Revue Romane, Bind 15 (1980) 2

Karl Johan Danell: Remarques sur la construction dite causative. Faire (laisser, voir, entendre, sentir) + Infinitif. Acta Universitatis Stockholmiensis, Romanica Stockholmiensia 9. Stockholm, Almqvist & Wiksell International, 1979. 123 p.

Povl Skårup

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Le titre de cette monographie ne dit pas qu'elle ne traite que du français littéraire contemporain,avec
quelques exemples antérieurs. On n'y trouve rien sur les dialectes ni sur les
autres langues romanes et très peu de notes sur l'ancien français. Je ne reproche pas à

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KJD ce parti pris synchronique et non-comparatif, sans lequel sa description aurait eu
plus de relief: je lui reprocherai au contraire de ne pas l'avoir suivi avec plus de rigueur.

Le corpus de KJD comprend 4800 exemples qu'il a relevés lui-même dans des textes parus depuis 1947, et en outre tous les exemples de faire + inf. contenus dans les matériaux du Trésor de la Langue Française à Nancy et datant des périodes 1946-1964 (4000 exemples), 1880-92 et 1789-1815. Tous les exemples cités d'avant 1946 datent de ces deux périodes (il n'y a donc rien pour la période située entre 1892 et 1946), et ils ont tous faire + inf. (non laisser, voir, entendre, sentir + inf.). Pour la période qui suit 1946, KJD a environ 6000 exemples défaire + inf., dont env. 2000 notés par lui-même, et env. 2800 exemples des autres verbes, tous relevés par lui-même. C'est dire que l'ouvrage est de loin l'étude la mieux documentée qui existe jusqu'ici sur la construction en question. Si l'on a besoin de renseignements sûrs sur cette construction, c'est chez KJD qu'il faudra les chercher.

Si on ne les y trouve pas toujours, c'est pour deux raisons. Malgré la richesse des matériaux entiers de KJD, le nombre d'exemples de certains cas particuliers peut être trop restreint pour permettre des conclusions. Mais c'est aussi que, comme l'indique très bien son titre, l'ouvrage n'est pas une description complète ni systématique, mais «cinq chapitres qui relèvent chacun un aspect de la construction FF; le lecteur pourra d'ailleurs les lire dans l'ordre qui lui plaira».

Avant de suivre cette invitation, faisons d'abord quelques observations d'ordre général.

Le groupe verbe + infinitif a parfois le choix entre deux constructions équivalentes:
laisser faire qc ci qn ou laisser qn faire qc, il le peut faire ou il peut le faire. C'est qu'ils
ont le choix entre deux structures syntaxiques:

(1) Verbe + inf. constituent un seul membre verbal composé, dont les deux éléments
n'ont pas chacun leurs propres régimes (cf. les temps composés);

(2) Verbe + inf. constituent deux membres, dont chacun peut avoir ses propres compléments
(cf. prier qn de faire qc).

Des règles plus générales impliquent que la différence entre ces deux structures se manifeste
par trois critères:

(a) Un pronom personnel régime direct ou indirect de l'inf., y compris v et en, se place:

(1) auprès du verbe régissant (avant ou après le verbe, selon les règles générales:

Faites-le tuer): il le peut faire, il se faut venger; le pronom est omis s'il est
coréférentiel avec un autre régime du verbe composé (le «sujet» de l'inf.): il la fait
asseoir;

(2) auprès de l'inf.: // peut le faire, il faut se venger, il la voit s'asseoir.

(b) Un «sujet» de l'inf. qui n'est pas un pronom personnel ni relatif-interrogatif se place
en français moderne:

(1) après l'inf.: il fait asseoir Lucie, à l'exception de tout, rien, qui se placent normalement
avant l'inf.: il fera tout sauter;

(2) avant l'inf.: il voit Lucie s'asseoir.

