Revue Romane, Bind 15 (1980) 2

Réponse à Morten Nojgaard

Arne Schnack

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Pour commencer, je tiens à remercier Morten Nojgaard d'avoir bien voulu investir sa grande compétence dans une lecture attentive de mon livre. Je lui accorde volontiers (il est vrai que cela ne me coûte pas cher) que plusieurs points de mon étude auraient pu être approfondis, et que l'ouvrage y aurait gagné, du moins en ampleur. D'autre part, j'avoue que d'une manière générale c'est par principe et non seulement par nécessité que j'ai choisi une attitude un peu laconique pour ce qui est des perspectives philosophiques de mon sujet, voulant gagner en précision ce queje perdais en étendue. Naturellement, étant donné cette prétention à la précision, cela ne me réjouit pas particulièrement que MN, vers la fin de son compte rendu, croie pouvoir relever dans mon étude un certain genre d'imprécisions. J'y reviendrai.

MN constate que je veux «faire œuvre d'historien des idées», et la plupart de ses remarques critiques découlent de cette présupposition. Pourtant, j'ai précisé (p. 8) que je considère mon travail comme une étude littéraire, dont le but essentiel est l'analyse d'un certain nombre de textes en vue de signaler un type bien défini d'images remarquablement stéréotypées. Dans l'introduction du livre, j'exprime l'espoir qu'une telle étude spécialisée et strictement limitée pourra être utile pour ceux qui cherchent à acquérir une compréhension plus complète et plus nuancée de l'idéologie de l'époque romantique (d'ailleurs MN reconnaît avec une bienveillance dont je lui sais gré l'utilité de mon ouvrage), mais pour ce qui est des perspectives idéologiques du phénomène littéraire relevé, j'ai explicitement choisi de m'en tenir à des esquisses et à la présentation de quelques œuvres philosophiques représentatives et particulièrement utiles pour l'interprétation des images étudiées (cf. p. 11-12).

Ainsi, pour démontrer le nouvel intérêt suscité par les profondeurs énigmatiques du moi, j'ai consacré un chapitre aux œuvres philosophiques de Mme de Staël, et, d'une manière moins détaillée, j'ai analysé des tendances parallèles chez Chateaubriand. A chacunde compléter, puisque ce n'est pas dans cette section introductive de mon étude que j'ai aspiré à être complet. A Mme de Staël et à Chateaubriand, MN ajoute notamment Jean-Paul et Maine de Biran. Par là, il ne contredit pas les données de mon étude; bien au

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contraire, il me semble confirmer, tirant profit de ses vastes lectures, que les directions indiquées dans mon travail mènent au centre du problème, à savoir le dualisme chrétien, dont on peut parler longuement, mais dont j'ai dit seulement ce qui me semblait nécessaire pour expliquer la fréquence et l'extension des images en question.

Du point de vue idéologique (et, bien sûr, sans prétendre à faire œuvre d'historien des idées, c'est en vue d'une mise en perspective idéologique que j'ai dressé le bilan des images), Maine de Biran, dont MN regrette surtout l'absence de mon étude, ne me semble pas apporter du nouveau en ce qui concerne l'interprétation des images qui, dans les descriptions littéraires de l'époque, naturisent l'homme: évidemment, comme le dit MN dans son esquisse de l'anthropologie de Maine de Biran, l'ego du personnage romanesque se trouve entre deux possibilités contraires. C'est précisément pourquoi je parle du conflit dualiste.

Donc, si j'insiste tant sur l'importance de tel ou tel philosophe pour Vinterpretation des images étudiées, c'est que mon point de départ, j'y reviens obstinément, n'est pas une étude des philosophes de l'époque, philosophes qui, évidemment, diffèrent sous plusieurs rapports, mais l'analyse d'un phénomène littéraire en tant que témoignage d'une conception spatialisée de l'homme, qui ne trouve peut-être pas une équivalence exacte dans tel ou tel système philosophique, mais dont, à cause de la fréquence même du phénomène en question, il faut penser qu'elle est très généralisée.

Très généralisée - à en juger par les textes dépouillés, qui sont, comme le dit MN, pour la plupart les œuvres «canonisées» par l'histoire littéraire. MN regrette de ne trouver dans mes matériaux qu'un seul auteur «mineur», Eugène Sue. Pourtant, je peux me louer d'avoir déterré un écrivain qui en «minorité» ne le cède pas à celui-ci, à savoir Frédéric Soulié, qui joue un rôle assez important dans mon étude. Or, la présence de Soulié, à côté de celle de Sue, n'est guère suffisante pour satisfaire au désir exprimé par MN d'une plus grande représentation des auteurs populaires. Il va de soi que j'ai beaucoup réfléchi à ce problème, et je reconnais que l'argument qui m'a décidé à donner la préférence aux textes les plus connus n'a pas une valeur absolue. Voici la suite du passage cité par MN: «II est plus profitable pour le lecteur, croyons-nous, de voir sous un nouvel angle des textes qu'il connaît déjà, ou qu'il connaîtra probablement, parce qu'ils ont pour la plupart une importance généralement admise, que de regarder avec une curiosité aimable, mais de commande et bientôt surmenée, des analyses de textes qu'il ne verra jamais» (p. 10). Là, comme ailleurs, j'ai insisté sur l'utilité, ou, si l'on veut, j'ai agi selon une interprétation personnelle de cette notion.

