Revue Romane, Bind 14 (1979) 2

La morphologie dérivationnelle du français et l'organisation de la composante lexicale en grammaire generative

par

François Dell

1: Préliminaires

Considérez la paire fin ¡finessel. Une description du français contemporain doit exprimer le fait que ces deux formes sont morphologiquement apparentées. Elle doit rendre compte du fait que la plupart des propriétés de finesse peuvent être déduites par règle de celles do fin et de -esse. Sur le plan phonique, on exprime ceci en posant une représentation phonologique /fin + e sa/ qui, soumise aux règles de la composante phonologique, donnera finalement la représentation phonétique [ fines ]2. Sur le plan syntaxique et sémantique, la grammaire du français doit contenir des règles qui associent à la paire (A, B), où A représente l'ensemble des propriétés syntaxiques et sémantiques de fin, et B l'ensemble de celles de -esse, un ensemble C qui soit précisément l'ensemble des propriétés syntaxiques et sémantiques de finesse. Les mêmes règles permettront de déduire les propriétés de noblesse à partir de celle de noble et de -esset celles de richesse à partir de celle de riche et de -esse, etc.

Soit maintenant la paire car \ caresse. Ces deux formes ne sont pas morphologiquement apparentées dans une description synchronique du français contemporain, autrement dit il n'est pas possible de déduire, même en partie, les propriétés de caresse de celles de car et -esse. Appelons D l'ensemble des propriétés syntaxiques et sémantiques de car, et E l'ensemble de celles de caresse. Même si l'on arrivait à formuler une loi de composition qui à la paire (D, B) fasse correspondre E, cette loi de



1: Je remercie Morris Halle qui a dirigé ce travail et S. Anderson, M. Brame, N. Chomsky, M. Gross, K. Haie, D. Kaye, P. Kiparsky, R. Rardin et J.-R. Vergnaud pour l'aide qu'ils m'ont apportée.

2: Sur ces règles, cf. Dell (1973).

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composition ne trouverait aucune autre application dans le lexique français;c'est-à-dire qu'étant donné un enfant qui rencontre le mot caresse pour la première fois, il lui est plus facile de mémoriser une à une toutes ses propriétés, plutôt que d'essayer de les déduire de celles d'éléments plus simples dont caresse serait composé.

Nous nous plaçons au plan synchronique exclusivement. Une grammaire adéquate du français contemporain doit dériver ouvrable (jours ouvrables, heures ouvrables) d'ouvrir, même si nous savons par ailleurs qu'ouvrable est étymologiquement lié à ouvrer.

L'apparentement morphologique de deux formes n'est pas toujours un donné brut; il faut distinguer plusieurs cas: lorsque les deux formes appartiennent à un même paradigme flexionnel, (cheval / chevaux, recevons / reçoivent), le sentiment linguistique tranche sans hésitation (Schane 1968: xviii-xix); pas d'hésitation non plus pour la majorité des mots dérivés d'une même base: nécessaire ¡nécessité, savon /savonnett. Mais il reste une quantité considérable de formes dérivées (étymologiquement parlant) dont la relation n'est plus perçue aussi nettement, membres de familles morphosémantiques en cours de dislocation. Schane (1968, chap. 2) donne par exemple comme morphologiquement apparentés en français contemporain cœur I courage, bien / bénir, labeur / labour, relief I relève, deuil / douleur, pâte ¡pastel, lièvre / lévrier, rapprochements que beaucoup de locuteurs n'acceptent qu'avec réticence, c'est le moins que l'on puisse dire3. Pour arriver à distinguer dans tous les cas les processus morphologiques encore productifs des fossiles morphologiques, il est nécessaire de construire une grammaire qui assigne aux mots une analyse qui rende compte du sentiment linguistique des locuteurs dans tous les cas où ceux-ci ont des intuitions tranchées et concordantes. Cette grammaire devrait ensuite permettre de trancher dans les cas où les intuitions linguistiques sont vacillantes ou varient d'un locuteur à l'autre. Disons sans attendre qu'on est encore loin du compte pour l'instant.

Nous nous bornerons ici à l'étude de la morphologie dérivationnelle



3: La description de la phonologie d'une langue présuppose celle de sa morphologie. Si cette dernière donne comme morphologiquement apparentées en synchronie des formes comme cœur, courage, dont on peut montrer qu'elles sont aujourd'hui sans relation, il peut en résulter dans la description phonologique des distorsions graves dues au fait qu'on privilégie certaines alternances phonologiques fossilisées (comme l'alternance [œ]/[u]) aux dépens d'autres qui sont encore bien vivantes, cf. Dell (1970: 118-127).

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(garder / garderie / un garde I la garde des enfants). Les faits de composition(garde-malade)
et de flexion (garderiez) seront laissés de côté4.

Dans ce qui suit, nous attribuerons un rôle important à la distinction entre formes possibles et formes simplement attestées. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les lexicologues font cette distinction, mais il nous semble qu'on est encore loin d'en avoir tiré tout le parti que l'on devrait. Après tout, décrire la structure du lexique d'une langue, c'est entre autres proposer une combinatoire qui définisse l'ensemble des éléments lexicaux permis par cette structure, que ces éléments soient attestés ou non. Dans le cas du français, on a la chance de disposer, concernant les formes attestées, d'une masse considérable d'observations consignées dans de nombreuses études d'ensemble ou de détails, mais pour pouvoir organiser ces données en un système cohérent, il faut au préalable se faire une idée de l'organisation générale que devra avoir le système recherché. Or ceci ne peut se faire sans hypothèses implicites ou explicites quant à la structure des langues en général. On est donc obligé de procéder simultanément sur deux plans, celui de la théorie des langues en général (la théorie linguistique), et celui de la grammaire de la langue particulière qu'on étudie. Nous allons examiner certaines des conditions qu'une théorie générale de la morphologie dérivationnelle doit remplir pour pouvoir servir de cadre à une description adéquate de la morphologie dérivationnelle du français6.

2: Les transpositions

Du point de vue de la morphologie dérivationnelle, l'unité de base est la
lexie. Nous convenons d'appeler ainsi le résidu que l'on obtient lorsqu'on



4: Pour une discussion de certaines différences probablement universelles entre dérivation et flexion, cf. Dell (1970: 128-140).

5: Voyez par exemple Nyrop (1936), Dubois (1962), Guilbert (1971), et les références qu'ils contiennent.

6: Dans ce qui suit, nous reprenons, sans autres modifications que de pure forme, certains développements contenus dans Dell (1970), que nous désignons désormais par le sigle RPT. A l'origine, ce travail était conçu comme une première mouture d'un traitement d'ensemble de la morphologie dérivationnelle du français, mais des tâches plus pressantes nous ont depuis lors obligé à en remettre la rédaction à plus tard. Entretemps divers travaux ont vu le jour, qui se situent comme le nôtre dans la perspective «lexicaliste» ouverte par Chomsky (1968), mais fondés sur des données tirées de l'anglais (cf. note suivante). Les conclusions auxquelles ils aboutissent touchant l'organisation générale de la composante lexicale sont pour l'essentiel en accord avec les nôtres, et le manque de place nous empêche de discuter ici les divergences secondaires qui nous séparent de certains d'entre eux.

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dépouille un mot de toutes ses marques de flexion. Ainsi les mots nationalisezet dénationalisez résultent de la suffixation de-ez (suffixe flexionnel) aux lexies nationalis et dénationalis. Dans le cadre théorique défini par Chomsky (1965), les lexies peuvent être représentées chacune par un ensemble de traits phonologiques, morphologiques, syntaxiques et sémantiques,et posséder ainsi les propriétés requises pour pouvoir être introduites par la règle d'insertion lexicale dans les représentations sous-jacentes. Bref, ce sont des «unités lexicales» (lexical items). Nous proposons que les mécanismes nécessaires pour décrire la structure internedes lexies soient tous contenus dans la composante lexicale de la grammaire. Ainsi c'est à la composante lexicale qu'incombera de rendre compte du fait que la lexie nationalis est construite à partir de la lexie national qui est elle-même construite à partir de la lexie nation7.

Soit à analyser l'adjectif indécollable. On pourrait proposer l'analyse
suivante:

(1) (a) indécollable consiste en une séquence (ordonnée) in + dé + coli + able.
(b) coli- est la racine
(c) in- et dé- sont des préfixes
(d) -able est un suffixe

Parmi toutes les séquences qu'on peut construire sur l'alphabet coli, in, dé, able, les assertions contenues dans (1) éliminent d'office *able-coller, *coll-in-able, etc., et en général toutes les séquences qui violent (c) et (d). Mais reste à rendre compte du fait que *in-coller, *(une) incolle, *in-dé-coller, *désincollable, etc. sont clairement sentis comme «impossibles», «mal formés». Examinons rapidement l'ensemble des mots français qui contiennent le préfixe in-, le suffixe -able et le préfixe dé-8



7: Cf. Halle (1973), Vergnaud (1973), Siegel (1974), Jackendoff (1975), Aronoff (1976).

