Revue Romane, Bind 15 (1980) 2

Un problème de morphophonologie française: les terminaisons verbales -ions, -iez

par et

A. C. de Kok

J. J. Spa

1. Introduction

Dans la plupart des cas, les formes de la première et de la deuxième personne du pluriel de l'imparfait de l'indicatif et du présent du subjonctif s'opposent aux formes correspondantes du présent de l'indicati fl:


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L'opposition entre ces formes est exprimée par les alternances:


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1: En général, les formes de la première et de la deuxième personne du pluriel de l'imparfait de l'indicatif sont identiques aux formes correspondantes du présent du subjonctif. Par exemple: chantions, chantiez, recevions, receviez, allions, alliez, finissions, finissiez, etc. Mais il arrive aussi que ces formes ne soient pas homophones: savions ~ sachions, saviez ~ sachiez, faisions ~ fassions, faisiez ~ fassiez, pouvions ~ puissions, pouviez ~ puissiez etc. Ceci est sans importance pour l'objet de cet article.

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Dans certains cas pourtant une telle opposition est absente, du moins
dans la langue courante:

Dans d'autres cas, elle est même nettement impossible:


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Dans les sections suivantes nous présenterons une description de ces formes verbales en -ions I -iez3. Plus en particulier nous proposerons certaines règles pour rendre compte des cas d'homophonie signalés plus haut.

2. Les terminaisons -ions, -iez de l'imparfait de l'indicatif et du présent du subjonctif

2.1. Nous avons démontré (de Kok et Spa, 1978) que la description phonologique du français gagne beaucoup en simplicité et en naturel, si on spécifie déjà les semi-voyelles obligatoires en tant que telles au niveau sous-jacent. Comme les terminaisons -ions, -iez se réalisent



2: Nous n'avons découvert aucune différence de prononciation entre les formes de l'imparfait de l'indicatif et celles du présent du subjonctif. Cf. Marty p. 114.

3: Dans cet article nous ne nous occuperons pas des formes de la première et de la deuxième personne du pluriel du conditionnel. Signalons uniquement que l'engendrement de ces formes ne nécessite aucune règle nouvelle. Ou bien la forme sous-jacente représente déjà la prononciation: /fa+r+j+s/ (ferions), /ma. ka+r+j+e/ (manqueriez), /â.tra+r+j+s/ (entrerions) etc., ou bien la prononciation s'obtient par l'application des règles DlERèse et EPENthèse (cp. de Kok et Spa, 1978): DIER EPEN /ra.s3.v+r+j+s/ *[ra.sa.vrijô] »[r3S3vrijs] (recevrions) /per.d+r+j+e/ >[per.d+r+i+e] »[perdrije] (perdriez)

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toujours comme [js], [je] (ou parfois comme [ip], [ije]; voir 2.2.), le yod figure déjà comme tel au niveau sous-jacent. Cela signifie que, dans notre théorie, les formes verbales dont le radical se termine par la suite: frontière de syllabe + consonne, et celles dont le radical se termine en [u] ou en [y] ne posent aucun problème4. Aucune règle n'est appliquée; la forme sous-jacente représente déjà la prononciation.

Remarquons que le radical de verbes comme appeler, écarteler, déceler,
marteler, modeler, acheter, etc., se termine par la suite: schwa +
frontière de syllabe + consonne.


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La forme sous-jacente de ces verbes doit contenir un schwa pour éviter
les prononciations incorrectes *[aplijs], *[ekartlije], etc.

2.2. /+j+s/ et /+j+e/ sont aussi les représentations sous-jacentes des désinences des verbes dont le radical se termine par la suite: frontière de syllabe4- deux consonnes6. Les deux consonnes en question ne peuvent être qu'une obstruante suivie d'une liquide.



4: Verbes dont le radical se termine en [u]: avouer, louer, renouer, secouer, trouer, échouer, jouer, clouer etc. Verbes dont le radical se termine en [y]: continuer, effectuer, suer, tuer, puer, insinuer, substituer, conclure etc.

5: Le symbole . représente la frontière de syllabe, + la frontière de morphème. Les formes sous-jacentes sont placées entre des barres obliques. Remarquons qu'une frontière de morphème peut coïncider avec une frontière de syllabe. Comme pour notre sujet la frontière de syllabe ne joue aucun rôle dans ce cas, nous nous sommes contentés de mentionner la frontière de morphème.