(c) Si la même proposition contient à la fois un «sujet» et un régime direct de l'inf., le
«sujet» s'exprime par:

(ljun pronom personnel datif: 7c le lui fais faire, ou un syntagme prépositionnel avec
a OU par I de: je le fais faire a I par j de qn;

(2) un régime direct du verbe régissant: je le vois le faire, je vois Lucie le faire.
Ce dernier critère n'implique pas que dans (1), le «sujet» ne puisse pas parfois s'ex-

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primer par un pronom datif ou par à I par / de. . . même si l'inf. n'a pas de régime
direct, voir plus loin.

Dans les deux structures, un pronom relatif-interrogatif «sujet» ou régime de l'inf. se
place au début de la proposition;

un pronom personnel «sujet» de l'inf. se place auprès du verbe régissant: je la fais asseoir, je la vois s'asseoir, je le lui fais faire; dans la structure (1) le «sujet» pronominal peut également s'exprimer par par / de + pronom: je n'ai point besoin de me faire connaître de toi (Saint-Exupéry, Citadelle, 304);

un complément de l'inf. qui n'est pas un pronom personnel ni relatif-interrogatif se place
en français moderne après l'inf.: je lui fais faire qc, je le vois faire qc, à l'exception de
tout, rien, qui se placent normalement avant Y mi.: je ferai tout repeindre.

Un régime de l'inf. qui est coréférentiel avec le «sujet» de l'inf., et qui est par conséquent
un pronom réfléchi, peut être traité, par rapport aux critères indiqués, comme un pronom
ou comme un préfixe, voir plus loin.

Des trois critères indiqués, ce n'est que le premier qui s'applique aux verbes qui impliquent la coréférence de leur sujet avec celui de l'inf.: il le peut I va faire: al, ou il peut / va le faire: a2, // oublie de le faire: a2, etc. Tous les critères ne s'appliquent qu'aux verbes qui n'impliquent pas cette coréférence: faire, laisser, voir, entendre, sentir, étudiés dans le livre de KJD, et aussi envoyer, (a-, em-)mener, conduire, et encore obliger qn à faire qc, prier qn de faire qc, et même falloir (où le «sujet» de l'inf., s'il est exprimé, l'est par un datif: // lui faut le faire).

La construction verbe + préposition +- inf. a toujours la structure (2) en français moderne: j'oublie de le faire, je lui reproche de le faire, je le prie de le faire, non *je l'oublie de faire, *je le lui reproche de faire, *je le lui prie de faire. Sans préposition, les verbes modaux et autres qui impliquent la coréférence de leur sujet avec celui de l'inf., ont changé de (1) à (2): il le peut I va faire est désormais archaïque. Cela vaut également pour il faut, dont le sujet n'a pas de référence: il se faut venger est archaïque. Pour les autres verbes, dont le sujet a une référence différente de celle du «sujet» de l'inf. (à moins que celui-ci ne soit un pronom réfléchi), et qui ne font pas non plus précéder l'inf. d'une préposition, le choix entre les deux structures est l'un des problèmes les plus importants.

L'établissement de ces deux structures est justifié par le fait qu'une proposition ne peut pas choisir la structure (1) selon l'un des trois critères mais la structure (2) selon un autre. Cela implique qu'on peut dire soit // le laisse faire à / par qn: al-bl-cl, soit // laisse qn le faire: a2-b2-c2, mais non, avec le même sens, *il le laisse faire qn: al-bl-c2, ni *// le laisse qn faire: al-b2-c2, ni *// laisse le faire qn: a2-bl-c2, ni *// laisse le faire à I par qn: a2-bl-cl. On peut dire soit // le lui laisse faire: al-cl, soit /'/ le laisse le faire: a2-c2, mais non *// lui laisse le faire: a2-cl. On peut dire // envoya promener la correction (Sandfeld, Inf., § 108): al-bl, et elle envoyait une infirmière la remplacer (ib.): a2-b2-c2, mais non *elle envoyait la remplacer une infirmière: a2-bl-c2 (pour obtenir cet ordre des membres, il faudrait esquiver la construction verbe 4- inf. en disant elle envoyait, pour la remplacer, une infirmière). On peut dire il fait asseoir Lucie: al-bl (ou il fait s'asseoir Lucie, voir ci-dessous), et // voit Lucie s'asseoir: a2-b2 (ou se traité comme un préfixe, voir ci-dessous), mais non *il voit Lucie asseoir: al-b2 (KJD, p. 40; dans le tour, ajourd'hui vieilli,je fais en aller Lucie: al-bl, en est devenu préfixe de même que dansée me suis en allé, des heures en allées et que dans enfuir, envoler).