8: Pour dégager les régularités qui sous-tendent l'emploi d'un affixe, nous avons compilé une liste complète de tous les mots où cet affixe apparaît, liste incluant tous les cas douteux. Pour les préfixes, nous avons consulté le Petit Robert ; pour les suffixes nous nous sommes servis du Dictionnaire Inverse de Juilland. Ces deux dictionnaires sont évidemment loin de contenir toutes les formes attestées en français contemporain, mais notre propos n'est pas de rendre compte d'un corpus particulier, mais du système de règles intériorisé par les sujets parlants. Il importe donc peu que nous n'ayons pas tenu compte de certaines formes rares généralement acquises tardivement. Ceci vaut pour tous les affïxes qui seront discutés au cours de cet article.

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Le tableau ci-dessus donne un échantillon des mots à préfixe négatif in-. La colonne B représente le type de combinaison le plus fréquent: adjectifs prédicatifs de la forme in-X, où X est lui-même un adjectif prédicatif9. in-X a en gros le sens «qui n'est pasX» («immortel», «qui n'est pas mortel»). Nous exprimons le fait qu'on peut former un adjectif en préfixant in- à un adjectif X en écrivant la règle [X a] —> [a in [a X ]], qu'on peut abréger en sous-entendant la partie à gauche de la flèche, soit simplement [a m [a X ]]. Ce formalisme est insuffisant, puisqu'il n'exprime pas la relation sémantique entre un adjectif [ X a] et son dérivé [a in [a X ]], ni le fait que seuls peuvent recevoir le préfixe//?- les adjectifs prédicatifs, ni le fait que tous les adjectifs dérivés en in- sont eux-mêmes prédicatifs. Mais nous reviendrons là-dessus plus bas (cf. sec. 4).

La colonne D montre qu'il existe fort peu de verbes de la forme [in-X y] ; pour immortaliser, l'analyse [y in [y mortalis]]lo obligerait à poser la forme inexistante mortaliser; mais la grammaire devra de toute façon contenir une règle [[X a] is y]: américain / américaniser, central I centraliser, standard j standardiser, etc. Cette règle permet de représenter immortaliser comme [[immortel a] is v]> ou immortel est [a in [a mortel]], d'où l'analyse finale:

(2)


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9: Nous appelons «prédicatifs» les adjectifs qui peuvent fonctionner comme prédicats, et «non prédicatifs» ceux quine le peuvent pas (Weinreich, 1969: 47-50): la pomme rouge/la pomme est rouge; le verre vide/le verre est vide; le globe oculaire/*le globe est oculaire; mon frère aîné/*mon frère est aîné.

10: Les dictionnaires se servent conventionnellement de la forme de l'infinitif pour désigner les lexies verbales, de celle du nominatif singulier pour désigner les lexies nominales, etc. Mais ces désinences n'ont aucune raison de figurer dans l'analyse de la structure des lexies. Nous écrirons donc [coli pour colle et [coli y] pour coller, immortel is vJ pour immortaliser, etc. L'analyse de cette dernière forme ne mentionne pas la mutation vocalique immortel —» immortai- qui accompagne l'affixation de is-. Cette mutation est du ressort des règles phonologiques, et n'apparaît donc pas dans la représentation lexicale.

11: Pour une argumentation similaire, visant à rendre compte des faits dérivationnels anglais en posant un minimum de règles de généralité maximum, cf. Rardin (1970).

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Si nous supposons que s'impatienter est dérivé de façon régulière en préfixant in- au verbe patienter, il faut poser une règle [in [X y] v] Quine servira que pour cette seule forme. En effet, les quelques autres verbes [in-X y] n'ont pas de correspondant [X y]: s'indigner I *digner, incommoder j *commoder. Mais tous ces verbes tombent sous le coup d'une règle très générale [[X a] v] Q1" est de toute façon requise pour rendre compte de paires comme absent¡(s')absenter, mécontent ¡mécontenter, saoul ¡saouler, etc. On peut donc écrire [[a in [a patient]] y], et se dispenser de la règle [y in [X y]]. L'hypothèse selon laquelle in- ne peut jamais être préfixé à un verbe explique que les participes passés de la colonne B n'aient pas de verbe correspondant: illimité¡*f illimite, inoccupé ¡*f inoccupe, inconnu¡*f inconnais, imprévu¡*f imprévois, etc.: ces formes sont dérivées des participes passés limité, occupé, connu, prévu considérés comme des adjectifs.l2

Passons aux substantifs des colonnes C et E. On pourrait poser une règle [n in [n X]] qui nous permettrait d'analyser [n in [n mortalité]], [n ifi [n patience]], [n in [n correction]] et [n in [n adaptation]]. Une telle règle ne nous permettrait pas d'expliquerimmortalisation, à moins de poser une base inexistante *mortalisation; elle ne nous permettrait pas de comprendre pourquoi on a incorrection, inachèvement, insoumission, incroyance, mais pas *inattente, *inconvocation, *incommencement, *insurveillance, pourquoi on a immortalité, impatience, inutilité, inaptitude, mais pas *inméfiance, *infragilité, *infutilité, *inlassitude. Notons que pour dériver mortel¡mortalité, utile ¡utilité, apte ¡aptitude, etc., il est nécessaire de poser des règles de la forme [n [a X] nm-a], où nm-a représente une classe de suffixes de nominalisation déadjectivale sélectionnés par le thème auquel ils s'accolent: -ité derrière mortel ,-itude derrière apte, etc. Ces règles nous permettront d'analyser [[immortel a] ité n]» impatient ce nL [[incorrect a] i°n nL [[inadapté a] ation n]l3.

D'autre part immortalisation pourra être analysé [[y immortalis] ationn] grâce à un ensemble de règles de nominalisation déverbale [[y X] nm-v n] de toute façon nécessaire pour rendre compte de décorer¡décoration, attendre/attente, prendre ¡prise. La règle [a in [a X]] permet donc à elle seule de rendre compte de tous les cas de dérivation en in-. En conséquence, tous les mots de la forme in-X doivent être, ou des



12: Sur les participes passés lexicalisés et plus généralement sur l'emploi des marques flexionnelles dans la morphologie dérivationnelle, cf. RPT: 214-226.

13: Le suffixe -ionl-itionl-ation permet de former des nominalisations déadjectivales aussi bien que déverbales: discret ¡discrétion, précis ¡précision, concis ¡concision . . .

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adjectifs, ou des dérivés d'adjectifs: [[[a in [a mortel]] is y] ation n]> [[a m[A patient]] ce n], etc.l4 *inméfiance, *infragilité, *inconvocation, *incommencement n'existent pas parce qu'il n'existe pas d'adjectifs inméfiant,*infragile, *incommencé:. Indécollable DOIT donc être analysé [a in [a décollable]].

Passons à l'analyse de décollable. Dans l'immense majorité des formes [X-able a]> X est un verbe transitifls (manger¡mangeable), ou bien on peut montrer qu'il faut analyser [a Y [a Z-able]] (comme par exemple inmangeable, avec Z — manger). Nous poserons donc une règle [[y X] able aL Mais ceci ne nous permet pas encore de trancher entre les deux analyses: [[y décoll] able a] (comme [[y mang] able a] ) ou [a dé [a collable]] (comme [a in [a mangeable]] )?Orl'examendelaliste des mots tndé- nous apprend qu'ils sont presque tous, ou bien des verbes (dépeupler, débroussailler, dégraisser, dérailler, délier, etc.) ou bien des mots qui peuvent être issus de verbes par des règles générales: décharge ment n], [[dénationalis y] ation nL etc- Supposons donc que la préfîxation de dé- ne puisse former que des verbes, i.e., que toutes les règles de dérivation en dé- doivent être de la forme [y dé [X]]l6. Ceci exclut d'office des formes comme *défidèle, *désincérité, qui ne sont pas des verbes, et ne peuvent être dérivées de verbes. D'autre part les formes *déconfirmable, * déconfirmation, *dés applicable, *désapplication sont automatiquement exclues par l'absence de verbes *déconfirmer, désappliquer. faut donc analyser [[y décoll] able a]-

Enfin la règle [y dé [X y]] nécessaire pour rendre compte de la série déplier, dégarnir, défaire, dévêtir, etc. permettra d'analyser [y dé [y coli]] (nous laissons pour l'instant de côté la relation entre coller et colle, cf. infra n. 18). Indécollable doit donc recevoir l'analyse (3):

(3)


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Une remarque d'ordre général sur la manière dont nous avons procédé pour déterminer la structure interne de la lexieindécollable. Plutôt que de la considérer isolément et d'essayer de la soumettre à divers tests de segmentation et de commutation définis par avance, nous avons pris en considération l'ensemble des lexies qui contiennent une occurrence des affixes in-, dé-, et -able, ainsi que l'ensemble de toutes celles où ces



14: II ya quelques exceptions: inconduite, inexpérience, inconvenant, impasse.

15: cf. Dubois (1962: 52).

16: II ya quelques exceptions: déloyal, désagréable, déplaisir, désordre, désaffection, désagrément.

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affíxes n'apparaissent pas, et l'examen de ces deux ensembles nous a permis d'établir la généralisation (G) suivante: «les seules règles où interviennentles affíxes in-, dé-, et -able sont de la forme [a^Ma^]), [y dé [X]] et [[X y] able A]».

