Revue Romane, Bind 15 (1980) 2Le Beau Sauvage dans Degréspar Niels Iversen Dans cet article, je me propose d'étudier le rôle mythique de l'Amérique dans le dernier roman de Michel Butor, Degrés. C'est l'lndien, le Beau Sauvage, qui est le porteur du mythe butorien. En quoi consiste ce mythe butorien? Disons brièvement qu'il revient à une totalisation qui consiste par exemple en un dépassement du conflit classique entre nature et civilisation, et posons tout de suite que l'Amérique représente la nature et l'Europe la civilisation dans l'œuvre de Butor. Dans Rép. 11, on
trouve des commentaires sur l'lndien, p. ex. dans
Quand il [l'lndien] ~ était nu ou couvert de peaux de bêtes, il avait quelque chose de fier et de grand; aujourd'hui des haillons européens, sans couvrir sa nudité, attestent seulement sa misère: c'est un mendiant à la porte d'un comptoir; ce n'est plus un Sauvage dans ses forêts. (Rép. 11, p. 169) Le rôle de
l'Europe, évoqué par le mot haillons, est d'attester la
misère; [...] l'homme y
est en effet plus harmonieux, (...) il y a beaucoup
moins de combat Dans ces deux
commentaires, on voit clairement en quoi consiste la
Bison et loupOn sait que le
point de départ de Degrés est le désir éprouvé par le
Side 186
neurdeson neveu Pierre Eller. Il choisit le 12 octobre pour faire une leçon hors programme. Le sujet en est la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, qui eut lieu le 12 octobre 1492. Ce jour-là Eller fête ses 15 ans. L'intention de
Pierre Vernier est avant tout qu'Eller prenne conscience
En se faisant initier à la découverte de l'Amérique, Pierre Eller devient le représentant de ce continent en tant qu'lndien, le Beau Sauvage; par contre, Vernier représente l'Europe. Eller fait, avec quelques camarades, du scoutisme, activité qui connote Y indien, à cause du contact avec la nature. Le thème de la nature est donné discrètement par cette observation entre parenthèses: (M. Bailly; à l'autre extrémité de l'étage, écrivait au tableau devant ses troisième un passage du Livre de la Jungle) (Degrés, p. 17). La patrouille de Pierre porte le nom révélateur de «Bisons», symbole américain par excellence de la pureté mythique. Il est très attiré par le scoutisme, mais l'abandonne en rompant avec Vernier. On peut avancer que la nature équivaut à la sexualité et que le rôle de Vernier est justement de supprimer cette sexualité. On a l'impression qu'il s'agit d'une colonisation sexuelle d'Eller par Vernier. Eller n'est pas
seul à symboliser la nature refoulée. La même fonction
[...] Un
Nord-Africain, le visage presque entièrement caché par
des bandes de On le retrouve
partout dans le roman, p. ex. pp. 77, 78, 265, 271 et
376. J'ai eu un peu
peur, je n'ai pu m'empêcher de t'appliquer cette parole
(a lean and La citation se
trouve dans la partie du roman où Vernier donne la
parole à 1: Mon commentaire. Side 187
A lean and hungry look, un regard maigre et affamé, de plus en plus un regard de loup, qui brûlait d'une espèce d'inquiétude, quand il se tournait vers toi, de plus en plus enfoncé, comme s'il avait eu un masque, une fausse peau, un autre regard, mais qui faisait penser au regard de ce Nord-Africain qui t'avait appelé dans le crépuscule, «petit, viens petit» [...] et tu avais été étonné de penser alors à ton oncle Pierre et si on lui arrachait ce sparadrap, que trouverait-on? Des poils de loup. {Degrés, p. 379) II y a donc identification entre Vernier et le Nord-Africain, ce qui correspond à la colonisation de l'Afrique du Nord par la France (le roman fut écrit en pleine guerre d'Algérie, pendant laquelle Butor signa la fameuse «Déclaration des 121»). Tous les deux provoquent chez Eller une angoisse, ce qui est dû probablement aussi au thème homosexuel indiqué. Le loup apparaît dans les rêves de Pierre Eller, et il se reflète également dans deux noms de sa classe, Wolf et Bernard De Loup. Eller rêve d'Ulysse qui arrive au pays des Phéaciens (le chant six). C'est un parallèle avec le sixième livre de YEnéide (la descente aux Enfers) que lit Delmont dans la Modification. Cette descente ou arrivée s'interprète comme une initiation, liée à la réalisation possible de la sexualité. Ulysse est décrit comme voici: II a peur de
s'endormir, il a peur des loups, il n'y avait pas de
loups dans cette Jouret décrit la
même nuit mais vue par Vernier: II avait
l'impression d'entendre la voix de Micheline Pavin qui