J'ai dit qu'un pronom réfléchi régime de l'inf. et coréférentiel avec le «sujet» de celui-ci
peut être traité comme un pronom ou comme un préfixe. En effet, s'il était toujours traité

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comme un pronom, un exemple comme celui-ci: il fait s'asseoir Lucie, comporterait une contradiction entre les critères: a2-bl-c2, et pour les critères (a) et (c) il serait contraire également à la règle qui dit que faire + inf. évite la structure (2). Dans cet exemple, le pronom réfléchi n'influence pas la construction, il est traité comme un préfixe: le critère (a) n'est pas appliqué puisque se n'est pas traité comme un pronom, ni le critère (c) puisque se n'est pas traité comme un régime direct. C'est également comme un préfixe que se est traité dans je l'en ferai se souvenir, où en précède ferai conformément à al (cet exemple est donné par Littré, s.v. aller, avec la variante je l'en ferai souvenir, où se est traité comme un pronom de même que en et omis selon al). C'est également comme un préfixe que se est traité dans L'étonnement lui avait fait se dire tout bas .. . (Paul Bourget, 1886, cité par Alfred Johansson dans Mél. Cari Wahtund, 1896, p. 106), où, conformément à cl, le «sujet» de l'inf. est un pronom datif puisqu'il y a aussi un régime direct, à savoir l'énoncé qui suit (dans cet autre exemple tiré du même roman: Cette admiration qui la faisait se dire . . „ on a la structure (2) comme souvent chez Bourget et, en général, à cette époque, voir plus loin). Ajoutons que c'est comme un préfixe qu'est traité le pronom réfléchi lorsque, contrairement à d'autres régimes directs, il n'empêche pas l'emploi de // sujet impersonnel: /'/ se trouve que, mais cela (non *il) l'ennuie que (tPré)publications 39, avril 1978, p. 49). - D'autre part, le critère (a) est visiblement appliqué au pronom réfléchi dans ta paix se pourra faire (Corneille, La Veuve, 1479), // s'en faut servir (ib., 1200); ce qui est archaïque ici, c'est la structure (1), ce n'est pas la place du pronom réfléchi étant donnée la structure (1). C'est également si le pronom réfléchi est traité comme un pronom qu'on comprend le mieux son omission et les conditions de celle-ci, par exemple il fait asseoir Lucie, il la fait asseoir: si le critère (a) y était appliqué sans l'omission du pronom, le verbe composé (fait asseoir) aurait deux régimes coréférentiels, le «sujet» et le «régime»de l'inf.; or une règle générale dit que si un verbe, simple ou composé, peut avoir deux régimes à condition que l'un soit régime indirect, il ne peut pas avoir deux régimes coréférentiels. - II faut conclure que le pronom réfléchi peut être traité comme un préfixe ou comme un pronom. Il est traité comme un préfixe dans il fait I voit s'asseoir Lucie (voir ci-dessus) et dans // la fait s'asseoir (puisque faire + inf. a presque toujours la structure (1)); il est traité comme un pronom dans ta paix se pourra faire et dans il fait I voit asseoir Lucie, il la fait I voit asseoir; il est traité comme un préfixe ou comme un pronom dans // voit Lucie s'asseoir (structure (2)) et dans ta paix pourra se faire, il la voit s'asseoir (structure (1) avec se préfixe, ou (2) avec se préfixe ou pronom). Si l'omission du réfléchi est plus rare avec laisser, voir, entendre qu'avec faire, c'est que lorsqu'il est traité comme un pronom, il fait préférer, avec ces verbes-là, la structure (2), où il n'est pas omis, et lorsqu'il est traité comme un préfixe, il n'influence pas le choix entre (1) et (2), mais il n'est pas omis non plus.