Cette généralisation porte sur la structure du lexique français pris dans son ensemble, et ce sont les généralisations de cette sorte qui constituent l'objet véritable de notre étude. Une fois la généralisation (G) établie, l'analyse (3) en découle automatiquement, car parmi toutes les analyses d*'uuiécollable concevables a priori, c'est la seule qui soit compatible avec (G). Dans la description de la morphologie dérivationnelle d'une langue, la tâche première est l'établissement d'un système de règles qui rendent compte avec le maximum de généralité des latitudes combinatoires des morphèmes à l'intérieur des lexies. La structure morphologique attribuée par la grammaire à chaque lexie prise individuellement découle comme un cas particulier des propriétés générales du système de règles postulé.

3: Organisation de la composante lexicale

Nous avons donc décrit la formation d'une lexie complexe comme le résultat d'une séquence (ordonnée) d'opérations, chaque opération consistant à adjoindre un affixe et une paire de crochets étiquetés au produit de l'opération précédente. Chacune de ces opérations ou «transpositions lexicales» est représentée par une règle de la forme

(4)


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(4')


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La règle (4) (resp. (4')) exprime le fait qu'un préfixe (resp. suffixe) dont la représentation phonologique est Y est adjoint à une lexie de représentationphonologique X, et qui appartient àla catégorie lexicale C. Le résultat de l'opération est une lexie appartenant à la catégorie lexicale D. La lexie X sera appelée le transponende, la lexie Y + X (resp. X + Y) sera appelée le transposé (ces termes sont empruntés à Bally, 1944:117). La composante lexicale de la grammaire est une paire (LEX, TP), où LEX est un ensemble fini d'entrées lexicales complètement spécifiées, et TP un ensemble (non ordonne) de transpositions. Une dérivation lexicale dans cette grammaire est une séquencel7 de n(n>2) lexies Lj, L2 ...Lnoù chaque lexie



17: Qu'il soit entendu une fois pour toutes que «ensemble» désigne une collection non ordonnée, et «séquence» une liste totalement ordonnée.

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Lj puisse être la transposée de la lexie précédente L¡_i en vertu d'une des transpositions membres de TP. Une dérivation lexicale de la lexie L est une dérivation lexicale dont le dernier terme à droite est L. Par exemple, on peut construire pour le français un fragment de grammaire Gj dont la composante lexicale aura l'allure suivante:

(5) LEXj ={ colle, coller, décollable, manger, fidèle, gonfler, indécollable, décoller
. . .}

(6)


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(sur les caractéristiques syntaxiques et sémantiques des membres de TP,
cf. infra sec. 4.)

Soient les séquences:

(7) coller, décoller, décollable, indécollable

(8) décoller, décollable, indécollable

(9) décollable, indécollable

(10) décoller, décollable

(11) décollable, décoller

Les séquences (7)—(10) sont des dérivations lexicales dans Gj, mais pas la séquence (11). Une lexie pour laquelle il existe au moins une dérivation lexicale est appelée «lexie complexe dans Gp; décoller et décollable sont des lexies complexes dans Gi. Toute lexie qui n'est pas une lexie complexe est une «lexie simple» ; coller et fidèle sont des lexies simples dans G]lB. Analyser une lexie L, c'est associer àL une dérivation maximale de L. Une dérivation maximale de L est une dérivation de L, soit D, telle que pour toute autre dérivation D' de L, D ne soit pas une sous-séquence de D'. Par exemple (7), (8) et (9) constituent l'ensemble de toutes les dérivations dans Gi- (7) est une dérivation maximale de indécollable, et dans ce cas il n'y en pas d'autrel9.

En définissant la composante lexicale comme la paire (LEX, TP), où
LEX est un ensemble de lexies et TP un ensemble de transpositions, nous
supposons implicitement que l'unité de base du lexique est la lexie et non



18: L'ensemble LEXj contient bien colle, mais TPj ne contient aucune règle [[X N] v] qui permette de dériver coller àecolle (cf. beurre ¡beurrer, plâtre ¡plâtrer). Coller est une lexie complexe dans la grammaire G2 obtenue en adjoignant cette règle Gj.

19: II semble qu'une lexie complexe ne puisse jamais admettre qu'une seule dérivation maximale. Sur ce point et d'autres concernant l'assymétrie entre transponende et transposé, cf. RPT: 158-161.

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le morphème. La composante lexicale ne contient pas de liste de tous les morphèmes de la langue. Si elle contient l'unité maison par exemple, c'est en tant que lexie, non en tant que morphème. Il se trouve simplement que la lexie en question est composée d'un seul morphème. Par contre le morphème née ess- ne sera pas répertorié séparément, car il ne constitue pas à lui seul une lexie, et il n'apparaîtra dans l'ensemble LEX que par le biais des lexiesnécessaire, nécessité, etc., qui sont, elles, des éléments de l'ensemble LEX.

4: Lexique mémorisé et lexique virtuel

Soit le verbe indéeollabiliser; il y a gros à parier qu'il n'a jamais été écrit ni prononcé avant l'instant même où nous écrivons. Son inélégance fera sans doute tressaillir les oreilles délicates, mais son sens ne fait aucun doute, et une fois surmontée son horreur des néologismes, le lecteur devra convenir que c'est un mot parfaitement bien formé. Il dérive de indécollable par la transposition [[a X] is v] mentionnée en sec. (2). Cette transposition permet de former à partir d'adjectifs X des verbes signifiant «rendre X»: stable ¡stabiliser, sensible ¡sensibiliser, imperméable ¡imperméabiliser, etc. A partir álndécollabiliser, on peut former indécollabilisation «action d'indécollabiliser», indécollabilisateur «outil servant à indéeollabiliser» et ainsi de suite. Voici donc des lexies parfaitement bien formées et dont le sens est parfaitement clair, mais qui ne figurent dans aucun dictionnaire. Ceci suggère qu'au delà du stock des lexies réelles (lexique réel) dont les dictionnaires donnent la liste, il existe un vaste ensemble de lexies virtuelles,lexies que tout locuteur peut construire en mettant en œuvre sa connaissance des règles de transposition. Il lui suffit pour cela de former des dérivations lexicales dont le premier terme est une lexie réelle. Il est facile de montrer qu'à moins de leur imposer des restrictions qu'aucune des données du lexique réel ne justifie, les transpositions du français permettent de former des dérivations aussi longues qu'on le voudra: sur indéeollabiliser, la transposition [y dé [y X]] permet de former désindécollabiliser«enlever la propriété d'être indécollable», verbe sur lequel [[Xy] able a] permet ensuite de former désindécollabilisable «qui peut être désindécollabilisé». [a in [a X]] permet ensuite de former indésindécollabilisable«qui ne peut pas être désindécollabilisé», sur lequel [[a X] *s v] Peut former indésindécollabilisabiliser «rendre indésindécollabilisable»,et ainsi de suite ad libitum. Les transpositions [y dé [y X]],

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[a m [a X]], [[X y] able a] et [[X a] is y] peuvent donc être appliquées
récursivement2o.

Puisque certains affixes dérivationnels sont récursifs, le lexique virtuel est un ensemble infini, et ne peut figurer sous forme de liste dans la grammaire, qui est par nécessité un automate de taille finie. Nous proposons que l'ensemble LEX dont il est question à la sec. 3 soit la liste de toutes les lexies idiosyncratiques, c'est-à-dire la liste de toutes les lexies qui ont certaines propriétés qui ne peuvent pas être déduites des propriétés des éléments qui les composent, et que l'ensemble des lexies virtuelles soit engendré à partir des lexies idiosyncratiques par des successions variées de transpositions. C'est précisément parce que les propriétés d'une lexie idiosyncratique ne peuvent pas toutes être déduites des propriétés des éléments qui la composent, que cette lexie doit être mémorisée individuellement par les locuteurs. Ainsi rien ne peut permettre à un Français qui n'a pas encore rencontré le mot indéfrisable de prévoir que ce mot peut s'employer comme un substantif féminin, et que lorsqu'ainsi employé il désigne exclusivement un traitement qu'on fait subir aux cheveux pour leur donner une frisure artificielle, et non, par exemple, une echarpe traitée de façon à ce que la frisure de ses poils résiste au nettoyage. Indéfrisable est une lexie idiosyncratique, elle doit être mémorisée individuellement, et nous exprimons ce fait en la faisant figurer dans l'ensemble LEX. Au contraire indécollable, indéréglable, indéroulable et indébouchable ne seront pas répertoriées dans l'ensemble LEX. L'auteur de ces lignes est incapable de décider s'il a déjà rencontré ces mots auparavant, et pour cause: toutes les propriétés dont la connaissance est nécessaire pour les employer correctement sont mécaniquement déductibles de celles des verbes décoller, dérégler, dérouler et déboucher par application des transpositions [[X y] able a] et [a m[a X]j '¦> "* n'v a donc aucune raison de s'en encombrer la mémoire.

Comme les lexies employées ou entendues par les locuteurs sont idiosyncratiquesdans



20: Et elles ne sont pas les seules. Voici un autre exemple: avec la transposition [[X N) aire qui sous-tend les paires banque/bancaire, pôle/polaire, molécule/moléculaire, etc., on a: révolution, révolutionnaire, révolutionnariser, révolutionnarisation, révolutionnarisationnariser, etc. Voyez d'autre part des formes comme re-recorriger, re-regrimper, etc. Mok, 1964:11). Pour des exemples similaires en anglais et en allemand, cf. Chapin (1970: 60), en afrikaans, cf. Odendal (1963: 222). L'inacceptabilité de mots comme indésindécollabilisabiliser est à mettre sur le compte des limitations qui caractérisent la performance, et non la connaissance que les sujets ont des règles de la langue (cf. Chomsky-Miller, 1968: 19-20, 61-62).

