Revue Romane, Bind 15 (1980) 1

Remarques sur la réception de son modèle de grammaire dépendantielle

Günter Holtus

1. Certes, l'ouvrage principal de Lucien Tesnière visant à créer un modèle de grammaire dépendantielle a été publié presque en même temps que les premiers ouvrages de Noam Chomsky (les Eléments de syntaxe structurale parurent pour la première fois en 1959, 21965, 31969, les Syntactic Structures datent de l'année 1957); cependant, les débats de la linguistique, plus spécialement dans le domaine des langues romanes, ne lui ont jamais accordé la même attention qu'au modèle de la grammaire transformationnelle. Dans les pays germanophones, quelques-uns des concepts-clefs de Tesnière ont été perfectionnés, en particulier du point de vue de la valence, sans que pour autant les conceptions de Tesnière aient toujours reçu une consécration digne de ces honneurs. On ne saurait parler d'une réception des Eléments sur une vaste échelle à l'exception peut-être de recherches assez importantes effectuées en Union Soviétique et en RDA. C'est seulement à une date toute récente que se sont manifestées de nouvelles approches, propres à conférer à la grammaire dépendantielle un rôle plus important, en particulier dans l'enseignement de la langue maternelle et des langues étrangères. Les travaux préparant une analyse poussée et un prolongement de ce modèle ont été réalisés en particulier dans la synthèse fondamentale de Richard Baum qui, dans son ouvrage paru en 1976 sur la grammaire dépendantielle, éclaire d'une part les positions de la grammaire de Tesnière en matière d'histoire de la science, mais offre également quelques compléments critiques de valeur pouvant servir de point de départ aux débats ultérieurs.

Dans les lignes qui suivent seront précisés quelques points centraux de la grammaire dépendantielle; le texte original de Tesnière, trop peu mentionné dans l'ensemble par les linguistes, ne cessera de constituer le centre de la discussion et fera l'objet de commentaires critiques et, le cas échéant, de compléments. Il s'agira, outre la discussion des différents concepts-clefs de Tesnière (structure, classes de mots, valence, métataxe, jonctions, translations) de présenter brièvement quelques disciples de Tesnière et de comparer la grammaire dépendantielle sur quelques points centraux aux modèles mieux connus de la grammaire des Immediate Constituents ainsi que de la grammaire transformationnelle. Il y aura lieu d'accorder une importance particulière aux perspectives d'application des modèlesen cause dans l'enseignement de la langue maternelle et des langues étrangères, d'autantque Tesnière lui-même a insisté de prime abord sur les aspects didactiques de sa grammaire. Baum se contente d'affirmer (en rappelant deux passages traités auparavant [11

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n 7 et 14 n 3]) que la théorie de la syntaxe de Tesnière a fait ses preuves sous sa forme actuelle dans la pratique de l'enseignement [53]. On discutera, surtout dans la dernière partie de cet article, des possibilités réelles qui s'offrent à l'enseignement et des points sur lesquels le modèle de la grammaire dépendantielle se révèle moins utile à cet égard.

2. Tesnière développe et commente sa notion de STRUCTURE dans les chapitres làIV du livre A, dans la première partie de sa grammaire. L'objet de la syntaxe structurale est l'analyse de la phrase (llrl.l)1; entre les différents éléments de phrase existe un rapport (11:1:3); le point central de l'analyse de la phrase est le verbe (13:2:2)2; une phrase du type «Alfred parle» se compose d'au moins trois éléments: le verbe, un actant et la connexion entre les deux éléments (11:1:5). «L'étude de la phrase, qui est l'objet propre de la syntaxe structurale (...), est essentiellement l'étude de sa structure, qui n'est autre que la hiérarchie de ses connexions» (14:2:6). Tesnière distingue de la façon suivante l'objet de la syntaxe de celui de la morphologie: «L'étude de la forme extérieure de la phrase est l'objet de la morphologie. L'étude de sa forme intérieure est l'objet de la syntaxe» (34:15:5), c.-à-d. «saisir l'ensemble des connexions qui en unissent les différents mots» (12:1:10). Dans l'analyse de la combinaison «Alfred parle», «d'une façon superficielle, purement morphologique» n'apparaissent que deux éléments alors que l'analyse syntaxique en profondeur tiendra compte également de la connexion (ou lien syntaxique) (12:1:7; cf. en outre 39:19:9-11).

Ce qui frappe dans l'argumentation de Tesnière, c'est la hiérarchie postulée de prime abord entre le verbe (le régissant) et le sujet ou le premier actant (le subordonné) (13:2:2). Peut-être Tesnière voit-il une justification d'ordre linguistique dans le fait que les actants peuvent en principe - en cas de substitution du verbe - changer de position, c.-à-d. qu'un premier actant deviendra un deuxième actant et inversement (cf. l'exemple de la p. 14:3:4). Cependant, il tempère par la suite ce principe dans la mesure où le nœud central peut être également tenu par un élément des classes substantívale, adjectivale ou adverbiale (15:3:7), si bien que l'on peut parler de phrase substantivale (100:47:10), adjectivale (100:47:11) ou adverbiale (101:47:12).

Les commentaires ultérieurs de Tesnière sur les rapports de Yactivité parlante et du
résultat avec la parole et la langue de même qu'avec Yenergeia et Yergon chez W. von
Humboldt ne paraissent pas parfaitement clairs et convaincants dans leur brièveté3.

Il n'est pas sans intérêt ni sans importance, pour les développements ultérieurs de la linguistique, de mentionner la distinction faite par Tesnière de Yordre linéaire - «celui d'après lequel les mots viennent se ranger sur la chaîne parlée» (18:5:8) - et de Yordre structural, objet de la linguistique structurale - «celui selon lequel s'établissent les connexions»(16:4:1) -, distinction par laquelle il suggère au moins - s'il ne la préfigure - la dichotomie introduite par la grammaire transformationnelle entre structure superficielle et structure profonde. Ici se manifestent, par ailleurs, les approches d'un modèle de communication,lorsque Tesnière identifie l'acte de parole à une traduction de l'ordre structural en ordre linéaire et l'acte de compréhension à une traduction de l'ordre linéaire en ordre structural (19:6:4 et 21:7:5). Ses remarques sur l'importance de l'accord pour la liberté dans l'ordre des mots (20:6:9 et 21:7:7) préfigurent également les idées reprises plus tard p. ex. par Jean Dubois dans laGrammaire structurale du français: les marques d'accord apparaissantdans la langue écrite, p. ex. dans les participes passés, manifestent les rapports entre les divers éléments d'un message. Notons cependant que la syntaxe structurale de Tesnière ne représente pas elle-même un modèle de synthèse de l'expression linguistique, une

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grammaire 'generative': la voie conduisant à une grammaire generative sur la base d'une analyse categoriale et fonctionnelle des phénomènes linguistiques semble encore fort longue,écrit Baum [51] ajuste titre (cf. également ci-dessous nos remarques sur les approches de Heringer et la discussion sur la notion de valence).

Les remarques de Tesnière sur les critères d'une langue centrifuge (caractérisée par un ordre descendant, c.-à-d. que sur le plan de l'ordre linéaire on s'éloigne peu à peu du nœud central) et d'une langue centripète (caractérisée par un ordre ascendant, c.-à-d. que domine la succession subordonné - régissant) ne sauraient entièrement convaincre et laissent une impression de simplification quand Tesnière p. ex. classe le français langue centrifuge (22:8:7), tout en lui attribuant ensuite un caractère centrifuge mitigé (33:14:6). La tendance du français actuel à la prédétermination montre que les éléments déterminant le nœud central se rencontrent de plus en plus avant le centre, c.-à-d. que le français se rapproche de plus en plus d'une langue centripète. On conviendra néanmoins que Tesnière a vu ce problème lui-même, au moins de façon embryonnaire, p. ex. lorsqu'il distingue dans le syntagme «le cheval blanc» un ordre centripète («le cheval») et un ordre centrifuge («cheval blanc») (de même lorsqu'il prend «nous avons chanté» comme exemple d'agglutination, 27:11:5). Cette 'tendance' caractéristique de l'évolution historique du français (qui n'est pas une 'règle')4 n'a été reconnue par Tesnière que partiellement.