hurlait [...] Il s'est Dans la dernière description, on voit la première identification de Pierre Eller et de Micheline Pavin (la fiancée de Vernier) qui sont tous les deux porteurs d'une sexualité possible, mais perdue. Cette identification indiqueainsi l'ambiguïté du Beau Sauvage. Butor inscrit explicitement Ulysse dans la sexualité et la connaissance. Eller et Alain Mouron, un copain, discutent de la traduction du vers 129 du chant six. Leur traductionen est fausse et joue sur deux homonymies grecques, fotos, génitif de fos qui veut dire respectivement «homme/héros» et «lumière». Il utilise donc l'homonymie pour mettre ensemble l'homme/le héros et la lumière, métaphore courante de la connaissance (cf. le feu dans l'Emploi du temps). Mais il y a aussi une autre homonymie, medea, «parties génitales Side 188
de l'homme» ou «pensée» («medea» - «pensée» - serait une forme participialeinusitée de «medomai»; pour ce qui est du second sens, la forme la plus courante est «metsea», «medea» étant une forme ionienne, cf. dict. Bailly, p. 1237). Cette homonymie réunit la connaissance et la sexualité: [. ..] Ulysse, le divin, est sorti du fourré (jeu de mots sur «fourreau»?). Il a cassé un rameau de feuilles dans la broussaille, épaisse, avec sa forte main, pour qu'il voile; et là, je n'y comprends rien, medea photos, tu vois medea, ça peut vouloir dire les pensées, ou les parties de l'homme, photos la lumière ou l'homme; est-ce que c'est pour cacher ses pensées? {Degrés, p. 376) Dans mon analyse, le loup s'interprète comme expression de la sexualité réprimée, chez Vernier en tant qu'oppresseur et chez le Nord-Africain et Eller en tant qu'opprimés. La répression de la sexualité est justement un des thèmes majeurs de l'Odyssée où le voyage peut s'interpréter comme une compensation de la sexualité (cf. les épreuves de la chasteté d'Ulysse et de Pénélope). On trouve une symbolisation de la sexualité réprimée dans le fait que plusieurs personnes souffrent d'un mal de dents, p. ex. Pierre, Vernier et Mouron. En plus de cela, Vernier'et Mouron se font couper les cheveux. Les dents et les cheveux sont d'une importance non négligeable; pendant un cours, Pierre tombe malade (il a été tellement colonisé par Vernier), et dans cette scène on retrouve les cheveux et les dents: Ta respiration
était devenue rauque; tes lèvres se retroussèrent, tu
avais l'impression Les dents et les
cheveux symbolisent l'oppression et la colonisation, au
A son tour, Vernier souffre d'un mal de dents juste après qu'il a entrepris le travail sur son projet: «ta dent commençait à te faire mal» (Degrés, p. 221). Et l'on sait que le refus de la sexualité, le sacrifice des désirs, était une condition sine qua non pour la réussite du projet de Vernier, cf. son refus de tutoyer Micheline Pavin et le fait qu'il se sent obligé de mener une existence monacale pour que son projet réussisse. (Degrés, p. 100). Eller est sur le
point de se confondre avec Vernier. Il devient le loup
Side 189
II s'agit d'un sacrifice des désirs chez les deux Pierre (qu'on est très tenté de confondre à cause du prénom commun). Eller se retire de la vie de scout parce qu'il est colonisé par son oncle. C'est ainsi qu'il perd le contact avec la nature. Ce contact, Vernier le perd en renonçant à la sexualité, représentée par Micheline Pavin. Cette renonciation à la sexualité entrave sa connaissance: II la regardait, il ne regardait pas le film; elle, au contraire, était prise par le spectacle et ne faisait pas attention à lui. Il se demandait ce qu'il convenait d'oser, ce qu'elle attendait [...] il commençait à avoir faim [sic]. Il s'est penché vers elle, son genou a touché le sien [...] puis s'est écarté. (Degrés, p. 319) On voit là clairement le conflit entre les principes masculin et féminin. Ce conflit équivaut à la dichotomie civilisation/nature. La colonisation de Pierre/Amérique par Vernier/Europe se retourne contre lui-même, puisqu'il perd la possibilité d'être rajeuni. Il a perdu le Nouveau Monde. Dans son essai «Chateaubriand et l'ancienne Amérique», Butor écrit: Peut-être que cette «civilisation d'une nature différente» et ici il faut insister sur le mot «nature», le prendre dans son sens le plus concret, peut-être que grâce aux conditions naturelles particulières du continent américain, cette civilisation aurait réussi ce miracle de s'accroître sans vieillir, sans perdre son harmonie, sans que vienne cette scission fatale entre nous-mêmes et nos instincts, entre nous-mêmes et le reste du monde. [...] En ce sens un Christophe Colomb américain serait venu nous civiliser. Et c'est cette possibilité que l'invasion européenne a étouffée dans l'œuf. C'est donc son propre salut que l'oppresseur s'est interdit. Les conquérants se sont damnés par leur triomphe. (Rép. 11, p. 181) C'est justement
