Revue Romane, Bind 14 (1979) 2

Ulla Jokinen: Les relatifs en moyen français. Formes et fonctions. Annales Academiae Scientiarum Fennicae, Dissertationes Humanarum Litterarum, 14. Helsinki, 1978. vi + 428 pp.

Povl Skårup

Side 337

Par «moyen français», l'auteur entend la période entre 1330 et 1500, à l'exclusion du XVIe siècle. L'auteur a enregistré sur des fiches perforées toutes les propositions relatives de 65 textes datant des cinq sous-périodes dans lesquelles elle a divisé les 170 ans, au total 12.728 relatives.

Le livre comprend deux parties principales, dans lesquelles les relatives sont classées selon les mêmes critères, mais appliqués suivant deux ordres distincts. Cela ne va pas sans quelques redites ni quelque inconvénient pour le lecteur, qui doit chercher à deux endroits différents chaque renseignement dont il a besoin.

L'auteur n'exclut pas les propositions dites relatives sans antécédent. En les étudiant, elle aurait pu compléter ses propres matériaux par ceux de Julius Korte, Die beziehungslosen Relativsàtze im Franzôsischen (diss. Gòttingen, 1910). La seule forme simple en emploi animé serait qui (p. 2), mais dont semble être animé dans un exemple d'Oresme cité à la p. 28, et Korte cite des exemples de lequel (p. 53) et de qui régime indirect sans préposition (pp. 42 et

Side 338

45: Eustache Deschamps). Qui est pourtant certainement de loin la forme la plus fréquente. Qui est presque toujours sujet, très rarement régime direct (un exemple est cité aux pp. 14 et 245, d'autres chez Korte p. 43), parfois régime d'une préposition (dans «s'il ne treuve a qui parler», c'est le syntagme prépositionnel a qui qui est complément d'objet indirect, et non qui seul, comme il est dit p. 14, même erreur ailleurs). Dans les fonctions autres que celle de sujet, qui correspond au cui de l'ancien français; l'auteur partage l'avis généralement admis qu'il faut expliquer ce changement par une confusion phonétique (p. 3); j'y vois plutôt une substitution morphologique, voir(Pré)publications 28 (déc. 1976), p. 6. - En emploi inanimé, on aurait comme sujet qui ou que, mais dans presque tous les exemples de que, le verbe est sembler ou a(d)venir, et il vaut peut-être mieux, dans ces cas-là, attribuer à que la fonction d'une sorte de régime (p. 230), de sorte qu'on aurait qui sujet, que régime, et quoi après préposition, auxquels s'ajoutent où etdont (et peut-être lequel, mais l'exemple cité aux pp. 26 et 211 est douteux). - Puisque les formes du relatif dans les relatives sans antécédent semblent être les mêmes que dans les subordonnées interrogatives, on aurait aimé savoir si l'identité est totale ou non, pendant la période en question. Dans toutes les langues romanes, les relatives sans antécédent ne doivent pas être étudiées sans les interrogatives.

Sans antécédent on a aussi des groupes comme qui que, quoi que. Pour le second élément de ces groupes, il y a deux possibilités: soit que invariable («qui que l'ait prins», p. 33, voir Korte p. 40), soit qui sujet, que dans les autres fonctions. C'est la seconde règle, plutôt que la confusion phonétique de qu'il et de qui, qui permet de décrire ces exemples: «qui qui s'en taise» (p. 34), «qaanqui me plaira» (pp. 43 et 231), «quelque cas qui soit advenu» (p. 233), «pour quelque parolle*//// pouvoit avoir esté ditte» (p. 233). Dans le français moderne, c'est la seconde règle qui est valable («quelque apaisement qui se soit fait», p. 235), mais on évite le plus souvent de choisir en excluant ces formes de la fonction de sujet (on ne dit plus ni «qui que l'ait pris» ni «qui qui l'ait pris», mais «qui que ce soit qui l'ait pris»). - En étudiant ces groupes, l'auteur aurait pu citer l'article de L. Foulet dans Romania XLV (1919) 220-249.

S'il y a antécédent, l'auteur en distingue deux espèces: animé et inanimé. Mais il faut en distinguer trois, de même qu'en français moderne, en divisant les antécédents inanimés en neutres, par exemplece, et non-neutres. Comme sujet, après un antécédent animé ou inanimé non-neutre, on emploie qui, rarement que ou lequel; mais après ce, que est beaucoup moins rare, bien que toujours en minorité: l'auteur a relevé 89 exemples de ce que contre 136 de ce qui (p. 282). Le seul exemple cité de quoi sujet (p. 285) doit plutôt être interprété autrement: «Et quoy plus? Il disoit . . .»'. Comme régime direct, que est normal, mais qui et lequel se rencontrent aussi, sauf après un antécédent neutre. Avec une préposition, on emploie après un antécédent animé qui, moins souvent lequel, rarement quoi; après un antécédent inanimé non-neutre: lequel, moins souvent quoi, rarement qui; après un antécédent neutre: exclusivement quoi, semble-t-il. A cela s'ajoutent de rares vestiges de qui régime indirect sans préposition (p. 59) et de qui possessif («de qui lignage», pp. 62 et 363), et l'emploi de lequel suivi d'un substantif, et enñnque adverbial, dont etoù. C'est donc déjà presque le système du français moderne, la différence la plus importante étant la disparition des formes moins fréquentes, y compris ce que sujet et lequel régime direct.