6: Pour une justification de cette conception, voir de Kok et Spa (1978).

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A ces formes sous-jacentes s'applique obligatoirement la règle
DlERèse, que nous formulerons ainsi7:

DlERèse:

j > i / OL

ou


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L'output de la règle DlERèse peut être sujet, facultativement, à la règle
EPENthèse, qui insère une semi-voyelle entre une voyelle fermée et
une voyelle quelconque suivanteB.


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Les verbes pour lesquels nous venons de donner une description (sections2.1.
et 2.2.) sont justement ceux qui permettent de distinguer nettementles



7: Cette formulation diffère quelque peu de celle proposée dans de Kok et Spa (1978). Nous reviendrons sur ce point à la section 3.

8: Nous rappelons ici la formulation de cette règle. EPENthèse: r -. _ -, + voc / - cons 0 * + cons / + haut V a rond / - moyen p* pal / a rond J Lp pal _ Remarquons encore que cette règle, bien que facultative, s'applique presque toujours quand c'est un yod qui s'insère.

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tementlespremière et deuxième personnes du pluriel de l'imparfait de Tindicatif et du présent du subjonctif de celles du présent de l'indicatif. Notons en outre que les règles proposées (DIER et EPEN) ont un champ d'application qui dépasse le domaine assez limité des formes verbales9. Il n'en sera pas toujours de même dans la description des formes homophones citées au début. Comme nous le verrons aux sectionssuivantes (2.3., 2.4. et 2.5.), d'autres règles seront nécessaires, dont la portée se limite parfois aux seules formes verbales se terminant en -ions et en -iez. Les verbes dont les terminaisons -ions I -iez se confondentfacultativement ou obligatoirement dans la prononciation avec les terminaisons -ans / -ez sont:

A. Les verbes dont le radical se termine en -j (section 2.3.)
B. Les verbes dont le radical se termine en -i (section 2.4.)

C. Les verbes dont le radical se termine par un n mouillé (section 2.5.)

2.3. Les radicaux qui se terminent par un yod peuvent appartenir à deux groupes de verbes: ceux dont le radical se termine toujours par un yod et ceux dont le radical se termine tantôt par un yod tantôt par une voyelle.

2.3.1. Le radical d'un verbe comme habillerlo se termine toujours par un yod, témoin les prononciations: [jamabij] 'je m'habille', [39mabijre] je m'habillerai', fôgmabiJE] je m'habillais' etc. Les formes sous-jacentes de ce verbe contiennent donc toujours un yod.


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Habillions et habilliez ont donc les formes sous-jacentes:

/abij+j+s/

/abij+j + e/

Habillions et habilliez se prononcent souvent de la même façon que
respectivement habillons et habillez: [abijo], [abije]. Ces prononciations



9: Cf.de Kok et Spa (1978).

10: Appartiennent au même groupe que habiller les verbes: briller, scintiller, grouiller, dépouiller, railler, piller, pointiller, travailler, réveiller, chamailler, cueillir, assaillir, tressaillir, etc.

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sont facultatives et alternent avec celles à consonne double: [abijjô], [abijje]. Nous devons donc formuler une règle de dégémination qui remplacela séquence /j+j/ par un seul j. Cette règle est une règle très générale qui prend également en compte les autres consonnes géminées.

DEGémination (fac):

Q -> 0 / Q

ou


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DIVL4323

Une consonne est supprimée quand elle est précédée ou suivie de la
même consonne.

Exemples:


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2.3.2. La règle DEGémination peut aussi être appliquée, facultativement,pour générer les prononciations de, par ex., nettoyions et nettoyiez:[netwajô] / [netwajjô] et [netwaje] / [netwajje]. Contrairement aux verbes du type habiller, nettoyerl2'l3 est un verbe à deux bases



11: Les formes sous-jacentes de ces deux derniers mots sont probablement /in+legal/ et /in+moral/. Ceci n'est pas pertinent pour notre argumentation.

12: Appartiennent au même groupe que nettoyer les verbes: déployer, octroyer, envoyer, voir, croire, fuir, appuyer, essuyer, ennuyer, asseoir, surseoir, extraire etc.

