Revue Romane, Bind 14 (1979) 2

Jean Déjeux: Bibliographie de la littérature «algérienne» des Français. Les cahiers du C.R.E.S.M., N°7, Editions du C.N.R.S., Paris 1978.

Marie-Alice Séférian

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Une fois de plus l'infatigable erudii, Jean Déjeux, offre aux chercheurs qui s'intéressent à l'Afrique du Nord un remarquable instrument de travail. Le contenu de l'ouvrage est précisé dans le sous-titre: «Bibliographie des Romans, Récits et recueils de nouvelles écrits par des Français inspirés par l'Algérie, 1896-1975, précédée de la Bibliographie des Etudes sur la littérature «Algérienne» des Français.» On devine aussitôt la complexité des problèmes auxquels se heurte une telle entreprise. L'auteur les aborde d'ailleurs très franchement, dans une brève introduction (p. 1 à 5), sans pouvoir bien entendu y apporter de solution définitive.

La première question qui se pose, lorsqu'on s'occupe de littérature maghrébine, c'est celle de la nationalité des écrivains. Doit-on par exemple considérer comme Algérien un auteur né en Algérie, dans une famille de culture arabo-berbere, mais qui a vécu toute sa vie en France et n'écrit pas sur des sujets spécifiquement maghrébins, tout en ayant opté pour la nationalité algérienne? Jean Déjeux choisit de distinguer, comme il l'a fait dans son petit volume sur La littérature algérienne contemporaine (P.U.F., 1975), entre «les Algériens en tant que tels (c'est-à-dire de souche arabo-berbère ou Français ayant opté pour l'Algérie, nation indépendante)» (p. 3) et «les Français nés en Algérie, qui se disaient Algériens» (p. 2) - ceux qu'on appelle «les pieds-noirs». Dans le présent ouvrage, Jean Déjeux précise qu'il n'établit pas de distinction entre les Français qui sont nés en Algérie et ceux qui sont nés en France, faute de renseignements sur l'origine de certains écrivains. Et pourtant, estime-t-il «il y aurait eu un grand intérêt à pouvoir situer ces auteurs» (p. 2). On peut ajouter à ceci que le fait de connaître le lieu de naissance de chacun n'aurait présenté qu'un mince intérêt. Camus et Bensoussan, par exemple, sont tous deux nés en Algérie, mais la situation de Camus, issu d'un milieu franco-espagnol pauvre, est bien différente de celle de Bensoussan, qui a vécu son enfance algérienne dans un milieu juif, plus proche donc de la culture arabo-berbère.

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L'épithète algérienne est explicitée ainsi: il s'agit d'écrits sur l'Algérie et sur l'émigration des Algériens en Europe. Bibliographie thématique donc, avec toutes les difficultés que cela représente. Jean Déjeux soulève d'ailleurs lui-même le lièvre lorsqu'il écrit: «Les œuvres sont consacrées totalement ou partiellement à l'Algérie; parfois un chapitre ou quelques pages seulement s'y rapportent.» (p. 1) Et là on peut se demander si l'auteur n'aurait pas mieux fait de se limiter aux œuvres qui portaient uniquement sur l'Algérie ou dont l'action se situait dans le pays. Il est certain que tous les problèmes n'en auraient pas été résolus pour autant et qu'il est bien difficile d'établir une ligne de démarcation nette et précise. Dans quelle mesure en effet un livre comme La Peste de Camus pourrait-il être considéré comme 'algérien'? L'action est située à Oran, en Algérie donc, mais il n'est guère question du pays ni de ses habitants non-européens.

Il faut en outre noter que le choix effectué parmi les œuvres de Gide peut paraître discutable, et on aurait aimé savoir quelles sont les pages «algériennes» duJournal 1942-1949 et de Si le grain ne meurt. Mais c'est surtout à propos de Maupassant que le lecteur se trouve dans l'embarras. Deux recueils de nouvelles sont représentés par les titres suivants: Mademoiselle Fifi (Ollendorf, 1899) et Yvette (Ollendorf, 1908), or il n'est pas toujours facile de se procurer l'édition originale, et les contes et nouvelles de Maupassant ont malheureusement été groupés très différemment par les éditeurs successifs. Il aurait donc été préférable de donner les titres des nouvelles dont l'action se situe en Algérie.

Reste enfin l'épineuse question de la distinction des genres. «Littérature est pris dans le sens d'écrits de fiction à préoccupations esthétiques: romans, recueils de nouvelles et récits,» écrit Jean Déjeux. «La recherche est limitée à ces genres, à l'exclusion des recueils de poèmes et des pièces de théâtre.» On se demande d'ailleurs quels sont les motifs de cette restriction, d'autant plus que l'auteur poursuit: «Cependant le terme 'littéraire' doit être pris au sens très large. Nous comprenons en effet dans les récits les évocations, les impressions, les reportages ou les carnets de route, et même certains récits-témoignages, dans la mesure où il ne sagjt pas d'oeuvres d'Histoire proprement dites. » (p. 1) Force est de constater qu'il ne s'agit donc pas uniquement d'écrits de fiction. Il est certain que la tâche n'était point aisée, mais l'utilisation de cette bibliographie aurait été rendue plus efficace si l'auteur avait précisé, dans tous les cas où c'était possible, s'il s'agissait d'un roman, ou d'un récit à caractère autobiographique. Il serait bon de savoir par exemple que Le temps qui reste de Jean Daniel est un recueil de souvenirs - qui fait une large place à l'enfance et à l'adolescence de l'éditorialiste du Nouvel Observateur à Blida - tandis que le livre de Pierre Cardinal intitulé La Kahena est un roman - et non un essai sur l'héroïne berbère.

Ceci dit, il n'en reste pas moins que cette bibliographie constitue une mine de renseignements précieux qu'on ne peut trouver rassemblés nulle part ailleurs (surtout en ce qui concerne ces cinquante dernières années, l'importante bibliographie de Charles Tailliart couvrant la période qui va de 1830 à 1924). Particulièrement intéressante est la première partie dans laquelle Jean Déjeux a eu l'heureuse idée de grouper ouvrages et articles sur la littérature «algérienne» des Français, en allant du général («L'Orient et l'exotisme dans la littérature française») au particulier: «Littérature de l'école d'Alger». On est reconnaissant à l'auteur de ne pas s'être limité ici à la période 1896-1975, cela nous permet de trouver des renseignements bibliographiques sur l'inspiration «algérienne» d'écrivains comme Fromentin et Daudet. Les œuvres répertoriées dans la seconde partie sont classées par ordre chronologique, ce qui représente incontestablement un grand intérêt du point de vue scientifique, d'autant plus que l'index des noms d'auteurs renvoie aux œuvres, toutes numérotées, et permet ainsi de regrouper aisément la production «algérienne» de chaque écrivain.

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Bref cette bibliographie, qui est à la fois thématique et méthodique et ne comporte pas moins de 1102 titres, constitue une aide indispensable pour tous ceux qui s'intéressent au Maghreb ainsi que pour les chercheurs qui travaillent sur la littérature coloniale et postcoloniale du XXème siècle. Remarquons enfin que, par cet ouvrage comme par ses nombreuses publications antérieures, Jean Déjeux, Français né en France et vivant en Algérie, contribue à mettre en valeur et à renforcer les liens culturels multiples qui unissent l'Algérie et la France - pour le meilleur et pour le pire.

Copenhague