Revue Romane, Bind 15 (1980) 1

Frédéric Melchior Grimm: La Correspondance littéraire. 1er janvier - 15 juin 1761, texte établi et annoté par Ulla Kolving. Studia Romanica Upsaliensia 211 -II, Upsal 1978.1er janvier- 15 juin 1763, texte établi et annoté par Agneta Hallgren. Studia Romanica Upsaliensia 25 I - 11, Upsal 1979.

John Pedersen

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Depuis la parution des Actes du colloque de Sarrebruck (1976), nous savons combien la Correspondance littéraire est une source riche, importante et, surtout, mal connue! L'édition de Tourneux est incomplète et, à plusieurs égards, peu satisfaisante, d'où l'intérêt de bien des chercheurs pour les manuscrits que nous avons gardés. Il s'agit, on le sait, de copies envoyées par Grimm à ses abonnés princiers qui se trouvaient à des cours, d'importance inégale, dans le Nord de l'Europe. Parmi les abonnés, Grimm comptait Sa Majesté la Reine de Suède et son fils, Gustave 111, et les feuilles qu'ils recevaient se trouvent actuellement à la Bibliothèque Royale de Stockholm. L'intérêt particulier de ce manuscrit s'explique peut-être surtout par le fait que, pour la période de 1760 à 1763, il n'existe pas d'autres manuscrits que celui de Stockholm et les manuscrits de Gotha. Voilà pourquoi, à l'université d'Upsal, une équipe de chercheurs s'est chargée de la présentation, en éditions critiques, des livraisons de la période mentionnée.

Les deux premiers résultats de ce travail sont maintenant parus sous forme de deux éditions critiques des livraisons de la première moitié de 1761 et de 1763, présentées par Ulla Kôlving et Agneta Hallgren. Il est donc possible de se faire une idée des principes qui ont présidé à ces éditions et, partant, aux travaux de l'équipe. '

Disons tout de suite qu'il s'agit d'un apport considérable. Nous avons droit à un texte authentique établi avec le soin qui s'impose et, en outre, à un apparat critique qui relève les variantes par rapport au manuscrit de Gotha. Ce qui marque l'originalité du projet par rapport aux éditions précédentes, c'est l'abondance de notes explicatives qui accompagnent le texte. Il s'agit là d'un travail laborieux et souvent ingrat, mais les usagers de ces éditions sauront apprécier à sa juste valeur le soin méticuleux avec lequel ont procédé les deux auteurs. Avec leurs éditions, on dispose, au moins pour cette période limitée, de deux instruments de travail de grande valeur, qui soulignent le besoin d'une nouvelle édition de l'ensemble de la Correspondance littéraire de Grimm et de Meister.

En quoi réside l'importance de ces textes? Entre autres choses en ceci qu'il s'agit justement d'une correspondance qui reflète une volonté bien articulée pour forger une œuvre critique. La correspondance est, en effet, un phénomène capital pour la période, une activité qui permet à celui qui prend la plume de se masquer ou de se dévoiler en maintenant la conscience précise d'un destinataire unique. Quant à la critique, elle englobe au XVIIIe siècle, plus que jamais, des aspects esthétiques et moraux, et elle s'exerce à la fois dans des textes de fiction et de non-fiction. C'est justement pour ces raisons que la longue série de textes de Grimm et de ses collaborateurs constitue un ensemble cohérent et pertinent: un texte, qui concerne n'importe quel chercheur porté sur les Lumières.

Ulla Kôlving et Agneta Hallgren sont parfaitement conscientes de ces aspects importants de leur entreprise, et dans leurs Introductions les deux auteurs déclarent ouvertement leur but ambitieux: faire revivre l'époque, situer les événements d'alors dans leur contexte, leur «climat intellectuel». Un tel but ne peut guère être atteint dans une édition critique, ce que savent évidemment les deux auteurs; il faut cependant leur savoir bon gré des efforts accomplis, qui parfois nous permettent d'approcher considérablement du but déclaré. On souhaite qu'elles aient l'occasion, plus tard, de compléter ce travail, fondé sur les réfé-

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rences, par des vues qui dépassent le cadre du texte de Grimm. Elles trouveront pour ce faire
des indications stimulantes dans la très riche littérature de ces dernières années sur les
Lumières.

Les deux Introductions, cependant, ont bien d'autres qualités: celle d'Ulla Kôlving, par exemple, nous offre une description détaillée des différents manuscrits aussi bien que des remarques sur les rapports entre la Correspondance littéraire et les autres journaux de l'époque; celle d'Agneta Hallgren, à son tour, passe en revue par exemple toutes les éditions précédentes. Un petit regret, cependant: on aurait aimé que les membres de l'équipe fussent parvenus à mieux intégrer leur travaux dans un cadre commun; il est, pour le moins, un peu gênant que la description des copistes suive deux systèmes différents sans qu'il y ait des renvois qui constatent, par exemple, que le copiste A de l'édition d'Ulla Kôlving est bien le même que le copiste 2 de l'édition d'Agneta Hallgren!

Voilà un petit défaut, causé sans doute par des difficultés matérielles. Espérons que l'équipe dans son ensemble saura les surmonter pour que nous puissions profiter de leur compétence aussi bien en vue d'autres éditions critiques que pour des appréciations d'ordre général sur l'entreprise de Grimm. Les travaux d'Ulla Kôlving et d'Agneta Hallgren comportent de grandes promesses à cet égard. „ n .

Copenhague