Revue Romane, Bind 15 (1980) 2

Lélia Picabia: Les constructions adjectivales en français, systématique transformationnelle. Librairie Droz, Genève-Paris, 1978. 198 p.

Ole Mørdrup

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L'auteur fait partie de l'équipe de Gross à L.A.D.L. à Paris, qui a déjà fait paraître chez Droz Boons, Guillet et Leclère (1976) La structure des phrases simples en français et Giry-Schneider (1978) Les Nominalisations en français, mais l'ouvrage le plus important de L.A.D.L. reste Gross (1975) Méthodes en syntaxe.

Tous ces travaux concourent au même but: l'élaboration d'un lexique-grammaire qui «tente de définir les structures syntaxiques et leur réseau de relations pour les éléments lexicaux qui acceptent ou n'acceptent pas d'y entrer» (Boons, Guillet et Leclère 1976, 34). C'est d'ailleurs dans ce dernier livre, où est exposée la méthodologie de l'équipe, que l'on trouve la meilleure introduction à tous ces travaux (p. 7-52).

Cette étude n'est donc pas un travail isolé, mais elle fait partie de tout un ensemble. La
contribution de l'auteur est l'analyse des constructions adjectivales: «sujet - être - Adjectif»,
suivies ou non d'un complément.

Il s'agit d'une version élargie d'une thèse de 3e cycle, soutenue en 1970.

L'ouvrage de Picabia comprend six chapitres et un index sur les adjectifs qui n'entrent
pas dans les 13 premières classes.

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Le chapitre I (p. 12-30) traite des problèmes des données, puisqu'il n'est pas évident de
savoir ce qu'est un adjectif.

L'auteur discute dans le chapitre II (p. 31-41) des hypothèses de travail dont la plus
importante est qu'il est possible d'étudier les adjectifs dans un cadre analogue à celui des
verbes (cf. Boons, Guillet et Leclère 1976).

Le chapitre 111 (p. 42-49) est consacré aux problèmes de la complémentation des adjectifs.
Comme l'étude est centrée sur les adjectifs ayant un complément, il est essentiel de
délimiter ce groupe avec précision.

Le chapitre IV (p. 50-61) concerne les propriétés par rapport auxquelles les adjectifs
sont étudiés.

Picabia présente dans le chapitre V (p. 62-86) les tables 1-13 en donnant des remarques sur les particularités de celles-ci. Le chapitre VI (p. 87-112) traite de quelques problèmes qui restent (la structure «No est Adj à V-inf», le causatif, les compléments en «de la part de» et la relation entre les constructions «Qu P est Adj de la part de N» et No est «Adj de V°-inf Q»).

Il y a enfin les tables (p. 113-130). La dernière partie du livre est réservée à une liste des
adjectifs qui restent (p. 147-191) et à une introduction à cette liste.

Pour donner une idée des proportions de cette étude, citons: «la liste de base comporte environ 4.000 adjectifs. Ils sont séparés en 16 classes de constructions et décrits par une distribution de 86 propriétés» (p. 8). C'est d'ailleurs «500 des 4.000 adjectifs seulement qui ont un complément que l'on puisse considérer comme caractéristique. La variété de leur comportement nous les a fait répartir dans 12 des 16 classes» (p. 8). La table 13 contient les participes passés employés adjectivalement (c'est d'ailleurs ici que l'on trouve la seule erreur grave: les participes commençant par les lettres DIS- jusqu'à RAM- manquent). Les trois dernières classes n'ont pas été représentées par des tables, mais ces adjectifs (environ 3.500) sont codés dans l'index.

Chaque table représente un sous-ensemble de la matrice générale de sorte que le
nombre de propriétés étudiées dans chaque table n'excède pas 20 et descend même jusqu'à
5 pour la table 13. Pour les autres, le nombre oscille entre 12 et 16.

Pour mener à bien cette étude, l'auteur s'est trouvé en face de deux problèmes fondamentaux:
d'une part, délimiter la classe des adjectifs, et, d'autre part, une fois les adjectifs
délimités, déterminer ceux qui se construisent avec un complément.

Picabia a abordé le premier problème en établissant une liste de tous les termes appelés
«adjectifs» dans Le Petit Robert. De cette liste d'environ 9.000 termes, elle en a écarté
principalement cinq groupes:

1. les adjectifs strictement épithètes (e.g. «nautique, ministériel»).

2. les participes (ont seulement été retenus les participes ayant une certaine autonomie
face aux verbes).

3. les adjectifs-noms tels que «chanteur, cordonnier, boulanger», etc.
4. les adjectifs trop techniques ou scientifiques.

5. les adjectifs dérivés, lorsque la règle de formation reste productive (e.g. «nerveux -
hypernerveux», «alcoolique - anti-alcoolique», «national - supranational»).

Le deuxième problème est discuté dans le chapitre 3. Il n'est pas facile de définir le
complément d'un adjectif, lorsque celui-ci n'est pas obligatoire. Voici les exemples suivants
(p. 44):

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(1) Jean est adroit

(2) Jean est adroit de ses mains

(3) Jean est adroit à défaire les ficelles emmêlées
(4) Jean est adroit d'éviter Marie

(5) Qu'il parte est adroit (E +desa part)

Pour savoir si ces compléments sont effectivement des compléments d'«adroit», il faut disposer de quelques critères qui permettent de décider; et Picabia finit par adopter la solution suivante: «Nous considérons que les compléments à étudier sont ceux appelés objet de l'adjectif par la grammaire traditionnelle (Blinkenberg I960)» (p. 45). Ces compléments ont, entre autres, la propriété de répondre à une question («de qui, de quoi, à qui, à quoi, combien») et d'être pronominalisables.

La conclusion principale de Picabia est que les adjectifs «peuvent être considérés comme une catégorie lexicale propre» (p. 107), même s'il n'est possible d'en donner qu'une définition négative. Cette conclusion fait suite à l'hypothèse, inspirée par Lakoff (1970) lrregularity in syntax, qu'«adjectifs et verbes font partie de la même catégorie lexicale» (. 38), hypothèse émise pour justifier la méthodologie de cette étude.

La méthode choisie soulève des questions autrement importantes, puisque cette étude ne porte, en fait, que sur 500 adjectifs sur 9.000. Les raisons invoquées par Picabia pour écarter plus de la moitié des éléments recensés originellement peuvent certes se justifier, mais il ne reste pas moins qu'il faut trouver une méthode adéquate pour faire la description de ces éléments. D'autres élèves de Gross ont apporté une réponse partielle à ces questions en rapprochant des structures comme «Pierre est stupide d'aimer Marie» - «Pierre a la stupidité d'aimer Marie» (A. Meunier, cité d'après Boons, Guillet et Leclère 1976, 33).

Il faut sans doute admettre que l'idée de Gross: étudier les éléments lexicaux non pas de
façon isolée, mais seulement dans le cadre des phrases (simples) a ici atteint une de ses
limites.

Ces remarques critiques ne doivent pas faire oublier que l'étude de Picabia est un bon
travail qu'on ne peut se passer de lire si l'on veut étudier sérieusement les adjectifs en
français.

Copenhague