Après ces prolégomènes un peu longs, mais fondamentaux, j'en reviens à l'ouvrage de KJD. Celui-ci ne parle pas des structures (1) et (2), mais il n'en offre pas moins de nombreux renseignements sur le choix entre elles pour faire et laisser et voir, entendre, sentir et d'autres verbes de perception (mais non pour envoyer: pourquoi distinguer ainsi?).

Dans le chap. 2, KJD étudie ce choix pour laisser, voir, entendre, sentir et d'autres verbes de perception. Il est vrai que le titre du chapitre ne parle que de la place du syntagme nominal «sujet» de l'inf, le critère (b) ci-dessus. Mais heureusement, KJD n'examine pas seulement le choix entre il laisse partir qn et il laisse qn partir et entre // laisse faire qc par qn et // laisse qn faire qc, mais encore entre // lui laisse faire qc et /'/ le laisse faire qc et entre // le lui laisse faire et il le laisse le faire, où il ne s'agit pas de la

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place du «sujet», mais bien du choix entre (1) et (2), selon les critères (a) et (c). (Sans
«sujet», il n'y a pas de choix, puisqu'on a toujours (1), et la proposition est souvent
ambiguë sans son contexte: // les regardait tuer, Sandfeld, Inf., p. 179.)

Dans ces constructions, KJD montre que sentir se distingue de laisser, voir, entendre par le fait que (2) est plus fréquent que (1) même lorsque l'inf. n'a pas de compléments: Pierre sentit ses pieds monter (p. 38) est plus fréquent que Pierre sentit monter ses pieds. On peut ajouter qu'avec sentir, un régime de l'inf. semble exclure toujours la structure (1): ils sentaient une même langueur les envahir tous les deux, non *ils se sentaient envahir par une même langueur (on emploie souvent une construction avec cet ordre des éléments, mais avec le participe passé: ils se sentaient envahis par...). Ceci vaut d'ailleurs également pour envoyer (sauf dans la locution figée // ne le lui a pas envoyé dire), et pour d'autres verbes.

Pour laisser, voir, entendre, il faut considérer d'abord l'infinitif: certains infinitifs font presque toujours choisir (1). Il est vrai que KJD n'est pas explicite sur la question de savoir si c'est l'infinitif ou le groupe verbe + infinitif qui fait choisir (1). Il cite laisser tomber, laisser passer, voir (ap)paraître et plus loin laisser croire, entendre dire, sans nous informer sur voir I entendre + tomber ¡ passer / croire, laisser / entendre + (ap)paraître, laisser / voir + dire. Est-ce que ces derniers groupes ne favorisent pas (1) autant que les premiers? Ou est-ce seulement que ces groupes sont rares ou absents dans les matériaux de KJD? La question n'est pas sans pertinence pour l'explication de faits. - II s'agit défaire sans complément (après laisser, voir, regarder, entendre, p. 17-18) ou avec régime direct (seulement après voir?, p. 44; un exemple contraire est cité à la p. 45), tomber (laisser tomber, plusieurs significations, un exemple contraire est cité, p. 18-20), apparaître, paraître et verbes analogues (seulement après voir?, c'est ce que supposerait l'explication offerte; quelques exemples contraires sont cités, surtout avec entrer, p. 20-21), croire, penser, entendre, etc., que KJD appelle des verbes «psychologiques» et que d'autres appellent des verbes d'opinion ou de perception (seulement après laisser?, p. 41-44). On constate la même tendance lorsque l'inf. est un verbe déclaratif comme dire sans régime datif (seulement après entendre?, p. 44): // a bien souvent entendu dire à son pere que (p. 45), mais là on évite souvent l'ambiguïté soit en préférant par, soit surtout en utilisant la structure (2): // a entendu son père dire que.