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syncratiquesdansleur immense majorité, on pourrait soutenir que la distinction entre les lexies qui doivent être apprises et celles qui n'ont pas besoin de l'être est spécieuse, et qu'il est au moins une propriété des lexies sans propriétés idiosyncratiques qui doit être apprise: celle précisément de n'avoir aucune propriété idiosyncratique. En fait il n'y a là aucun paradoxe: lorsqu'ils rencontrent un mot complexe qui n'est pas déjà répertorié dans leur mémoire, les sujets parlants supposent toujours jusqu'ilpreuve du contraire que son comportement est complètement prédictibleà partir de sa structure interne. Rien ne permet a priori à qui rencontre indécollable pour la première fois de savoir que ce mot n'a aucune idiosyncrasie, mais c'est l'hypothèse qu'il maintiendra tant que le comportement linguistique des autres locuteurs ne sera pas venu suggérer le contraire. Comparez avec les tours idiomatiques comme mettre des gants (agir avec ménagement), tenir la jambe ci quelqu'un (le retenir par des discours qu'on lui impose), etc., que rien dans leur forme ne signale comme idiosyncratiques. L'enfant ou l'étranger qui ne les a pas encore rencontrés les interprète littéralement, c'est-à-dire qu'il fait au premier abord l'hypothèse que leur sens global est déductible de celui de leurs composants, et il n'envisage la possibilité d'avoir affaire à une «expressiontoute faite» que dans le cas où l'interprétation littérale ne lui permet pas de prêter un discours cohérent à son interlocuteur.

A l'ensemble LEX ainsi défini, qu'on pourrait appeler le lexique mémorisé, on opposera l'ensemble des lexies comme indécollable, indébouchable, que nous appellerons des lexies homogènes: est une lexie homogène tout objet formel K qui répond aux conditions suivantes:

(a) K n'est PAS un élément du lexique mémorisé

(b) il existe une lexie mémorisée L et une séquence de transpositions Tpj . . .
Tpn telles que K soit l'aboutissement d'une dérivation partant de Let appliquant
Tp! . . . Tpn dans l'ordre.

Il résulte de ces définitions que toute lexie homogène est une lexie complexe,
et que toute lexie simple fait partie de lexique mémorisé.


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Les lexies jouent ici le même rôle que les axiomes d'un système formel.
Rappelons sans crainte de nous répéter que par définition, pour qu'une

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lexie soit idiosyncratique, il suffit qu'une seule des propriétés de cette lexie ne puisse pas être déduite des propriétés des éléments qui la composent.L'examen d'un dictionnaire de langue courant montre que l'immensemajorité des lexies qui y sont contenues sont des lexies idiosyncratiques (mémorisées), et en bonne logique les dictionnaires ne devraient pas en contenir d'autres. De fait on y trouve aussi certaines lexies homogènes. Le Petit Robert, par exemple, donne indécollable et indéréglable, mais pas indéroulable ni indébouchable, sans qu'on puisse trouver aucune justificationde principe à cette différence de traitement. Ces quatre lexies homogènes n'ont pas plus de raisons de figurer dans un dictionnaire que les formes fléchies décollera, déréglerez. De même que la dichotomie «simple»/«complexe», la dichotomie «homogène»/«idiosyncratique» dérive du concept central de transposition. Est idiosyncratique toute propriété d'une lexie qui n'est pas déductible par transposition des propriétésd'une autre lexie. En ce sens toutes les propriétés d'une lexie simple sont idiosyncratiques2l.

Pour les lexies idiosyncratiques complexes, il faut distinguer entre celles de leurs propriétés qui sont déductibles par transposition, ou propriétés homogènes, et les autres, les propriétés idiosyncratiques. Pour pouvoir faire cette distinction, il nous faut examiner plus en détail le fonctionnement des transpositions, ce que nous allons faire maintenant.

Soit la forme verbale dégonflabiliser. La grammaire Gj lui assigne deux
analyses, deux dérivations maximales (cf. sec. 3.) distinctes:

(A-l):


DIVL2867

(A-2):


DIVL2870

Avec l'analyse (A-l), dégonflabiliser X veut dire «faire perdre à X la
propriété d'être gonflable»; avec l'analyse (A-2), cela veut dire «rendre X
dégonflable». La séquence dé + gonfi + abl + is + er est ambiguë; en fait



21: Ceci ne veut pas dire que toutes les propriétés d'une lexie simple doivent être apprises une à une, indépendamment les unes des autres. Il existe en effet des dépendances très générales qui lient entre elles les propriétés d'une même lexie, et valables indépendamment de sa structure interne (cf. Chomsky, 1965:16455.). Sur l'interaction de ces règles de redondance lexicale et des transpositions, cf. infra sec. (5).

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on a affaire à deux lexies homonymes22. Cet exemple vient à propos mettre l'accent sur le fait que les transpositions n'opèrent pas simplement sur des séquences de phonèmes munies de crochets étiquetés mais sur des lexies complètes.

Une lexie est un triplet (M, H, S), où M est un ensemble de traits phonologiques et morphologiques, H un ensemble de traits syntaxiques et S un ensemble de traits sémantiques (Chomsky, 1965: 122). Une relation entre lexies peut être caractérisée comme un triplet (Rm, Rh, Rs) de relations. Par exemple la relation «L' est le transposé de L dans la transposition [[X y] able ¿J» est satisfaite si et seulement si les trois relations partielles Rm, Rh, Rs sont satisfaites simultanément:

Rm: il existe une matrice phonologique /X/ telle que la représentation phonologique
de L est /X/, et celle de L' est /X + abl/;

Rh: du point de vue syntaxique, L est [+ V], [+__NP] (autrement dit c'est un
verbe transitif), et L' est [+ A], [+COP ] (autrement dit c'est un adjectif
prédicatif);

Rs: la relation de sens entre LetL' est comme celle de £= X)=àé= qu'on peut
X)=23.

Les entrées lexicales (complètement spécifiées) de calculer et calculable, par exemple, sont représentées très schématiquement en (12) et (13) et on peut vérifier qu'elles satisfont simultanément les trois relations Rm, Rh et Rs:

(12)


DIVL2885

(13)


DIVL2888


22: Nous ne voyons aucune raison d'attribuer à cette homonymie un statut différent de celle de cane et canne. Voir aussi piqueter «tracer à l'aide de piquets», qui s'analyse [[piquet n] y](cf.cloulclouer, crochet/crocheter, etc.) etpiqueter «parsemer de points, de petites taches», qui s'analyse [[piqu v] et v] (cf. voler/voleter, tacher ¡tacheter, etc.).

23: La partie sémantique des lexies et des transpositions est encadrée par des parenthèses É= )=. Ainsi, en (12), le symbole é= N-x calculer N-y )= représente le sens de calculer; N-x représente l'ensemble des restrictions que calculer impose au groupe nominal sujet, et N-y l'ensemble de celles qu'il impose au groupe nominal objet. Les représentations (12) et (13) indiquent entre autres que la classe des objets possibles de calculer est identique à celle des sujets possibles de être calculable.

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Chacune des trois relations Rm, Rh et Rs peut être considérée comme une paire de conditions, la première portant sur L et la seconde sur L\ et la transposition prise comme un tout peut être caractérisée comme un triplet de paires ((m, m1), (h, h'), s, s')) pour lequel nous adopterons la disposition:

(14)


DIVL2893

Par exemple, la définition de [[X y] able ¿J sera réécrite:

(15)


DIVL2898

Cette notation peut aussi bien être interprétée comme une paire de triplets (C, C) avec C = (m, h, s) et C = (m', h', s'). Ces deux façons de voir sont strictement équivalentes et on peut employer alternativement l'une ou l'autre terminologie selon que la commodité du discours le demande.

Les transpositions comme (15) ont deux fonctions dans la composante
lexicale:

1) elles définissent les opérations R = (C, C) qui permettent d'engendrer l'ensemble infini des lexies homogènes à partir de l'ensemble fini LEX des lexies idiosyncratiques: à toute lexie L (idiosyncratique ou homogène) qui satisfait la condition C, associer la lexie L' qui satisfait la condition C.

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{approchez le fauteuil du mur). Ces propriétés de approcher ont beau être explicitement répertoriées dans la grammaire - comme le requiert notre hypothèse que LEX est constitué d'entrées lexicales complètement spécifiées - elles n'ajoutent pourtant rien àla complexité globale de LEX, car elles se déduisent de celles de l'adjectif proche, et du fait que la composantelexicale du français doit contenir une transposition [y a [a X]] qui préfixe a- à des adjectifs prédicatifs de sens é= X )= pour former des verbes transitifs dont le sens est é= rendre (plus) X )= :

(16a) abaisser, abréger, (s')acagnarder, accomoder, acoquiner, acquitter, affiner, affoler, affriander, aggraver, ajuster, alléger, allonger, améliorer, amocher, annuler, appareiller, apprêter, approcher, approprier, apurer, assécher, assurer, atténuer, attrister, aviver.