13: Les verbes en -ayer, comme payer, essayer, appartiennent à deux groupes: celui de habiller et celui de nettoyer. Cette appartenance à deux groupes se reflète aussi dans l'orthographe. Cf. fôapej] (je paye) et fóape] (je paie), [ilpejra] (il payera) et [ilpera] (il paiera); mais [pejs] par ex. ne peut se prononcer et s'écrire (payons) que d'une seule manière.

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(tout comme finir, mentir, vendre, nuire etc.). Son radical est tantôt
[netwa-], comme dans:

tantôt [netwaj-], comme dans:


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Ce dernier radical est aussi à la base des formes de l'imparfait de l'indicatif
et du présent du subjonctif, dont les formes sous-jacentes sont:


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A ces formes sous-jacentes s'applique facultativement la règle DE-
Gémination donnée plus haut.

Exemples


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2.4. Les terminaisons verbales -ions, -iez des verbes dont le radical se termine en -/, peuvent également se prononcer de plusieurs façons. Il convient de distinguer ici deux groupes: Io Le groupe des verbes dont le radical se termine par la suite: frontière de syllabe+consonne + i (ex. nier, étudier)l4. 2° Le groupe des verbes dont le radical se termine par la séquence: frontière de syllabe+obstruante+liquide+ i (ex. oublier, prierls).

Niions peut se prononcer comme [nijô], comme [njs]l6 et comme



14: Autres exemples: scier, se méfier, autopsier, rallier, manier, asphyxier, confier, marier, amnistier, inventorier, relier, rire, sourire, etc.

15: Autres exemples: déplier, crier, trier, publier, etc.

16: Rappelons que la prononciation [njô] pour le présent de l'indicatif est le résultat de l'application de SEMI-VOCalisation. S/ni+s/ SEMI-VOC j [njô] nions

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[nijjô], niiez comme [nije], [nje] ou [nijje]. Les formes sous-jacentes sont
respectivement:

Une des prononciations possibles est déjà représentée par la forme sous-jacente. Pour rendre compte des prononciations [njô], [nje], c.-à-d. celles où le i du radical n'est pas prononcé, il faut admettre l'existence dans la grammaire du français d'une règle qui, dans un certain contexte, fait tomber le / devant un yod. Nous appelons cette règle SYNérèse. Elle est facultative.

SYNérèse:


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ou


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La voyelle / est supprimée quand elle est suivie de la séquence: frontière
de morphème + yod+ voyelle.

Exemples de l'application de SYNérèse:


DIVL4361

La formulation de la règle SYNérèse demande quelques explications. Dans cette règle le contexte de gauche n'a pas été spécifié. Nous pouvons nous passer de ce contexte grâce à la contrainte globale OLISEM (voir de Kok et Spa 1978) qui interdit de remplacer la séquence: obstruante+semi-voyelle ou liquide+ voyelle fermée par la séquence: obstruante + semi-voyelle ou liquide+ semi-voyelle. En effet, les seuls verbes qui, sur ce point, pourraient poser des problèmes à la règle SYNérèse sont ceux dont le radical se termine par la séquence: frontière de syllabe+obstruante-l-liquide+ i (cf. section 2.2.).

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Exemples:


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Les prononciations incorrectes *[prjs], *[krje] etc. seront prohibées correctement par la contrainte globale OLISEM, ce qui permet de simplifier la règle SYNérèse. Le contexte de gauche peut être omis. Dans notre règle il est nécessaire de mentionner la frontière de morphème devant le yod. Si nous omettions cette frontière, nous engendrerions également des formes incorrectes comme *[abje] (<—/abij +e/ ) 'habillez', *[pje] (<—/ pij+e/ ) 'pillez' et même des formes comme *[fjœl] (Wfijœl/ ) Tilleul', *[bjs] (Wbijs/ ) 'billón' etc.

La présence d'une voyelle après le yod s'explique par le fait qu'il faut éviter la prononciation *[njje] 'niiez'. On obtiendrait cette prononciation en appliquant SYNérèse (sans voyelle après le yod) sur la forme /ni+jj+e/ , forme obtenue après l'application de la règle J-INSertion (voir ci-dessous).

