Revue Romane, Bind 15 (1980) 1

Maurice Grevisse et al.: Collection «Votre boîte à outils de la langue française». Huit titres parus. Editions Duculot, Paris-Gembloux, 1977-78.

François Marchetti

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Les éditions Duculot inaugurent une nouvelle série de vade-mecum du bon usage de la langue française écrite et parlée. Je dis «nouvelle», car qui ne se souvient des petits guides publiés par le regretté Maurice Rat voici une quinzaine d'années sous le titre général de Le français facile pour tous? Si ces opuscules, qui n'ont rien perdu de leur utilité, avaient peut-être le défaut de s'appuyer presque uniquement sur des exemples empruntés aux auteurs classiques (La Fontaine et Madame de Sévigné y faisaient bon ménage avec le redoutable Vaugelas), on ne pourra faire ce grief aux guides de chez Duculot, lesquels traitent exclusivement de la langue actuelle. Aucun risque donc d'y voir figurer un certain nombre d'expressions qui, du vivant même de Maurice Rat, étaient, sinon tombées en désuétude, du moins à ranger au cabinet des raretés:/a/re un pas de clerc, chanter pouilles à qn., tondre sur un œuf etc.

La nouvelle collection, maladroitement intitulée Votre boîte à outils de la langue française (Comment ne pas établir un rapprochement malicieux avec certaine chanson de Georges Brassens?), répond, au dire de l'éditeur, à l'objectif suivant: Offrir au grand public des usagers du français (de la dactylo à l'académicien ...) un arsenal d'outils spécialement forgés pour s'attaquer efficacement à une 'question spéciale', particulièrement délicate ou périlleuse, du 'bon usage' de la langue française. (S'adresser à l'académicien, l'ambition est de taille!) A quoi l'auteur de la prière d'insérer (publiée sous forme de feuille volante) ajoute: «Guides pratiques de l'usager (A noter au passage le pléonasme: un guide n'est-il pas pratique par définition?), et non ouvrages de théorie grammaticale ou de doctrine linguistique, tel est bien le genre auquel se rattache délibérément la collection. Si elle se réfère à la doctrine du «Bon Usage» de Maurice Grevisse, la collection s'en différencie donc par sa finalité d'éducation populaire et son caractère éminemment pratique (re!). Elle repose sur deux motivations principales:

- de défense de la langue française, dont l'urgence éclate dans un livre tel que «Eh! la
France, ton français fout le camp» par Jean Thévenot.

- le service public que constitue une «boîte à outils» destinée à améliorer la qualité du
langage, condition de toute réussite ou promotion individuelle. «Sûr de votre langage... sûr
de vous!» a été choisi pour slogan de la collection»!

A lire ce texte quelque peu engoncé et racoleur, on serait en droit d'éprouver des inquiétudessur le sérieux de l'entreprise. Il n'en est rien, heureusement. Les huit guides publiés à ce jour (et qui comptent chacun une centaine de pages) sont de mérites divers, mais tous procèdent d'un travail honnête et consciencieux. La présentation en est claire, la typographie aérée (ce qui était rarement le cas dans les petits livres de Maurice Rat), et

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n'était-ce la représentation figurée de la fameuse boîte à outils sur la couverture de chaque volume, il n'y aurait aucun reproche à formuler à cet égard. D'autant plus que la couverture est cartonnée et le papier d'excellente qualité (ce qui entraîne, me semble-t-il, un prix de vente un peu excessif... mais ne nous plaignons point que la mariée soit trop belle!).

Les deux guides de Maurice Grevisse: Savoir accorder le participe passé et Quelle
préposition? sont irréprochables: riches, précis, bien composés, ils épuisent pratiquement
la matière, mais inutile de les acquérir si l'on possède déjà «Le Bon Usage»!