(16b) abâtardir, abêtir, abrutir, accourcir, adoucir, affaiblir, affermir, affranchir, agrandir, alourdir, amaigrir, ameublir, amincir, amoindrir, amollir, anoblir, aplanir, aplatir, appauvrir, appesantir, approfondir, arrondir, assagir, assainir, assombrir, assouplir, assourdir, assujettir, attendrir, attiédir, aveulir, avilir.

Le verbe approcher a en revanche d'autre propriétés qui sont idiosyncratiques et lui confèrent un certain coût. Il admet par exemple des emplois intransitifs non pronominaux, alors qu'en général les verbes [y a [ X a]] n'en admettent pas24:

(17) i Les élections municipales approchent, ii *L'état du blessé aggrave d'heure en heure, iii *Les coins ont arrondi peu à peu à l'usure, iv *Ce cuir assouplira si tu le mets à tremper, v *La qualité du service a encore amélioré depuis la dernière fois.

Parmi les cinquante-huit verbes [y a [X a]J qui figurent dans le Petit Robert, et dont la liste complète est donnée en (16), il n'y en a que quatre (approcher, accommoder, allonger, accourcir) qui admettent des emplois intransitifs non pronominaux. Il nous paraît préférable de considérer ces quatre-là comme exceptionnels, car si on formulait la transposition de façon à ce que les verbes [y a [X a]] aient régulièrement la possibilité de



24: Nous faisons abstraction des constructions «absolues» comme une cartouchière pleine, ça alourdit, les jeûnes répétés, ça affaiblit, car ces constructions se retrouvent aussi bien avec des verbes qui n'ont pas la structure [va [X jj\:la compétition, ça stimule, ses dernières performances ont beaucoup déçu, un culot pareil, ça laisse baba. Les mécanismes qu'il sera nécessaire de postuler pour rendre compte de ces constructions «absolues» doivent l'être indépendamment des propriétés de la transposition [Va[XA].

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s'employer intransitivement, c'est le comportement des cinquante-quatre autres qui devrait être regardé comme exceptionnel. Une autre propriété idiosyncratique du verbe approcher est qu'il a une conjugaison en -er et non en -ir. S'il existe une régularité qui sous-tend la répartition des verbes de (16) entre les conjugaisons en-er et en-/>, personne à notre connaissancene l'a encore trouvée, et faute de pouvoir incorporer à la formulation de la transposition une prédiction quelconque sur ce point, nous supposerons que la classe flexionnelle de tous les verbes [y a [X a]] est idiosyncratique.

Une remarque de méthode pour clore cette section. La liste (16) contient des verbes dont il est loin d'être évident qu'il faille encore, en synchronie, les dériver de l'adjectif étymologiquement apparenté, comme commode/accommoder {son œil droit accommode mal). Ce sont les «cas douteux» dont parle la note 8. L'existence de tels cas douteux est sans conséquence ici, car leur exclusion de la liste (16) ne nous amènerait pas à adopter une formulation différente de la transposition [y a [X a]]- De pareilles situations se rencontrent très fréquemment; elles sont même la règle lorsqu'on examine les affîxes les plus productifs, et c'est ce qui rend possible l'étude de la morphologie dérivationnelle alors même qu'il n'existe pas de critères rigoureux qui permettent de décider si deux lexies sont ou non morphologiquement apparentées sur le plan synchronique (cf. section 1).

5: Indétermination de certaines transpositions

Nous avons caractérisé une transposition comme une fonction qui associe à toute lexie répondant à sa description structurale un transposé homogène et un seul. En fait, ceci ne vaut que pour certaines transpositions comme [[ Xy] able a] et [a in [a X]].

Considérons par exemple la transposition [[X n] ier nJ qui sert à fabriquer,
à partir de noms communs, des substantifs humains désignant des
professions ou des états habituels:

(18) chameau/chamelier, poisson/poissonnier, couteau/coutelier, lance/lancier, prison/prisonnier,
école/écolier, créme/crémier, lait/laitier, etc.

Chamelier désigne une personne qui prend soin des chameaux, tandis que poissonnier désigne un marchand de poisson et non, par exemple, un pêcheur ou un gardien d'aquarium. Le coutelier vend toutes sortes de petits outils métalliques tranchants, entre autres des couteaux; par contre

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les lanciers ne sont pas des marchands de lances, mais des soldats à cheval armés de lances. Un crémier est un commerçant qui vend divers produits de laiterie, entre autres de la crème; un laitier est un livreur de lait. Un prisonnier est un détenu, non un geôlier; un écolier est un enfant qui va à l'école, non un directeur d'école ou un marchand de fournitures scolaires; un hôtelier n'est pas une personne qui a pris pension dans un hôtel, mais un patron d'hôtel, etc. (cf. Nyrop, 1936: 129). La relation sémantique entre un nom humain [[X n] ier n] et un nom commun [X n] est quelque chose d'assez lâche: «personne dont la profession ou l'état habituel sont liés de façon caractéristique à X». Le reste doit être mémorisé; toute lexie [[X n] ier n] est idiosyncratique.

Voici maintenant un cas où l'indétermination des transpositions est d'ordre non seulement sémantique, mais aussi syntaxique. En français, il n'existe pas de règle générale permettant de déduire le genre des lexies simples [+N], [-Animé] d'autres caractéristiques sémantiques ou phonologiques. Dans les lexies nominales complexes non animées, le genre est dans certains cas déterminé par la nature du suffixe: les dérivés en -age sont masculins: grillage, herbage, plumage, etc. Ceux en-ade sont féminins: colonnade, cotonnade, baignade, etc. Dans d'autres cas il est indéterminé (i.e., non prédictible par transposition); par exemple, les transpositions [[Xy] oir n], [[X>j] ier n], [[Xy] eur n] fournissent des lexies qui se distribuent à peu près également entre le masculin et le féminin, sans préférence décelable:

(19) arrosoir, encensoir, urinoir, lavoir ...

(19') passoire, bouilloire, mangeoire, baignoire ...

(20) sucrier, pierrier, compotier ...

(20') salière, sablière, soupière ...

(21) démarreur, distributeur, avertisseur ...

(21 ') mitrailleuse, agrafeuse, bétonneuse ...

Le genre de arrosoir est donc mémorisé au même titre que celui de front, et celui de passoire au même titre que celui de main. Ces transpositions sont également indéterminées du point de vue sémantique. Une mangeoire est une auge où on dépose les aliments de certains animaux domestiques,mais mâchoire est synonyme de maxillaire. Cendrier désigne dans certains cas un petit récipient où les fumeurs font tomber leurs cendres, dans d'autres un tiroir situé au bas d'un poêle et où s'amassent les cendres. L'indétermination quant au genre se combine avec l'indétermination sémantique;on distingue entre un sablier et une sablière, entre un glacier et

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une glacière. Les représentations lexicales de sablier et sablière seront
respectivement {/sabl+ier/, [+N], [-Fem] . . . } et { /sabl+ier/, [+N],
[+Fem] . . . }25.

L'idiosyncrasie d'un transposé qui est due à l'indétermination d'une transposition est de nature différente de celle qui caractérise aimable (cf. fin de la sec. 4). Les propriétés idiosyncratiques de aimable contredisent la règle [[Xy] ableA], car le sens de cette lexie est différent de celui prédit par la règle. Nous dirons qu'aimable est une lexie «déviante». La situation est différente dans le cas de sablière, bouilloire, etc. Ici, les règles de redondance lexicale requièrent qu'un certain trait [K] ([Fem] en l'occurrence) soit spécifié, faute de quoi une lexie n'est pas bien formée (toute lexie nominale doit être spécifiée pour le genre). Or la transposition ne dit pas quelle spécification il faut donner à [K] dans le transposé, et cette spécification ne peut pas être déduite par redondance lexicale d'autres propriétés connues du transposé (cf. infra). Des spécifications idiosyncratiques qui, comme [+Fem] dans glacière suppléent simplement à l'indétermination de la transposition sans entrer en conflit avec elle seront dites «non déviantes» ou «régulières», et nous qualifierons de régulières les lexies dont toutes les propriétés sont prédictibles par règle ou idiosyncratiques mais régulières. On peut donc classer les lexies complexes delà façon suivante:


DIVL2967

II existe en français une règle de redondance lexicale qui veut que les lexies nominales qui désignent des humains du sexe masculin aient le genre masculin, et que celles qui désignent des humains du sexe féminin aient le genre féminin: un évêque, une chipie, etc.26. Cette règle, qui met en relation une propriété sémantique et une propriété syntaxique, vaut aussi bien pour les lexies simples comme les précédentes et pour les lexies complexes, par exemple celles dérivées par la transposition [[X n] e* n]:



25: Dans sablière, une règle très générale épelle le trait [+Fem] comme schwa, d'où la représentation phonologique/sabl+ier+s/, cf. Dell (1973: 185-186).

26: L'existence d'exceptions comme gouape, trottiti, tendron, etc. n'ôte rien àla validité générale de cette règle. Pour une discussion des alternances de genre dans les noms animés (voisin ¡voisine, prince ¡princesse, lionllionne, etc.), cf. RPT: 175-181.

