-4, p. 389-411.

Gaatone, D. (1976 a) «Locutions prépositives et groupes prépositionnels» in Lingüistas,
167, p. 15-33.

Gaatone, D. (1976 b) «Les pronoms conjoints dans la construction factitive» in Revue de
Linguistique Romane, T. 40, p. 167-182.

Giry-Schneider, J. (1974) «Formes passives à sujet sans déterminant - Description» in
Recherches Linguistiques, 2, p. 11-39.

Giry-Schneider, J. (1978) «Interprétation aspectuelle des constructions verbales à double
analyse» in Linguisticae Investigationes, T. 2-1, p. 23-53.

Gougenheim, G. (1962) Système grammatical de la langue française. Ed. D'Artrey, Paris.

Gougenheim, G. (1971) «Une catégorie lexico-grammaticale: les locutions verbales» in
Etudes de Linguistique Appliquée, nouvelle série, 2, p. 56-64.

Grevisse, M. (1959) Le Bon Usage. Grammaire Française. 7e éd., Duculot, Gembloux.

Gross, M. (1971) «Grammaire transformationnelle et enseignement du français» in Langue
française, V. 11, p. 4-13.

Gross, M. (1975) Méthodes en syntaxe. Hermann, Paris.

Haimon, Y. (1979) Contribution à l'étude de la syntaxe de la locution verbale en français
contemporain. Mémoire de maîtrise, Université de Tel-Aviv.

Kayne, R.S. (1975) French Syntax: The Transformational Cycle. M.I.T. Press, Cambridge,

Langacker, R.W. (1972) «French Interrogatives revisited» in General Studies in Romance
Languages, J. Casagrande & B. Saciuk eds., Newbury House Publishers, Mass., p.
36-69.

Le Bidois, R. (1952) L'inversion du sujet dans la prose contemporaine (1900-1950). Ed.
D'Artrey, Paris.

Moignet, G. (1974) «L'adverbe dans la locution verbale» in Etudes de psychosystématique
française. Klincksieck, Paris, p. 137-159.

Newmeyer, F.G. (1972) «The insertion of idioms» in Papers from the Bth regional meeting,
Chicago Linguistic Society, p. 294-302.

Perrot, J. (1968) «Le lexique» in Le Langage, Gallimard, Paris, p. 283-299.

Pottier, B. (1962) «L'absence d'article en français et sa motivation» in Revue de Linguistique
Romane, V. 26, p. 158-162.

Pottier, B. 1973) Le langage. Centre d'Etude et de Promotion de la Lecture, Paris.

Rey, A. (1976) «Structure sémantique des locutions françaises» in Actes du 13e Congrès
international de Linguistique et Philologie romanes, V. 1, P.U. Laval, Québec, p.
831-842.

Rohrer, Ch. (1967) «Définition of locutions verbales» in French Review, V. 41-3, p.
357-367.

Rothemberg, M. (1974) Les verbes à la fois transitifs et intransitifs en français contemporain.
Mouton, The Hague.

Ruwet, N. (1972) Théorie syntaxique et syntaxe du français. Seuil, Paris.

Thun, H. (1975) «Quelques relations systématiques entre groupements de mots figés» in
Cahiers de Lexicologie, V. 27-2, p. 52-71.

Van Hout, G. (1973) Franc - Math. Essai pédagogique sur les structures grammaticales
du français moderne. V. 2, Didier, Paris.

Wagner, R.L. et Pinchón, J. (1972) Grammaire du français classique et moderne.
Hachette, Paris.

Wartburg, W. (von) et Zumthor, P. (1958) Précis de syntaxe du français contemporain. 2e
éd., Francke, Berne.

Weinreich, U. (1969) «Problems in the analysis of Idioms» in Substance and Structure of
Language, J. Puhvel, éd., University of California Press, Berkeley and Los Angeles, p.
23-81.