Suivis d'autres infinitifs, laisser, voir, entendre ont (1) ou (2), et KJD étudie des facteurs qui favorisent statistiquement l'une ou l'autre de ces deux structures. Un «sujet» de l'inf. qui est «lourd» favorise (1): on entendait bourdonner des mouches paresseuses. Si le «sujet» de l'inf. est un appellatif précédé d'un article possessif ou un nom propre, (2) est plus fréquent. Des compléments de l'inf. favorisent également (2); c'est là qu'il faut ranger aussi un pronom réfléchi qui n'est pas traité comme un préfixe, et également les autres régimes directs de l'inf. (après avoir mis de côté les infinitifs «psychologiques» qui ont presque toujours (1), même avec un régime direct).

Le choix entre (1) et (2) avec laisser, voir, entendre est peut-être influencé par d'autres facteurs aussi. D'après Richard S. Kayne (French Syntax, The Transformational Cycle, 1975, p. 226), la coexistence d'un régime direct et d'un «sujet» de l'inf. excluerait (2) si le «sujet» est un pronom relatif: on laissera ce garçon lire tes livres (ou à ce garçon) et on le laissera lire tes livres (ou lui), mais non "le garçon qu'on laissera lire tes livres (seulement à qui). A-t-il raison? - Avec un régime datif de l'inf., (1) paraît s'employer très peu hors du type elle s'est vu refuser l'entrée du club, où le datif est coréférentiel avec le sujet du verbe régissant: à côté de tu l'entendras te rire au nez (Saint-Exupéry, Citadelle, 343), on

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ne dirait guère *tu te i entendras rire au nez. On sait que cette construction est bien possible a\ec faire + inf., où il y a trois possibilités pour les groupes de deux pronoms, me le, le lui: datif: «sujet» et accusatif: régime (il me le fait croire), accusatif: «sujet» et datif: régime datif de l'inf. ( ... cette relation. La situation sans exemple où je me trouve me la fait apparaître lumineusement, Tournier, Vendredi, folio, p. 133; un exemple analogue est cité par Sandfeld, Pron., p. 12), accusatif: régime direct et datif: régime datif de l'inf. (il me le fait donner), avec risque d'ambiguïtés. - D'après Sandfeld, Pron., pp. 11 et 13, suivi en cela par Togeby, Fransk grammatik, § 233, l'impératif empêcherait Laissez-la-moiregarder côté de Laissez-moi la regarder. Mais Grevisse, Le Bon Usage, §§ 482.3° et 1008 Rem. 1 donne ces exemples (sans nom d'auteur): Ce livre, laissez-le-moi lire (ou laissez-moi le lire), Ces livres, regardez-les-lui relier (ou regardez-le les relier). Ce devoir, faites-le-leur recommencer (sans autre possibilité). Qui a raison, de Sandfeld-Togebyou de Grevisse? Ou Sandfeld voulait-il dire simplement que lorsque le pronom suit l'impératif, il précède l'infinitif?