La 'règle de traduction' liée à l'attribution d'une langue au type centrifuge ou centripète, p. ex. du français (centrifuge) à l'allemand (centripète) («Intervertir l'ordre des relevés verticaux mais respecter l'ordre des relevés horizontaux», 23:8:10) paraît également trop générale, sans tenir compte du fait que l'exemple tiré de La Fontaine (fr. «un chemin montant, sablonneux, malaisé», ail. «ein steiler, sandiger, schwieriger Weg»), comme souvent chez Tesnière, ne correspond pas (ou plus) à l'usage effectif qui donnerait la préférence à une tournure comportant un relatif (auquel cas est applicable éventuellement une translation adjectivale du deuxième degré, v. ci-dessous).

Les remarques de Tesnière sur la notion de mot (25:10) reflètent, malgré l'introduction utile d'une hiérarchie des coupures entre les mots et les segments d'une chaîne, les difficultés que présente une définition linguistique de cette notion. Sa distinction entre Yexprimende («Nous donnerons le nom d'exprimende à la pensée et aux schèmes structural et linéaire qui lui correspondent sur le plan linguistique», 35:16:1) et Xexprimé («(...) et le nom d'exprimé au vêtement phonétique qui leur prête une forme sensible», ibid.), de même que les rapports entre ces deux notions («Le sens ou signification d'un élément donné de la chaîne parlée est le rapport de l'exprimé à l'exprimende», 35:16:2), est comparable à la division faite par Saussure du signe linguistique en signifié et signifiant. «L'exprimende est le sens de l'exprimé», «l'exprimé est le marquant de l'exprimende», et le rôle de la morphologie est «essentiellement et uniquement l'étude des marquants» (36:16:7), étant entendu que le marquant peut parfois faire défaut. La définition donnée ensuite par Tesnière de la fonction est au moins un peu vague: «Nous appellerons fonction de mots le rôle qui leur est assigné dans le mécanisme de l'expression de la pensée» (39:19:4); la notion de fonction nodale prendra davantage de relief par la suite: «Le régissant a pour fonction de nouer en un seul faisceau les différentes connexions qui unissent à lui ses divers subordonnés»

Un autre point central des remarques préliminaires de Tesnière est la distinction de la structure et du sens: «Le plan structural est celui dans lequel s'élabore l'expression linguistiquede la pensée. Il relève de la grammaire et lui est intrinsèque. Le plan sémantique au contraire est le domaine propre de la pensée, abstraction faite de toute expression linguistique.Il

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tique.Ilne relève pas de la grammaire, à laquelle il est extrinsèque, mais seulement de la psychologie et de la logique» (40:20:5- Ici se manifeste de nouveau une relation étroite entre la pensée de Tesnière et la grammaire transformationnelle en ses débuts: Tesnière insiste sur l'indépendance du plan structural et du plan sémantique et fait de la syntaxe une science autonome, «indépendante de la logique et de la psychologie»: «Elle intéresse la forme de l'expression de la pensée, non la pensée qui en est le contenu» (42:20:18). L'exemple absurde cité par Tesnière, «Le silence vertébral indispose la voile licite», préfigureles nombreux exemples, cités à une époque plus récente, de phrases dépourvues de sens, mais correctes d'un point de vue structurals. On peut pourtant se demander s'il yalà une preuve irréfutable de l'indépendance du plan structural et du plan sémantique et de non-intervention des critères sémantiques dans le montage du stemma, les mots français étant connus dans leur classification traditionnelle et le stemma étant monté sur le modèle d'autres structures sur la base d'une connaissance des mots ou au moins d'une identificationdes désinences et des articles. La description faite par Tesnière de l'autonomie de la syntaxe et de ses lois propres (42:20:21) ne peut sans doute être maintenue sous cette forme rigoureuse - d'un point de vue formel, elle rappelle la phrase finale du Cours de linguistique générale attribuée à tort à Saussure. Tesnière lui-même, comme il apparaîtra plus loin, n'a jamais pu séparer sémantique et syntaxe avec la précision qu'il postule ici, non sans quelquearbitraire. Cependant, le parallélisme général de l'incidence structurale et de l'incidencesémantique correspond de la part de Tesnière à une distinction importante du point de vue du contenu informatif, notion qui devait prendre un grand relief: d'un point de vue syntaxique, la dépendance dans «les petits ruisseaux» est entre «ruisseaux» (régissant) et «petits» (subordonné); d'un point de vue sémantique, le rapport va au contraire de «petits» à «ruisseaux», fait dont Tesnière déduit ce principe décisif de la communication: «Plus un mot est bas situé sur l'échelle structurale, plus il a de chances d'être essentiel pour le sens de la phrase» (43:21:8). Notons la formulation prudente, qui exclut une généralisation excessive de cette tendance. Selon Baum, Tesnière n'aurait pas pris position sur le cours, la 'direction' de la relation sémantique, et il s'agirait dans le cas de la relation syntaxique d'une relation de 'dépendance' [59]; pourtant, Tesnière affirme sans ambages que «l'incidencesémantique s'exerce dans le sens du subordonné au régissant, c'est-à-dire de bas en haut dans la représentation stemmatique (...). L'incidence sémantique s'exerce donc en sens inverse de la connexion structurale» (43:21:6-7).

Le complexe résultant d'une coïncidence d'un noeud structural et d'autres centres, en particulier d'ordre sémantique, reçoit de Tesnière le nom de nucléus (45:22:5, cf. Baum 58). L'analyse commentée par la suite du nucléus en centre structural et centre sémantique rappelle les termes usuels de morphème et sémantème (Martinet) ou de morphème grammatical et lexical (47:23:10). Là aussi, Tesnière a bien vu que la notion de 'mot' n'apportait rien à l'analyse linguistique (48:23:18).

La partie terminale de ce chapitre contient les considérations de Tesnière sur la syntaxe statique - «celle qui a pour objet l'étude des catégories» - et la syntaxe dynamique - «celle qui a pour objet l'étude des fonctions» (50:25:10). Cette dernière constitue l'objet propre de la syntaxe structurale, mais l'une et l'autre sont en état d'interdépendance. Baum appelle ces deux secteurs syntaxe categoriale et fonctionnelle ou structurale (44, cf. également 48 et 50).

En somme, nous pouvons affirmer que, dans les remarques préliminaires de Tesnière sur
la notion de structure, prend forme un cadre théorique suffisant à englober une série de
problèmes de la linguistique traditionnelle aussi bien que de la linguistique actuelle (Baum

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47). On retiendra en particulier les considérations de Tesnière sur les rapports de la structureet
du sens et sur leur distinction fondamentale, de même que l'opposition ordre linéaire

-ordre structural avec les rapports réciproques correspondants, dans l'acte de parole et
l'acte de compréhension (42:21, 40:20, 19:6).

3. Le sujet des CLASSES DE MOTS est traité par Tesnière dans les pages 51 à94de ses Eléments; c'est l'une des contributions originales, mais contestées, de Tesnière au problème des catégories syntaxiques fondamentales. Tesnière commence par critiquer la définition traditionnelle des espèces de mots, qui confond trois critères: elle considère les mots d'une part selon leur nature (verbe, substantif, article), d'autre part selon leur fonction (pronom, adjectif, adverbe, conjonction), et enfin d'après leur place dans la phrase (préposition, interjection) (52:27:4-7). Il s'efforce ensuite de définir les classes de mots d'un point de vue syntaxique et structural autant que sémantique et distingue la catégorie fondamentale des mots constitutifs - «tout mot susceptible d'assumer une fonction structurale et de former nœud» (56:29:2) - et la catégorie auxiliaire des mots subsidiaires (jonctifs, translatifs) quine peuvent pas former de nœud. On regrettera ici d'abord que l'auteur n'ait pas prévu des dénominations nouvelles pour les catégories fondamentales (cf. Baum 62) et ensuite qu'il n'ait pas fourni une description explicite de leur découverte et qu'il n'ait pas précisé le caractère exhaustif de leur liste. Tesnière procède plutôt intuitivement dans ses affirmations et ne justifie pas le choix, dans l'exemple «Le petit garçon chante très souvent une fort jolie chanson», du concept de substantif pour «le garçon», d'un adverbe pour «souvent» ou d'un adjectif pour «jolie» (cf. Baum 63 sqq.), àla différence de Fríes6, qui obtient ses classes de mots par substitution des divers éléments. La distinction faite ensuite des actants et circonstants sur le plan de la première dépendance relève entre autres d'une perspective sémantique et ne présente pas de critère proprement syntaxique de définition des classes de mots.