D'Albert Doppagne, deux titres également: La bonne ponctuation: clarté, précision, efficacité de vos phrases (peu heureux, ce terme d'efficacité!) et Les régionalismes du français. Le premier de ces deux opuscules est recommandable en tous points, mais je trouve qu'il fait double emploi avec l'excellent traité de ponctuation que publiait il y a trois ans J.-P. Colignon (J'en avais rendu compte ici même, v. Revue Romane XI 2, 1976, pp. 366-368) et que finalement je préfère. Du reste, on peut s'étonner que la maison Duculot n'ait pas choisi de rééditer le petit livre de Colignon, d'autant plus qu'il s'agissait d'une édition à compte d'auteur. Quant à l'autre guide d'Albert Doppagne, son titre est ambigu. Le terme de régionalismes n'y couvre pas, comme on pourrait s'y attendre, les dialectes et patois de France, mais les belgicismes, les canadianismes et les tours propres au parler de la Suisse romande. Sans vouloir prétendre qu'il y ait tromperie sur la marchandise, j'avoue ne pas voir l'utilité d'un pareil guide, du moins sous cette forme extrêmement réduite, et je gage que l'auteur lui-même a eu des doutes sur la finalité de son entreprise lorsque, dans une première partie théorique (non dépourvue d'intérêt), il a noté: «II faut reconnaître que l'objet même de cette étude est parfois assez subtil à saisir: il ne s'agit, en effet, ni de langue officielle ou correcte, ni des dialectes, mais de ce qui se trouve entre les deux et dont la réalité est loin d'être perçue par les habitants même de la région en question» (p. 30). Tout cela est plus vague que subtil. Suit un glossaire en trois parties: Belgique, Suisse, Canada. Insuffisant, cela va de soi, étant donné les dimensions par trop restreintes de l'ouvrage. L'auteur en convient d'ailleurs volontiers. En somme, un petit livre trop limité, trop superficiel pour un sujet trop vaste, mais qui peut piquer la curiosité.

Offrant plus d'intérêt, mais également soumis aux impératifs de place, l'ouvrage de J.-P. Colignon et P.-V. Berthier La pratique du style. Simplicité, précision, harmonie. On y trouvera des principes élémentaires du bien écrire (selon des critères parfois trop dogmati ques), un rappel des règles de la concordance des temps, une mise en garde contre la «néologite» qui sévit aujourd'hui, les snobismes de langage, les tours précieux, un exposé des principales figures de style, des exemples commentés de platitude, lourdeur, banalité, un brèvissime chapitre sur la ponctuation (avec renvoi judicieux au petit traité d'un des deux auteurs et au précis d'Albert Doppagne, dans la même collection) ainsi que des citations et des références. L'utilité de ce guide, au reste fort agréablement rédigé et qui se lit sans distiller le moindre ennui, est en fin de compte problématique. Il ne peut en aucun cas s'adresser aux académiciens, ni aux étudiants. Il trouvera sans doute son meilleur public chez les lycéens... et les apprentis-écrivains.

Puis-je à mon tour mettre en garde les deux auteurs? Dans le chapitre intitulé Platitude, lourdeur, banalité, ils s'en prennent au verbe faire, proposant, par hypercorrection, d'y substituer des verbes plus appropriés. Et par là même de tomber dans un travers de notre époque, qui consiste à croire que faire est presque toujours remplaçable par un verbe plus adéquat! Si c'est souvent le cas, il ne faudrait quand même pas exagérer. Non, effectuer un calcul n'est pas préférable àfaire un calcul, pas plus que accomplir des fouilles kfaire des fouilles, ni desservir à faire du tort. Il y a des cas où faire + compì, est la meilleure solution

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possible. L'essentiel est de ne pas en abuser. Au demeurant, certaines des solutions de remplacement proposées me semblent bizarres, voire absurdes. Je n'ai jamais lu ou entendu dire qu'on tresse un complot. Et nouer un complot est un archaïsme, de même que remontrerdans le sens affaire des reproches. A user de pareils tours, on tombe dans un travers que les auteurs réprouvent par ailleurs: la préciosité. Il eût été également utile de bien définir les emplois de certains substituts donnés en liste. Détériorer remplace avantageusementfaire du tort quand on détériore sa santé, par exemple. Mais peut-on détériorer quelqu'un? Les verbes mettre, dire et voir encourent aussi, mais à plus faible mesure, les foudres des deux auteurs.

L'autre guide de J.-P. Colignon et P.-V. Berthier, Pièges du langage. Barbarismes, solécismes, contresens, pléonasmes, me paraît beaucoup plus justifié, son utilité, indiscutable. Les limites imposées par le format ne jouent pas, cette fois, au détriment du sujet choisi. Il existe déjà, bien sûr, quantité d'ouvrages plus ou moins développés sur la pureté et l'esthétique de la langue française. On se reportera à la bibliographie donnée par Grevisse dans «Le Bon Usage». Citons pour mémoire, les livres de Albalat, Art, Deharveng, Englebert et Thérive, Feugère, Georgin, Grevisse, Hanse, Le Gai, Thérive, Thomas, dont plusieurs font autorité, et, plus près de nous, ceux de Beauvais, Capelovici, Colin, Etiemble, Rat, etc. Mais le guide de Colignon et Berthier est, à mon sens, celui qui offre le plus de densité dans l'espace le plus réduit. Les deux auteurs ne prétendent d'ailleurs pas à l'exhaustivité. La qualité première de leur opuscule est de bien mettre l'accent sur les fautes le plus communément répandues aujourd'hui, et on sait qu'elles sont légion.