le cas de Vernier, et c'est dû au fait que Pierre se
retire/se OedipeLe roman se lit facilement comme une variation sur le thème d'Œdipe. D'abord, il s'agit bien sûr de Pierre Eller, mais aussi de Denis Régnier, ce qui se voit déjà dans leurs relations familiales compliquées. On sait que l'institution familiale est la base même du projet de Vernier: [...] cette
abondance de proximités familiales [...] me décidait à
entreprendre la Dans Rép. I
Butor décrit le rôle de la famille en disant qu'elle est
à la fois Side 190
{Rép. /, p. 7). L'auteur attache à cette institution une énorme importance,et pourtant la famille explose. On peut combiner la famille et les dichotomies ouvert/clos et centre/non-centre; une «famille nucléaire», comme disent les sociologues, risque facilement de prendre une structure fermée, immobilisante et castratrice, «la famille se clôt, se ferme sur elle-même» (Roudaut, 1964, p. 96). C'est là une indication (chez un critique, il est vrai) de la structure circulaire, le cercle vicieux que combat Butor. On peut objecter qu'Eller ne peut pas avoir la position d'Œdipe par rapport à Vernier, puisque celui-ci n'est pas son père, mais son oncle. Cependant, leurs relations semblent normales. C'est Vernier qui invite Eller à son anniversaire et il joue ainsi un rôle paternel; il habite chez les Eller, et de plus, on n'entend pas parler du père biologique de Pierre Eller. Cet effacement du père biologique se retrouve d'ailleurs dans les autres romans de Butor, ce qui permet des «malentendus» quant au père de Louis Lécuyer dans Passage de Milan, et à celui de Jacques Revel dans VEmploi du temps. Le jour de son anniversaire Eller se fait initier par Vernier en assistant au fameux cours sur la découverte de l'Amérique. Le soir, ils sortent ensemble, et dans la description de cette soirée, on trouve des expressions telles que cérémonies, franchir un seuil, et regard nouveau {Degrés, pp. 150-151). Vernier lui offre de la bière et une cigarette «sans se douter de ce que cela signifiait pour [lui]» (ibid.). La scène se passe rue des Saints-Pères, indication évidente de la tradition selon laquelle c'est aux vieux de la tribu de faire comprendre aux néophytes les mystères lors de leur initiation. La thématique de Degrés est presque toujours mise en évidence à l'aide de citations (on en a totalisé 135), et cela est vrai aussi pour l'initiation. Les élèves lisent un texte de Rabelais sur l'éducation des enfants: «car, dorénavant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra issir de cette tranquilité et repos d'étude». {Degrés, p. 66). Le thème père-fils se trouve indiqué dans un petit dialogue entre deux camarades de Pierre; Vernier se sert de Pierre comme indicateur pour se procurer des renseignements supplémentaires sur la classe. Cela rend les rapports de Pierre avec ses camarades un peu problématiques: «Ce que tu es méfiant. - Je viens d'un collège de pères». {Degrés, p. 333). Le jeu de mots établit une liaison entre le Père et les jésuites/le catholicisme, qui subit chez Butor une critique mortelle en tant que représentant d'un eurocentrisme faussant la réalité. Le fait qu'Eller
renonce à aider Vernier provoque l'échec du projet de
Side 191
ce dernier et partant sa mort. C'est l'histoire de l'échec de la totalité qu'a voulue Vernier. Sa mort n'est pas un parricide explicite; cependant, il ne faut pas analyser, je crois, les mythes chez Butor à la lettre. Il s'en sert justement pour en donner une autre lecture. Le Père qui dans
une pensée psychanalytique équivaut au Surmoi,
En revanche, on trouve le parricide dans quelques citations de Shakespeare (Jules César). Pierre demande à son frère de bien vouloir l'aider à traduire: «- Si tu pouvais me raconter. - César se fait tuer par son fils adoptif, Brutus, ces Romains...» (Degrés, p. 343). Les citations tirées de Jules César reflètent la mort de Vernier; on peut avancer que Pierre Eller est le fils adoptif de Vernier (cf. la description de l'anniversaire). Examinons d'un peu plus près la signification de l'initiation que j'ai mentionnée plusieurs fois. C'est un stade de transition dans le processus de la connaissance, où le néophyte se fait mettre au courant des questions fondamentales de l'existence. Il s'agit d'une connaissance qui est totalisante en ce sens qu'elle englobe une mise en évidence de