Revue Romane, Bind 13 (1978) 2

Jean-Claude Chevalier et Maurice Gross : Méthodes en grammaire française. Paris, éditions Klincksieck 1976. 226 pages.

Ebbe Spang-Hanssen

Le recueil de textes que présentent dans ce volume Jean-Claude Chevalier et Maurice Gross comprend douze articles d'auteurs différents, traitant de sujets plutôt variés. Pourtant, aussi bien les articles consacrés à un point de détail de la grammaire française que les études portant sur des questions de principe parviennent convenablement à illustrer les méthodes qui prévalent actuellement dans la recherche française en grammaire, ou plus précisément parmi les grammairiens qui se qualifient de transformationalistes.

Certains de ces auteurs sont chomskyens, d'autres harrisiens. Mais ce qui importe, selon les deux rédacteurs du volume, c'est ce sur quoi tous les transformationalistes sont d'accord: «Les différences entre «théoriciens» sont considérés comme négligeables, puisque portant sur des détails techniques de formalisation n'ayant pas de répercussions sur la qualité des explications de phénomènes» (p. 8). C'est là certainement un point de vue qui peut se défendre, mais il convient d'ajouter que c'est aussi très précisément le point de vue des disciples de Harris qui, tel Maurice Gross, considèrent que l'erreur de Chomsky est de faire trop de théorie et d'émettre trop d'hypothèses.

Quoi qu'il en soit des rapports de force entre les différentes tendances, dans ce volume et ailleurs, il faut saluer avec satisfaction les tentatives faites pour dégager ce qui constitue l'essentiel de la méthode transformationaliste et pour en montrer la validité.

Le transformationalisme qu'on présente ici est un transformationalisme proche du structuralisme distributionaliste: même méfiance à l'égard de la sémantique, même goût de l'empirisme. Certaines études, comme celle - excellente - de Christian Ledere sur les datifs syntaxiques et le datif éthique, n'ont rien qui les distingue des études distributionalistes, si ce n'est le manque de respect avec lequel on tord, dans tous les sens, les phrases françaises. On a l'impression que le transformationalisme signifie avant tout un accroissement de la provision de techniques mises à la disposition du grammairien: alors que le structuraliste n'utilisait systématiquement que l'épreuve de substitution, le transformationaliste se permet de manipuler la phrase à plusieurs endroits à la fois et de combiner, par exemple, substitutions et permutations.

Force est de constater que le transformationalisme,avec cet appareil techniquemodernisé, mais abandonnant aussi ses visées les plus ambitieuses, apparaît comme un progrès indiscutable en scientificité par rapport au structuralisme. Les cinq études de syntaxe descriptive dues respectivement à Andrée Boriilo, Anne-Marie Dessaux, Christian Ledere,

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Maurice Gross et Lélia Picabia, se signalenttoutes par une façon de procéder qui tient compte d'un large éventail de propriétés, tandis que les structuralistes, avec leur appareil plus pauvre, avaient tendance à privilégier les quelques propriétésque mettaient en lumière leurs épreuves.

Andrée Boriilo demande avec beaucoup de raison pourquoi on parle de proposition interrogative dans un cas comme celui-ci: // surveille si tout le monde paye à Ventrée. Elle se demande s'il n'y a pas moyen de rattacher les subordonnées de ce type à autre chose qu'à l'interrogation directe. Sa réponse, sans convaincre tout à fait, est intéressante.

Trois des études descriptives concernent les prépositions. Il est significatif que les grammairiens empiristes se jettent sur les prépositions: c'est là un terrain qui est mûr pour qu'on le déblaye, mais certainement pas pour qu'on essaye d'y échafauder de grandes constructions intellectuelles. Anne-Marie Dessaux fait une étude modèle du classement de certaines des acceptions de par. Christian Ledere classe différents emplois du datif, et Maurice Gross examine les syntagmes prépositionnels, hautement intéressants du point de vue théorique, que les tests désignent aussi bien comme adnominaux que comme adverbaux: Max a commis une agression contre Luc. On a, dans ces cas, deux analyses possibles, sans qu'il y ait ambiguïté, ce qui est gênant pour la théorie transformationnelle.

Il me semble qu'au nom même de l'empirisme, on peut faire une critique de certaines des études présentées: pourquoi les auteurs n'utilisent-ils comme témoignage de l'usage français que leur propre compétence linguistique? On a tellement critiqué le culte structuraliste des corpus de textes qu'on en a oublié que l'idée d'observer l'usage chez un grand nombre d'auteurs n'était pas mauvaise en soi. Je ne veux pas parler des avantages esthétiques des exemples choisis par les grammairiens d'autrefois, bien que des phrases comme Trois roses ont fleuri par parc (p. 56) puissent faire regretter le bon vieux temps. L'emploi exclusif de l'introspection, et même l'emploi exclusif d'un petit groupe d'informateurs, relève de l'idéalisme, comme le fait remarquer d'ailleurs Joëlle Tamine dans son étude. Même avec une technique tout à fait au point pour pétrir les phrases, le grammairien laissera échapper certaines combinaisons qui s'opèrent réellement, s'il n'observe pas systématiquement l'usage d'un assez grand nombre de personnes. Dans son article sur l'emploi de par devant un nom temporel, Anne-Marie Dessaux constate que le pluriel est exclu dans les constructions du type Luc est venu par un beau matin d'été, ce qui est certainement vrai pour l'exemple cité; mais si elle s'était constitué un fichier d'exemples de par au sens temporel, elle ne se serait pas exposée à oublier des tournures tout à fait courantes qui, selon les critères employés, seraient à classer avec l'exemple cité, mais qui admettent pourtant le pluriel.

Il me reste à remercier Jean-Claude Chevalier et Maurice Gross pour les mots si aimables de l'introduction sur l'étude du français en Scandinavie.

Copenhague