Du point de vue sémantique, Tesnière oppose les mots pleins aux mots vides (53:28-32), opposition comparable dans ses grands traits à celle du sémantème et du morphème (53:28:5). Baum a commenté en détail cette classification d'un point de vue critique et propose les expressions d'éléments à signification lexicale («Elemente mit lexikalischer Bedeutung») et d'éléments à signification instrumentale («Elemente mit instrumenîaler Bedeutung») [73]. L'importance des prétendus mots vides - non seulement dans le style télégraphique - apparaît encore plus clairement si, dans l'exemple choisi «Arriverai Paris demain train huit heures» (pour «J'arriverai à Paris demain par le train de huit heures») le prédicat est remplacé par «Viens», si bien que dans la phrase abrégée l'univocité n'est plus assurée (indicatif ou impératif?).

A cet égard, on retiendra également cette constatation de Tesnière qu'au cours de l'évolution historique d'une langue les mots pleins se transforment souvent en mots vides, déplacement facile à prouver par l'exemple de la genèse des mots fonctionnels, si symptomatiques de la structure du français actuel7. Tesnière fait l'histoire du pronom // (mot constitutif > mot subsidiaire), mais ne prévoit pas dans sa théorie de place précise pour elle, elles, nous, vous: ces mots peuvent se présenter aussi bien comme éléments nodaux (ex. elle-même, elle seule et autres combinaisons) que comme indices personnels subsidiaires. Mentionnons également la définition limpide donnée par Tesnière de la fonctiondes morphèmes personnels je, tu, il (85:41:23), qu'il assimile aux désinences personnellesdes verbes latins comme on en a pris l'habitude, en linguistique structurale, en

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distinguant la prédétermination et la postdétermination, déjà connue d'ailleurs à une époque
antérieure.

On peut appliquer en principe à la définition par Tesnière des classes de mots sémantiques fondamentales (61:32-37, cf. Baum 76-80) la critique faite également à la théorie traditionnelle des classes de mots: comment distinguer "substance" et 'procès' dans des substantifs tels que «le jeu, le transfert, le mouvement, la fusion», quelles significations catégoriales ont «la dureté, la rougeur, la paresse», peut-on considérer comme 'procès' des verbes tels que «reposer, se trouver, gésir»? On pourrait peut-être appliquer à quelques-uns de ces substantifs l'idée de translation étymologique dérivationnelle. Certes, on appréciera le fait que Tesnière voit l'adjectif et l'adverbe dans leurs relations sémantiques avec le substantif et le verbe; cependant, il ne différencie pas davantage les adverbes qui peuvent s'appliquer non seulement à un verbe, mais aussi à un adjectif, à un autre adverbe ou à la phrase tout entière.

Malgré ces tentatives et ces formulations explicites, Tesnière n'est pas suffisamment conséquent dans la distinction du plan syntaxique et du plan sémantique. Baum a vu [84 sqq.] qu'il n'y a pas là nécessairement un danger pour les développements ultérieurs de la grammaire dépendantielle en général et plus particulièrement des applications pédagogiques et pratiques.

4. Dans la réception des Eléments de syntaxe structurale de Tesnière, la notion de VALENCE
(238-282) tient une place de choix. Nous nous contenterons ici de quelques remarques
de détail et réflexions personnelles sur ce vaste problèmeB.

Remarquons, à propos de la classification des verbes par Tesnière selon leur valence - verbes avalents, monovalents, bivalents et trivalents - que l'avalence des verbes impersonnels {il pleut, il neige etc.) se fonde plutôt sur des aspects sémantiques que syntaxiques: on pourrait les considérer également d'un point de vue purement structural comme verbes monovalents. L'auteur interprète de même des expressions telles que «il pleut des hallebardes» ou «es ist mir warm» (241:99:8-9) comme exemples de monovalence des verbes accompagnés d'un seul second ou troisième actant. Dans une phrase ne comportant que deux actants, il ne s'agira pas nécessairement du premier et du second actant (111:51:26), un premier et un troisième actant peuvent apparaître de concert, ex.: «le livre me plaît».

Malheureusement, les exemples de Tesnière, surtout lorsqu'il s'agit de comparaisons avec d'autres langues, ne sont pas toujours choisis adroitement ou alors ils trahissent une certaine incertitude dans son interprétation de la valence de tel ou tel verbe. Ainsi, Tesnière interprète les verbes allemands warten et wohnen comme monovalents, erwarten et bewohnen comme verbes bivalents (269:113:16), sans se rendre compte que, p. ex. dans les cas de wohnen («er wohnt in diesem Haus»), le complément prépositionnel n'est pas facultatif, mais représente un élément nécessaire pour obtenir une phrase correcte et complète. La préposition il l'entraîne à faire de tout ce membre de phrase un circonstant, bien que, comme le dit Tesnière lui-même, la signification soit la même que dans la construction «er bewohnt dieses Haus» avec un verbe bivalent. En fait, le problème des circonstants obligatoires se pose aussi en français: Tesnière oppose les phrases «il habite dans cette maison» et «il habite cette maison». Même dans l'exemple présenté par Tesnière («Alfred fourre son nez toujours partout», 102:48:6), on peut se demander si les deux circonstants ne se présentent qu'à titre facultatif et si la phrase serait conforme à l'usage sans toujours ou sans partout.

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II est frappant, par ailleurs, que Tesnière distingue dans la diathèse causative ou factitive, dans des exemples tels que «vivre sa vie», «seinen Weg gehen» (272:114:7), la valence d'expression et la valence de contenu9. Dans l'exemple «Caesar pontem fecit», il part d'un actant implicite (César n'a pas construit le pont lui-même, mais l'a fait construire) qui n'est pas exprimé du tout sur le plan syntaxique. Ici apparaît donc un co-actant sémantique et logique qui manque sur le plan syntaxique et ne peut qu'être déduit, conformément à l'expérience du contexte, de la réalité extralinguistique. Stòtzel fait remarquer ajuste titre que cette variété de marquant zéro doit être séparée dans la diathèse causative des autres exemples avec répondre et circuler, pour lesquels correspond à l'actant sémantique un actant syntaxique.

La modification de valence entraînée par la diathèse causative comporte d'autres problèmes sur lesquels Tesnière ne s'est pas attardé. Il distingue p. ex. montrer de voir en ce que montrer peut avoir trois actants et que voir ne peut en avoir que deux. Cependant, voir figure également dans le français actuel comme équivalent du passif dans des constructions telles que «il s'est vu retirer son permis de conduire», entraînant de nouveaux problèmes de définition de la valence.

La diathèse récessive, renversement de la diathèse causative ou factitive, réduit le nombre des actants et est liée en français au pronom réfléchi, sa marque essentielle. Tesnière illustre le caractère récessif du pronom réfléchi (entre autres) par les exemples «les maisons se construisent lentement», «la porte s'ouvre» (273:115:9). Ici apparaît une contradiction: il considère par la suite les verbes classés par la grammaire traditionnelle accidentellement comme les véritables verbes réfléchis, tout en attribuant aux verbes 'essentiellement réfléchis' une diathèse récessive (274:115:15-16). Les verbes des deux exemples ci-dessus sont utilisés également sans pronom réfléchi et devraient donc, selon Tesnière, être vraiment réfléchis, ce qu'ils ne sont pas dans les phrases citées.

Dans l'ensemble, reconnaissons néanmoins que Tesnière ébauche déjà l'analyse de rapports sémantiques importants entre les différents verbes et qu'il préfigure par là certaines idées de la sémantique generative concernant en particulier le principe des marques sémantiques et de leur combinaison dans les verbes. Par contre, les concepts fondamentaux, en définitive, ne sont pas posés explicitement; définis tantôt selon la syntaxe, tantôt d'un point de vue sémantique, ils ne sont pas toujours de nature à fournir une description adéquate de la langue. Aussi le concept de valence a-t-il reçu chez les disciples de Tesnière un élargissement critique et des précisions nouvelles. Nous indiquerons brièvement quelques-unes des modifications les plus importantes.

Brinkmann se maintient, pour l'essentiel, dans le cadre du modèle de valence de Tesnièr elo: il ne compte pas parmi les actants les objets prépositionnels, les compléments adverbiaux et les attributs, néanmoins il accorde au sujet une place particulière. Il est critiqué p. ex. par Helbig et Schenkel, pour lesquels l'importance accordée à la structure sujet - prédicat obscurcit les rapports de valence et ne fait pas apparaître suffisamment le rôle structural central du verbe conjuguéll.