certains aspects de l'inconscient, une «montée» de cette partie du Moi. Et cette connaissance est très liée àla sexualité. Cela se voit p.ex. dans la mise en parallèle jungienne de l'initiation et du processus de l'individualisation, car dans celui-ci se réalise l'intégration de l'inconscient, qui contient des composantes sexuelles très fortes. Deux OedipeComme figures œdipiennes il n'y a pas que Pierre Eller et Denis Régnier (voir plus bas), il y a aussi Vernier qui a, lui, une double position. Il symbolise le Père/I'Europe, mais en voulant la totalité il est lui-même une figure œdipienne comme Eller (cf. leur prénom commun qui cause un malentendu, «Je crains quelque chose pour Pierre. - II prend ses risques. Nous verrons. - Je pensais à ton neveu.» (Degrés, p. 386)). Il y a dans le mythe d'Œdipe une discrimination intéressante entre les dieux pour qui l'inceste était un privilège, et le simple profane pour qui l'inceste était tabou. (Freud, 1944b, p. 347) Les composantes les plus importantes de l'inceste sont deux choses qui caractérisent les dieux: V existence éternelle et la connaissance totale ¡suprême. Pour les êtres humains, le simple profane, c'est le contraire; on pourrait dire que la condition humaine est exprimée par le tabou de l'inceste. Side 192
L'effort humain pour obtenir la totalité (i.e. le dépassement du conflit corps/âme ou nature/civilisation) et par là l'harmonie a trouvé une expression symbolique dans la Tour de Babel, à laquelle Jouret compare le projet de Vernier. On peut donc avancer que Vernier a essayé de ravir les privilèges aux dieux, à savoir la connaissance totale/suprême et la jeunesse éternelle, «le bain de Jouvence». Le continent américain représente en effet ce rajeunissement mythique (voir plus haut la citation de Rép. 11, p. 181). Il n'y réussit pas, il est puni, car il vole aux dieux leur discours, exprimé par le cercle et le globe dont il se sert comme moyen d'orientation. Son discours se veut global, et c'est là une attaque contre les dieux. On trouve une scène tout à fait parallèle dans le vitrail de l'ancienne cathédrale de Bleston (YEmploi du temps, p. 78). Le projet de Vernier échoue parce que le cercle, symbole céleste et spirituel, donc masculin, exclut la matérialité, qui est plutôt féminine. Sa faute consiste donc en une application d'un discours global (i.e. désir d'une description totale de la terre) qui tend à déformer la réalité humaine et matérielle. Un discours a priori global, ce que Raillard appelle «une composition toute faite», ne peut en effet nullement faire partie d'un processus dialectique et mobile. Un discours qui se veut global, et donc fermé, correspond au point métaphysique d'Archimède hors du monde. Et le point où Butor veut faire sortir le monde de ses gonds se trouve dans «ce divin monde» (Génie du lieu, p. 132). Le résultat du projet de Vernier est décrit comme la Tour de Babel (dont l'inachèvement était une punition des hommes par Dieu) en spirale, une ouverture du «cercle de mon discours», dont il n'a compris que trop tard ce qu'il a de clos. On peut objecter que c'est étrange qu'il y ait deux Œdipe dans un même livre, Eller et Vernier. Il y a pourtant une réponse possible, une réponse qui se base sur le fait qu'il existe deux versions du mythe dans deux civilisations différentes, l'Egypte et la Grèce. Scriabine distingue les deux versions en combinant la version égyptienne et le mythe solaire. Le sphinx représente ainsi le roi, le pharaon, qui est à la fois homme et dieu (Scriabine, 1977, p. 20). C'était le droit et le devoir de cette personne royale de commettre l'inceste. Ainsi, il se recréait et devenait du même coup son propre père; il obtenait donc une existence éternelle et une connaissance totale/suprême, exactement comme les dieux. Scriabine avance que l'union d'Œdipe avec sa mère est «significative en Egypte de Side 193
sa nature
divine, mais [elle est] racontée par les Grecs comme un
crime Mais si on devine à l'arrière-fond le mythe égyptien de l'auto-genèse des dieux, la quête douloureuse du roi infortuné aboutit à la découverte de sa nature transcendante, autrement dit a la suprême connaissance et à l'immortalité. (Scriabine, 1977, p. 32) Elle justifie son interprétation en disant qu'on ne pouvait pas «soupçonner la nature solaire de l'énigme et le sens de l'expression «taureau de sa mère» qui accompagna le nom du dieu Re» (ibid. p. 34), avant de comprendre les hiéroglyphes, dont le déchiffrement est mentionné plusieurs fois dans Degrés, p.ex.: [. ..]