Faire + inf. a presque toujours la structure (1) dans la langue d'aujourd'hui. C'est (1) qu'on a dans faisant se retourner plusieurs passagers (p. 52, se traité comme un préfixe) et dans/c//7e.v-/f venir. Dans le chap. 5, KJD étudie des cas de (2). Il aurait fallu distinguer entre les auteurs nés avant la fin du siècle dernier, y compris Gide, Cendrars, Guéhenno et Aragon (la syntaxe de celui-ci est de toute façon très personnelle), et les auteurs postérieurs. En effet, ceux-là se servent de (2) dans plusieurs cas où ceux-ci l'éviteraient, tant dans le / la j les + faire + inf. + régime direct, que dans faire + «sujet» nominal + inf., et dans pron. + faire + pron. non réfléchi + inf. Si les matériaux de KJD, qui comprennent ceux du Trésor pour les périodes indiquées, ne contiennent plus d'exemples comme celui-ci: // me lui fît parler (Montesquieu, cité avec d'autres exemples analogues dans ma thèse, Les Premières zones, p. 103—4), ils ne contiennent pas non plus d'exemples du tour recommandé par les grammairiens pour éviter les groupes pronominaux interdits, // me fît lui parler, chez des auteurs plus jeunes que Gide. Et le tour qui l'imite, (7 me fît les fréquenter (pour lequel il me les fît fréquenter serait parfaitement possible et normal), n'est pas relevé, dans les matériaux de KJD, chez des auteurs plus jeunes que Cendrars, sans compter un exemple défaire devenir, groupe qui semble défier toutes les règles, du moins chez Saint-Exupéry et Jankélévitch (un des exemples de celui-ci est d'ailleurs mal cité p. 90, cf. le même exemple p. 85). C'est qu'on préfère éviter les groupes pronominaux inusités non pas par la structure (2): pron. + faire + pron. + inf., mais soit par la structure (1) avec le «sujet» exprimé par par I de + pron.: pour me faire aimer d'eux (p. 63; j'ai cité plus haut un exemple analogue), soit parfaire (en sorte) que (p. 104-6), soit par un des nombreux synonymes.

Si l'on écarte du chap. 5 tous les exemples provenant d'auteurs qui ont ou auraient 80 ans ou plus aujourd'hui, il reste très peu d'exemples défaire avec la structure (2). Si l'on excepte faire devenir, il n'en reste aucun du type pron. + faire + pron. + inf., un seul du type faire + «sujet» nominal + inf. (encore cet exemple provient-il d'une épigramme attribuée à un ancêtre lointain, M. Aymé, Clérambard, p. 120), aucun du type le fait apercevoir / souvenir que (les deux exemples cités datent de 1800 et de 1805, les deux exemples plus récents ont lui) et trois du type le / la I les + fait + inf. + régime direct: il la fanait prendre place (Simenon), qui le faisait appeler ¿i l'aide l'Angleterre (Abellio), pour le faire quitter le ring (B. Clavel). Dans le français d'aujourd'hui, faire + inf. a donc très rarement la structure (2).

La structure (1), où faire + inf. constituent un membre verbal composé, n'implique pas

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que ce membre verbal ne puisse pas être accompagné d'un pronom datif ou de à + ... sans que la même proposition contienne également un régime direct, tout comme un verbe simple peut être accompagné d'un datif sans régime direct (je lui parle de qc, je lui obéis). Ce cas, que KJD étudie dans une des sections du chap. 5, se rencontre surtout dans des propositions qui contiennent un complément prépositionne! qui se rattache aussi étroitementau verbe régissant qu'un régime sans préposition: pour lui faire renoncer à sa juridiction sur le couvent (p. 77), Mais toute tolérance accordée aux fanatiques leur fait croire immédiatement à de la sympathie pour leur cause (M. Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, folio, p. 238). De l'avis de KJD, le complément prépositionnel serait un accusatifau niveau conceptuel mais un objet indirect au niveau syntaxique; cette incompatibilitéserait dissimulée par le mécanisme vague, qui permettrait au cerveau de partir de l'une ou de l'autre définition. Il me semble plus simple d'y voir une contamination entre deux constructions existantes (au niveau syntaxique, si l'on veut): entre le faire renoncer à qc et lui faire abandonner qc, entre le faire croire à qc et lui faire croire qc. Quant à ce dernier modèle, il est en effet frappant que la plupart des verbes qui apparaissent dans la construction^ lui fais + inf. + régime prépositionnel puissent également s'employer avec régime direct: penser à qn / qc - penser qc, changer de qc - changer qc, etc. L'emploi du datif, qui est de rigueur dansée- lui fais penser I changer I .. . qc, s'est répandu (facultativement)à partir de cette construction avec régime direct pour parvenir à la construction avec régime quelconque, même prépositionnel. - Ou à la construction sans régime aucun: je lui fais comprendre (p. 79); dans je le fais comprendre, le est toujours le régime de l'inf., jamais le «sujet». - On peut ajouter qu'on relève également faire + inf. + par... sans régime direct ni indirect: Si je fais trahir je ferai trahir par des traîtres. Si je fais bâtir je ferai bâtir par des maçons (Saint-Exupéry, Citadelle, p. 311).