Erben élargit, par rapport à Tesnière, le cadre des membres de phrase nécessaires et parvient ainsi à des verbes quadrivalentsl2. Il reconnaît comme compléments à égalité du verbe non seulement sujet et objets, mais compléments adverbiaux, attributs et objets prépositionnels. Cependant, d'une part il élargit trop le cadre des compléments (il considère comme obligatoire le datif libre de «ich schreibe dem Vater»), d'autre part il le rétrécit à l'excès (les compléments adverbiaux obligatoires se réduisent aux compléments de lieu). Remarquables sont les compléments critiques apportés par Brinker à Erben quant au porteur

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d'un message. Il introduit, àce propos, le principe du centre de communicationl3. Ici peuvent
s'ouvrir de nouvelles perspectives combinant les approches du modèle de dépendance à une
analyse de théorie de l'information partant de la distinction du rhème et du thème.

Grèbe énumère parmi les compléments obligatoires non seulement les compléments de lieu, mais également les compléments de temps, de manière et de causel4. Il remplace le principe des membres de phrase nécessaires à la grammaticalité d'une phrase par celui du membre de phrase ressenti intuitivement comme nécessaire dans le cas d'une phrase précise. D'où un jeu plus libre laissé à l'interprétation, permettant d'augmenter considérablement le nombre des membres de phrase considérés comme obligatoires, ce que p. ex. Helbig et Schenkel ne manquent pas de critiquer.

Chez Helbig et Schenkel, la mise en formule du concept de valence suppose trois condition sls) renonciation àla place privilégiée du sujet, nécessité de distinguer entre les compléments obligatoires ou facultatifs et les indications complémentaires, enfin intégration au groupe des compléments de certains compléments adverbiaux, des objets prépositionnels et des attributs. On critiquera cependant dans leur essai de définition de la notion de valence [34] l'imprécision de ce qu'ils appellent 'rapport abstrait du verbe à ses éléments dépendants 'l6. Les critères proposés en vue d'une distinction des compléments et des indications complémentaires recèlent également, comme le soulignent Brinkerl7 et EmonslB, quelques facteurs d'incertitude, s'il est vrai que les membres de phrase déclarés intuitivement comme indications complémentaires ne peuvent être tous réduits à des propositions adverbiales (ex.: «Er kommt jeden Tag»). Helbig et Schenkel complètent ensuite leur modèle dans l'espoir d'obtenir un modèle de valence pouvant servir de mécanisme régulateur à la combinaison des éléments linguistiques. La première tranche de ce modèle comporterait une liste quantitative des co-actants du verbe, une seconde tranche la distribution qualitative des éléments syntaxiques et une troisième l'environnement sémantique [35 sqq.]. La tentative qui consiste à localiser dans les structures profondes la différence entre les actants obligatoires ou facultatifs et les indications complémentaires tout en déclarant superficielle la différence entre actants obligatoires et facultatifs suggère, une nouvelle fois, des rapports étroits avec le modèle de la grammaire transformationnelle generative de Chomskyl9. Constatons néanmoins que la notion de valence reste nettement localisée sur le plan syntaxique.

Heringer est le premier à faire un usage conséquent de la notion de valence sémantique, l'épreuve de substitution et d'élision n'étant pas non plus, en dernière analyse, un critère décisif de distinction entre compléments obligatoires ou facultatifs et indications complémentaire s2o. Le critère sémantique précisé par Heringer dans le système de sa sémantique generative fait reposer la différence entre complément et indication sur une différence sémantique dans sa contribution à la signification de la phrase, différence qui n'est pas parallèle au critère de nécessité2l. Il distingue donc valence syntaxique et valence sémantique; la notion de valence s'empare du plan sémantique.

Ces approches ont entraîné des développements ultérieurs de la part de Brinker22 et surtout de Bondzio. Bondzio applique sa notion de 'manque' (Leerstelle) non seulement au verbe, mais à toutes les catégories de mots. Cette notion, prise dans la logique predicative, permet de tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas, en règle générale, de co-actants concrets et particuliers mais, dans chaque cas, de classes entières de partenaires possibles23. Il appelle valence l'existence de ces manques résultant de la relativité et du caractère relationneldes sémèmes, c.-à-d. la propriété d'une signification de présenter des manques dans le sens suggéré ici (logique des relations)24. L'existence et le nombre des manques dépendent donc de la signification du mot en cause, la catégorie verbale en elle-même

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n'étant pas décisive. Il appelle modificateurs les composantes sans importance pour la valence, qui président aux différences sémantiques sans rapport avec la valence, telles qu'elles existent entre «tòten, ermorden, schlachten»2s. Bondzio définit donc la notion de valence d'un point de vue nettement sémantique et voit de la façon suivante le problème des rapports entre le plan syntaxique et le plan sémantique: les rapports grammaticaux ne sauraient exister sans rapports sémantiques et logiques; une structure sémantique et logique ne saurait être réalisée linguistiquement qu'à travers une structure grammaticale.

Ainsi, la notion de valence, définie d'abord par Tesnière en termes de syntaxe, s'est déplacée de plus en plus en direction de la sémantique. Il est clair cependant qu'une description adéquate des valences se manifestant dans une langue devra tenir compte non seulement des aspects sémantiques mais aussi des aspects syntaxiques, et qu'elle devra intégrer ceux-ci au modèle de la grammaire.

5. La notion de MET AT AXE, proposée par Tesnière après celle de valence (283-319), n'a malheureusement guère préoccupé la critique linguistique. Par métataxe, Tesnière entend la modification de structure que comporte le passage d'une langue à l'autre, modification qui peut être représentée à l'aide d'un stemma (283:120:2- Sa distinction entre traduction superficielle et traduction profonde comportant une métataxe (283:120:6) rappelle le concept de structures superficielle et profonde proposé par la grammaire transformationnelle generative. Ici, Tesnière ouvre des perspectives intéressantes à la linguistique et à la stylistique comparées (p. ex. à propos du passif et de la mise en relief) qui, jusqu'à présent, ont été trop négligées dans les débats, même dans le domaine de la technique de la traduction.

A partir du modèle de dépendance, Tesnière obtient de remarquables comparaisons de structure entre p. ex. l'allemand, le français, l'anglais, le russe et le latin et parvient à illustrer par ses stemmas les comparaisons en cause quant aux modifications paratactiques et hypotactiques.

6. Avec la connexion et la translation, IaJONCTION (321-358) représente le troisième des concepts centraux proposés par Tesnière «sous lesquels viennent se ranger tous les faits de syntaxe structurale» (323:134:2). Il entend par là la fonction consistant à «ajouter entre eux des nœuds de même nature, de telle sorte que la phrase, grossie de ces nouveaux éléments, gagne en ampleur et devient par là plus longue» (323:134:3). Les jonctions du premier degré juigneni des nœuds verbaux de même nature à ¡"intérieur d'une phrase, ceiies du deuxième degré des nœuds verbaux qui sont eux-mêmes le centre syntaxique d'une proposition.

Les problèmes viennent de ce que le procédé, ramené par Tesnière à une addition, semble inopérant dans des phrases telles que «Syntax und Semantik bilden die Grundlage»26 et de ce que la représentation de la jonction dans un stemma par des triangles ou par des lignes entrecroisées efface les structures de dépendance d'une phrase ou compromet tout au moins leur lisibilité. Si, dans la représentation stemmatique de la jonction, des structures cycliques sont également possibles, structures interdisant une génération de phrase automatique27, cette objection ne pèse guère dans le cas du modèle de Tesnière, puisqu'il n'a pas ambitionné pour sa part la réalisation d'une grammaire automatique.

On se demandera, par ailleurs, si les jonctifs peuvent être vraiment classés comme mots vides, c.-à-d. s'ils sont dénués de fonction sémantique (53:28:3), comme p. ex. dans la phrase «Dans cette salle dormiront les garçons ou les filles, / les garçons et les filles». Curieusement, Tesnière parle lui-même dans un titre de chapitre des «variétés sémantiques dujonctif» (331:139).