j'expliquais à tes camarades [que] Champollion avait
réussi à déchiffrer les Butor pose explicitement le déchiffrement et la connaissance des hiéroglyphes. Il n'y a donc plus d'énigme! C'est une invitation directe à placer l'Œdipe égyptien dans Degrés. En expliquant la découverte de Champollion à ses élèves, Vernier voit «leurs yeux s'ouvrir, l'envie de voyage se propager d'une tête à l'autre comme un incendie d'arbre en arbre dans une forêt sèche». (Degrés, p. 87). Ici s'inscrit le voyage, thème majeur dans les quatre romans, et aussi le feu, image de la connaissance et de la révolte, souvent répétée dans l'œuvre butorienne. Dans la mesure où il essaie d'obtenir la connaissance totale et la jeunesse éternelle, ce qui équivaut à l'auto-genèse des dieux, Vernier est une figure œdipienne, mais c'est l'incarnation de l'Œdipe européen qui vient de Grèce, dont la civilisation était dominée par «l'inéluctabilité du destin, la lutte inutile de l'homme contre les dieux». (Scriabine, 1977, p. 31). Vernier part justement pour la Grèce, pour Delphes (Degrés, p. 136 ss) pendant les vacances précédant le projet; on ne peut pas se libérer de l'impression que pour lui, c'est un adieu avec ce monde clos, mais comme pour Œdipe, c'est trop tard. La vision du monde, représentée par l'oracle, est périmée, car le monde n'est plus clos. (Raillard, 1968, p. 140). Il prévient ses élèves (et donc aussi lui-même) contre le discours global (qui correspond à un monde clos), mais ne réussit pas à y échapper. Par contre,
Pierre Eller incarne l'Œdipe égyptiens américain. Dans
la Side 194
mère», et Pierre est bison, indication évidente qu'il est taureau. Pour lui, l'inceste et la sexualité sont permis et possibles. Ainsi, il est susceptible d'être identifié au continent américain, qui représente pour Butor un rajeunissement virtuel. L'Egypte et l'Amérique forment ensemble un pôle positif dans un système binaire, dont l'autre pôle (négatif) est l'Europe. Ce qui unit l'Amérique et l'Egypte est, sur un plan mythique, l'inceste. Une analyse
littérale de l'inceste n'est pas pertinente; il doit
être compris C'est justement l'Amérique des Indiens qui représente pour Butor un paradis où le conflit masculin/féminin ou civilisation/nature est dépassé. Il ne s'agit donc plus d'un refoulement de la matérialité, mais au contraire de sa reconnaissance et de son intégration. Ce caractère matériel se reflète dans la structure géométrique des deux pays. L'Egypte est rectangulaire comme l'Amérique et n'oublions pas que le rectangle est un symbole matériel, tandis que le cercle est un symbole céleste et spirituel. En ce qui concerne l'Amérique, la structure géométrique saute aux yeux si l'on jette un coup d'œil sur la carte que Butor a insérée dans Mobile. La structure est évidente au Far West, la vraie Amérique où vivaient les héros des chansons de geste américaines, les cow-boys des westerns. On peut dire qu'Œdipe symbolise en quelque sorte la totalité. Et c'est précisément cette totalité qu'a voulu capter Vernier en concevant son projet comme une tour d'où l'on devait voir l'Amérique qui «est donc bien cette troisième région du monde, inconnue jusqu'alors, qui permet, comme disait Voltaire, de réunir l'Orient à l'Occident» (Rép. 11, p. 180). Mais ce véhicule dont la capacité totalisante se base sur l'intégration de la matérialité ou de la sexualité, disparaît avec le retrait d'EUer, ce qui équivaut à la colonisation et à l'européisation de l'Amérique. Parallèlement au
double statut œdipien de Vernier, qui est père en tant
Par rapport à Vernier il est fils, mais c'est aussi un père, car lui aussi joue le rôle d'initiateur dans la patrouille de scout (jeu de kim etc.). Cette dualité parallèle de leur statut œdipien se reflète également dans la peur qu'Eller éprouve de la nature/sexualité, représentée p.ex. par le Nord- Africain. Side 195
Si la nature, évoquée par Le Livre de la Jungle, constitue l'objet le plus important de l'intérêt des boy-scouts, elle est «fausse» et par là déjà perdue, avant que Vernier commence de réaliser son projet (conquête de la totalité, basée sur l'intégration de la nature), car l'auteur du Livre de la Jungle fut un bâtisseur d'empire, Kipling, précisément comme le scoutisme fut fondé par Baden-Powell, autre bâtisseur d'empire. Dans l'univers butorien, le mot empire évoque les notions de colonisation, répression, refoulement, donc une agressivité qui, dans Degrés, est symbolisée par le loup. Une preuve évidente de la justesse de mon analyse du scoutisme comme expression d'une nature «fausse» est le fait que les garçons scouts s'appellent «louveteaux». Tout cela veut dire que l'Amérique représentée par Eller est déjà détruite, mais sur le plan symbolique, il est porteur de possibilités virtuelles, c'est un Œdipe virtuel, ce qui correspond au fait qu'il n'est pas écrivain. On le croit l'auteur de la deuxième partie du roman, comme on le croit Indien, ce qu'il n'est pas non plus (cf. la «fausseté» de la nature des scouts). But: orOn connaît la prédilection butorienne pour l'alchimie (voir p.ex. Portrait de l'artiste en jeune singe). Dans l'alchimie, l'inceste est symbolisé par l'or dont rêvaient les alchimistes. Leur but était la coincidentia oppositorium ou l&coniunctio, donc un dépassement de conflits. L'or symbolisait le dernier stade de ce processus. L'alchimie était «traversée» par des rêveries sexuelles, rêves de richesse et de rajeunissement (Bachelard, 1949, p. 106). Ce sont précisément les thèmes majeurs de Degrés, où l'or est mis en rapport avec Denis Régnier, qu'on a déjà nommé Œdipe (Van Rossum Guyon, 1974, p. 31). Denis méprise son
