Revue Romane, Bind 15 (1980) 2

Marie-Louise Moreau: C'est. Etude de syntaxe transformationnelle. Ed. universitaires de Mons, Mons, 1976. 242 p.

Ole Mørdrup

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Les phrases clivées (e.g. «c'est Pierre qui est venu») et les phrases pseudo-clivées (e.g.
«ce queje veux, c'est du champagne») ont toujours constitué un domaine privilégié dans
la grammaire generative transformationnelle.

Il a semblé évident à beaucoup de linguistes que ces constructions étaient dérivées
transformationnellement. On a donc discuté longuement de la question de savoir quelle
dérivation (et quelles transformations) proposer pour ces phrases.

Moreau a voulu faire le bilan de cette discussion tout en proposant des hypothèses
personnelles sur la façon dont sont engendrées les phrases clivées et les phrases
pseudo-clivées.

Outre ces deux constructions, le travail de Moreau traite également des phrases avec

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détachement (e.g. «Mon oncle, c'est un général») et des phrases «A est B». Ces dernières
sont, dans l'optique transformationnelle qu'adopte l'auteur, à la base de toutes les autres
constructions.

«C'est» comprend cinq chapitres. Le premier (p. 11-34) donne une «description sommaire des constructions étudiées.» Le deuxième chapitre (p. 35-64) traite des phrases «A est B». Dans ce chapitre est également introduite PERMUTATION-MIROIR, une transformation qui constitue le pivot du système établi par Moreau. Ch. 111 (p. 65-92) est consacré aux phrases avec détachement. Ch. IV (p. 93-170), le plus long du livre, porte sur les phrases pseudo-clivées et le dernier chapitre (p. 171-227) concerne les phrases clivées.

Dans ces deux derniers chapitres, Moreau examine de façon détaillée toutes les dérivations transformationnelles qui ont été proposées pour rendre compte de ces constructions avec leurs variantes possibles. Elle évalue les mérites et les inconvénients de chaque dérivation pour finir par adopter la dérivation suivante pour les pseudo-clivées (p. 134 et sv.):


DIVL6284

Pour les phrases clivées, elle choisit la solution que voici (p. 220 et sv.):


DIVL6286

Au lieu de critiquer ces hypothèses, qui sont d'une certaine manière dépassées par
l'évolution de la linguistique, nous essaierons de situer le livre de Moreau dans son contexte
pour mieux le comprendre.

La base de «C'est» est sa thèse de doctorat, soutenue en 1970. Il ressort également de
la bibliographie que cette étude est essentiellement fondée sur des travaux antérieurs à
1970, et il n'y a pas de référence ultérieure à 1973.

Cela signifie que cette étude s'inscrit dans la foulée de Chomsky (1965) Aspects of the Theory of Syntax. Moreau mentionne «Remarks on Nominalizations» (1970) et »Deep structure, surface structure and semantic interprétation» (1971), mais ces articles n'ont pas de conséquences pour le cadre théorique, qui reste celui de la théorie standard. Les travaux dont Moreau fait le bilan dans ch. IV et V se situent eux aussi dans la période suivant immédiatement «Aspects».

Tout cela a pour conséquence que cet ouvrage reste dans les limites relativement étroites
de la syntaxe, ce qui est la faiblesse fondamentale de cette étude comme nous allons le
voir plus loin.

Dans le chapitre 11, Moreau établit une série de tests pour déterminer quel constituant
est le sujet profond dans les phrases «A est B».

Les plus importants parmi ces tests sont les suivants:

1. C'est .. qui

Si, dans une phrase «A est B», on peut insérer A entre «c'est» et «qui», alors que ce n'est
pas possible pour A, A sera considéré comme le sujet profond.

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(1) Horatio est le meilleur ami d'Hamlet

(2) C'est Horatio qui est le meilleur ami d'Hamlet

(3) *C'est le meilleur ami d'Hamlet qui est Horatio

«Horatio» est donc le sujet profond dans (1) (ces exemples sont dus à Ruwet 1974, «Les
phrases copulatives en français», 145).

2. Quel

Si, dans une phrase «A est B», on peut donner comme réponses «A est B» et «B est A» à
la question «Quel est B?», B sera considéré comme l'attribut profond.

(4) Quel est le meilleur ami d'Hamlet?

(5) R.: Horatio est le meilleur ami d'Hamlet

(6) R.: Le meilleur ami d'Hamlet est Horatio

«le meilleur ami d'Hamlet» est donc l'attribut profond. D'autres tests concernent l'insertion
de «ne . . que», des phénomènes de référence et de temps.