La délimitation du concept de jonction ne se fait pas sans arbitraire, s'il est vrai que

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Tesnière fait des adverbes de cependant et de pourtant, rangeant au contraire parmi les jonctifs par conséquent et en effet (333:140:11), qui, p. ex. dans le Dictionnaire du français contemporain, sont également considérés comme tournures adverbiales. Sur ce point, une classification définitive n'est sans doute pas possible sans prise en considération du contexte;à cet égard, des comparaisons intéressantes seraient possibles avec les fonctions de la classe proposée par E. Gülich des Gliederungssignale du discours. Par ailleurs, la définition des jonctifs comme éléments de la catégorie grammaticale auxiliaire des mots vides ne peut être maintenue, tant que ne sera pas mieux définie la notion de mot vide. Baum définit à juste titre les mots pleins comme mots comportant une fonction de référence renvoyant à une réalité extralinguistique, alors que les jonctifs n'ont pour fonction que la représentation ou la production de rapports de sens - éléments qui ne réalisent leur fonction sémantique qu'en liaison avec des mots présentant une signification lexicale [87].

La conception de Tesnière, selon laquelle les phrases comparatives fourniraient des exemples de jonction, a déjà été contestée de façon convaincante par Baum, qui voit une translation adverbiale de l'expression «comme un sourd» dans une phrase telle que «Alfred frappe comme un sourd» [104].

Les jonctions du second degré montrent également que les jonctifs remplissent une fonction sémantique, dans la mesure où ils sont nécessaires à l'élucidation des rapports de sens, répondant ainsi incontestablement à une fonction textuelle. Ce faisant, Tesnière dépasse les frontières de la phrase et préfigure certains aspects importants de la linguistique textuelle, dont on ne saurait rendre compte uniquement sur le plan syntaxique et structura l2B.

7. La contribution sans doute la plus originale du modèle de grammaire de Tesnière est fournie par la notion de TRANSLATION qui, malgré son importance fondamentale dans les Eléments (359-628), ne joue souvent qu'un rôle secondaire dans la réception, exception faite principalement de Heringer et de Baum. Tesnière appelle translation le passage d'un élément de la catégorie syntaxique fondamentale verbe (I), substantif (O), adjectif (A) ou adverbe (E) à une autre catégorie syntaxique fondamentale, la fonction exercée dans la phrase restant partiellement la même (v. Baum 114 sqq.). Il y a translation du premier degré, quand une expression linguistique est transférée dans une des classes fonctionnelles syntaxiques O, A, E ou I. La translation du second degré consiste à faire passer tout un nœud verbal dans l'une des classes O, A ou E. Peuvent dépendre d'un verbe un substantif ou un adverbe, d'un substantif un élément de la classe adjectivale, d'un adjectif un adverbe et d'un adverbe un autre adverbe; Baum à représenté ces faits par un arbre généalogique virtuel touchant le principe structural des divers types de phrases (on pourrait d'ailleurs le compléter sur son côté droit par un E supplémentaire [69, 107]).

Il est frappant que Tesnière ne fournisse pas d'explication motivée du fait que certaines catégories syntaxiques ne peuvent dépendre que d'autres catégories syntaxiques bien précise s29. Notons cependant que Tesnière ne dit pas qu'un substantif doive nécessairement être d'abord transféré dans la catégorie adjectivale (p. ex. dans l'expression «le livre de Pierre») pour que l'on obtienne une analyse adéquate. Il s'agit plutôt d'une identité de fonction entre le transfèrende¡transféré de «de Pierre» et p. ex. l'adjectif «rouge» (les formulations caractéristiques de Tesnière sont: «au même titre que», «les caractéristiques de», «joue (...) un rôle en tous points similaire», 364:152:1-3).

Notons par ailleurs que dans une expression telle que «le train de / pour Paris» les
translatifs de et pour ont bel et bien une fonction sémantique à l'intérieur du syntagme et

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que, pour cette raison, ils ne correspondent pas à la définition des mots vides donnée par
Tesnière.

Tesnière nomme translation adjectivale la translation O > A sans marquant (p. ex.: «la tour Eiffel», «un livre cochon», «il est vache», 440:192:15), le transféré pouvant être précisé par un adverbe («il est très vache»), mis au pluriel («des propos cochons») ou, comme tout adjectif, transféré dans la classe des adverbes («se cocarder cochonnement», cf. 440:192:13). Cependant, ce principe n'est pas valable en toute circonstance: aucun des trois critères n'est applicable à la translation O > A sans marquant dans le cas p. ex. de «timbre-poste».

Dans le cas des translations O > E sans marquant se présentent d'autres exemples où le circonstant n'est plus un complément facultatif, mais un élément syntaxique obligatoire pour une construction de phrase correcte, p. ex.: «la traversée dura trois heures» (465:203:3); en allemand, d'ailleurs, «dauern» peut être utilisé comme un verbe monovalent, ex. «die Sitzung dauert» pour «... dauert immer noch an, geht wieder einmal lange».

Les descriptions de Tesnière sont un peu plus compliquées dans le cas des translations multiples du premier degré, dans lesquelles, à l'intérieur du même nucléus, ont lieu deux ou plusieurs translations successives. Son analyse de l'expression «celui (-ci/-là)» ne paraît pas exempte de contradiction: il définit «celui» d'une part comme un retranslatif (479:211:14) et le déclare par ailleurs «vague et indéterminé» (479:211:17), non sans faire appel une nouvelle fois à des critères sémantiques pour définir un fait syntaxique et structural, si bien qu'en fin de compte fait également défaut une représentation stemmatique convaincante de «celui-ci» et «celui-là». L'analyse d'expressions telles que «là-haut» (v. à ce propos 186:76:2) implique également une série de problèmes de grammaire dépendantielle sur lesquels Tesnière ne s'attarde pas. Certains exemples tels que «c'est du propre», présentés comme translations de type A>O>A>let «ce n'est point de ma faute» (O > A > E > I), témoignent encore une fois d'une fonction, entre autres, sémantique des prétendus mots vides tels que de (cause, raison) (529:232:1-6).

Le mélange des deux perspectives a déjà été remarqué par Baum dans ses considérations sur les translations figées et vivantes [124]. «Les galons du commandant» (522:230:6), dans l'usage actuel, représente tout au plus un exemple de O > A, le passage I > A > O relève de l'étymologie ou de la philologie et échappe à l'analyse structurale synchronique (sans vouloir nier la complémentarité des deux perspectives d'un point de vue linguistique). Parfois on aura, a cet egard, l'impression d'une complication superflue lorsque p. ex. des expressions du type «du de gauche» (533:234:1) sont analysées d'une façon correcte, sur le plan formel, comme des translations quadruples du type A>O>A>O>A. Dans l'exemple suivant de translation du type o>E>A>o>A («une âme sans-culotte», 533:234:2) manque la constatation d'une ellipse probable d'un élément tel que «un homme», de même que dans des expressions comme «un caneton rouennaise» (535:234:6), comportant un «à la façon» non exprimé. Ici comme dans l'exemple «un atout» (532:233:4), les objectifs pédagogiques du modèle de dépendance choisis par Tesnière lui-même sont surchargés inutilement de translations figées, certes intéressantes et révélatrices dans la perspective de la morphologie historique, mais d'une pertinence moindre pour l'usage actuel considéré d'un point de vue syntaxique et structural.

On trouvera une utilité plus grande aux considérations de Tesnière sur les principes des translations du second degré (543-628), dans lesquelles le plan syntaxique change et un nœud verbal entier se trouve transféré dans l'une des classes de mots O, A ou E. De cette manière, l'identité structurale entre substantifs et propositions objet ou entre adjectifs et propositions relatives, leur intégration dans la phrase peut être mise en évidence également

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par un stemma. L'interprétation de la fonction double du pronom relatif dans les propositionsrelatives (d'une part translatif, de l'autre actant de la subordonnée) a déjà été proposée par Baum au moyen du symbole (t) pour le translatif de la translation adjectivale [130]. La réduction des différents types de subordonnées de la grammaire traditionnelle aux trois catégories grammaticales fondamentales du substantif, de l'adjectif et de l'adverbe représentesans aucun doute une simplification considérable de l'analyse structurale, à laquelle on pourrait avoir recours également pour l'étude des structures de phrase dans les manuels de grammaire. Malheureusement, la description de Tesnière est parfois rendue plus difficile par le recours superflu à des translations figées, p. ex. lorsque «parce que» n'est pas interprété comme une translation du type I » E, mais du type I » A > O > E (cf. 588:256:5). Curieusement, à un autre point de son exposé (625:270:11), Tesnière interprète la similitude entre les conjonctions «après que», «avant que» et «parce que» comme des translations simples du type I » E. On déplorera par ailleurs que les exemples choisis ne correspondent pas toujours à l'usage (cf. p. ex. 608:263:17); on ne peut plus dire d'un point de vue actuel si les données concernant les tournures du français populaire de son époque sont toujours justes (v. p. ex. «une supposition que» dans le rôle de conjonction introduisant une conditionnelledans le français populaire, 598:259:5). Il y aurait lieu de vérifier point par point si les modifications de structure de phrase suggérées dans la grammaire dépendantielle reflètentles tendances de la langue française, surtout sous la forme parlée des niveaux inférieurs (Tesnière a bien vu le rôle de «qu'il médit», 613:266:2, ainsi que de «où que tu l'as mise?» ou «moi queje suis», 616:267:10-13). Sous cet aspect, on pourrait comparer p. ex. sa conception de la phrase interrogative, de la mise en relief ou de la négation dans les perspectives de son modèle dépendantiel avec les tendances de la langue française actuelle.