père et le condamne: [...] son père
qu'il avait décidé de ne plus voir, qu'il avait fait
passer en jugement Dans son manuel de classe, il regarde les images qui représentent des esclaves au Mexique travaillant dans une mine. Van Rossum interprète ses pensées comme «la projection de ses propres fantasmes de revanche et de destruction» (Van Rossum Guyon, 1974, p. 31). Comme les esclaves ont le même statut que l'lndien en tant qu'opprimés, Denis prend, par projection, le statut de Beau Sauvage. La chasse aux métaux, Side 196
à l'or,
s'inscrit donc dans la révolte et l'inceste, car il rêve
que les N'oublions pas que le caractère d'Œdipe virtuel d'Eller se reflète aussi dans le fait que lui, contrairement à Denis Régnier, ne se révolte pas explicitement contre Vernier, son «père». Ce n'est pas un révolté, mais plutôt une victime. Les mines que regarde Denis sont décrites comme «semblables à la contrepartie infernale de celle du songe de Jacob» {Degrés, p. 112). Elles sont donc en contraste avec «la mise en ordre du monde» que symbolise l'échelle de Jacob. (Raillard, 1968, p. 141). Dans les mines,
on assiste à la fois à l'exploitation et à la chasse à
La liaison entre l'échelle de Jacob (expression symbolique du projet de Vernier) et la contrepartie infernale est assurée par la pierre, sur laquelle l'échelle devait être bâtie, comme la pierre sur laquelle devait être bâtie l'église. Que le nom Pierre reçoive facilement une lecture symbolique me semble tout à fait évident, vu la manie butorienne des jeux de mots et de noms. Si l'on accepte une telle lecture symbolique, on peut avancer que Pierre occupe la place centrale qui est celle de la pierre de l'échelle de Jacob et de l'église. Cependant, il se dérobe et il y a donc échec. La position centrale de Pierre correspond au rôle de l'Amérique qui devait permettre «de réunir l'Orient à l'Occident.» Mais cette Amérique, le centre, n'existe plus, elle est écrasée. Ici on peut se rappeler la critique par Delmont dans La Modification de l'église centrale par excellence, Saint-Pierre de Rome, qu'il appelle «un échec architectural gigantesque.» En analysant les trois noms, Pierre Eller, Pierre Vernier et Denis Régnier, on retrouve la même partition. La liaison, c'est toujours Pierre Eller. Le caractère œdipien de Pierre et de son oncle se reflète dans leur prénom commun. Vernier se lit «verre nié», la négation de la connaissance totale. (Raillard, 1972, p. 276). Denis Régnier contient deux négations, «dénier» et «renier». Il nie le règne de son père (le règne nié) en rêvant d'une révolte dans les mines, il mine le royaume de son père. De ce fait, son nom est une négation de la négation; il marque ainsi la révolte dialectique, comme, d'ailleurs, il est seul à symboliser une révolte dans le roman. Side 197
L'or dans le gironL'alchimie était
«une science d'hommes, de célibataires» (Bachelard,
En ce qui concerne les héros butoriens, la plupart sont précisément célibataires, p.ex. Revel dans l'Emploi du temps et Vernier. On trouve également l'or alchimiste dans ces deux romans, mis en rapport avec le soleil, symbole de la connaissance suprême. Parallèlement au changement de la signification et du statut symbolique du soleil dans l'œuvre butorienne, l'or s'inscrit dans un contexte matériel, un giron. Dans le livre de classe de Régnier, on lit «tous les métaux cachés dans le ventre des abîmes» {Degrés, p. 33). Van Rossum met cette citation dans une liste d'associations qui se réfèrent toutes au giron (Van Rossum, 1974, p. 31), surtout par le truchement du jeu de mots «ventre, antre, centre». Le centre, symbole masculin par excellence, s'inscrit dans le giron qui, à son tour, se trouve dans une structure matérielle, le corps. N'oublions pas la liaison symbolique très étroite entre la femme et la terre qui contient «le ventre des abîmes». Bachelard décrit
les principes masculin et féminin en posant que le
un principe de
surface et d'enveloppe, un giron, un refuge, une