La concurrence de qui avec lequel comme sujet et comme complément d'objet direct a été
étudiée par l'auteur dans une communication faite au 6e congrès des romanistes Scandinaves
(Upsal, 11-15 août 1975), publiée dans les Actes du congrès, pp. 140-149.

Comme sujet après un antécédent animé ou inanimé non-neutre, on trouve donc qui,
rarement que oxxlequel. La fréquence relative de ces possibilités varie d'un copiste à l'autre.
En effet, la moitié des exemples relevés àtque sujet après un antécédent animé et un nombre

Side 339

également très considérable des exemples après un antécédent inanimé non-neutre proviennentdu Petit Jehan de Saint ré, publié par Champion et Desonay en 1926; mais dans beaucoup de ces exemples, on lit qui dans le manuscrit publié par Misrahi et Knudson en 196S et par Yorio Otaka en 1967, éditions que l'auteur ne cite pas. - Dans l'exemple cité à la p. 272, que n'est pas sujet, mais appartient &par ce.-La fréquence relative de que par rapport à qui ne dépend pas du genre grammatical de l'antécédent (pp. 72 et 280); malgré Guy de Poerck, cela n'est pas non plus le cas en ancien français ni en ancien occitan, voir (Pré)publications 28 (déc. 1976), p. 7. Mais d'autres facteurs ont peut-être plus de pertinence. Ainsi, certains exemples cités par l'auteur pourraient indiquer que que est relativement plus fréquent après si (pp. 73 et peut-être 274), tel (pp. 82,271,273), un superlatif (p. 270) ou une négation (+ que + ne + un subjonctif, pp. 83 et 274), et aussi quand un autre membre est placé entre le pronom relatif et la zone verbale (par exemple: «... cest enffant, qui vait en sy grani perii, et qui est nourri avecques nous, et que tans de plaisirs nous a faiz tous les jours», p. 273). Comme le suggère l'auteur, quelques-unes de ces subordonnées (et certaines autres également introduitespar que) ne semblent même pas être des relatives. Dans un article ultérieur, l'auteur pourrait peut-être nous donner des statistiques qui montrent si les facteurs que je viens de proposer et d'autres éventuels sont pertinents ou non?

L'auteur promet de traiter dans une étude séparée les clivages du type de cet exemple moderne: «C'est lui qui est venu» (p. 71, cf. pp. 56 et 87). Elle traitera aussi dans une étude ultérieure ce qu'elle appelle des constructions doubles: «quelconque chose queje sentiroie qui te pleust feray tousiours» (p. 43), «Ce fut le gentil homme, et aussy ses compaignons, que, par avant ne apprès, je aye leu, veu, ne oy dire, que a sy grant grâce et loenge de tous en soit jamaiz partys» (p. 76); la seconde relative de ces constructions est du même type que celle des constructions interrogatives comme «Qui voulez-vous qui le fasse?» (je n'en ai pas trouvé d'exemple dans le livre). L'auteur ne fait pas mention du type de relatives que Sandfeld appelle des relatives attributs, lorsqu'elle cite ces exemples-ci: «De ceens voi assez Testât, Qu'est noble et grant» (p. 82), «carii voit sa femme que est telle a son avis qu'il loue Dieu» (p. 273). En français moderne, les relatives de ces constructions sont nettement apparentées (voir (Pré)publications 20, nov. 1975). Les exemples cités semblent indiquer qu'elles le sont aussi en moyen français, du moins par le fait d'admettre qui ou que comme sujet (tout comme le second élément des groupes du type qui que; de même qu'ici, c'est qui qui l'a emporté en français moderne). Nous le saurons mieux lorsque l'auteur aura publié son étude.

A part les cas ci-dessus, sur lesquels Mme Jokinen a choisi de nous informer plus tard, le lecteur trouvera dans cet ouvrage tous les renseignements qu'on peut raisonnablement souhaiter, quitte à ne pas approuver toutes les descriptions ou interprétations proposées. C'est un livre indispensable pour tous ceux qui étudient le moyen français et l'histoire de la langue française.

Àrhus