Pour finir, mentionnons encore les translations multiples du second degré, dans lesquelles, en principe, n'apparaît qu'une translation du second degré, alors qu'il s'agit, dans les autres cas, d'un ou de plusieurs changements de classes de mots au même niveau structural (premier degré). Alors que les exemples pris par Tesnière dans la langue française sont d'ordinaire probants (p. ex. «une femme très comme il faut», 622:269:15, pour I » E > A), les exemples tirés de l'allemand sont peu convaincants (p. ex. «nachdem er gestorben war», 622:269:18, pour I » O > E). Quelques-unes des translations philologiques délicates de Tesnière (p. ex. «en ce qui concerne Alfred» vu comme I » A > O > E et non comme O > E) ont été, à juste titre, simplifiées par Baum [133]. Dans l'ensemble, la théorie de la translation vue par Tesnière représente cependant un pas décisif dans le développement des procédures d'analyse syntaxiques. On ne s'étonnera donc pas que le modèle de Tesnière ait été repris - sous une forme certes modifiée - dans l'analyse syntaxique automatique en relation avec la grammaire transformationnelle generative et qu'il ait été transféré du domaine de l'analyse syntaxique et structurale à celui d'une substitution sémantique de classes de mots, p. ex. chez W. Klein: les descriptions de structure de la grammaire dépendantielle représentent, sous une forme abstraite, les rapports entre unités sémantiques et structure de surface de la phrase, éliminant pour une large part la syntaxe; la sémantique et la syntaxe sont pour une large part amalgamées, si bien que l'on pourrait parler d'une sémantique syntaxique formelle débouchant directement sur une représentation phonologique et graphématique3o.

8. Le modèle de la grammaire dépendantielle de Tesnière a été choisi plus d'une fois, nous
l'avons déjà indiqué, comme point de départ de modèles de grammaire plus poussés. Citons
p. ex., pour les pays germanophones, les modèles d'Erben, Grèbe, Brinkmann et Heringer.

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Pour nous en tenir à la notion de valence proposée par Tesnière, on peut affirmer qu'elle joue chez les quatre auteurs choisis ici un rôle essentiel, comportant des développements nouveaux: Erben compare la valence du verbe avec celle d'un atome, le verbe est le noyau d'un message, les compléments fournissent plusieurs modèles de base de la phrase allemande.Chez Grèbe également, le verbe est le point de départ, il forme un axe autour duquel gravitent les autres éléments de la phrase. Brinkmann reprend également la notion de valence et lui donne le sens d'une faculté du verbe à exiger dans la phrase d'autres éléments. Chez Heringer, le point de départ est le prédicat, à quoi s'ajoutent les rapports étroits avec les autres éléments de phrase; il insiste, au nom de la polysémie du verbe, sur le rapport entre valence et sémantique. Nous avons déjà traité ci-dessus de la position variable des compléments et de la distinction entre compléments obligatoires et facultatifs.

C'est sans doute dans la linguistique soviétique que le modèle de grammaire dépendantielle de Tesnière a suscité le plus d'intérêt et subi les modifications les plus marquées, principalement dans le domaine de la linguistique appliquée. C'est surtout la notion de valence qui est souvent prise en un sens différent et plus ample, s'appliquant non seulement au verbe, mais en principe à toutes les catégories et formes de mots. Admoni p. ex. parle des valences {Fügungspotenzen) contenues dans tout élément du discours, et distingue entre valences obligatoires, sans lesquelles l'élément ne peut en aucun cas apparaître dans la phrase, et valences facultatives dont l'élément du discours peut se dispenser. Lomtev applique la notion de valence au verbe, classant les verbes selon leurs membres dépendants, c.-à-d. selon leur distribution. Meléuk entend par valence la faculté d'un élément à régir puissamment une forme; le verbe est placé au centre de l'analyse syntaxique automatique. La rection forte est réduite aux objets et aux sujets, les actants de Tesnière, cependant que les éléments adverbiaux (circonstants) sont considérés comme régis faiblement; le modèle de rection d'un mot ne résulte pas seulement du répertoire des valences, mais englobe également leurs fonctions, c.-à-d. la signification des formes, leur coordination ou subordination. Zasorina et Berkov appliquent la notion de valence à tous les éléments linguistiques et entendent par là la connectibilité d'éléments linguistiques homologues. Enfin, la notion de valence ne se limite pas dans la linguistique soviétique aux domaines syntaxique et sémantique; on y distingue également des variétés phonologiques et morphologiques de la valence.

Dans sa théorie de ia traduction automatique, Melòuk fait dépendre de deux facteurs le nombre et le contenu sémantique des rubriques du modèle de rection d'un mot donné, ses valences sémantiques et syntaxiques: d'une part, du nombre et de la nature des actants de la situation décrite par ce mot et d'autre part, de la nature des actants intérieurs à la syntaxe (sujet et objets forts); les actants d'une situation sont déterminés par l'analyse sémantique de la situation ou par la définition lexicale du mot correspondant (à «vendre» p. ex. correspondent «vendeur, marchandise, acheteur, prix de la marchandise»).

Dans le modèle de Saumjan, c'est le prédicat qui sert de point de départ comme dans la théorie des valences de la grammaire dépendantielle de Tesnière; l'objectif est l'identification et la définition des argumentations (Argumentpositionen) constatées ou s'imposant (fonctions comparables à celles des cas); l'expression du prédicat est constituée par un prédicat à un ou à plusieurs éléments et correspond à un ou à plusieurs arguments ou termes qui sont des dénominations d'objets. Dans l'ensemble, ce qui est développé ici, c'est un modèle compliqué d'analyse linguistique qui ne tient plus compte que dans ses premières approches des fondements théoriques de Tesnière.

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9. La réception du modèle grammatical de Tesnière en France et hors de France est caractérisée par une comparaison permanente des approches théoriques de Tesnière ou de la pertinence de son modèle avec les autres procédés structuralistes de description du langage. Nous nous bornerons ici à mettre en relief quelques différences entre la grammaire dépendantielle, la grammaire des Immediate Constituées et la grammaire transformationnelle

Le point de départ commun à la grammaire dépendantielle et au modèle des IC est la phrase préexistante et non encore analysée, encore que la grammaire dépendantielle présente déjà des ébauches d'étude des structures profondes de la phrase. Dans le modèle des IC, la phrase fait l'objet d'une segmentation par tests de substitution d'où résultent les immediate constituées. La segmentation se fait d'ordinaire selon un processus binaire, et sa loi principale est - à l'opposé de ce que fait Tesnière - de diviser la phrase en phrase nominale et phrase verbale. La division binaire empêche de saisir de manière adéquate les éléments discontinus, le plan sémantique étant exclu de la description structurale, cependant que Tesnière, qui souhaite certes distinguer la dépendance structurale et sémantique des divers éléments, ne sépare pas entièrement, dans la pratique, la description syntaxique de la description sémantique. Par ailleurs, la grammaire dépendantielle reçoit un aspect dynamique de la possibilité déchange entre classes de mots par translation, ce qui permet d'escompter une meilleure saisie de la complexité des phénomènes linguistiques que l'analyse des IC, plutôt statique du fait qu'elle se contente de décrire les dépendances syntaxiques. On ne peut toujours fournir une description adéquate des ambiguïtés dans l'analyse des IC; en revanche, des phrases identiques sur le plan sémantique peuvent recevoir, dans le modèle des IC, différents stemmas. Binarité et éléments discontinus sont ainsi deux problèmes du modèle des IC qui sont évités par la grammaire dépendantielle; par contre, en négligeant de fixer les positions dans la phrase, la grammaire dépendantielle trahit une faiblesse. Si l'on compare les principes méthodologiques fondamentaux des deux modèles, on peut dire que la principale préoccupation du modèle des IC, segmentation et classification des unités syntaxiques, est considérée comme présupposition par la grammaire dépendantielle, pour laquelle il s'agit en premier lieu à'analyser les rapports de dépendance entre éléments de phrase.