Dans le chap. 4, KJD examine le choix entre à, par et de + nom pour exprimer le «sujet» de l'inf. dans la structure (1). Les règles qu'il établit lui permettent de proposer une explication du fait que certains verbes ne s'emploient guère dans la construction faire + inf.: *faire embêter j agacer / ennuyer. On aurait aimé savoir également s'il y a des facteurs qui peuvent exclure à /par / de après faire + un inf. qui entre très bien dans cette construction. KJD suggère l'existence de ces facteurs ailleurs (p. 86, en parlant du type faire qn faire qc), mais sans préciser. - A la fin de ce chapitre, KJD parle brièvement du «sujet» pronominal. Dans ce contexte, j'aurais aimé être renseigné sur le cas où l'inf. régit un datif. Ce cas est étudié par Kayne (dans l'ouvrage cité, pp. 281-298), d'après qui on peut dire Cela fera téléphoner Jean à ses parents et Cela le fera téléphoner à ses parents, mais non *Cela leur fera téléphoner leur fils 'That will make their son téléphone to them', ni *Cette nouvelle nous l'a fait téléphoner 'Thèse news made him téléphone to us', *On la leur fera répondre They'll make her answer them' (mais cf. l'exemple de Tournier cité plus haut). A-t-il raison? On ne pourra se fier à la réponse à cette question que si elle est basée sur des matériaux authentiques comme ceux de KJD.

Dans le ch. 6, enfin, KJD étudie le choix entre faire et laisser avec inf.

On peut espérer que KJD utilisera ses riches matériaux pour nous donner des renseignementsultérieurs sur la construction faire + inf. Ainsi, outre les questions que j'ai posées dans ce qui précède, j'aimerais être mieux renseigné sur le cas où l'inf. régit un second infinitif: En décembre 1203, il fit jurer aux consuls de Toulouse de garder la foi catholique (Fernand Niel, Albigeois et Cathares, Que sais-je 689, p. 71; un exemple analogue est cité par Ebbe Spang-Hanssen, Les prépositions incolores, p. 132). Cette constructionrare est presque la seule où la fonction d'un infinitif (régime direct ou régime

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indirect, membres définis d'après la forme d'un pronom occupant la même fonction) soit
pertinente pour une règle grammaticale (voir (Pré¡publications 22, février 1976, p. 9).

L'intérêt de l'ouvrage de KJD réside surtout dans les renseignements qu'il offre sur l'usage grammatical. Mais on y relève également des observations d'ordre plus général. Ainsi, KJD montre les difficultés que certains cas présentent à ceux qui se proposent de décrire la construction faire + inf. en la dérivant de structures plus élémentaires (pp. 21-25). Il montre les risques que courent ceux qui se fient trop à des informateurs (p. 18). Il propose enfin un «modèle vague» qui permettrait d'expliquer ce que d'autres linguistes expliqueraient par une contamination (KJD a exposé la notion du vague dans les Actes du 6e Congrès des Romanistes Scandinaves d'Upsut 10-15 août 1975 et dans Studia Neophilolofiica 50, 1978).

L'ouvrage de KJD se distingue de celui, cité plus haut, de Kayne (voir le compte rendu de Cari Vikner, Revue Romane, XII, 1977, 348-357), par le fait de ne pas offrir, comme celui-là, un système cohérent de règles, mais aussi par le fait d'être basé, contrairement à celui-là, sur une documentation. Celle-ci est même très ample, et elle est présentée de façon à permettre au lecteur de trouver des renseignements authentiques sur les problèmes les plus importants que pose la construction étudiée.

Ârhus