Revue Romane, Bind 14 (1979) 1

Herman H. Wetzel: Die romanische Novelle bis Cervantes. Stuttgart, Sammlung Metzler M 162. J. B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1977.

Michel Olsen

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La collection Metzler est en train de publier une série d'ouvrages synthétisant l'état actuel des
recherches dans les différents champs des sciences de la littérature. Elle se voit augmentée
d'un excellent volume sur la nouvelle romane jusqu'à Cervantes.

Hermann H. Wetzel, l'auteur, étudie surtout le développement structural de la nouvelle dans la perspective de la narratologie et celle de la critique des idéologies. Avant d'aborder ces problèmes, il donne dans un premier chapitre, très dense, une orientation sur les éditions, la recherche des sources, les histoires nationales de la nouvelle et la théorie normative du genre. Si ce dernier problème s'est avant tout posé en Allemagne, où l'on a voulu élaborer une définition de l'essence de la nouvelle, comprenant aussi bien la nouvelle romane que la nouvelle romantique allemande, HHW signale avec raison que la recherche sur les sources ainsi que l'histoire du genre se sont développées en plein nationalisme: Espagnols, Français et Italiens, tous insistent sur leur propre «esprit», tendant par conséquent à nier les «emprunts» faits à l'étranger, alors que les Romanistes étrangers ont eu tendance à considérer la «Romania» comme une unité culturelle. L'exposé se trouve étayé par une excellente bibliographie, instrument de travail inestimable pour qui veut aborder l'étude de la nouvelle, et par un index des auteurs cités permettant une orientation rapide.

Le chapitre 3 traite l'important problème de l'encadrement de la nouvelle. Le cadre du idéologique, c'est-à-dire entre les opinions et attitudes exprimées de façon explicite et, d'autre part, les attitudes - souvent inconscientes - manifestées par différentes structures narratives, (v. P. Macherey: Pour une Théorie de la production littéraire, Paris 1971).

Le chapitre 3 traite l'important problèmme de l'encadrement de la nouvelle. Le cadre du Décaméron témoigne de la crise idéologique de l'univers médiéval: la «lieta brigata» oppose au chaos social symbolisé par la Grande Peste son propre ordre. Le cadre est ainsi une tentative de structuration d'une réalité chaotique. Par contre, l'univers médiéval n'aurait pas eu besoin de cadre, car un exemplum se trouvait automatiquement intégré dans l'ordre théocentrique qu'il illustrait. Il faudrait pourtant envisager de plus près les collections d'exempla. Du point de vue formel le cadre, «maître qui raconte des histoires au disciple», se trouve assez souvent {Disciplina Clericalis, El Conde Lucanor) et les doctrines illustrées par les récits s'y trouvent discutées entre maître et disciple. Peut-on affirmer que dans ces cas il n'y ait pas de cadre? Après le Décaméron (qui reste à peu près l'unique exemplaire de la classe qu'il institue) HHW pense avec raison que le cadre devient le plus souvent une formule qui témoigne d'un certain éloignement de la réalité sociale, exception faite de YHéptaméron de Marguerite de Navarre, qui consacre un espace important aux «devisants» du cadre. On pourrait citer aussi Giraldi, qui introduit dans le cadre desHecatommithi trois discours traitant de la «vita civile», qui exposent l'idéologie contre-réformiste. La corrélation établie entre lettres dédicatoires et idéologie nobiliaire (Masuccio Salernitano, Bandello) me semble convaincante, ainsi qu'un grand nombre de remarques particulières. Il reste à l'auteur le mérite d'avoir abordé de façon systématique cette approche prometteuse.

Le chapitre 3 esquisse une typologie. A partir des catégories exemple (Beispiel-Novelle), bon tour (Schwanknovelle) et nouvelle d'aventures (Abenteuer-novelle) HHW réussit à poser quelques jalons dans une matière qui peut, au premier abord, sembler chaotique: le bon tour («beffa») présuppose une certaine égalité et le développement de la société dans un sens autoritaire s'accompagne de l'insipidité croissante de ces tours, alors qu'un certain type de «bon mot» qui observe le respect dû aux différences sociales reste pensable (HHW s'appuie ici

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sur les études du Centre de recherche sur la renaissance italienne 1-4, université de la
Sorbonne nouvelle, 1972-75, éd. A. Rochon). L'exemple peut réapparaître dans des contextes
différents (ainsi dans la polémique sociale de Sacchetti).

Si l'exemple ne saurait s'expliquer par aucun système de pensée, nous en arrivons à la nouvelle-essai, dans laquelle la fiction est discutée quant à sa signification. Dans ce sens, HHW a tout à fait raison de faire un rapprochement avec les Essais de Montaigne. La nouvelle d'aventure, et notamment les sous-classes (contes de fées et «histoires tragiques») expriment, selon l'auteur, la passivité croissante de l'individu. Aussi connaissent-elles leur apogée durant la Contre-Réforme, mais HHW a assez d'esprit de finesse pour nuancer en ce qui concerne les nouvelles d'aventures de Boccace: chez cet auteur, elles sont contre-balancées par d'autres types qui insistent sur l'initiative personnelle (et, pourrait-on ajouter, les personnages des aventures boccaciennes reprennent souvent l'initiative à un certain moment de l'action). Une remarque de détail: l'auteur propose de voir les contes de fées (Straparola, Basile), non comme l'expression de l'idéologie du menu peuple, mais comme celle des classes nobles. Si le style de Basile confirme cette façon de voir, je reste sceptique quant à Straparola: les systèmes de valeurs qu'articulent Le Piacevoli Notti, ainsi que la vie presque inconnue de l'auteur, pourraient bien faire penser à un de ces «polygraphes» s'adressant à un public populaire si fréquents en Italie vers le milieu du XVIe siècle.

Ce petit volume est extrêmement riche en contenu substantiel et je dois passer sous silence nombre de points importants. Son excellente documentation ainsi que les perspectives qu'il ouvre en font un instrument de travail indispensable dans un champ où les nouvelles méthodes ont posé tant de nouveaux problèmes.

Roskilde