Dans une première tentative de comparaison de la grammaire dépendantielle de Tesnière avec le modèle de la grammaire transformationnelle generative de Chomsky, il conviendra d'abord d'établir un point commun des approches descriptives: les deux modèles insistent sur l'antinomie entre un aspect superficiel de la langue et une structure profonde qui en diffère et qu'il s'agit d'analyser et d'interpréter en dépassant la simple description des rapports syntaxiques; les deux auteurs, Tesnière et Chomsky, se réclament de W. von Humboldt et de sa conception de la langue (distinction entre forme intérieure et forme extérieure).

Cependant, derrière le modèle dépendantiel et le modèle standard de la grammaire transformationnelle generative, se cachent des intentions fondamentalement différentes de la part de leurs auteurs respectifs. L'objectif visé par Tesnière est d'ordre didactique: en dégageant des principes structuraux syntaxiques et sémantiques spécifiques d'une langue, il s'agit pour lui de saisir la structure d'une phrase et ses connexions et de surcroît de fournir à celui qui apprend une langue étrangère les moyens de construire per analogiam des phrases correctes. Le modèle de Chomsky, au contraire, vise à enregistrer la compétence linguistiqued'un parlant-auditeur (speakerjhearer) idéalisé qui serait en état d'assigner à des phrases actualisées ou actualisables l'étiquette 'correct'. Dans le modèle standard de la

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grammaire generative, c'est la conviction intuitive du native speaker, dans le modèle de dépendance l'introspection du linguiste, qui décide de l'attribution de cette étiquette. Chez Tesnière, le manque de normes convaincantes se constate surtout dans le cas de la valence, où les actants ne peuvent être classés que selon des normes descriptives et où manquent les données sur la distribution des actants dits facultatifs. Les deux modèles sont en mesure d'établir des analogies structurales à l'aide de règles de structures de phrase ou de représentationgraphique (stemma symbolique), ou encore de réduire une ambiguïté structurale résultant d'une équivocité au niveau superficiel (ex.: «Flying planes can be dangerous»).

Il faudrait d'autres études sur la grammaire dépendantielle pour établir dans quelle mesure le modèle d'analyse de Tesnière se prête à des prolongements ou à des modifications en direction d'une grammaire generative, p. ex. en affectant de symboles catégoriaux les noeuds des stemmas virtuels et en introduisant d'autres 'filtres' visant à rendre impossible la génération de phrases incorrectes. Reconnaissons, cependant, que dans ce cas la revendication émise par Tesnière d'acceptabilité pédagogique (préface 4) ne serait plus satisfaite.

10. Après avoir tenu compte, dans les considérations précédentes, du point de vue pédagogique, nous nous efforcerons en guise de conclusion de porter un jugement sur quelques principes fondamentaux de la grammaire dépendantielle, du point de vue de leur applicabilité à l'enseignement des langues, et plus spécialement des langues étrangères. En effet, Tesnière lui-même ne cesse d'insister sur cet aspect dans son modèle de description linguistique. Cependant, il ne s'explique pas sur le point de savoir dans quelle mesure sa grammaire a été conçue comme une grammaire de la langue maternelle ou comme une grammaire destinée à l'enseignement des langues étrangères. Néanmoins, comme il ne cesse de faire appel à des exemples tirés d'autres langues que le français et qu'un chapitre spécial de sa grammaire est consacré au problème de la traduction, il est permis de supposer qu'il présente sa grammaire dépendantielle comme une grammaire générale indépendante de telle ou telle langue particulière.

Dans les «Indications pédagogiques» (654:276 sqq.), Tesnière prend position personnellement sur la question de l'applicabilité de son modèle grammatical. L'introduction de la grammaire dépendantielle dans l'enseignement des langues lui paraît particulièrement avantageuse dans le cas d'élèves n'ayant pas encore reçu un enseignement traditionnel de la grammaire: à partir d'un certain âge, ii devient difficile de saffranchir de l'optique traditionnelle. Pour faciliter les choses, il propose de conserver partiellement la nomenclature de la grammaire traditionnelle ou de remplacer les expressions les plus compliquées de la grammaire dépendantielle par des expressions plus simples (655:276:12). Il insiste sur le fait que le stemma n'est qu'un moyen de meilleure compréhension de la structure syntaxique des phrases, et non le but de la méthode. Sur ce point, remarquons que le modèle dépendantiel ne correspond pas toujours, tant s'en faut, au principe de simplicité exigible d'une grammaire orientée vers la pratique. Les dimensions de l'appareil descriptif sont parfois sans relation avec les résultats, si bien que la représentation stemmatique d'une phrase complexe perd pour l'élève toute lisibilité. Dans le cas de phrases simples, au contraire, on peut dire avec Tesnière que la représentation stemmatique au tableau est propre à faire ressortir la différence entre ordre linéaire et ordre structural sous-jacent, fournissant ainsi une amorce possible à l'activité de l'élève. Dans l'ensemble, l'impression subsiste que Tesnière, dans ses idées sur la mise en activité et sur les degrés de conscience d'un récepteur du modèle dépendantiel, s'exprime parfois avec un optimisme excessif (658:276:33).

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Dans les manuels que nous allons commenter et qui se réclament de Tesnière, on est frappé d'abord par le fait que les théories sur lesquelles ils s'appuient sont en général des versions perfectionnées de quelque chapitre de la grammaire dépendantielle de Tesnière. Ils reprennent en particulier la théorie de la valence, la représentation stemmatique de la phrase avec le verbe pour centre ainsi qu'à un moindre degré la notion de translation, n'attribuant cependant aux chapitres sur les jonctions ou la métataxe qu'un rôle limité. Or, à l'aide précisément de la théorie de la translation, il est plus aisé de faire apparaître les fonctions d'une relative en la ramenant à la classe des adjectifs ou d'une subordonnée modale en la ramenant à la classe des adverbes, qu'en appliquant les méthodes de la grammaire traditionnelle, qui ne réussissent pas à représenter avec la même précision la place des subordonnées dans la structure de la phrase3l.

Cependant, le centre de gravité de l'application pratique des principes de la grammaire dépendantielle se situe dans la théorie de la valence selon Tesnière et ses prolongements p. ex. chez Helbig et Schenkel32. Sur ce point, Flàmig (1971) a examiné quelques-uns des aspects fondamentaux des différentes structures de phrase et valences quant à leur intégration à une grammaire scolaire. Certaines approches de la théorie des valences ont été admises p. ex. dans les grammaires de Helbig et Buscha (21974) et d'Erben (1965) ainsi que dans les lexiques de valence, utilisables également comme ouvrages annexes, de Helbig et Schenkel ou d'Engel et Schumacher pour l'allemand et de Busse et Dubost pour le français. Pour ce qui est de ces derniers - cela soit dit de prime abord - l'utilisation de leurs ouvrages suppose des connaissances considérables sur l'appareil descriptif et ses fondements théoriques, à la différence des lexiques traditionnels. Les lexiques de valence n'en sont pas moins utilisables pour l'enseignement, étant mieux conçus que les grammaires et lexiques traditionnels pour faire apparaître les distributions syntaxiques et les compatibilités sémantiques. On pourrait accroître encore leur efficacité pratique en étendant la description des valences au rapport de dépendance dans le cas de l'adverbe ou de l'adjectif prédicatif33 et en construisant sur plusieurs langues une théorie comparative de la valence. Un enrichissement possible des lexiques de valence serait un vocabulaire classé sur des principes onomasiologiques avec p. ex. indication des synonymes. De cette manière, on pourrait réaliser un rapprochement plus poussé de la théorie linguistique et des exigences de la pratique pédagogique.