Pour rendre compte des prononciations [nijjô], [nijje], c.-à-d. celles avec double yod, il nous faut admettre l'existence d'une règle qui insère un yod supplémentaire. Nous appelons cette règle J-INSertion. Cette règle est facultative.

J-INSertion:


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ou


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17: Rappelons que la prononciation [prijô] pour le présent de l'indicatif est le résultat de l'application d'EPENthèse. /pri+s/ EPENthèse ij [prijô] prions

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Le domaine de cette règle est très restreint, ce qui ressort déjà du
nombre de frontières de morphème.

La frontière de morphème entre le / et le yod doit être là pour prohiber *[abijje] (<—/abij+e/ ) 'habillez', *[travajjs] («-/travaj +5/ ) 'travaillons' etc., de même que *[fijj&t] (Wfij + et^/ ) 'fillette', *[ànqijjo] (<—/ânqij + 0/) 'ennuyeux' etc.

La deuxième frontière de morphème a été introduite pour indiquer sans équivoque qu'il s'agit uniquement des première et deuxième personnes de l'imparfait de l'indicatif et du présent du subjonctif des verbes dont le radical se termine en -i.

Exemples:


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Pour une discussion des dérivations proposées par Gaatone (1976) et
Dell (1972) en ce qui concerne les formes en -ions, -iez des verbes dont
le radical se termine en /, voir Appendice I.

2.5. Quand le radical d'un verbe se termine en jilB, les formes des première et deuxième personnes du pluriel de l'imparfait de l'indicatif et du présent du subjonctif se confondent toujours dans la prononciation avec les formes correspondantes du présent de l'indicatif. Craigniez et craignez par exemple se prononcent tous les deux [krejie], baignions et baignons se prononcent tous les deux [bejiô].

La forme sous-jacente de baignions est /ben+j+s/, celle de craigniez /kreji+j+e/. Pour produire les prononciations correctes, qui ne contiennent pas de yod, nous proposons d'introduire une règle, appelée J-SUPPRession, qui efface le yod après n mouillé.



18: Les verbes dont le radical se termine par un n mouillé, peuvent être subdivisés en deux groupes. D'abord, les verbes dont le radical se termine toujours en ji (verbes à thème unique comme gagner, enseigner, daigner, signer, cogner, baigner, etc.), ensuite les verbes dont le radical se termine tantôt par une voyelle tantôt par j\ (verbes à deux thèmes comme craindre, atteindre, joindre, plaindre, peindre, contraindre, éteindre, etc.).

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J-SUPPRession:

j > 0/Jl—

ou:


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Exemples:


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Pour une discussion de la dérivation proposée par Dell (1972), voir Appendice

3. L'ordonnance des règles

Afín de générer les formes verbales se terminant en -ions et en -iez,
l'ensemble de règles suivant est nécessaire, comme nous l'avons vu aux
sections précédentes:


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Pour la clarté du raisonnement, nous ne tiendrons compte ici que du yod et du i, ce qui signifie que les règles EPENthèse et DEGémination sont données ci-dessus comme règles spécifiques concernant ces deux sons et non pas comme règles plus générales.

A cet ensemble de règles s'ajoute la contrainte globale OLISEM (voir
section 2.4. et de Kok et Spa (1978)).

Les règles proposées sont formulées de telle façon qu'elles peuvent être ordonnées de manière intrinsèque, c'est-à-dire qu'une règle donnée s'applique automatiquement quand une suite de segments répond à l'analyse structurale de la règle en question (voir Koutsoudas, Sanders

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et Noli, 1974)19. Parmi les règles proposées il n'y en a que deux dont l'application pose, apparemment, des problèmes: DEGémination et J-INSertion. Cette dernière règle s'applique, facultativement, à une suite comme /pri+j+e/, produisant [prijje]. A cette forme peut s'appliquer, de nouveau facultativement, la règle DEGémination, produisant[prije]. La forme ainsi obtenue peut servir d'input à l'application de J-INSertion, ce qui donne encore une fois [priije], qui peut être transformé de nouveau en [prije] par l'application de DEGémination et ainsi de suite. Pour éviter une telle dérivation sans fin, Koutsoudas, Sanders et Noli (1974, p. 14) proposent une restriction universelle, qui dit que dans ce cas (c'est-à-dire quand on a affaire à deux règles entre lesquelles il existe une relation de «feeding» et de «counterfeeding»), les règles «must be restricted in such a way that, if one rule is applied to a given segment, thè other rule must not be applied to any reflex of that segment in thè same derivational cycle». Dans notre système de règles, cela veut dire qu'après l'application de J-INSertion, DEGémination ne peut plus être appliquée.