Il est important pour Moreau de savoir si c'est A ou si c'est B qui est le sujet profond, parce que l'on a, dans la plupart des cas, à la fois «A est B» et «B est A». La question se pose alors de savoir comment rendre compte des relations qui existent entre ces phrases. Pour résoudre ce problème, Moreau énonce l'hypothèse que «B est A» est dérivée de «A est B» à l'aide de la transformation PERMUTATION-MIROIR sans trop se soucier d'éventuelles différences sémantiques entre «A est B» et «B est A.» L'auteur ne cherche pas non plus à savoir si les phrases «A est B» constituent un groupe homogène tant d'un point de vue syntaxique que d'un point de vue sémantique.

Les tests donnent apparemment des résultats homogènes, mais il est possible de construire
des exemples où ce n'est pas le cas (pour des détails, voir Ruwet (1974), 180).

La raison pour laquelle Moreau est amenée à proposer cette transformation, c'est sa
discussion, d'ailleurs fort intéressante, sur la notion de sujet. Voici ce qu'elle dit (p. 36):

(7) On est en droit en effet d'exiger d'une définition syntaxique que tous les éléments qui y répondent
partagent un ensemble de propriétés syntaxiques spécifiques.

Comme A et B n'ont pas les mêmes propriétés en position sujet dans «A est B» et «B est
A», l'auteur ne peut accepter B comme sujet profond dans «B est A».

Si l'on récuse l'analyse transformationnelle, comme le fait Ruwet 1974, à la suite de Higgins (1973) The Pseudo-cleft Construction in English, pour proposer que tant «A est B» que «B est A» sont engendrées dans la base, on devra abandonner une définition précise du sujet.

Il sera évidemment souhaitable que l'exigence de Moreau en (7) puisse être satisfaite. Sinon les définitions syntaxiques n'offriront pas beaucoup d'intérêt. Il semble cependant que l'analyse de Moreau ne soit guère vraisemblable à la lumière de la critique de Ruwet 19741.

Cette critique porte essentiellement sur le point suivant: on ne peut savoir si une
analyse donnée est vraisemblable sans mesurer toutes les conséquences de cette analyse



1: Cet article est annoncé comme la première partie d'une étude sur les phrases copulatives. A ma connaissance, la deuxième partie n'a pas encore paru. J'ai en outre une connaissance directe de la critique de Ruwet, ayant assisté à son cours du printemps 74, qui avait comme sujet les phrases copulatives.

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sur la grammaire dans sa totalité. Plus concrètement, cela veut dire que même si l'analyse
de PERMUTATION-MIROIR semble au premier abord très séduisante, on peut seulement
l'évaluer en mesurant les conséquences sur toute la grammaire.

Le projet de Moreau a précisément été de vouloir expliquer les phrases «A est B», les clivées, les pseudo-clivées et les phrases avec détachement sans tenir compte des données sémantiques. Or il ressort de l'analyse de Higgins 1973 qu'il est possible de distinguer au moins quatre groupes pour les phrases «A est B». Ces phrases ne constituent donc pas un ensemble homogène comme le présuppose Moreau. Il s'avère en plus (voir Ruwet 1974) que si l'on veut maintenir l'analyse transformationnelle, PERMUTATION-MIROIR perd sa belle simplicité, parce qu'il est nécessaire d'incorporer pas mal de phénomènes que cette transformation était censée expliquer sous forme de conditions sur son application.

En fin de compte, l'analyse par PERMUTATION-MIROIR n'a pas de pouvoir
explicatif: «elle n'éclaire pas les propriétés des phrases «A est B», et elle entraîne toutes
sortes de complications» (Ruwet 1974, 181).

Quelle leçon tirer de cet échec? Avant tout qu'il n'est pas possible de s'en tenir strictement aux faits syntaxiques pour expliquer des phénomènes linguistiques. Parfois, il peut être utile de faire abstraction des faits sémantiques, mais dans ce cas il faut y revenir plus tard pour les intégrer dans l'analyse.

Il faut souligner que l'entreprise de Moreau n'a pas été vaine. Par son examen de ces constructions, elle a mis au jour beaucoup de faits, de même que son travail a fait avancer nos connaissances sur ces phrases par la critique que son étude a soulevée. Une critique qui n'aurait pas vu le jour, si son travail n'avait pas été si bien fait.

Copenhague