En ce qui concerne la section centrale de mon étude, le classement et les interprétations des images relevées, MN regrette que je n'envisage pas les images d'un point de vue fonctionnel. Je le fais pourtant, mais j'admets que j'aurais pu le faire d'une façon plus systématique. Cependant, le passage même que MN cite comme exemple (Corinne et lord Nelvil sur le Vésuve) est analysé dans mon étude d'un point de vue fonctionnel (p. 118-19), et il en est de même pour un certain nombre d'autres exemples qui y invitent particulièrement.

Toujours à propos du bilan des images, MN estime que je risque de m'enfermer dans un cercle vicieux en ne signalant que les exemples qui correspondent à mes critères de sélection(explicités p. 34-38). J'avoue que je n'y comprends rien. Si j'avais postulé que les images de la nature servent toujours, à l'époque romantique, à évoquer les profondeurs démoniaques dans l'âme des personnages, et que ces aspects menaçants de l'homme sont évoqués uniquement par des images du type défini, si j'avais prétendu définir l'époque par

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les images et les images par l'époque, on pourrait peut-être parler d'un cercle vicieux, ou plutôt d'une tromperie, intentionnelle (donc vicieuse elle aussi) ou involontaire. Pourtant, je souligne dès le début de mon étude que j'étudie un certain emploi des images de la nature qui n'a guère attiré l'attention des chercheurs, disant, à la première page déjà, que dans la majorité des cas ies images de la nature ont d'autres fonctions plus traditionnelles et mieux étudiées.

Loin de m'engager dans un cercle vicieux, qui implique qu'on ne démontre rien, j'apporte
une contribution -je ne dis pas spectaculaire, mais très réelle - à nos connaissances
sur la littérature romantique.

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il ne serait pas intéressant d'étudier par exemple la dimension horizontale exprimée dans certaines images, comme le propose MN; cela signifie, tout simplement, qu'en ne le faisant pas j'ai fait preuve d'une fidélité obstinée à mes prémisses. Je me loue de cette fidélité, mais je comprends fort bien qu'on puisse penser, selon sa conception de la pertinence en matière d'analyse littéraire, que ces prémisses rétrécissent un peu trop les perspectives de l'ouvrage. Donc, je consens pleinement à la remarque de MN disant qu'il y aurait lieu «de compléter l'ouvrage d'AS par une étude historique approfondie des vicissitudes philosophiques et littéraires de l'anthropologie romantique.» Je considère ma propre étude comme une pierre d'un tel édifice.

Ces remarques m'amènent à reprendre le problème des «imprécisions» effleuré au début de cette réponse. En général, ce mot doit faire allusion aux perspectives et aux références que MN ne trouve pas dans mon étude. J'ai dit là-dessus ce que j'avais à dire. Dans le contexte plus étroit du mot, cette expression résume l'avis de MN sur mes conclusions concernant l'idée que se font les romantiques de la nature.

Sur ce point, je dois m'être exprimé d'une manière qui prête à confusion. MN précise, voulant corriger mon exposé, que «la nature extérieure constitue pour les romantiques (. . .) une force positive, exaltante», et que c'est «la nature humaine» qui à leurs yeux constitue une menace. Je souscris volontiers à ces remarques. Ce que je pense avoir démontré, c'est qu'à l'époque romantique on constate, à côté d'une solidarité heureuse entre l'homme et la nature, une complicité, si l'on veut, entre certaines impulsions cachées et menaçantes de la personnalité humaine et certains éléments de la nature, complicité qui se traduit, bien sûr, par un emploi métaphorique de ces éléments de la nature extérieure. C'est pourquoi, dans le passage cité par MN, je parle précisément d'une oscillation significative devant Xinterprétation (littéraire) de la nature, sachant fort bien que les romantiques, même les plus tourmentés, ont éprouvé une grande joie en évoquant les lacs, les prairies et les forêts.

Pour la même raison, et à rencontre de ce qu'affirme MN au début de sa présentation
du livre, je ne distingue pas dans mon texte entre les XVIIIe et XIXe siècles quant à
F «humanisation de la nature».

Donc, pour remédier aux éventuelles imprécisions qui pourraient troubler la compréhension de certains passages de la conclusion du livre, je tiens à préciser, d'accord sur ce point avec MN, qu'aux yeux des romantiques ce n'est pas la nature qui représente une menace, mais le côté nature de l'homme.

Copenhague