Revue Romane, Bind 14 (1979) 2

Silvio Pellegrini: Varietà romanze. Adriatica éditrice, Bari, 1977. 566 p.

Palle Spore

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Ce livre constituant le volume 28 de l'excellente série «Biblioteca di filologia romanza» est un recueil de quarante articles du regretté maître Silvio Pellegrini, rassemblés et présentéspos/ mortem par son ami Giuseppe E. Sansone, directeur de la «Biblioteca», où Pellegrini avait déjà fait paraître trois volumes depuis 1959. Il s'agit d'articles parus entre 1928 et 1974 dans différentes revues, et dont l'accès était devenu tellement difficile que la publication de l'ensemble semblait s'imposer; un seul article, le plus long (II Pianto anonimo provenzale per Roberto d'Angiò, pp. 194-285) avait cependant paru séparément en 1934.

L'ensemble est divisé en six parties selon la langue à laquelle se rapportent les articles: portugais (pp. 7-91), espagnol (pp. 93-140), provençal (pp. 141-285), français (pp. 287-331), italien (pp. 333-481) et frioulan (pp. 483-550). Chose étrange, les titres en question portent le nom du pays au lieu de celui de la langue, si bien que Ton voit opposées Francia et Provenza, Italia et Friuli! En plus, cette répartition géographique me semble peu judicieuse, pour des raisons de composition; j'y reviendrai.

Certains articles sont purement littéraires; ceux-ci ont presque tous trait à la littérature du moyen âge et de la Renaissance. Parmi ceux-ci, quelques-uns sont assez généraux (par ex. l'introduction aux Lusiades, pp. 83-91), tandis que d'autres traitent des problèmes particuliers; tel est notamment le cas des deux articles consacrés à la poésie de Jaufré Rudel (pp. 167-78) et des cinq études sur l'œuvre de Dante (pp. 379-433) et principalement sa Vita Nova, entre autres celle qui discute la chronologie des deux commencements du sonnet Era venuta ne la mente mia et qui a particulièrement retenu mon attention. Le plus intéressant et le plus personnel des articles littéraires est à mon sens celui qui traite de Don Quichotte (pp. 106-22). Un article sur la langue populaire des personnages de Pasolini et de Gadda (pp. 474-81) occupe une place à part non seulement par son sujet moderne, mais aussi par le rapprochement qu'il fait entre l'étude dialectale et la recherche littéraire.

Dans le domaine linguistique, mentionnons deux articles étymologiques, un sur prud'homme (pp. 289-98) et un sur le rôle de l'âne dans les insultes (pp. 471-73). Quand Pellegrini étudie le mot, il se place surtout sur le plan sémantique. Ajoutons que ces études ne sont pas exemptes d'humour; pour en être convaincu, il suffit de lire soit l'article sur l'âne, soit le bref article (pp. 335-41) portant le titre barbare «In nomine patria et filia et spiritus sancti». Mais l'humour apparaît aussi çà et là dans les études littéraires, à témoin ce passage à propos d'une nouvelle espagnole de la Renaissance (p. 136): «lo choc fisico subito dalle fantesche e compagne di Leonora, esplicito (nel corso d'un racconto che, malgrado la materia scabrosa, è assolutamente castigato di tono e spirito) quanto in un film moderno può esserlo il fischio d'un marinaio americano al passaggio d'una prosperosa figliola fornita di tutte le debite curve, come dicono, al debito posto, viene collocato con immediata naturalezza sul piano delle cose ovvie, normali».

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Mais Pellegrini était avant tout un éminent philologue de la bonne vieille école, et à mon avis, les articles consacrés à la publication de textes médiévaux sont de loin les meilleurs du livre. A noter tout spécialement la publication in extenso du «Cancioneiro» de Don Lopo Liáns, dix-neuf poèmes portugais duXIIIe siècle (pp. 44-82). Malgré la dispersion géographique des textes (quatre en portugais en plus du «Cancioneiro», quatre en provençal, un en français, deux en italien et trois en frioulan), j'aurais préféré que ces articles fussent rassemblés en un seul volume pour être publiés séparément: un tel volume eût été de quelque 300 pages, soit la moitié de l'ensemble.

Le mérite de Pellegrini est non seulement d'avoir repéré ces textes, mais surtout de leur avoir fourni un commentaire de grande classe. C'est dans ces commentaires - pour une large part concentrés sur l'identification, tant des auteurs que des personnages mentionnés - que nous percevons le haut degré d'érudition de notre auteur, qui est un savant non seulement dans le domaine linguistique, mais aussi en histoire politique, religieuse, etc. du moyen âge; particulièrement significatif est le commentaire (pp. 234-81) à la Complainte anonyme en provençal déjà mentionnée (p. 194 sq.).

Tous les articles sont rédigés en italien, et dans plusieurs cas, l'auteur ajoute aux textes
publiés la traduction italienne, ce qui est fort légitime; dans d'autres cas, il a élaboré un
glossaire commenté, ce qui me semble être une solution plus heureuse.

Une telle disparité surprendrait dans une œuvre «normale», mais comme il s'agit d'une publication posthume, il faut l'accepter. C'est un des inconvénients des recueils d'articles, posthumes ou non. Un autre inconvénient, le risque des redites, a été heureusement évité ou du moins réduit au strict minimum. Par contre, dans la présentation même, on sent une disparité fâcheuse: les articles hautement scientifiques voisinent avec des exposés à caractère plus ou moins vulgarisateur, ce qui se reflète aussi sur la présentation linguistique: dans le premier groupe, les textes en langue étrangère sont rendus tels quels, alors que dans le second, ils sont traduits en italien; on pourrait du moins s'attendre à voir les citations des Lusiades et de Don Quichotte en version originale et non pas en traduction italienne (pp. 86, 90,107, etc.). Tout cela est évidemment une question de respect de la plume du défunt; à mon avis, l'éditeur n'aurait nullement trahi l'esprit de l'auteur en remplaçant les citations italiennes par celles du texte, éventuellement en ajoutant la traduction en note en bas de la page.

Le livre se termine par un index des noms fort utile (pp. 551-64), alors qu'il faut chercher les renvois bibliographiques dans les notes des différents articles. Cet inconvénient est compensé par l'importance de certaines de ces bibliographies, ainsi pp. 169-70 pour l'œuvre de Jaufré Rudel et pp. 536-38 pour la toponymie dolomitique.

Ajoutons que la présentation matérielle est des plus heureuses. On connaît déjà la haute qualité typographique de la série, qui rend la lecture extrêmement agréable. Je tiens à ajouter que, malgré le nombre important des langues citées, j'ai relevé moins de dix erreurs typographiques.

Odense