La formulation donnée ici de DlERèse diffère quelque peu de celle
proposée dans de Kok et Spa (1978), où la formulation était la suivante:

DlERèse:


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ou


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Quand on formule DlERèse de cette façon, les règles SEMI-VOCalisation et DlERèse doivent être ordonnées de façon extrinsèque. DlERèse doit précéder SEMI-VOCalisation, vu, par exemple, la prononciation correcte [skje] (skiez) (voir de Kok et Spa, 1978, note 24). En revanche, la formulation que nous proposons maintenant et dans laquelle nous avons précisé la nature des deux consonnes (à savoir: obstruante + liquide), nous permet d'ordonner toutes les règles intrinsèquement. Remarquons en outre que le remplacement de C2 par O L permet de supprimer la frontière de syllabe.



19: Les règles de Dell et de Gaatone sont ordonnées de façon extrinsèque.

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Résumé

Le comportement des yods se trouvant dans les désinences verbales -ions, -iez ne peut être décrit, de manière observationnellement adéquate, par les règles générales proposées pour les semi-consonnes dans de Kok et Spa (1978). Lorsque les radicaux verbaux précédant ces désinences se terminent par -j (habiller), par -i (méfier), par -ji (gagner), le contact de ces sons et des yods désinentiels a pour résultat des prononciations assez diversifiées, dont il faut rendre compte par de nouvelles règles: dégémination, synérèse, insertion d'un yod, suppression du yod. Ces règles, ainsi que celles qui ont été proposées dans de Kok et Spa (1978) s'appliquent dans un certain ordre, établi en vertu du principe de l'ordonnance intrinsèque. L'article se termine par deux appendices, dans lesquels des analyses antérieures (Dell 1972, Gaatone 1976) du comportement des semi-consonnes sont soumises à un examen critique.

Bibliographie

Dell, F. (1972), «Une règle d'effacement de / en français», in Recherches linguistiques I,
Université de Paris VIII/Vincennes: 63-88.

Dell, F. (1976), Schwa précédé d'un groupe obstruante-liquide, in Recherches linguistiques
IV, Université de Paris VIII/Vincennes: 75-111.

Fouché, P. (1969), Traité de prononciation française, Paris, Klincksieck.

Gaatone, D. (1976), «Semi-voyelles de transition en français», in Folia Linguistica, nr. X
-3/4: 321-337.

Kok, A. C. de et Spa, J. J. (1978), «Semi-vocalisation, diérèse et olisem», in Linguistics.

Koutsoudas, A., Sanders, G. et Noli, C. (1974), «The application of phonological rules»,
in Language, volume 50: 1-28.

Malmberg, B. (1943), Le système consonantique du français moderne, Lund.

Marty, F. (1971), «Les formes du verbe en français parlé», in A. Rigault (éd.) La grammaire
du français parlé, Paris, Hachette, pp. 105-117.

Morin, Y.-Ch. (1976), «Phonological tensions in Frenen», in Marta Lujan & Frit Hensey
(éds), Current Studies in Romance Linguistics. Washington, Georgetown University
Press, pp. 37-49.

Appendice I.