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un garçonlun garçonnet, une fille lune fillette, etc. Les paires un majorlune majorette, un gigolo ¡une gigolette montrent que le genre du transposéest bien déterminé par le sexe de l'humain qu'il désigne, et non par le genre de la lexie transponende. La possibilité de définir un ensemble de règles de redondance lexicale valable pour toutes les lexies, simples ou complexes, est inhérente à la logique du point de vue léxica lis te.

6: Lexies et vocables

L'adjectif sensible a deux emplois; dans l'emploi «passif», il résulte de
l'application normale de la règle [[X y] able &]:

(22) Les variations de température sont sensibles.

(22') On peut sentir les variations de température.

L'emploi «actif» est idiosyncratique en ce que les restrictions qui portent sur le sujet de être sensible, au lieu d'être celles qui portent sur l'objet de sentir, comme dans (22)-(22'), sont celles qui portent sur le sujet de sentir27. Ainsi (23) peut approximativement être paraphrasé par (23'):

(23) Cet appareil est sensible aux moindres variations de température.

(23') Cet appareil peut sentir les moindres variations de température.

Posons donc les entrées lexicales suivantes2B

(24)


DIVL2989

(24')


DIVL2992


27: cf. nuisible, périssable, secourable, convenable, qui ont la même propriété.

28: Pour ne pas compliquer l'exposition, nous avons laissé de côté les emplois assentir au sens de «dégager une odeur» (qa sent l'oignon fritl*l'oignon frit que ça sent); nous laisserons aussi de côté le problème des variations ablejiblelubie et l'alternance entre / et i dans senHons)lsens-(ible).

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Dans la représentation de sensible, l'objet formel sensible-1 = (P, Q) rend compte des emplois «passifs»; l'objet formel sensible-2 — (P, R) rend compte des emplois «actifs»; chacun de ces deux objets, considéré indépendamment de l'autre, présente toutes les propriétés requises pour pouvoir être inséré dans une chaîne préterminale sous-jacente à une phrase grammaticale; c'est une lexie. Comme ces deux lexies coïncident dans leurs propriétés phonologiques et morphologiques, et dans une partie importante de leurs propriétés syntaxiques et sémantiques, les dictionnaires les groupent habituellement dans un même article; pour la même raison, le terme «lexical item» employé par les transformationalistes désigne l'ensemble {sensible-1, sensible-2} plutôt qu'un de ses membres pris isolément (cf. Chomsky 1965: 214-215 n. 15; 1968: n. 11). Mais en l'état actuel des connaissances, le problème est purement terminologique, de savoir si, dans la dérivation de la phrase (22) par exemple, la règle d'insertion lexicale introduit dans les chaînes préterminales l'objet sensible-1, tout entier, ou seulement la partie sensible-I', nous conserverons le terme de lexie pour désigner les entités comme sensible-1 et sensible-2, et nous parlerons du «vocable» sensible lorsque nous aurons à traiter de l'ensemble {sensible-1, sensible-2}. Un vocable est donc un ensemble de lexies {Lj . . . Ln} groupées ensemble pour des raisons qui ne nous intéressent pas directement ici29.

Un traitement adéquat de la morphologie dérivationnelle requiert qu'on considère certains faits en se plaçant au niveau de la lexie plutôt qu'à celui du vocable. Par exemple, sensibilité a des emplois «actifs», comme (23"), qui correspond à (23), mais il n'a pas d'emplois «passifs», témoin l'impossibilité de (22"), qui correspond à (22):

(22") *la sensibilité des variations de température.

(23") la sensibilité de cet appareil aux moindres variations de température.

Sensibilité doit être analysé [[sensible-2 ¿J ité n], et il n'existe pas de lexie *[[sensible-l a] ité n] «propriété de pouvoir être senti». De même le vocable tendre consiste en deux lexies tendre-1 «affectueux» et tendre-2 «qui se laisse facilement entamer» ; mais le dérivé tendresse correspond toujours à tendre-1, jamais à tendre-2:



29: Le vocable correspond en gros au «mot» des dictionnaires; un vocable consiste en autant de lexies distinctes qu'on reconnaît au mot de sens ou d'emplois distincts (cf. Green, 1969). Le dilemme classique polysémie/homonymie apparaît lorsqu'il est difficile de trancher sur le point de savoir si deux lexies appartiennent ou non à un même vocable.

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(25) Mane s'est montrée très tendre

(25') La tendresse de Marie

(26) Cette viande est très tendre

(26') *La tendresse de cette viande

L'inexistence de *[[sensible-l a] ité n] et de *[[tendre-2 A] esse n] est
probablement une lacune qui ne relève d'aucun principe général. Passons
à un cas de lacune systématique.

De nombreux adjectifs ont deux sens: dans l'un, ils peuvent apparaître
en surface en position d'attribut, dans l'autre ils ne le peuvent pas (cf.
Bolinger, 1967; Weinreich, 1969: 47-50):

(27) cet acteur est très populaire/un acteur populaire.

(28) '"les traditions sont populaires/des traditions populaires

(29) cette chanson est populaire en ce moment

(30) une chanson populaire.

Employé en position d'attribut comme dans (27) et (29), populaire signifie «qui plaît au grand nombre» ; nous supposerons qu'il est représenté dans le lexique par la lexiepopulaire-!, qui est predicative (i.e., sous-catégorisée [+COP ]); des transformations peuvent l'amener en position d'épithète {un acteur populaire); dans (28) populaire signifie «du peuple»; il correspond à la lexie non predicative populaire-2 qui est probablement insérée en position d'épithète dès la structure profonde. La phrase (29) n'est pas ambiguë, car l'adjectif attribut ne peut y être interprété que comme une occurrence depopulaire-1 ; en revanche (30) peut signifier soit «une chanson en vogue» soit «une chanson issue du peuple» selon que l'épithète provient de populaire-1 ou populaire-2.

La transposition [a in [a X]] n'opère que sur des bases prédicatives:

(31) *la campagne est présidentielle

(31') *la campagne imprésidentielle

(32) *la banquise est polaire

(32') *la banquise impolaire

Lorsqu'un adjectif a deux emplois, l'un prédicatif et l'autre non, le transposé à préfixe in-, s'il existe, ne correspond qu'à l'emploi prédicatif: quoique de structure superficielle parallèle à celle du syntagme ambigu (30), le syntagme une chanson impopulaire n'est pas ambigu: il s'agit d'une chanson qui déplaît au grand nombre, pas d'une chanson qui n'est pas issue du peuple. De même:

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(33) ses sentiments sont très humains / des sentiments inhumains.

(33') la géographie humaine / *la géographie inhumaine

(34) il s'est montré très civil / des façons inciviles

(34') une guerre civile / *une guerre incivile3o.

Dans certains cas, deux lexies d'un même adjectif entrent dans des nominalisations différentes: ajuste «équitable» correspond justice, et ajuste «correct, approprié« correspond justesse ;à large «généreux» correspond largesse, et à large «étendu» correspond largeur.

Plus généralement, si on considère, à l'intérieur d'un même vocable, deux lexies Lj et L2 qui répondent l'une et l'autre à la description structurale d'un certain nombre de transpositions T\ ... Tn, il ne semble pas qu'il existe de corrélation necessaire entre le comportement idiosyncratique de Lj par rapport àTj . . .Tn et le comportement idiosyncratique de L2 par rapport aux mêmes transpositions; il ne semble pas non plus, si nous considérons maintenant une seule lexie, disons Lj, qu'il existe de corrélation necessaire entre les diverses façons dont elle se comporte par rapport à chaque transposition prise isolément. Sur délicat on peut former délicatesse, qu'il s'agisse de lafinesse d'un objet ou de celle d'une personne:

(35) la délicatesse de cette fleur (sa fragilité)

(36) la délicatesse de Jean (sa finesse ou son tact)

Par contre in- ne peut être préfixé que dans le sens délicat-2, et la lexie indélicat a un sens idiosyncratique. Elle signifie «peu honnête»; elle ne peut pas s'employer pour qualifier une personne fruste ou grossière. Les deux lexies semblent réagir indépendamment aux deux transpositions [[XA]esseN]et[Am[AX]pi.



30: L'astérisque indique que les adjectifs à préfixe in- ne peuvent avoir un sens qui corresponde à celui de l'emploi non prédicatif; on peut certes parler d'une géographie inhumaine («qui ne fait pas de place aux sentiments d'humanité») et d'une guerre incivile («dont les participants se conduisent sans civilité») mais les lexies en question sont alors dérivées des lexies prédicatives humain-l et civil-1.

31: Comme notre traitement le fait prévoir, indélicatesse signifie «manque d'honnêteté», i.e., c'est une lexie homogène formée sur indélicat; indélicatesse ne saurait désigner le manque de finesse d'un objet, puisque *[A in [¿délicat-I]] n'existe pas; cette lexie a d'autre part nécessairement un sens moral; elle ne peut servir à parler d'une personne sans raffinement. Ceci découle naturellement de la spécialisation sémantique (idiosyncratique) d'indélicat par rapport à délicat-2. Tous ces faits resteraient inexplicables si indélicatesse était analysé comme le produit de la préfixation de in- à délicatesse.