tiédeur. Le masculin On peut donc avancer que le principe féminin est plus total que le masculin, qui se base uniquement sur l'idée de centre, tandis que le féminin est à la fois «surface» et «enveloppe»; c'est plat comme une carte géographique ou un livre, et en même temps quelque chose de tridimensionnel comme le corps. Je trouve une raison supplémentaire à la dévalorisation du principe masculin dans les mots de Bachelard «actif et soudain». Cela correspond exactement à ce que j'appelle «discours global», discours qui empêche l'approche critique et dialectique, qui est une approche lente du dehors, une lecture possible, parmi bien d'autres, du titre Degrés. A la recherche du sexe fenduJ'ai avancé au
début de cet article que l'lndien est porteur de la
sexualité Side 198
fait-il? En
faisant de son corps une œuvre d'art potentielle par le
truchementdu Dans Degrés, Pierre Eller pratique une sorte de tatouage en dessinant «de grossiers corps féminins» sur son manuel en pensant à Micheline Pavin (Degrés, p. 363). Dans l'Emploi du temps, on trouve un cas analogue: le livre se fait tatouer d'une tortue, symbole matériel de la coniunctio. (Cirlot, 1962, p. 334). C'est Revel qui fait le dessin {Emploi, p. 152). On connaît le
statut sacral du Livre et de l'Œuvre d'art dans la
pensée La tortue est sacrée chez les Indiens Zuni, à qui Butor a dédié OU, la suite du Génie du lieu. La tortue est donc un autre exemple de l'identification de l'lndien et de la sexualité/matérialité. Pour Butor, la nudité indienne s'inscrit dans un contexte qui englobe les instincts, «sa nature intérieure» (Rép. 11, p. 172) qui est en harmonie avec la nature extérieure; il y a donc harmonie entre l'espace mental et l'espace physique. La nudité est une «proclamation de son propre corps qui trouvera sa pleine expression dans la parure» (ibidem). L'lndien est «superbement orné» (ibidem) et la vie dans les forêts est comme une vie dans un temple. Ici se pratique l'identification entre le temple et la nature, ou entre le livre (qui a chez Butor le statut d'un temple - cf. la description du projet de Vernier comme la Tour de Babel -) et la nature. L'ornement du corps correspond à la construction d'une nature temple. Le corps devient ainsi temple et le temple devient corps. Dans L'ARC, no.
39, Butor décrit le corps comme une œuvre d'art
Le corps humain
peut devenir une œuvre d'art, par les gestes du danseur
ou les Ainsi le corps devient porteur de texte comme le livre ou la page. Dans Rép. IV on trouve une identification totale entre le corps et le temple. Il est à remarquer que si Butor parle de corps, il s'agit d'un corps de femme ou d'lndien. Les deux sont mis en relation par la peinture, l'inscription, et c'est là qu'on trouve la valorisation du féminin au détriment du masculin. Dans Rép. IV il y
a une description architecturale du corps, description
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Cette belle, cette aimable, cette ouvreuse de sentiers, elle entraîne à sa suite toute une foule d'autres belles, elle fait signe à celle-ci qui était dans une autre toile et lui demande de l'accompagner: notre société serait incomplète sans l'assistance de ta jambe, sans ta façon de raccouder; elle suscite autour d'elle toute une architecture à son image: cette aisselle n'est-elle point comme une porte, cette jambe comme un pilier? Et les seins deviendront volutes sur les tympans, les genoux anneaux où s'amarrer. Source, porte, foule, maison, rue, ruelle, avec ses degrés, porche et dans l'ombre l'escalier, tout un parcours à son image: les places rondes, les enceintes, les tours. Celte région entre ses jambes, si patiemment recherchée voici qu'elle devient un gouffre où les villes et non-villes futures attendent que nous venions les accoucher. (Rép. IV, p. 369) (C'est moi qui souligne.) C'est là vraiment la recherche du sexe fendu, mais la description ne contient-elle pas une trace du corps de l'lndien dans l'expression «ouvreuse de sentiers»? Un des sentiers peut être précisément «cette région entre ses jambes», c'est là que nous accoucherons les villes (= la «civilisation», grosso modo) et les non-villes (= la «nature», grosso modo). C'est une forte
valorisation de la matérialité corporelle. Reste à
résoudre L'HermaphroditeVoici le dernier
degré de l'analyse. Nous sommes arrivés au livre/texte
On peut considérer le livre comme le Père en tant qu'expression de formes déjà existantes qui doivent être mises à mort pour permettre la création de quelque chose de nouveau, mais on peut également le considérer comme une compensation de l'inceste (Jung, 1950, p. 258). Il y a donc ambiguïté comme dans le cas des deux Pierre dans Degrés. Butor est alchimiste, et pour ces faiseurs d'or «l'accomplissement [était] un hermaphrodite» (Pouchelle, 1973, p. 56). Cet hermaphrodite se trouve dans son livre sur Fourier, La Rose des Vents. Le soleil porte le nom de «Soleil hermaphrodite». Il ne s'agit donc plus du soleil du rêve de Wowoka dans Mobile. Le soleil, symbole du Père, a changé. Dans
Illustrations 11, le dimorphisme sexuel s'efface, «Quoi?