L'ouvrage est divisé en quatre parties inégales: Barbarismes et Solécismes, Paronymes, Pléonasmes, Exercices d'application (avec corrigés). Les exercices, en petit nombre, il est vrai, sont principalement constitués de phrases à trous, où l'usager doit replacer le mot approprié, celui-ci étant préalablement fourni avec d'autres dans une liste limitée à trois ou quatre termes. Cet aspect scolaire du livre ne me gêne en rien. Encore eût-il fallu que les exercices fussent plus nombreux et plus difficiles!

Le plus gros reproche que j'adresserai aux deux auteurs porte sur leur présentation «à bâtons rompus» (comme ils la définissent dans leur avant-propos). Malgré certaines difficultés évidentes, un classement alphabétique eût été incontestablement préférable. Heureusement qu'il n'y a que demi-mal: l'index alphabétique en fin d'ouvrage permet de s'y retrouver.

Le choix des erreurs relevées par J.-P. Colignon et P.-V. Berthier dans le français tel qu'on le parle et l'écrit actuellement, est très pertinent, et j'approuve les auteurs de stigmatiser, par exemple, l'emploi fautif de excessivement pour extrêmement, de soi-disant pour prétendu et prétendument, d'alternative pour solution de rechange, de s'avérer faux pour se révéler faux, l'usage abusif de plan et de niveau, la confusion entre acquis et acquit, ou entre éclairer et éclaircir, toutes fautes courantes s'il en fut. Mais c'est en vain qu'on cherche l'indication d'autres solécismes non moins répandus et choquants comme au plan de (pour sur le plan de, plan étant par ailleurs justement déconseillé au profit de point de vue), perspective d'avenir, assez + adjectif ou adverbe (au lieu de très + adj. ou adv.; on entend constamment «C'est un acteur assez étonnant»: étonnant jouit depuis des années d'une faveur injustifiée dans une acception qu'il n'a pas. Le français ne manque pas de superlatifs, que diable!), la confusion entre évoquer et invoquer, naguère utilisé au sens de jadis, aux environs de précédant une donnée temporelle (aux environs de Pâques), etc.

II eût encore été souhaitable de bien préciser l'emploi de prendre garde à + verbe et
prendre garde de + verbe, de donner le sens exact de l'expression marcher (ou aller) sur les

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brisées de qn., d'indiquer que si après que doit être suivi de l'indicatif et non, comme on le constate si souvent, du subjonctif, cette conjonction admet également le conditionnel, dans le cas de l'hypothèse. Grevisse ne cite-t-il pas, dans «Le Bon Usage», cet exemple de Malraux: Ne reviendrait-il pas un soir semblable après qu'il aurait été vraiment tué? On pourrait sans crainte écrire eût été tué, à condition de spécifier qu'il s'agit là d'un conditionnelpassé deuxième forme (homophone et homographe du subjonctif plus-que-parfait, d'où, en plus des explications traditionnellement avancées par les grammairiens - influence de avant que et homophonie entre passé antérieur et plus-que-parfait du subjonctif - la tendance vicieuse à mettre systématiquement le subjonctif derrière après que). Confusion également à signaler: il appert et // apparaît (Je viens de la relever coup sur coup dans deux ouvrages très sérieux).

Quelques remarques de détail:

P.9: J'ai débouché le levier!'. Où donc les auteurs ont-ils lu ou entendu cette monstruosité, qui me semble bien peu imaginable? A moins qu'elle n'ait été commise par un étranger baragouinant le français. A ce prix-là, je pourrais citer une de mes grands-tantes, d'origine luxembourgeoise, qui disait tévélision, reprochait aux journaux leurs articles pleins de buffle et se réjouit, un jour, de voir une famille sortir indienne d'un grave accident de voiture!