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II reste bien sûr à rendre compte du fait qu'entre toutes les transpositions de nominalisation déadjectivale dont dispose le français, délicat-1, délicat-2 et indélicat sont tous les trois sujet à [[X ¿J esse n] et à elle seulement, au lieu qu'on ait par exemple un dérivé délicatesse pour délicat-1, *délicatise pour délicat-2 et *indélicaterie pour indélicat (cf. RPT: 204-210).

7: Partie manifeste et partie latente d'une transposition

On rapproche couramment les cas de supplétion lexicale comme aveuglejcécité, semaine ¡hebdomadaire, dormiri sommeil de ceux de supplétion flexionnelle comme allons lirons, œillyeux (cf. Bloomfield, 1933: 238; Bailly, 1944: 178; Guilbert, 1975: 191-192). On dit que le morphème aveugle a deux variantes supplétives: /avœgl-7 dans l'adjectif aveugle et le verbe aveugler, et /ses-/ dans la nominalisation déadjectivale en -ité; de même semaine aurait deux variantes /samen/ et /ebdomad-/. Dans le cas de sommeil, qui est à dormir ce que respiration est à respirer et réveil à se réveiller, il faudra dire que c'est l'amalgame de dorm- et de la marque matérielle de la nominalisation dé verbale, de la même façon que dans des chevaux, des est l'amalgame de de +• les. Ce parallélisme entre supplétion flexionnelle et supplétion lexicale est en un sens justifié: dans les deux cas on considère une série de paires ala', b/b', . . . mlm' où une certaine relation syntactico-sémantique P est accompagnée d'une relation morphologique Q; une paire n/n' sera dite supplétive si ses membres satisfont àla relation P, et pas àla relation Q. Mais la ressemblance entre supplétion flexionnelle et supplétion lexicale s'arrête là. La notion de supplétion implique celle de paradigme, et quoiqu'on puisse en principe définir une notion de paradigme dérivationnel exactement parallèle à celle de paradigme flexionnel, cette notion nous semble de peu d'intérêt en pratique, et avec elle celle de supplétion lexicale, qui en est dérivée32.

Dans la perspective que nous avons choisie, le lexique est un ensemble de lexies mémorisées complètement spécifiées auquel est associé un ensemble de transpositions qui permettent d'en extraire les redondances imputables à la morphologie dérivationnelle; notre formalisme ne fournit aucun dispositif qui permette à l'adresse lexicale d'une lexie de renvoyer explicitement à celle d'une autre lexie.



32: Là-dessus, cf. RPT: 193-197.

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Est-ce à dire que nous sommes condamnés à ignorer le fait que morphologie
mise à part, aveugle et cécité entretiennent la même relation que
fidèle et fidélité:? La règle de dérivation en -ité s'écrit:

(37)


DIVL3080

(cf. Jean est célèbre Ha célébrité de Jean ;
de même pour médiocrité, docilité, sincérité, etc.33

La paire aveugle/cécité ne satisfait pas à (37) parce qu'elle ne répond pas aux conditions morphologiques contenues dans la ligne (37-a). Mais elle répond aux conditions syntaxiques et sémantiques contenues dans les lignes (37-b) et (37-c): Jean est aveugle/la cécité de Jean.

Plus généralement, si, modifiant légèrement la notation adoptée à la sec. 4., nous représentons une lexie L comme une paire (M, (H, S)), où M est un ensemble de traits phonologiques et morphologiques, H un ensemble de traits syntaxiques et S un ensemble de traits sémantiques, nous appellerons M la partie manifeste de L, et (H, S) sa partie latente. De même, dans une transposition T = (Rm, (Rh, Rs)), nous appellerons Rm la partie manifeste de T, et (Rh, Rs) sa partie latente. Lorsque deux lexies L et L' répondent aux conditions de (Rh, Rs), mais pas à celles de Rm, nous dirons que L' est le transposé latent de L dans T.

Toutes celles de nos remarques qui n'intéressent que la partie latente des transpositions sont applicables. Mais nous n'entrerons pas dans le détail, car nous entendons nous limiter ici à la dérivation proprement dite, qui ne s'intéresse aux relations latentes que dans la mesure où elles sont en correspondance systématique avec des relations manifestes. L'étude de la dérivation n'épuise pas, tant s'en faut, l'ensemble des propriétés remarquables de la structure du lexique; elle n'en couvre qu'une petite partie. On ne compte pas les faits fondamentaux qui restent par principe hors de son atteinte: par exemple que la relation de insensible-l «qui ne peut pas être perçu» à insensible-2 «qui ne peut pas percevoir» est la même que celle de invisible àaveugle; que sourd, oreille, ouïe, entendre et écouter sont dans la même relation que aveugle oeil, vue, voir et regarder, etc. Nous entrons ici dans le domaine de la sémantique pure.



33: L'analyse des nominalisations restant à faire pour le français, nous avons admis pour la commodité de la présentation que dans ¡a célébrité de Jean, le «sujet» Jean est inséré en position de complément de nom dès la structure profonde. Pour l'anglais, cf. Chomsky (1968) et Bowers (1968).

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Qu'on nous entende bien: il ne s'agit pas d'opposer sémantique et morphologie dérivationnelle. La relation de fidèle et fidélité relève tout autant de la sémantique, et dans les mêmes termes, que celle d'aveugle et cécité, mais elle se double en outre d'une relation manifeste qui n'existe pas dans aveugle ¡cécité.

8: Affixes dérivationnels et classes flexionnelles

Dans la paire (M, (H, S)) qui caractérise une lexie, M est un ensemble qui contient non seulement des traits phonologiques, mais aussi des traits morphologiques, en particulier des traits qui indiquent l'appartenance de la lexie à un paradigme flexionnel: «verbe faible»/«verbe fort», »thématique»/«athématique», «nème déclin aison», etc. Ces traits peuvent être des conditions sur l'input d'une transposition34, sur son output, ou sur les deux à la fois. Dans les langues indo-européennes, où les désinences flexionnelles sont le plus souvent suffixées, la classe flexionnelle d'une lexie complexe est ordinairement déterminée par la nature du dernier suffixe à droite: les verbes inchoatifs latins formés à l'aide du suffixe -sk- appartiennent tous à la troisième conjugaison (type lego): ignesco, ignescis «je m'enflamme, tu t'enflammes», dérivé de ignis «feu»; duresco, durescis «je m'endurcis, tu t'endurcis», dérivé dçdurus «dur», etc. (Ernout, 1953: 133). Par contre les fréquentatifs en -it sont tous de la première conjugaison (type amo): clamito, clamitas «je crie, tu cries sans cesse», dérivé de clamo «crier», rogito, rogitas «je demande, tu demandes sans cesse», dérivé de rogo (Ernout, 1953: 140). En Tchérémisse, langue finno-ougrienne parlée dans l'Oural, on distingue deux conjugaisons verbales, celle en -em et celle en -am, ainsi nommées d'après la désinence de la première personne de l'indicatif, et pour chaque suffixe pouvant former des thèmes verbaux, la grammaire doit indiquer si ces thèmes prennent la flexion en -em ou celle en -am (Minn, 1956: 14).

Les préfixes, eux aussi, peuvent déterminer la classe flexionnelle du
transposé. Considérez les exemples suivants:

(38) empailler, endosser, encaisser, empaqueter, encanailler, endetter, enrhumer,
etc.

(39) empirer, empourprer, enivrer, etc.

(40) embellir, enrichir, enhardir, etc.

Tous ces verbes sont de la forme [en-X y], où il n'existe pas de verbe
[X y] correspondant: *pailler, *dosser, *caisser, *pirer, *bellir, etc. Par



34: Pour des exemples, cf. Townsend (1968: 225) et Fokker (1965: 252).

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contre à tout verbe de la liste (38) correspond un nom commun [X n]: paille, dos, caisse, etc., et à tout verbe des listes (39) et (40) correspond un adjectif [ X &]: pire, pourpre, beau, etc. Nous poserons donc deux transpositions[yen [n X]] et [yen [a X]].

Les formations «parasynthétiques» comme empailler et embellir sont traditionnellement conçues comme des cas où une base est simultanément préfixée et suffixée (cf. p. ex. Nyrop: 215): paquet -* em-paquet-er, où n'existent ni *empaquet ni *paqueter. Cette façon de présenter les choses prête à confusion3S. C'est cette même prétendue suffixation qui apparaît dans la formation de verbes dénominaux non préfixés comme clouer ([[clou n] y]) (cf- n- 18 et 22), ou dans les déadjectivaux comme brunir, rougir ([[rouge n] y]). La différence entre empaqueter, enrichir et les dérivés anglais to endanger, to enslave, to enrich, to enlarge, etc. ne découle pas d'une différence de mode de formation ([y en [n danger]], [y en [a neh]]), mais de ce que tandis qu'en anglais il suffit en général de connaître la représentation phonologique d'un thème verbal pour pouvoir le conjuguer, en français il faut en plus savoir à quelle classe flexionnelle il appartient36.