Suis-je En décrivant
l'utopie de Fourier, qu'on peut interpréter comme une
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instant d'équilibre entre les dominances masculine et féminine». (Rose des Vents, p. 92). Un peu plus loin, nous lisons des indications du modèle jungien animus¡anima qui se résume de la manière suivante: le caractère sexuel de tout être humain est dominé par un caractère inné, tandis que le caractère opposé baigne dans l'ombre. Au contraire du caractère sexuel dominant, l'inconscient est dominé par le sexe opposé, et ce «caché», Jung Tappelle chez l'homme anima et chez la femme animas. II est très remarquable que Jung décrive cette «ombre» comme un Noir ou un Indien, donc comme de «Beaux Sauvages» dans la terminologie butorienne. Jung dit que, pendant des analyses d'Américains, il a souvent remarqué que la partie inférieure de la personnalité («l'ombre») était représentée par un Noir ou un Indien (Jung, 1950, p. 230). Voilà le Beau Sauvage ambigu dont on trouve une indication dans le nom Pierre Eller. Le nom de famille ne contient-il pas une trace du pronom personnel «elle»? C'est lui, le Beau Sauvage hermaphrodite potentiel. Cette analyse me
semble d'autant plus convaincante qu'on trouve en
Les Terriens ne peuvent qu'imiter, à l'apogée de leur carrière planétaire, la bisexualité transmondaine et l'hypersexualité des astres supérieurs, imitation qui se traduit, au milieu d'une création où se multiplient les ambigus, par l'apparition dans un premier temps, de caractères féminins secondaires chez certains hommes, de masculins, dans un second, chez certaines femmes. (Rose des Vents, p. 92) Et il continue
On verra
l'omniarque hermaphrodite, après avoir rendu l'hommage
traditionnel à Les frontières s'effacent et la bisexualité, qui est un nouveau dépassement de conflits, s'instaure. Ainsi on peut expliquer le thème homosexuel dans Passage de Milan, Y Emploi du temps et Degrés. On ne sait pas s'il s'agit ou non d'une homosexualité, mais on a le droit de prétendre qu'il s'agit plutôt d'une sexualité beaucoup plus totalisante chez des androgynes, ce qui revient à valoriser la «corporalité» ou la «nature» dans un effort pour dépasser le déchirant conflit entre la civilisation et la nature ou entre le masculin et le féminin. C'est donc en quelque sorte un féminisme avant le terme. Niels
Iversen Copenhague
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RésuméDans mon analyse
de Degrés, le roman se lit comme une expression du
conflit nature civilisation En me basant sur
une double lecture du mythe d'Œdipe, j'ai essayé de
montrer que En utilisant le
modèle jungien animus¡anima, j'ai montré que le Beau
Sauvage (i. e. BibliographieTextes de Butor
L'Emploi du
Temps (Emploi), éd. Minuit, 1969, Paris. Répertoire 1
(Rép. I), Coll. Critique, Minuit, 1968, Paris.
Illustrations
11, Le Chemin, Gallimard, 1969, Paris. Ouvrages et
articles sur Butor Raillard, Georges
(1968) Butor. La Bibliothèque idéale, Gallimard, Paris.
Raillard, Georges
(1972) «Référence plastique et discours littéraire chez
Butor», pp. Roudaut, Jean
(1964) Butor ou le livre futur. Le Chemin, Gallimard,
Paris. Van Rossum-Guyon,
Françoise (1974) «Aventures de la citation chez Butor»
pp. 17-39 in L'ARC, 39, Butor.
1969, Paris. Varia Bachelard, Gaston
(1949) La psychanalyse du feu. Coll. Psychologie 7,
N.R.F., Gallimard, Cirlot, J. E.
(1962) A Dictionary ofSymbols. Philosophical Library,
New York. Freud, Sigmund
(1944 a) Die Traumdeutung. Gesammelte Werke, Band
11/111, Fischer Freud, Sigmund
(1944 b) Vorlesungen zur Einfù'hrung in die
Psychoanalyse. Gesammelte Jung, C. G.
(1950) Symbole der Wandlu>ii>. Gesammelte Werke.
Band V. Walter Verlag. A. Pouchelle, M. C.
(1973) «L'hybride», pp. 49-61 in Bisexualité et
différence des sexes, Scriabine, Marina
(1977M// carrefour de Thèhes. Les Essais, CXCVI,
Gallimard, Paris.
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