Revue Romane, Bind 14 (1979) 1

Six verbes français: la catégorie -AIRE

Alfred Bolbjerg

Des verbes comme naître/vivre/mettre/prendre/batiré/vaincre/perdre/rompre (dont les quatre premiers représentent 4 groupes singuliers, et les quatre derniers un seul groupe pluriel) ont tous une consonne devant r: t, v, k, p, ou d (seule ou précédée de r). Ainsi ils diffèrent structuralement de verbes comme taire,faire ou traire, qui n'ont pas de consonne devantr mais ont tous la voyelle e ouvert.

Ce dernier type est triparti. Il comporte un groupe binaire: taire/plaire, un groupe singulier:
faire, et un groupe pluriel: traire/braire traire.

De ces trois groupes peu nombreux, le dernier indique la réitération d'une même action. Les unités traire/brairelraire - malgré leur différence - désignent un procès marqué par une récurrence plus ou moins régulière de phases. Il s'agit d'une durée rompue et reprise, d'une interruption qui se reproduit. Les trois verbes expriment la continuité et la discontinuité à la fois:

mire 'bramer, crier' en parlant des cerfs, des chevreuils («Les cerfs raient quand ils sont en
rut»). Les cris sont courts, rauques, et dédoublés.

braire 'crier', en parlant de l'âne, mais aussi, familièrement, de cris humains ou de chants
d'une intensité désagréable, de sons inarticulés ('pleurer avec abondance', comme un enfant).

traire 'tirer le lait des mamelles de', indique aussi une répétition d'une même action.

L'origine de ces verbes présente des complications. Le sens de lat. trahere est fr. tirer, dont l'origine est inconnue, et à côté de raire il y a un autre raire, lat. radere (proverbe: «A barbe de fou on apprend à raire»). Raire, 'bramer', semble différent (cf. ital. ragghiare 'braire', etraitare 'bramer'). Probablement le phonème r - réitération {râler etc.) - domine les trois verbes qui indiquent continuité/discontinuité, plus le deuxième raire 'raser': action réitérée comme traire.

Ce qui caractérise les trois verbes, c'est aussi une intensité, une persévérance. Cette qualité distingue tous les verbes - aire, désir, volonté, dessein délibéré d'accomplir tel ou tel acte, intention: faire 'causer' etc.; taire 'cacher, tenir secret'; plaire 'être agréable' (cf. aussi: se faire/se taire/se plaire).

Faire est seul (groupe singulier) et se distingue des autres groupes par son degré d'abstraction
- précisément comme aller diffère des groupes parler et mener.

Le groupe binaire oppose taire, négatif, ti plaire, positif. Il s'agit ici d'une opposition entre
l'inconnexité (cf. se taire 'ne pas dire') et la connexité (cf. se plaire 'se trouver bien dans', en
parlant des végétaux, des animaux).

Dans le groupe pluriel, traire se distingue nettement des deux autres unités: raire /braire, qui sont plus lourdes, qui indiquent une suite de sons, et qui ne forment pas de composés. Ce groupe pluriel diffère des deux autres groupes: tous ses verbes sont défectifs, n'ayant pas de passé défini - temps qui, vu d'un certain côté, ne convient pas à la notion de réitération.

La différence entre raire, particulier, et braire, général, met à l'écart traire, neutre. Celui-ci a
les composés suivants:

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Distraire est inconnexe et particulier («séparer une partie d'un tout» Larousse/ distraire une somme, quelques minutes de son temps: «les retrancher d'un tout pour un emploi particulier» Die. Fr. Contemp.)- L'inconnexité veut dire l'isolement. Abstraire est inconnexe et général («Isoler un caractère d'un objet, d'un événement, afin de le considérer indépendamment»/s'abstraire: «s'isoler du monde extérieur, du cadre habituel de ses occupations..» Die. Fr. Contemp.).

Soustraire est connexe et particulier («ôter par adresse ou par fraude» Larousse, 'voler, escroquer'/«soustraire quelqu'un au danger 'protéger de'» Die. Fr. Contemp.). La connexité implique qu'une chose est étroitement liée à une autre. Extraire est connexe et général («gagner une substance du corps dont elle faisait partie»: extraire la houille de terre/ extraire une dent): «tirer d'un ensemble» (Die. Fr. Contemp.). Ces deux verbes connexes s'emploient en mathématiques (soustraire: retrancher un nombre d'un autre/extraire la racine carrée ou cubique d'un nombre): ou bien particulièrement (c.-à-d. ce qui concerne seulement un élément spécifique d'un ensemble) soustraire, ou bien généralement (c.-à-d. ce qui concerne une réunion d'une totalité: nombre algébrique qui, élevé au carré, au cube, reproduit le nombre proposé) extraire.

Entre les deux groupes taire et traire il y a une opposition entre alternance et constance. Le groupe binaire est variable (taire:tu), le groupe pluriel a des formes convergentes (traire:trait). Les deux verbes du groupe taire se séparent en prenant diverses directions, les verbes du groupe traire s'orientent de la même manière au point de vue régularité, uniformité.

Faire, groupe singulier, occupe une position moyenne: au gérondif il ressemble à taire (-zintercalaire),
au participe à traire (fait : trait).

Faire entre dans une série de verbes plus abstraits: être Ifaire/venir : tenir/aller/avoir, dont les structures témoignent d'une communauté, et où des rapports seront observables comme entre des parties d'un tout, des entités comparables. Ces rapports sont les relations logiques (Brandal, Leibniz) qui se cristallisent différemment dans les langues (en anglais: will généralité: «Boys will be boys»/ shall: particularité: «the prophétie shall», cp. aussi any : some).

Instruments utiles à produire des locutions nombreuses, les six verbes sont différents d'une manière proportionnelle - aussi dans leur fonction: être intr./faire trans./venir/intr./tenir trans./aller intr./avoir trans. Des constructions avec participe, infinitif, prépositions etc. (il est/ a tué// il fait/va tuer//il vient de/tient à le dire) sont des affirmations de leur caractère proportionnel et individuel: être, verbe de délimitation, de définition, est restrictif, identificateur;avoir, verbe de possession, de remplissage, est complétif, intégrant;/aire s'explique par la

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combinaison l'intensité/l'accomplissement, aller par l'intégration/l'extension (entre autres une forme de futur); venir exprime l'extension discontinue (mouvement + but), et tenir l'intention continue (fixation + durée). Les rapports entre les six varient: être contraste surtout avec avoir, les deux verbes jumeaux -ir sont liés plus étroitement l'un à l'autre, et faire s'oppose plus spécialement à aller. En face des deux auxiliaires, faire/venir/tenir/aller se comportent différemment:/flj>Wiéw («verbes de la main», cp. intensifs) s'opposent kaller/venir («verbes des pieds», cp. extensifs) - en somme: tenir est intensif/extensif (+ continu): «imperfectif»/ faire intensif/intégral (+ discontinu): «perfectif»/veA7/> extensif/intensif (+ discontinu): «perfectif»/a//er extensif/intégral (+ continu): «imperfectif» (cp. V. Hugo «Je suis une force qui va»).

En effet ces 'verbes centraux' - unités d'un «groupe transversal» - représentent, d'une
manière générale, leurs conjugaisons respectives: -RE/-AIRE/-IRe/-ER/-OIRe.

Composés: faire


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Copenhague