En français on distingue traditionnellement trois classes flexionnelles dans la conjugaison verbale: le «premier groupe», type aimer, qui contient plus de neuf dixièmes des verbes; le «deuxième groupe» (type finir finissons),et «troisième groupe», un agrégat de flexions affligées d'idiosyncrasiesdiverses. Les seules lexies verbales complexes qui appartiennentau troisième groupe sont de la forme [y Y [y X ]], verbes fournis par préfixation sur des verbes [ X y] appartenant eux-mêmes au troisième groupe37, et qui leur transmettent leurs idiosyncrasies: endormir, revivre, accroître, découdre, etc., qui se conjugent comme dormir, vivre, croître,



35: De même lorsque Bally (1944: 169) déclare: «certains 'suffixes' sont en réalité des infixés: -aill- dans criailler (crier), -oí- dans clignoter (cligner)».

36: Sur les parasynthétiques véritables comme antiatomique, anticancéreux, etc. et la relation qu'ils entretiennent avec antichar, antimite, etc., cf. RPT: 202-204. Les dérivations parasynthétiques sont un procédé très fréquent dans les langues de l'lndonésie (cf. p. ex. Robins, 1959 et 1965).

37: Les cinq verbes concourir, discourir, parcourir, recourir, secourir sont des exceptions (les seules) à cette généralisation si on les considère comme synchroniquement dérivés des noms concours, discours, parcours, recours, secours. Nous ne connaissons pas pour l'instant d'argument qui permette de trancher entre cette hypothèse et l'hypothèse inverse, selon laquelle c'est concours qui dérive en synchronie de concourir, etc. Dans toutes les autres paires semblables (combattre ¡combat, accueillir ¡accueil, entretenir ¡entretien, etc.), c'est indubitablement le nom qui dérive du verbe.

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coudre, etc. D'autre part les verbes obtenus par suffixation ([[X] Y y]) sont toujours du premier groupe, quelles que soient les caractéristiques de la base: [atom n] -iser, [rouge a] -oyer, [traîn y] -asser, [mord y] -iller, [viv y] -oter. Sont également toujours du premier groupe les transposés de la forme [y Y [^X ]] et [y [^X ]]38. Dans tous ces cas, les indications de classe flexionnelle présentes dans les adresses lexicales des transposés sont prévisibles par régie, et n'ajoutent rien au coût du lexique. Au contraire, dans les transpositions de la forme [y Y [a X ]] et [y [a X ]], les transposés se distribuent entre le premier et le second groupe de façon arbitraire: sécher/salir, mécontenter ¡raidir, attrister/affaiblir, empirerlenlaidir,etc. Les règles de transposition ne mentionnent pas les classesflexionnelles et leur spécification dans les adresses lexicales est idiosyncratique.

9: Transpositions sans affixes

Examinons les mots formés à l'aide du préfixe dé

(41) déboucher, décoincer, décomposer, décomprimer, découdre, défaire, dégarnir,
dégonfler, dessouder, dévêtir, etc.

(42) détrôner, dédouaner, dépayser, débroussailler, dépuceler, dérailler, dépoussiérer,
désarçonner, dépanner, etc.

(43) dénoyautage, désapprobation, déchargeable, etc.

La liste (41) montre la nécessité de poser une règle [y dé [y X ]], déjà proposée à la sec. 2., et la liste (42) celle d'une règle [y dé [n X ]]: les verbes *douaner, *payser, *broussailler, *puceler, *railler, etc., n'existent pas. La liste (43) contient des lexies qui ne sont pas des verbes, mais dont on peut rendre compte en les considérant comme dérivés (dans des transpositions motivées indépendamment) de verbes qui sont soit de la forme [y dé [y X ]], soit de la forme [y dé [n X ]]. Dé noyautage, par exemple sera analysé [[y dé [n noyau]] age n], avec une base verbale dénoyauter appartenant à la liste (42), et un suffixe -age introduit par une transposition de toute façon nécessaire pour rendre compte de ramasser¡ramassage, essuyer/essuyage, abattre ¡abattage, etc.

Si on excepte les cas comme embarrasser/débarrasser, atteler ¡dételer,
les deux règles que nous avons données plus haut permettent de rendre
compte de toutes les apparitions du préfixe dé-. Autrement dit, toute lexie



38: II y a quelques exceptions, comme fleurir, lotir, atterrir, amerrir, alunir, avachir, anéantir; cf. Thorn (1907: 7655.).

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contenant le préfixe dé- appartient à une des trois listes (41), (42), (43)39.
Cette affirmation paraît pourtant contredite par l'existence de la série (44):

(44) dégel, décharge, désaveu, dégoût, désespoir, déséquilibre.

Les termes de cette série suggèrent apparemment qu'il existe une règle [n d® [n X ]]: gelldégel, charge ¡décharge, etc. Notons cependant qu'un nom ne peut faire partie de la série (44) que s'il lui correspond un verbe: dégeler, décharger, désavouer, dégoûter, désespérer, déséquilibrer', la série (44) ne contient aucune lexie comme *démaladie, *déjoie. Ces faits s'expliquent si nous renonçons à la règle fodé [n X ]] et adoptons à la place une règle [n [yX ]], i.e., si nous dérivons dégel de dégeler et non de gel. Nous voici en outre en mesure de rendre compte de faits qui jusqu'ici échappaient à notre analyse; jusqu'ici nous pouvions par exemple analyser dédaigner ([ydé [ydaign- ]]), mais pas dédain, puisque *dain n'existe pas; la règle [n [v x]] nt>us permet d'écrire: [N[Vdé [ydaign- ]]].

Cette règle est d'une grande généralité. Examinons encore les mots qui
commencent par le préfixe sur-:

(45) suralimenter, surestimer, surévaluer, surexposer, etc.

(46) surhomme, surintendant, surlendemain, surnom, etc.

(47) surcharger/surcharge, sursauter/sursaut, survoler/survol, survivre/survie.

Les séries (45) et (46) montrent la nécessité de poser les règles [y sur [yX ]] et [n sur [n X ]]. Si nous ne disposions pas de la règle În [v X ]], nous serions obligés d'analyser [n sur [n charge]], établissant d'une manière incorrecte entre charge et surcharge le même rapport qu'entre homme et surhomme et laissant inexprimée la relation entre surcharge et surcharger. La même argumentation vaut pour les mots à préfixe re-, qui sont tous dérivables de verbes à l'exception de rebord et recoin: retrouver, recracher, revoir, etc. La règle [y re [y X ]] suffit, et rebond, retour, rejet, etc. sont dérivés de rebondir, retourner, rejeter et non de bond, tour et jet4o.

La règle [[ X y] n] est traditionnellement appelée «formation de noms
déverbaux par apocope de l'infinitif», ce qui suggère un processus de



39: Aux exeptions déjà mentionnées, n. 16 il faut cependant ajouter déniaiser et dépareiller, formés sur des adjectifs.

40: De même en russe: vyxod «sortie» n'est pas dérivé par préfixation de vy- au substantif xod «marche, cours», mais vient du verbe vyxodit' «sortir», cf. Stankiewiecz(l962:ls). Similairement en polonais, cf. Fokker (1965: 251).

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troncation. En fait il s'agit simplement d'un changement de catégorie lexicale; il n'y a pas plus troncation dans le passage de rebondir à rebond ([[ Xy] n]) Qu'il n'y a suffixation dans le passage de clou à clouer ([[ X n] y])- II n'existe pas en français de transposition qui tronque une partie du transponende4l.

10: Nécessité d'une théorie sémantique

Des trois relations Rm, Rh, Rs qui doivent être satisfaites simultanément par deux lexies pour que celles-ci soient dans un rapport de transposition, la dernière est de nature sémantique. Si la transposition [[X n] et^] permet d'établir un rapport entre wagonnet et wagon, fillette et fille, mais pas entre chalet et châle, baguette et bague, c'est uniquement pour des raisons sémantiques. La tâche la plus pressante est l'étude des propriétés sémantiques des transpositions. Cette étude présuppose qu'on dispose d'une sémantique générale, et en même temps elle peut contribuer à la construction d'une telle sémantique.

Une théorie générale de la morphologie dérivationnelle devra contenir un ensemble structuré d'assertions aussi restrictives que possible qui soient vraies de la morphologie dérivationnelle de toute langue. En l'absence de toute caractérisation précise du contenu sémantique des règles de formation des lexies, les propositions contenues dans le présent article sont encore trop vagues pour pouvoir prétendre au statut de théorie. Espérons simplement qu'elles aideront un peu à préciser la problématique des études de morphologie dérivationnelle. „ . „ ..

François Dell

Paris

Résumé

On envisage la morphologie dérivationnelle du français contemporain d'un point de vue strictement synchronique, et on dégage certaines conditions qu'une théorie générale de la morphologie dérivationnelle doit remplir. Dans une grammaire generative, la composante lexicale doit contenir l'ensemble fini de toutes les entrées lexicales dont certaines propriétés ne peuvent pas être prédites par règle, et un ensemble (non ordonné) de règles d'affixation. Comme certaines de ces règles peuvent être appliquées récursivement, il n'y a pas de limite à la longueur des mots théoriquement possibles en français. Le cas de certains verbes traditionnellement considérés comme parasynthétiques nous amène à examiner la relation entre affixes dérivationnels et classes flexionnelles, et les dérivations sans adjonction d'affixes.



41: Les abréviations par troncation comme occasion/occase, pornographie ¡pomo, gymnastique¡gyme ne doivent pas être considérées comme des transpositions, car il n'existe pas de règle qui permette de prévoir pour chaque mot l'étendue de la partie tronquée.

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