Le point de départ des réflexions des auteurs de lexiques de valence sera recherché d'abord dans les constatations suivantes sur le plan pédagogique: dans les lexiques traditionnels, l'aspect syntaxique des verbes est généralement négligé; la distinction des verbes selon le critère de transitivité et d'intransitivité34 n'est pas acceptable d'un point de vue linguistique; la méconnaissance de l'environnement structural imposé par le verbe est l'une des principales sources de fautes dans l'utilisation d'une langue étrangère3s. L'objectif des lexiques de valences est, en conséquence, de représenter systématiquement les emplois possibles des verbes et de permettre ainsi la construction de phrases correctes du point de vue morphostructural36, ou mieux d'édifier un mécanisme de règles permettant de fabriquer des phrases correctes et rien que des phrases correctes, ce qui suppose l'intégration d'aspectssémantique s37. Ce dernier point est faiblement représenté dans le petit lexique de valences d'Engel et Schumacher, si bien qu'il peut entraîner facilement des entorses aux régularités sémanto-syntaxiques3B. Un exemple tiré du français: la phrase «ce chapeau vous va», phrase chargée de sens sur le plan de la communication et correcte sur le plan grammatical,ne sera sans doute pas construite par un allophone, même s'il connaît les significationsles plus fréquentes du verbe fr. aller (même constatation pour les verbes allemands).

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Le secteur des métaphores ne saurait être décrit dans sa généralité sans intégration explicite
de la sémantique.

Une place plus grande doit être réservée au contenu des verbes et de leur environnement si l'on veut respecter la primauté de l'aspect pragmatique de communication sur l'aspect de grammaire théorique dans l'enseignement des langues39. Le lexique de valences français de Busse et Dubost présente assurément sur ce point certains progrès, mais la différenciation sémantique est loin d'atteindre des dimensions satisfaisantes4o. L'utilisation en est facilitée par un degré relativement plus faible de formalisation: p. ex. les symboles connus sont conservés ou remplacés par des symboles comparables faciles à retenir.

On remarquera à propos de ces trois lexiques qu'il n'est guère indiqué du point de vue pédagogique de s'exercer systématiquement sur des modèles de phrases donnés d'avance et séparés de leur contexte. Ce sont, pour cette raison, surtout des ouvrages à consulter, dont la fonction est d'épauler l'enseignement, et il convient de les utiliser dans cet esprit. A cet égard, nous souhaitons que les informations contenues dans les lexiques de valence soient intégrées dans une plus large mesure aux matériaux d'enseignement à forme didactique.

Les résultats de la prise en considération des modèles de grammaire dépendantielle dans les manuels feront maintenant l'objet d'une brève discussion s'appuyant sur les représentations graphiques (aimant, système planétaire etc.) de Mein neues Sprachbuch et Sprachbuch 541. La critique d'Engelen selon laquelle fabriquer des exemples pour la cause est une simplicité stérile et faire dépendre du verbe tous les membres de phrase est une idée a priori ne paraît pas entièrement justifiée42. La représentation graphique des dépendances hiérarchiques à l'intérieur de la phrase, entravée pour les élèves par la représentation d'une ordonnance linéaire, sera de préférence utilisée d'abord en guise d'introduction à la syntaxe et servira à ce stade à sa mise en relief. Le pouvoir d'abstraction de l'élève dans ce développement ultérieur permettrait une analyse de phrases plus complexes sur la base de la grammaire dépendantielle sans qu'il soit besoin d'une concrétisation par les stemmas.

Du fait que dans le Sprachbuch 5 l'auteur propose et combine plusieurs approches d'explication linguistiques (grammaire dépendantielle, grammaire des 1C), l'élève peut reconnaître aussi bien la relation de la partie au tout que les dépendances hiérarchiques à l'intérieur de la phrase. Le point de départ de la mise en lumière de la structure de la phrase est le verbe; ensuite, l'élève est familiarisé, grâce à des exemples, avec la notion de valence; on tien! compte aussi bien de l'aspect quantitatif (nombre des manques: à une connexion, à deux connexions etc.) que de l'aspect qualitatif de la théorie de la valence (compléments obligatoires et non obligatoires, restrictions sémantiques). Grâce aux représentations graphiques mises au point dans ce manuel en vue de faire apparaître les dépendances hiérarchiques, on peut faire saisir aux locuteurs dont la pensée se meut encore essentiellement dans les catégories du visuel et du concret, les différences de signification entre les divers éléments de phrase. Malheureusement, le modèle planétaire a été rayé de l'édition de 1976; on regrettera, par ailleurs, que les signes et règles linguistiques utilisés à des fins métalinguistiques ne soient pas toujours nettement distincts des autres signes, ce qui peut entraîner des malentendus.

Les quelques remarques faites ici sur la question de l'applicabilité du modèle dépendantielmanifestent clairement que certes, dans l'ensemble, jusqu'à présent, seule la théorie de la valence a pris place dans la pratique, mais que les autres catégories de la grammaire de Tesnière, p. ex. la théorie de la translation, sont également susceptibles de fournir d'autres approches valables à l'analyse des structures syntaxiques et sémantiques d'une langue donnée. En ce sens, on peut tout de même donner son accord de principe au jugement cité

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au début et selon lequel la théorie de la syntaxe de Tesnière aurait fait ses preuves dans la
pratique de l'enseignement sous sa forme actuelle43, même si d'autres enquêtes et d'autres
faits tirés de la pratique seraient souhaitables et nécessaires pour confirmer ce jugement.

Sarrebruck



1: Ces références renvoient aux Eléments de syntaxe structurale de Tesnière, Paris 21965, page, chapitre, paragraphe. Je remercie les étudiants ayant participé à mon séminaire du semestre d'hiver 1977/78 à l'Université de la Sarre d'avoir bien voulu apporter leur contribution à cet article et M. Jean Chanel, lecteur à l'Université de Marburg/Lahn, de m'avoir aidé à rédiger le texte français.

Notes

2: Cf. à ce propos la discussion critique de Baum [64 sqq.] avec des indications bibliographiques supplémentaires; malheureusement Baum n'indique pas à quelles considérations implicites de Tesnière (in 107:51 sqq.) il fait allusion [64 n 61].

3: Cf. également 13:1:12 n 2 et Baum 46; on trouve d'ailleurs une autre allusion aux successeurs de Saussure appartenant à l'école de Prague - outre le passage cité par Baum [45] (40:19:12) - dès le chapitre de la classification des langues (32:14:3).

4: V. à ce propos l'article équilibré et excellent de Meier qui a paru en 1977 et qui complète le cadre historique nécessaire à cette discussion.

5: Autres exemples in Baum 59.

6: Fries 1952, 76 sqq.

7: Cf. Müller 1975, 43-45, 102-104.

8: Nous compléterons la bibliographie citée par Baum àce sujet [144-162] par les publications suivantes de date récente: Bondzio 1976 sqq., Perl 1976, Schumacher 1975, Sommerfeldt 1977, Sommerfeldt/Schreiber 1974, Zacher 1977.

9: Cf. Stòtzel 1970, 86.

10: Brinkmann 1962.

11: Helbig/Schenkel 12.

12: Erben 1965.

13: Brinker 1977, 105.

14: Grèbe 1966.

15: Helbig/Schenkel 34.

16: Cf. Engelen 1975, 44.

17: Brinker 1977, 114.

18: Emons 1974, 73.

19: Cf. Heibig2l973, 214.

20: Heringer 1970.

21: Heringer 21973, 43 sqq.

22: Cf. la critique d'Emons 1974, 96.

23: Bondzio 1976 sqq., 358.

24: Bondzio 1971, 89.

25: Ibid. 93.

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26: Heringer, DU 1970, 51.

27: Cf. ibid. 52.

28: V. en outre sur la coordination en français l'ouvrage fondamental d'Antoine 1958-1962.

29: Cf. Heringer 1973, 172, ainsi qu'id. 1970, 57 sqq.

30: Klein 1971, 59.

31: Cf. p. ex. Engelen 1975; Admoni 1972 fait remarquer que les rapports de dépendance à sens unique des éléments de phrase dépendant du verbe ne permettent pas une saisie et une description adéquate du centre structural de la phrase, du nominatif sujet et du prédicat.

32: V. également à ce propos Seyfert 1976.

33: Cf. Gòtze 1976.

34: Cf. Helbig/Schenkel 9.

35: Cf. Engel/Schumacher 8.

36: Cf. ibid. 9.

37: Cf. Helbig/Schenkel 9.

38: Cf. Schumacher 1976, 13.

39: Cf. ibid.

40: Cf. Busse/Dubost VII et XIX.

41: V. en particulier Engelen 1975, 19 sqq., Heringer, LuD 1970, Wunderlich 1970.

42: Engelen 1975, 25.

43: Baum 53; v. l'introduction.

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