Gaatone (1976) propose la dérivation suivante pour les formes en -ions, -iez des verbes dont le radical se termine en -/. Il part, comme nous, de structures sous-jacentes dans lesquelles les terminaisons -ions, -iez sont rendues par /j+s/, /j+e/, et il formule trois règles. D'abord la règle G-INS (= insertion d'un glide), qui insère la semi-voyelle appropriée entre une voyelle fermée et une autre voyelle (cp. notre règle EPENthèse). Gaatone en donne la formulation suivante (p. 323):

G-INS:


DIVL4501

(Notons que dans la conception de Gaatone les semi-voyelles sont [-cons]). Puis les séquences ainsi obtenues sont soumises à Faction de la règle VH-EFF (= effacement d'une voyelle haute), que Gaatone formule comme suit (p. 328):

VH-EFF:


DIVL4507

Dans cette règle le segmentions est censé être la semi-voyelle correspondant au segment j+ j^",] • Cette règle correspond en quelque sorte à notre règle SYNérèse. Contrairement à celle-ci, qui, dans notre conception, est toujours une règle facultative, la règle VH-EFF est parfois obligatoire, à savoir quand le / est le son final du radical d'une base non-monosyllabique. Cela signifie que pour Gaatone étudiiez se prononce uniquement [etydje], de même que étudiez, alors que niiez peut se prononcer de deux façons: [nije] et [nje], de même que niez.

Finalement, Gaatone formule la règle I-INS (= insertion de i), qui
correspond plus ou moins à notre règle DlERèse (p. 330):

I-INS:


DIVL4515

De la sorte toutes les prononciations prises en considération par l'auteur
peuvent être générées correctement. Voici quelques dérivations:


DIVL4519

DIVL4521

Quant à la forme oubliiez, remarquons encore que Gaatone n'admet pas
la prononciation [üblijje], de sorte qu'il n'a pas introduit dans son système
de règles une règle correspondant à notre J-INSertion.

Les dérivations proposées par Gaatone s'écartent tantôt beaucoup de nos propositions, tantôt elles leur ressemblent. La plus grande différenceest à constater dans l'engendrement des formes du présent de l'indicatif(étudiez, nions, etc.) (Comparez la note 13 à ce qui a été dit plus haut). Cette différence est générale dans ce sens que partout où nous proposons une règle de semi-vocalisation, Gaatone propose deux règles: la règle G-INS, suivie de la règle VH-EFF. Mais même là où les deux propositions se ressemblent, il y a des différences. Ces différences concernentsurtout la règle VH-EFF et notre règle SYNérèse. SYNérèse est une règle dont le champ d'application est très restreint. Elle ne concerneque le yod et ne s'applique qu'aux formes où ce yod est précédé d'une frontière de morphème. La règle VH-EFF par contre concerne toutes les semi-voyelles et son champ d'application est donc bien plus vaste que celui de SYNérèse. Le champ d'application de VH-EFF est cependant limité par la présence dans la règle d'une frontière de morphème,qui, tout comme dans SYNérèse, est introduite pour éviter *[abje] (<—/abij+e/ 'habillez'), etc. Ceci a pour conséquence que, si VH-EFF permet de générer des formes comme: [sypstitip] (<— [sypstityip] <—/sypstity+s/) (substituons) et [avwe] (<—[avu-f-we] —>/avu+e/) (avouez), elle ne permet pas de générer les prononciations

correctes [nqàs] (<—[nyqâs] <—lnyàsl ) (nuance), [sqav] (<—[syqav] <—/syav/) (suave), [Jwanri] (<—[Juwanri] <—/Juanri/ ) (Chouannerie) etc., puisque dans ces dernières formes il n'y a pas de frontière de morphème entre la voyelle fermée et la semi-voyelle correspondante qui suit. Notons que la voyelle fermée dans ces formes doit être un segment sous-jacent du fait que la prononciation avec cette voyelle est également possible: [nyàs], [syav], [Juanri] etc.

Deuxièmement, la présence du segment C1 dans VH-EFF prohibe à
tort la prononciation correcte [skje] (skiez et skiiez).

Pour les deux raisons données ci-dessus, la règle VH-EFF de
Gaatone nous paraît donc inadéquate.

Dans Dell (1972) on trouve également certaines propositions pour l'engendrement des formes verbales étudiiez, étudiez, oubliiez, oubliez, appuyiez, appuyez etc. Selon Dell -ions, -iez doivent être rendus en profondeur par liai, lie/. Que de telles séquences sous-jacentes, où la marque du subjonctif et de l'imparfait est la voyelle / et où celle-ci n'est pas suivie d'une frontière de morphème, posent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent, a déjà été démontré de façon convaincante par Gaatone (1976, pp. 328-329). Il nous semble pourtant intéressant d'examiner certaines règles proposées par Dell et plus en particulier celles qui prennent en charge les séquences sur lesquelles, dans notre système de règles, opère la règle SYNérèse. Ces règles sont les suivantes:

I-EF(facement)


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Après la séquence: i+ frontière de morphème,,/ et / sont, obligatoirement,

J-INS(ertion):


DIVL4541

Un yod est inséré entre un / et une voyelle. Cette règle concerne les i
qui conservent leur syllabicité, parce qu'ils sont précédés d'un groupe
obstruante + liquide.