P. 15: Les auteurs, dans leur commentaire sur paraître, emploient le verbe privilégier dans le sens de préférer. Ce faisant, ne cèdent-ils pas eux-mêmes à une mode condamnable? P.33: Je n'ai jamais vu ou entendu utiliser ingérence dans le sens de «incompétence à gérer». En revanche, j'ai souvent rencontré l'orthographe ingérance (par rapprochement avec gérance, je suppose).

P.56: Un incident ne peut être heureux, contrairement àce qu'écrivent Colignon et Berthier.
Mais il peut avoir des suites heureuses.

P.58: II faudrait être bien ignare pour confondre allusion, illusion et alluvîon, ou allocation
et allocution. Même des étudiants étrangers débutants ne commettent pas ces bévues.
Confondre collision et collusion est, par contre, un fait très répandu.

P.71: L'usage de comme par exemple est réprouvé par nos deux auteurs comme constituant
une superfluité. Je ne serai pas aussi doctrinaire qu'eux. Comme indique une comparaison,
par exemple un choix. Il est parfaitement licite d'opérer un choix dans une énumération
qu'on prend comme exemple, et de le spécifier. Une phrase telle que Des écrivains comme
Hugo et Zola ont su admirablement parler des misères du peuple marque, à mon sens, un
choix beaucoup plus exclusif que Des écrivains comme, par exemple, Hugo et Zola
(où l'on sous-entend qu'un certain nombre d'autres écrivains en ont fait autant).

Enfin, dans la liste des pléonasmes à éviter, on s'étonne de ne pas voir figurer, en raison même de leur fréquence: autrement plus + adj. ou adv., violente diatribe, voire même, et quelques autres. Que le paragraphe consacré à l'incroyable J'ai débouché le levier saute dans la prochaine édition, et la place ainsi gagnée pourra être dévolue à quelques-uns de ces pléonasmes que tout un chacun entend commettre journellement à la radio et à la télévision, ainsi qu'aux quatre (!) coins de l'hexagone (comme l'avait dit, dans les années soixante, un ministre de l'lnformation).

Somme toute, un guide qui rendra les plus grands services, notamment aux étudiants
étrangers, prévenus ainsi contre des fautes dont les Français se rendent à chaque minute
coupables.

Autre manne à découvrir dans la «boîte à outils»: Le subjonctif: Comment l'écrire?
Quand l'employer? par Jacques Cellard (nom familier aux lecteurs des pages littéraires du

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journal «Le Monde»), un guide qui n'appelle que des ¿loges. La conception est traditionnelle (Deux parties: morphologie et différents emplois du subjonctif)» la terminologie de même. L'exposé est lumineux, précis, facile à retenir, enrichi d'exemples nombreux et «modernes», bref un petit livre si bien fait queje n'hésite pas à le recommander comme le meilleur de la série. Un vademécum que tout étudiant de français se doit de posséder!

Le dernier des huit guides passés en revue ici, 1000 difficultés courantes du français parlé, par Roland Godiveau, m'inspire des sentiments plus mélangés. Non qu'il soit mauvais, loin de là, mais le choix limité à 1000 difficultés me parait bien arbitraire. Pour un certain nombre des problèmes abordés, ce livre fait double emploi avec celui, que nous venons de commenter abondamment, de J.-P. Colignon et P.-V. Berthier, sur lequel il a d'ailleurs l'avantage de présenter un classement par ordre alphabétique, ce qui procure une économie de place et rend un index superflu.

On y trouvera néanmoins l'indication de nombreux tours vicieux non signalés par Colignon et Berthier, les correspondants français des nombreux anglicismes qui font florès dans le domaine audio-visuel, des éléments de syntaxe et de prononciation utiles, certes, mais par trop insuffisants. Un ouvrage fait un peu de bric et de broc, trop développé pour les uns, trop incomplet pour les autres. C'est finalement plus un répertoire des usages du bien parler pour les speakers des radios et des télévisions françaises et francophones qu'un guide destiné au grand public. Roland Godiveau a du reste l'honnêteté d'en avertir le lecteur dans son avant-propos. Mais je ne vois guère l'utilité de cet opuscule pour des étudiants, par exemple.

Au total, la nouvelle collection des guides Duculot se situe à un niveau très honorable, la plupart des titres pouvant être recommandés au grand public comme aux professeurs et étudiants étrangers, mais deux s'adressant plus particulièrement à une catégorie professionnelle restreinte ou à un groupe ethnique plus limité - ce qui contredit partiellement les déclarations d'intention de l'éditeur, lequel vient de publier, dans la même série, huit nouveaux titres, dont nous rendrons compte ultérieurement.

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