En outre, Dell introduit deux règles de semi-vocalisation (SV-1 et
SV-2) dont les formulations exactes ne nous concernent pas ici.

Dell propose deux dérivations pour [etydje] (étudiiez) et [prije]

(priiez). L'unique différence entre ces deux dérivations consiste dans
l'ordre de SV-1 et I-EF (voir Dell 1972, p. 76 et 83).

1972, p. 76 et 83).

1)


DIVL4553

2)


DIVL4557

Ces propositions peuvent être critiquées sur plusieurs points: 1. Le nombre de règles à appliquer est considérable. Dans la première dérivation Dell doit appliquer trois règles pour générer [etydje], et trois pour générer [prije]. Dans notre système ces nombres sont respectivement un et zéro. Dans la deuxième dérivation deux règles doivent être appliquées pour qu'on puisse obtenir [etydje] et [prije], contre une et zéro de nouveau dans notre système. Même si Dell avait pris comme segment sous-jacent un yod, son système aurait nécessité l'application de deux règles: I-EF et SV-2 pour [etydje] et I-EF et J-INS pour [prije]. 2. Dans la première dérivation de [prije], le yod est d'abord effacé par I-EF et puis réintroduit par J-INS, c'est-à-dire que le yod est réintroduit là où il n'aurait pas dû être effacé (cp. Dell 1976, pp. 91-92, en ce qui concerne le schwa).

3. Dell justifie la règle I-EF(facement) en disant qu'elle s'applique aussi
obligatoirement dans la dérivation de, par exemple, mélodique et
libérien (pp. 81-82):


DIVL4563

DIVL4565

Les formes sous-jacentes de ces mots nous semblent cependant trop
douteuses pour qu'elles puissent être invoquées comme argument.

Remarquons finalement que Dell ne prend en considération que les prononciations [etydje] et [prije]. Pour la première forme cela implique que I-EF est obligatoire (cp. le point 3. ci-dessus); pour la deuxième forme que Dell n'introduit pas de règle comparable à notre règle J-IN- Sertion.

Appendice II

Dell (1972, p. 70) propose la règle suivante, qu'il appelle J-EF(facement)
J-EF:


DIVL4578

Cette règle concerne donc l'effacement d'un yod après un autre yod et après un n mouillé. Elle rend compte des prononciations [gape] (gagniez),[majie] (magniez), [abije] (habilliez), [kœje] (cueilliez) etc. Dell justifie cette règle en disant que «après tout, h etj forment une classe très naturelle: ce sont les deux seules sonantes palatales nonsyllabiques»(pp. 69-70). Il nous semble cependant que l'effacement de yod après yod et celui après n mouillé ne sont pas dus à la même règle. L'effacement du yod après un autre yod est un cas particulier d'une règle de dégémination beaucoup plus générale: quand deux éléments consonantiques identiques se suivent, l'un des deux peut toujours être effacé (cp. notre règle DEGémination). La règle de Dell, d'autre part, ne vaut que pour des idiolectes dans lesquels les prononciations [abijje] (habilliez), [kœjje] (cueilliez) etc. n'existent pas. La règle J-EF de Dell est par conséquent une règle obligatoire. Dans beaucoup d'autres idiolectes cependant habilliez se prononce de deux façons: avec un seul yod ou avec deux, de même que cueilliez etc. Pour ces idiolectes il faudrait admettre que la règle J-EF est obligatoire quand le segment [- syll, + son, + haut] représente un n mouillé, et qu'elle est facultative

quand ce même segment représente un yod. Comme nous préférons décrireles
idiolectes les plus généraux la règle de Dell nous semble inadéquatepour
les deux raisons données ci-dessus.

A. C. de Kok et J. J. Spa

Zaandam, Pays-Bas